Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 28 février 2011

Extrait de l'arrêt n° 160/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 5042 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 26, alinéa 1 er , et 49 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges L. La(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2011200572
pub.
28/02/2011
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 160/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 5042 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 26, alinéa 1er, et 49 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 5 octobre 2010 en cause de la SA « Vergo Technics » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 14 octobre 2010, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 26, alinéa 1er, et 49 du CIR92 violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce sens qu'ils permettent de sanctionner le paiement de frais professionnels excessifs visant à réaliser des transferts de bénéfices entre sociétés résidentes, si l'on part du principe que l'article 26, alinéa 1er, in fine, du CIR92 ne serait pas applicable aux avantages qui entraînent une dépense réelle pour celui qui les accorde (p. ex. le paiement d'un prix trop élevé pour une livraison ou un service, ou le paiement d'une indemnité sans contrepartie aucune de la part du bénéficiaire) mais qu'il le serait aux avantages qui entraînent seulement un moindre revenu pour celui qui les accorde (p. ex. la remise d'une créance), ce qui a pour conséquence que l'on n'échappera à la double imposition que dans ce dernier cas et non dans le premier ? (ce qui signifie que les contribuables octroyant un avantage qui déduisent des frais professionnels excessifs sont, d'une manière injustifiée, traités autrement que les contribuables qui octroient un avantage générant un moindre revenu) ».

Le 9 novembre 2010, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs L. Lavrysen et J.-P. Snappe ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 26, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992), dans sa version applicable aux exercices d'imposition 1996 et 1997, dispose : « Sous réserve des dispositions de l'article 54, lorsqu'une entreprise établie en Belgique accorde des avantages anormaux ou bénévoles, ceux-ci sont ajoutés à ses bénéfices propres, sauf si les avantages interviennent pour déterminer les revenus imposables des bénéficiaires ».

B.2. L'article 49 du CIR 1992 dispose : « A titre de frais professionnels sont déductibles les frais que le contribuable a faits ou supportés pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie la réalité et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'est pas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun, sauf le serment.

Sont considérés comme ayant été faits ou supportés pendant la période imposable, les frais qui, pendant cette période, sont effectivement payés ou supportés ou qui ont acquis le caractère de dettes ou pertes certaines et liquides et sont comptabilisés comme telles ».

B.3. Un avantage est « anormal » lorsqu'il est contraire au cours normal des choses, aux usages établis ou à ce qui est habituel dans des cas semblables.

Un avantage est « bénévole » lorsqu'il est accordé sans qu'il constitue l'exécution d'une obligation ou lorsqu'il est accordé sans aucune contrepartie.

L'administration fiscale doit apporter la preuve de l'avantage et de son caractère anormal ou bénévole.

B.4. En vertu de l'article 26, alinéa 1er, du CIR 1992, les avantages anormaux ou bénévoles sont ajoutés aux bénéfices de celui qui les accorde, sauf si ces avantages interviennent pour déterminer les revenus imposables du bénéficiaire. Selon le juge a quo, cette disposition n'empêche pas l'application de l'article 49 du CIR 1992, lequel précise les conditions auxquelles les frais faits ou supportés par le contribuable pendant la période imposable sont déductibles au titre de frais professionnels.

Sur la base de l'article 49, seuls peuvent être déduits au titre de frais professionnels les frais qui ont été exposés pour acquérir ou conserver des revenus. Cette disposition, dans laquelle les conditions générales de déductibilité sont formulées, ne permet pas, en principe, de déduire des frais qui ne correspondent pas à des prestations réelles.

En cas d'application de l'article 26, le droit à la déductibilité n'est pas écarté par la mesure contestée, mais expressément soumis aux conditions prévues par l'article 49. Partant, le juge a quo opte pour l'application autonome des deux dispositions et il rejette le point de vue selon lequel l'application de l'article 26 primerait celle de l'article 49.

Par conséquent, dans le cas également où les avantages anormaux ou bénévoles sont ajoutés aux bénéfices imposables du bénéficiaire, les frais correspondants exposés par celui qui a accordé les avantages peuvent être refusés comme frais professionnels.

B.5. La question préjudicielle invite la Cour à dire si ces dispositions violent les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'elles font naître une différence de traitement entre deux catégories de sociétés qui procurent un avantage anormal ou bénévole, selon que cet avantage signifie, pour la société qui l'accorde, une dépense réelle (par exemple en cas de paiement d'un prix trop élevé pour une livraison ou pour un service, ou le paiement d'une indemnité sans contrepartie) ou bien une simple diminution des revenus (par exemple en cas de remise d'une créance). L'appelante devant le juge a quo soutient que ce n'est que dans le premier cas que l'avantage pourrait être imposé deux fois, à savoir dans le chef de celui qui accorde l'avantage et dans le chef du bénéficiaire de celui-ci.

B.6. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution constitue une application particulière de ce principe en matière fiscale. Ces dispositions ne contiennent aucune interdiction générale de la double imposition. Le législateur dispose en la matière d'une large liberté d'appréciation.

B.7. L'article 81 de la loi-programme du 27 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/04/2007 pub. 08/05/2007 numac 2007201505 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer a remplacé, à l'article 26, alinéa 1er, du CIR 1992, les termes « Sous réserve » par les termes « Sans préjudice de l'application de l'article 49 et sous réserve ».

En vertu de l'article 82 de la même loi-programme, cette modification législative s'applique à partir de l'exercice d'imposition 2008.

Ainsi, à partir de l'exercice d'imposition 2008, l'article 26, alinéa 1er, du CIR 1992 a expressément la portée que le juge a quo confère à cette même disposition pour les exercices d'imposition 1996 et 1997.

B.8. Par son arrêt n° 151/2008 du 6 novembre 2008, la Cour a rejeté deux recours en annulation des articles 81 et 82 précités. Concernant la violation alléguée des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, la Cour était parvenue à la conclusion suivante : « B.10.4. Il est vrai que la mesure contestée peut avoir pour conséquence que la déduction des indemnités octroyées sera rejetée dans le chef de celui qui les a concédées, même lorsqu'il s'agit d'avantages anormaux ou bénévoles qui sont également imposés dans le chef du bénéficiaire.

En l'espèce, le législateur pouvait considérer, eu égard à la nature même des avantages anormaux ou bénévoles, qu'il existe un risque d'usage abusif du régime consacré à l'article 26, alinéa 1er, du CIR 1992. Dès lors que la mesure attaquée peut être de nature à prévenir ce risque, elle n'est pas dépourvue de justification raisonnable ». B.9. Dès avant l'exercice d'imposition 2008, les dispositions en cause, dans l'interprétation que le juge a quo leur donne, s'alignant sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 30 octobre 2008, F.07.0008.F), pouvaient conduire à ce que la déduction des indemnités octroyées soit rejetée dans le chef de celui qui les accorde, même lorsqu'il s'agit d'avantages anormaux ou bénévoles qui sont imposés aussi dans le chef du bénéficiaire de ces avantages. Par conséquent, la différence de traitement actuellement en cause qui en résulte doit aussi être considérée comme justifiée par l'objectif rappelé en B.8.

B.10. Contrairement à ce que l'appelante devant le juge a quo soutient dans son mémoire justificatif, l'absence, dans les travaux préparatoires de l'article 26, alinéa 1er, originaire, du CIR 1992, de toute référence au risque d'usage abusif du régime contenu dans cet article n'enlève rien à la justification de la différence de traitement en cause. En effet, la Cour ne saurait conclure à la violation du principe d'égalité et de non-discrimination pour le seul motif que la justification objective et raisonnable de la différence de traitement en cause ne ressort pas des travaux préparatoires. Le constat qu'une telle justification n'est pas mentionnée dans les travaux préparatoires n'exclut pas qu'une mesure ait pour fondement un objectif d'intérêt général pouvant raisonnablement justifier la différence de traitement qui en découle.

B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 26, alinéa 1er, et 49 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 22 décembre 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

^