publié le 08 juin 2011
Extrait de l'arrêt n° 40/2011 du 15 mars 2011 Numéro du rôle : 4911 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 33, § 1 er , 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial de la Communauté flamande du 14 juillet 1998 La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)
Extrait de l'arrêt n° 40/2011 du 15 mars 2011 Numéro du rôle : 4911 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 33, § 1er, 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial de la Communauté flamande du 14 juillet 1998 relatif à l'enseignement communautaire, posée par le Conseil d'Etat. La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 202.039 du 18 mars 2010 en cause de K. E.O. contre l'Enseignement communautaire, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 avril 2010, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 33, § 1er, 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial du 14 juillet 1998 relatif à l'enseignement communautaire, interprétés en ce sens qu'en vertu de ceux-ci, le Conseil de l'enseignement communautaire se voit confier la compétence de se prononcer sur une interdiction générale et de principe concernant le port de signes religieux et philosophiques visibles, violent-ils l'article 24 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1. La question préjudicielle porte sur les articles 33, § 1er, 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial de la Communauté flamande du 14 juillet 1998 relatif à l'enseignement communautaire, qui disposent : «
Art. 33.§ 1er. En matière de politique générale, le Conseil [de l'Enseignement communautaire] est compétent pour : 1° la rédaction de la déclaration de neutralité de l'enseignement communautaire et de la déclaration d'attachement à l'enseignement communautaire;2° le contrôle qualitatif interne de l'enseignement communautaire, sur la proposition de l'administrateur délégué; [...]
Art. 34.En matière de politique pédagogique, le Conseil est compétent pour : 1° la définition du projet pédagogique propre à l'enseignement communautaire; [...] ».
Quant à la portée de la question préjudicielle et à la demande de reformulation B.2. Il est demandé à la Cour si les dispositions en cause, dans l'interprétation selon laquelle elles rendent le Conseil de l'Enseignement communautaire compétent pour se prononcer sur une interdiction générale et de principe de porter des signes religieux et philosophiques visibles, sont compatibles avec l'article 24 de la Constitution.
B.3.1. L'Enseignement communautaire estime que les termes « interdiction générale et de principe concernant le port de signes religieux et philosophiques visibles » utilisés dans la question préjudicielle confèrent à la décision du Conseil de l'Enseignement communautaire du 11 septembre 2009 attaquée devant le Conseil d'Etat une portée qu'elle n'a pas et demande dès lors à la Cour de reformuler la question préjudicielle. Il fait valoir plus particulièrement à cet égard que l'interdiction contenue dans la décision du 11 septembre 2009 doit, pour être contraignante, être transposée dans les règlements des écoles de la Communauté concernées, que l'interdiction s'applique uniquement au sein des établissements de l'Enseignement communautaire et qu'elle n'est pas d'application pendant l'enseignement des branches philosophiques.
B.3.2. Devant la Cour, les parties ne peuvent pas modifier ou faire modifier le contenu des questions préjudicielles.
B.3.3. La reformulation suggérée apparaît cependant comme dictée par le souci de préciser l'« interdiction générale et de principe » visée dans la question préjudicielle. Dans sa réponse à la question, la Cour peut tenir compte des précisions apportées, en ce qu'elles n'entraînent pas une interprétation qui diffère de celle retenue par la juridiction a quo.
En l'espèce, les précisions apportées n'entraînent pas d'interprétation autre que celle retenue par le Conseil d'Etat. En effet, il ne saurait être déduit de l'arrêt de renvoi que le Conseil d'Etat estimerait que l'interdiction en cause ne doit pas être transposée dans des règlements scolaires, ni qu'elle s'applique au sein d'autres établissements que ceux de l'Enseignement communautaire ou pendant l'enseignement des branches philosophiques. En qualifiant l'interdiction de « générale et de principe », le Conseil d'Etat semble vouloir indiquer qu'elle s'applique à tous les signes extérieurs de toutes les convictions philosophiques dans tous les établissements de l'Enseignement communautaire - sauf lors de l'enseignement des branches philosophiques - et qu'elle s'adresse à tous les élèves, y compris les adultes suivant des formations, aux enseignants ainsi qu'aux autres membres du personnel de ces établissements, sans possibilité pour ceux-ci d'y déroger. En outre, le Conseil d'Etat paraît vouloir indiquer ainsi qu'il s'agit d'une interdiction qui ne se fonde pas sur certains besoins de maintien de l'ordre dans un établissement d'enseignement déterminé, ni sur des motifs spécifiques propres à des élèves ou des enseignants déterminés, et qui ne peut pas non plus être mise en rapport avec des consignes spécifiques de sécurité à l'intention des élèves ou des enseignants.
B.4. Dans la détermination de la portée d'une question préjudicielle, la Cour tient compte de l'objet du litige pendant devant la juridiction a quo et de la motivation de la décision de renvoi.
Il ressort des éléments de fait de l'affaire pendante devant la juridiction a quo que la décision du Conseil de l'Enseignement communautaire du 11 septembre 2009 est attaquée par une élève d'un établissement d'enseignement de l'Enseignement communautaire. La Cour limite donc son examen de la question préjudicielle posée à la situation dans laquelle l'interdiction en question s'applique aux élèves.
B.5. La formulation de la question préjudicielle et la motivation de l'arrêt de renvoi font apparaître que la Cour n'est interrogée que sur la compatibilité des dispositions en cause, dans l'interprétation donnée, avec l'article 24 de la Constitution. Il est en substance demandé à la Cour si cette disposition constitutionnelle implique qu'une intervention du législateur décrétal est requise pour l'instauration d'une interdiction générale et de principe de porter des signes religieux ou philosophiques visibles, ou si elle permet que le législateur décrétal, par un décret adopté à la majorité spéciale visée au paragraphe 2 de cet article, confie la compétence pour décider d'une telle interdiction à un « organe autonome », en l'espèce le Conseil de l'Enseignement communautaire, sans en fixer les lignes de force. Il n'est donc pas demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité d'une telle interdiction avec la liberté de religion.
Il ressort des mémoires des parties qu'elles ont compris la question posée dans le sens indiqué.
Quant au fond En ce qui concerne le principe de légalité en matière d'enseignement (article 24, § 5, de la Constitution) B.6.1. L'article 24, § 5, de la Constitution dispose : « L'organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l'enseignement par la communauté sont réglés par la loi ou le décret ».
B.6.2. Il ressort des travaux préparatoires de la révision constitutionnelle du 15 juillet 1988 que, par cette disposition, le Constituant « [voulait actualiser] l'intention originelle du Constituant [...] ». Il a été ajouté : « Les dispositions fondamentales en matière d'enseignement doivent être arrêtées par des organes élus. Les organes exécutifs ne peuvent agir qu'en fonction de ces dispositions » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/1°, p. 7).
Après avoir souligné que l'objectif recherché était également de garantir au niveau constitutionnel les « principes du Pacte scolaire » et après avoir énuméré ces « principes », complétés par les principes déjà garantis à l'article 17 ancien de la Constitution (la liberté d'enseignement, la possibilité pour les communautés d'organiser elles-mêmes un enseignement répondant à une exigence de neutralité, la possibilité pour les communautés, en tant que pouvoirs organisateurs, de déléguer des compétences à des organes autonomes, le droit à un enseignement (gratuit) et à l'égalité en matière d'enseignement), le Vice-Premier ministre et ministre des Communications et des Réformes institutionnelles a déclaré : « Tous ces principes importants de la politique d'enseignement doivent être arrêtés par un décret ou une loi; seules des personnes démocratiquement élues peuvent régler par des règles générales l'octroi de subsides à l'enseignement ainsi que son organisation et son agrément » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, p. 4).
B.6.3. L'article 24, § 5, de la Constitution traduit donc la volonté du Constituant de réserver au législateur compétent le soin d'adopter une réglementation pour les aspects essentiels de l'enseignement en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance et son subventionnement, mais il n'interdit pas que des missions soient confiées à d'autres autorités à certaines conditions.
Cette disposition constitutionnelle exige que les délégations conférées par le législateur décrétal ne portent que sur la mise en oeuvre des principes qu'il a fixés. Le Gouvernement de communauté ou une autre autorité publique ne saurait remédier à l'imprécision de ces principes ni affiner des choix politiques insuffisamment détaillés.
B.6.4. Le texte de l'article 24, § 5, a une portée générale : il n'opère aucune distinction et ne contient aucune limitation en ce qui concerne la portée de la notion d'« organisation », ce qui signifie que toute réforme relative à l'organisation de l'enseignement, quel que soit son objectif, même si elle est limitée dans le temps, ne peut être réglée que par décret.
En ce qui concerne la liberté d'enseignement (article 24, § 1er, de la Constitution) B.7.1. Lorsqu'il règle les aspects essentiels de l'enseignement, en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance ou son subventionnement, le législateur compétent doit tenir compte de la liberté d'enseignement garantie par l'article 24, § 1er, de la Constitution.
L'article 24, § 1er, de la Constitution dispose : « L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi ou le décret.
La communauté assure le libre choix des parents.
La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.
Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ».
B.7.2. La liberté d'enseignement garantie par l'article 24, § 1er, de la Constitution assure le droit d'organiser des écoles fondées sur une philosophie confessionnelle ou non confessionnelle déterminée. Elle implique également que des personnes privées puissent, sans autorisation préalable et sous réserve du respect des libertés et des droits fondamentaux, organiser et faire dispenser un enseignement selon leur propre conception, tant en ce qui concerne la forme de cet enseignement qu'en ce qui concerne son contenu, par exemple en créant des écoles dont la spécificité réside dans des conceptions déterminées d'ordre pédagogique ou éducatif.
B.7.3. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 24, § 1er, de la Constitution, la communauté assure le libre choix des parents.
Cette liberté de choix implique que les parents puissent choisir pour leurs enfants l'enseignement qui est le plus proche de leurs conceptions philosophiques.
C'est pour garantir cette liberté de choix que la communauté organise un enseignement neutre dans le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves (article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution) et qu'elle subventionne les établissements d'enseignement dont la spécificité réside dans une conception religieuse, philosophique ou pédagogique déterminée.
B.8. Sur le plan de l'organisation et de la dispensation de l'enseignement, la communauté ne dispose pas de la même liberté que les autres pouvoirs organisateurs.
En effet, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 24, § 1er, de la Constitution, la communauté doit assurer le libre choix des parents, ce qui entraîne l'obligation pour la communauté d'organiser un enseignement.
En outre, la liberté de la communauté sur le plan de l'enseignement est limitée par les règles contenues à l'article 24, § 1er, alinéas 3 et 4, de la Constitution, qui prévoient que l'enseignement organisé par la communauté doit être neutre et que les écoles organisées par les pouvoirs publics doivent offrir, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle.
En ce qui concerne la neutralité de l'enseignement organisé par la communauté (article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution) B.9.1. En vertu de l'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution, la neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.
B.9.2. Dans la note explicative du Gouvernement concernant la révision constitutionnelle du 15 juillet 1988, la notion de « neutralité » a fait l'objet du commentaire suivant : « La notion de ' neutralité ' se trouve déjà partiellement définie dans le texte. ' Notamment ' renvoie à une définition plus détaillée dans le sens suivant.
L'enseignement neutre ne se limite pas à l'instruction, mais s'étend également à l'éducation de la personnalité entière.
Une école neutre respecte toutes les opinions philosophiques, idéologiques et religieuses des parents qui lui confient leurs enfants.
Elle se fonde sur une reconnaissance et une appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes et, la dépassant, met l'accent sur les valeurs communes.
Un tel enseignement veut aider et préparer les jeunes à entrer dans notre société avec un jugement et un engagement personnels. C'est seulement dans cet esprit qu'on traitera les problèmes controversés.
La mise en oeuvre d'une telle neutralité est étroitement liée au projet éducatif et aux méthodes pédagogiques. Elle pourra par conséquent évoluer différemment dans les Communautés.
Evidemment, la liberté académique des institutions universitaires reste garantie.
On devra rechercher des garanties appropriées pour que le personnel concerné par le projet éducatif souscrive à une telle conception et à un tel projet éducatif. Une déclaration d'engagement pourrait en être un élément.
En attendant l'élaboration de telles garanties, la résolution 15 du pacte scolaire de 1958 continuera à être appliquée strictement » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/1°, pp. 2-3).
Lors de l'examen en Commission sénatoriale de la révision de la Constitution et des réformes des institutions, le secrétaire d'Etat à l'Education nationale (N) a déclaré : « La définition ' nationale ' de la ' neutralité ' dans le commentaire n'exclut pas une évolution, par exemple au sein de la Communauté flamande, dans le sens d'une ' neutralité positive ' et d'une conception pluraliste plus moderne. [...] Le point de départ d'un projet pédagogique de l'enseignement de l'Etat est constitué par la donnée de base selon laquelle l'enseignement de l'Etat, même avec un mode de gestion modifié, à savoir un conseil autonome, associé à une politique plus décentralisée, est un enseignement public, c'est-à -dire organisé par la Communauté et, partant, doit être caractérisé par l'ouverture et le pluralisme interne » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, pp. 62-63).
Il a ajouté « qu'il ne faut pas perdre de vue que les circonstances sociologiques évoluent et qu'il n'est donc pas indiqué de clicher certaines notions » (ibid., p. 64).
B.9.3. Il ressort de ce qui précède que le Constituant n'a pas voulu concevoir la notion de « neutralité » contenue à l'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution comme une notion statique.
B.9.4. La notion a néanmoins un contenu minimum auquel il ne saurait être dérogé sans violer la Constitution. En effet, l'obligation pour la communauté d'organiser un enseignement neutre constitue une garantie pour le libre choix des parents.
B.9.5. Ce contenu ne saurait être considéré indépendamment de l'unique - mais essentielle - précision que le texte de la Constitution même comporte en ce qui concerne la notion de neutralité, plus précisément le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.
La neutralité que les autorités doivent rechercher sur le plan philosophique, idéologique et religieux en vue de l'organisation de l'enseignement communautaire leur interdit plus précisément de défavoriser, de favoriser ou d'imposer des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses. La neutralité suppose donc, comme on peut le lire dans la note explicative du Gouvernement relative à la révision constitutionnelle de 1988, « une reconnaissance et une appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes » - du moins en ce qu'il ne s'agit pas d'opinions constituant une menace pour la démocratie et les droits et libertés fondamentaux - ainsi qu'un « accent mis sur les valeurs communes ».
La notion de « neutralité » inscrite à l'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution constitue donc une formulation plus précise en matière d'enseignement du principe constitutionnel de la neutralité de l'autorité publique, lequel est étroitement lié à l'interdiction de discriminations en général et au principe de l'égalité des usagers du service public en particulier.
B.9.6. Toutefois, le principe de neutralité entraîne, pour l'autorité compétente, non seulement une obligation d'abstention - dans le sens d'une interdiction de discriminer, de favoriser ou d'imposer des convictions philosophiques, idéologiques ou religieuses -, mais aussi, dans certaines circonstances, une obligation positive, découlant de la liberté de choix des parents garantie par la Constitution, d'organiser l'enseignement communautaire de telle manière que « [la] reconnaissance et [l']appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes » ne soient pas compromises.
En ce qui concerne la possibilité, pour la communauté en tant que pouvoir organisateur, de déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes (article 24, § 2, de la Constitution) et sa concrétisation en Communauté flamande B.10.1. L'article 24, § 2, de la Constitution dispose : « Si une communauté, en tant que pouvoir organisateur, veut déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes, elle ne le pourra que par décret adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés ».
B.10.2. Dans les travaux préparatoires, il est dit au sujet de cette disposition : « Le texte proposé prévoit expressément qu'une Communauté - après la révision de l'article 59bis, § 2, alinéa 1er, 2, de la Constitution - pourra déléguer des compétences de pouvoir organisateur de l'enseignement de l'Etat, à un ou plusieurs organes autonomes. Aussi bien pour l'approbation que pour la modification de ce décret, une majorité des deux tiers est requise.
Les néerlandophones pensent à un transfert à un Conseil autonome de l'Enseignement de l'Etat et à des Conseils scolaires locaux, démocratiquement composés de personnes attachées à cet enseignement et qui reflètent la diversité idéologique et philosophique de la Communauté flamande.
Les francophones, quant à eux, s'ils sont partisans d'une large décentralisation, veulent maintenir les prérogatives du Ministre en tant que pouvoir organisateur de l'enseignement de l'Etat » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/1°, p. 3).
La Commission sénatoriale compétente a ajouté, lors de l'examen de cette disposition : « Le Secrétaire d'Etat à l'Education nationale déclare qu'en ce qui concerne la portée de l'autonomie visée à l'article 17, § 2, l'on peut dire que l'organe autonome reçoit toutes les compétences d'organisation comparables à celles des autres pouvoirs organisateurs et remplace ainsi les exécutifs pour organiser l'enseignement de l'Etat.
Cette délégation de compétence par décret au profit d'un organe autonome doit être réalisée sous une forme de droit public décentralisée. Elle pourra ainsi comprendre tout l'enseignement au sens de l'article 59bis, § 2, 2, comme proposé.
Les Communautés doivent permettre à cet organe d'assurer les libertés constitutionnelles de l'article 17.
Lors de la création de cet organe, les conseils de communauté règleront la gestion administrative et financière ainsi que la tutelle y afférente » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, p. 82).
Il ressort encore des travaux préparatoires que l'exigence de majorité spéciale prévue à l'article 24, § 2, de la Constitution vise à « éviter des modifications incessantes lors de chaque changement de majorité politique » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1988, n° 10/17-455/4, p. 40) et donc « à garantir une plus grande stabilité » (ibid., p. 58).
B.10.3. Ainsi, la Constitution prévoit la possibilité, pour les communautés en tant que pouvoirs organisateurs de l'enseignement communautaire, de déléguer des compétences à des organes qui jouissent d'une autonomie en la matière. Au cours des travaux préparatoires, le Vice-Premier ministre et ministre des Communications et des Réformes institutionnelles a parlé d'une possibilité d'accorder une « large autonomie » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, p. 4).
B.11.1. Il apparaît des travaux préparatoires cités en B.10.2 que le Constituant a, par les « compétences en tant que pouvoir organisateur », essentiellement visé les compétences dont disposent également les autres pouvoirs organisateurs de l'enseignement.
B.11.2. Ainsi qu'il a été rappelé en B.7.2, la liberté d'enseignement implique la possibilité pour les pouvoirs organisateurs de créer des écoles qui trouvent leur spécificité dans certaines conceptions pédagogiques ou éducatives.
L'établissement du projet pédagogique d'une école relève donc en principe de la compétence du pouvoir organisateur de cette école.
B.11.3. Le fait que le Constituant n'a pas voulu exclure la possibilité de confier, par application de l'article 24, § 2, de la Constitution, la compétence relative à l'établissement du projet pédagogique de l'enseignement communautaire aux organes autonomes visés dans cette disposition peut être déduit de la déclaration suivante du ministre de l'Education nationale (F) : « Il a également été demandé si la Communauté pourra imposer un projet éducatif déterminé à l'avenir. On peut répondre affirmativement à cette question, mais seulement dans la mesure où la Communauté agit en tant que pouvoir organisateur » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, p. 56).
Dans la mesure où le pouvoir organisateur de l'enseignement communautaire a été confié à un ou plusieurs organes autonomes, il appartient donc à ces organes d'établir le projet pédagogique.
B.12. Pour établir le projet pédagogique de l'enseignement communautaire, la communauté ou les organes autonomes créés ne disposent cependant pas de la même liberté que les autres pouvoirs organisateurs. En effet, l'enseignement organisé par la communauté doit, aux termes de l'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution, être neutre. Ainsi qu'il a été constaté en B.9, le Constituant n'a cependant pas conçu la neutralité visée dans cette disposition comme une notion statique et il n'a pas voulu exclure une évolution dans sa signification, pour autant toutefois qu'il ne soit pas touché à son contenu minimum.
B.13.1. Les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle du 15 juillet 1988 font apparaître que le Constituant a considéré que la concrétisation de la portée évolutive du principe de neutralité était une compétence étroitement liée à l'établissement du projet pédagogique de l'enseignement communautaire (voy. notamment Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/1°, p. 3; n° 100-1/2°, p. 53).
Après avoir souligné que le contenu de la notion de « neutralité » peut évoluer, le secrétaire d'Etat à l'Education nationale (N) a commenté comme suit le lien entre la « neutralité » et le « projet pédagogique » : « C'est au Vlaamse Raad ou à l'Autonome Raad voor het Rijksonderwijs qu'il appartient de se prononcer [au sujet de l'évolution possible de la notion de « neutralité »]. C'est du décret sur l'A.R.R.O. que dépend l'organe qui pourra décider à ce sujet.
Dans le même esprit, le critère servant à définir le caractère d'une école peut évoluer. Les critères de diplôme actuels favorisent la rigidité et le cloisonnement et ne répondent plus à la réalité sociologique. En Flandre, les idées vont dans le sens d'une définition, par le pouvoir organisateur, d'un projet idéologique et/ou pédagogique propre et d'une déclaration dans laquelle les membres du personnel souscrivent à ce projet. [...] Toute vision de l'enseignement est inévitablement liée à la vision de l'homme et de la société que l'on prône.
Au niveau de l'exécution pédagogique et didactique concrète, cela se reflète dans la définition des objectifs, des contenus et des méthodes d'éducation et d'enseignement.
Tout choix sérieux exige un ensemble cohérent, les valeurs fondamentales, les bases et les principes généraux devant être formulés le plus clairement possible. Tels sont l'objectif et la fonction d'une définition du projet pédagogique que l'on entend réaliser. [...] Le projet pédagogique de l'enseignement de l'Etat doit [...] préconiser des valeurs répondant au profil d'un enseignement de la Communauté ouvert et engagé. Il faut introduire dans ce projet pédagogique le caractère propre, la spécificité de l'enseignement de l'Etat.
Le projet pédagogique doit être formulé en termes généraux, parce qu'il s'agit d'un cadre de principe qu'il faut concrétiser à différents niveaux et dans diverses circonstances. [...] L'élaboration d'un projet pédagogique de l'enseignement de l'Etat doit être l'oeuvre de tous ceux qui sont concernés par cet enseignement. [...] L'article 17 peut maintenant constituer le point de départ d'une réflexion sérieuse sur l'avenir de cet enseignement et un défi lancé à tous ceux qui lui sont associés, afin qu'ils élaborent ensemble un projet pédagogique de l'enseignement de l'Etat qui puisse être réalisé dans les écoles d'une façon dynamique et engagée grâce à une gestion dynamique et engagée. [...] La notion de neutralité repose sur la situation actuelle telle qu'elle a été fixée en 1963. Il est clair aussi que, puisque les Communautés se voient confier une responsabilité propre, la traduction concrète et l'application de celle-ci se feront compte tenu de la situation dans laquelle se trouve chaque Communauté.
Cela ne peut être considéré comme une interprétation de la Constitution, mais plutôt comme un complément de la notion de neutralité, qui doit d'ailleurs être concrétisée dans un projet pédagogique [...] » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/2°, pp. 62-64).
B.13.2. Ces indications font non seulement apparaître que la précision du contenu du principe de neutralité ne peut être dissociée de l'établissement du projet pédagogique de l'enseignement communautaire, mais également que le Constituant n'a pas voulu exclure que les compétences en question soient confiées aux organes autonomes visés à l'article 24, § 2, de la Constitution. En effet, le secrétaire d'Etat à l'Education nationale (N) a expressément déclaré, d'une part, qu'il revient « au Vlaamse Raad [Conseil flamand] ou à l'Autonome Raad voor het Rijksonderwijs [Conseil autonome de l'Enseignement de l'Etat] » de donner un contenu à la signification évolutive du principe de neutralité, en fonction de ce que prévoit le « décret sur l'A.R.R.O. » (l'on vise ici le décret spécial qui serait adopté en application de l'article 24, § 2, de la Constitution), et d'autre part, que le pouvoir organisateur peut définir un « projet idéologique et/ou pédagogique propre ». A cet égard, l'on est implicitement parti du principe que ce pouvoir organisateur serait composé de personnes qui ont été « concernées » par « l'enseignement de l'Etat ».
B.14.1. Il ressort des travaux préparatoires du décret spécial du 19 décembre 1988 relatif au Conseil autonome de l'Enseignement communautaire que les compétences qui ont été confiées au Conseil autonome doivent être entendues dans un sens large.
L'exposé des motifs du décret indique : « L'ARGO [Conseil autonome de l'enseignement communautaire] agit en tant que pouvoir organisateur. Il reçoit les compétences qui sont celles de tout pouvoir organisateur d'enseignement » (Doc. parl., Conseil flamand, 1988-1989, n° 161/1, p. 3).
Le ministre flamand de l'Enseignement a déclaré : « Le but est toutefois d'aboutir à une nouvelle déclaration de neutralité par le conseil central. Le législateur décrétal donne cette mission à l'instance compétente. L'objectif est d'arriver à une notion positive, différente de l'actuelle notion. [...] [...] L'Exécutif place sa confiance dans le conseil central, mais une majorité qualifiée est requise. En effet, ses décisions doivent être soutenues par la Communauté flamande. [Le ministre] admet cependant qu'il s'agit d'une mission difficile. Il faut qu'il s'agisse principalement de personnes d'un haut niveau éthique. Il ne lui semble toutefois pas indiqué de le prévoir par la voie d'un décret : il faut que ceux qui sont directement concernés en tracent le schéma. Les activités politiques, comme ici en Commission et dans l'assemblée publique, interviennent toutefois dans l'orientation. [...] En ce qui concerne le caractère de neutralité, il trouve que le critère du diplôme est à tout le moins susceptible d'être affiné. La notion traditionnelle de ' neutralité ' était trop étroite. Une approche positive de la neutralité est donc laissée au conseil central, donc à ceux qui sont concernés eux-mêmes » (Doc. parl., Conseil flamand, 1988-1989, n° 161/4, pp. 15, 17 et 27).
Répondant à une observation critique d'un rapporteur concernant l'absence de participation du Parlement flamand pour ce qui est de la déclaration de neutralité et de la déclaration d'attachement à l'enseignement communautaire, le ministre a dit que « chaque négociateur était conscient de l'importance de cette matière ». Il a ajouté : « C'est pourquoi une majorité spéciale a été prévue pour certaines matières, en ce compris une minorité de blocage. Si le Conseil flamand veut lui-même rédiger ces déclarations ou veut reprendre certaines indications dans ce décret, cette majorité spéciale ne doit pas être retenue. [...] Chaque projet pédagogique entraîne des conséquences pour ceux qui le portent. Autrement, il y aurait une menace structurelle pour leur projet personnel. Telle est la base de principe qui doit recevoir un contenu concret. Il propose que ce contenu ne soit pas précisé par les politiques : certaines évolutions dans les esprits sont toujours possibles. C'est pourquoi les personnes qui sont directement concernées doivent elles-mêmes rédiger ces dispositions qui touchent au contenu. L'accord politique a été élaboré par les politiques. Mais l'on ne peut tomber dans l'autre extrême en laissant porter par les politiques des responsabilités qui ne sont pas les leurs. Une politisation était ainsi possible. Cette matière délicate doit être réglée par voie de consensus. C'est pourquoi il plaide en faveur du maintien du texte proposé » (ibid., pp. 36-37).
Un autre rapporteur a déclaré dans le cadre de la discussion susdite qu'il faut « choisir entre deux possibilités : soit tout reste identique, soit l'Enseignement communautaire reçoit plus d'autonomie, mais alors également pour les éléments essentiels » (ibid., p. 37).
B.14.2. Le législateur décrétal spécial a dès lors confié au Conseil autonome de l'Enseignement communautaire (devenu ensuite l'Enseignement communautaire) les compétences les plus larges pour l'établissement de la déclaration de neutralité, de la déclaration d'attachement à l'enseignement communautaire et du projet pédagogique de cet enseignement. Comme l'a dit un rapporteur, il faut partir du principe que « le [Conseil flamand] abandonne entièrement ses droits pour ce qui est de la déclaration de neutralité » (Doc. parl., Conseil flamand, 1988-1989, n° 161/4, p. 36).
En ce qui concerne l'« interdiction générale et de principe de porter des signes religieux et philosophiques visibles » dans l'enseignement communautaire et la compétence du Conseil de l'Enseignement communautaire B.15. L'interdiction générale et de principe, pour les élèves, de porter des signes religieux et philosophiques visibles dans les établissements de l'Enseignement communautaire donne à la notion de neutralité, telle qu'elle est contenue dans l'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution, une orientation nouvelle, qui n'est cependant pas contraire par définition à cette notion. En effet, ainsi qu'il a déjà été constaté en B.9.3, le Constituant n'a pas conçu la neutralité de l'enseignement communautaire comme un principe rigide, indépendant des évolutions de la société. En outre, dans certaines circonstances, la neutralité peut obliger l'autorité compétente à prendre des mesures visant à garantir la « reconnaissance et [l']appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes » dans l'enseignement communautaire.
B.16. Il ressort de ce qui précède, d'une part, que le législateur décrétal spécial a voulu entièrement transférer à l'Enseignement communautaire la compétence lui permettant de donner un contenu à la signification évolutive de la notion de neutralité inscrite dans la Constitution et, d'autre part, que le Constituant n'a pas voulu exclure un tel transfert.
B.17.1. Il convient néanmoins de constater, avec la partie requérante devant la juridiction a quo, que tant les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle du 15 juillet 1988 que ceux du décret spécial du 19 décembre 1988 mentionnent le fait que les organes autonomes à créer par application de l'article 24, § 2, de la Constitution n'ont pas de « pouvoir normatif » (Ann., Sénat, S.E. 1988, 14 juin 1988, p. 520; Doc. parl., Conseil flamand, 1988-1989, n° 161/1, p. 9).
B.17.2. L'adoption, par le Conseil de l'Enseignement communautaire, d'une interdiction générale et de principe de porter des signes religieux et philosophiques visibles, applicable aux élèves, qui vaut exclusivement dans les établissements d'enseignement de l'Enseignement communautaire, ne peut toutefois être considérée comme l'exercice d'un « pouvoir normatif » au sens des travaux préparatoires précités.
Pareille interdiction, qui s'applique exclusivement dans les établissements d'enseignement de l'Enseignement communautaire, doit être considérée comme une mesure d'ordre intérieur, comparable aux règlements d'ordre intérieur établis par les autres pouvoirs organisateurs d'enseignement. Il ne s'agit donc pas d'un règlement au sens d'une prescription générale applicable à tous les élèves, quelle que soit la nature de l'établissement d'enseignement où est inscrit l'élève.
Ni le Constituant ni le législateur décrétal spécial n'ont voulu imposer aux organes autonomes créés par application de l'article 24, § 2, de la Constitution l'interdiction d'adopter, afin de garantir le bon fonctionnement de l'enseignement ou d'assurer la réalisation du projet pédagogique, des règlements d'ordre intérieur concernant le comportement des élèves. En effet, toute autre appréciation impliquerait que tous les comportements possibles d'élèves qui pourraient compromettre le bon fonctionnement de l'enseignement et la réalisation du projet pédagogique - comportements qui peuvent d'ailleurs varier en fonction des circonstances et de l'époque - devraient être réglés par le législateur décrétal. Cette situation ne serait pas compatible avec la « dépolitisation » de l'Enseignement communautaire voulue par le législateur décrétal spécial - et autorisée par le Constituant - et risquerait de priver de sa substance le transfert de compétence à l'Enseignement communautaire.
B.17.3. Il convient dès lors de constater que l'article 24 de la Constitution ne s'oppose pas à ce que le Conseil de l'Enseignement communautaire soit habilité à se prononcer, dans le cadre de la déclaration de neutralité de l'enseignement communautaire, sur une interdiction générale et de principe, applicable aux élèves, de porter des signes religieux et philosophiques visibles dans les établissements d'enseignement de l'Enseignement communautaire.
B.18. Dans l'interprétation selon laquelle les articles 33, § 1er, 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial du 14 juillet 1998 habilitent le Conseil de l'Enseignement communautaire à se prononcer sur une interdiction générale et de principe, applicable aux élèves, de porter des signes religieux et philosophiques visibles, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Interprétés en ce sens qu'ils habilitent le Conseil de l'Enseignement communautaire à se prononcer sur une interdiction générale et de principe, applicable aux élèves, de porter des signes religieux et philosophiques visibles, les articles 33, § 1er, 1° et 2°, et 34, 1°, du décret spécial de la Communauté flamande du 14 juillet 1998 relatif à l'enseignement communautaire ne violent pas l'article 24 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 15 mars 2011.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Bossuyt.