publié le 17 février 2011
Extrait de l'arrêt n° 150/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4821 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 6 et 14, alinéa 3, de la section 2bis du livre III, tit(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, des juges E. De Gr(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 150/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4821 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 6 et 14, alinéa 3, de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, posée par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite M. Melchior, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 20 novembre 2009 en cause de Giuseppe Capelluto et Diyavenita Pinti contre la SPRL « CARU », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 décembre 2009, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 6 et 14, alinéa 3, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, interprétés en ce sens que le preneur d'un bail commercial tacitement reconduit, en vertu de l'article 14, alinéa 3, pour une durée indéterminée ne peut demander au juge la révision du loyer prévu par ledit bail sur la base de l'article 6 précité, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils créent une différence de traitement entre ce preneur et le preneur d'un bail commercial qui n'est pas prorogé par une reconduction tacite, auquel une telle faculté est reconnue ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 6 et 14, alinéa 3, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, interprétés en ce sens que le preneur d'un bail commercial à durée indéterminée né en application dudit article 14, alinéa 3, ne peut demander au juge la révision du loyer prévu par le bail, sur la base de l'article 6 précité.
B.1.2. La Cour est interrogée sur la différence de traitement entre deux catégories de preneurs : d'une part, le preneur d'un bail commercial à durée indéterminée né en application de l'article 14, alinéa 3, de la loi sur les baux commerciaux, qui ne peut demander au juge la révision du loyer fixé dans ledit bail, et, d'autre part, le preneur d'un bail commercial renouvelé pour une durée de neuf ans en application de l'article 13, alinéa 1er, de la même loi, qui peut demander au juge la révision du loyer.
B.1.3. Il ressort des éléments du dossier qu'un contrat de bail commercial à durée indéterminée est né entre les parties devant le juge du fond, en application de l'article 14, alinéa 3, de la loi sur les baux commerciaux, parce que le preneur a été laissé en possession des lieux loués après l'expiration du contrat de bail commercial initialement conclu. La Cour limitera l'examen des dispositions en cause à cette seule hypothèse.
B.2.1. Aux termes de l'article 13, alinéa 1er, de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil (ci-après : la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux), le preneur a le droit d'obtenir, par préférence à toute autre personne, le renouvellement de son bail pour la continuation du même commerce, soit à l'expiration de celui-ci, soit à l'expiration du premier ou à l'expiration du deuxième renouvellement, pour une durée de neuf années, sauf accord des parties constaté par un acte authentique ou par une déclaration faite devant le juge.
B.2.2. Le preneur désireux d'exercer le droit au renouvellement doit, à peine de déchéance, le notifier au bailleur par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandée dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avant l'expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine de nullité, les conditions auxquelles le preneur lui-même est disposé à conclure le nouveau bail et contenir la mention qu'à défaut de notification par le bailleur, suivant les mêmes voies et dans les trois mois, de son refus motivé de renouvellement, de la stipulation de conditions différentes ou d'offres d'un tiers, le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux conditions proposées (article 14, alinéa 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux).
B.2.3. L'article 14, alinéa 3, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux atténue, en faveur du preneur, la sanction attachée au non-respect des formes et délais fixés pour une demande de renouvellement de bail. Cette disposition dit que : « Si le preneur, forclos du droit au renouvellement, est, après l'expiration du bail, laissé en possession des lieux loués, il s'opère un nouveau bail d'une durée indéterminée, auquel le bailleur pourra mettre fin moyennant un congé de dix-huit mois au moins, sans préjudice du droit, pour le preneur, de demander le renouvellement ».
B.2.4. L'article 6 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux dispose : « A l'expiration de chaque triennat, les parties ont le droit de demander au juge de paix la révision du loyer, à charge d'établir que, par le fait de circonstances nouvelles, la valeur locative normale de l'immeuble loué est supérieure ou inférieure d'au moins 15 p.c. au loyer stipulé dans le bail ou fixé lors de la dernière révision.
Le juge statue en équité et n'a pas égard au rendement favorable ou défavorable résultant du seul fait du preneur.
L'action ne peut être intentée que pendant les trois derniers mois du triennat en cours. Le loyer révisé produira ses effets à compter du premier jour du triennat suivant, l'ancien loyer demeurant provisoirement exigible jusqu'à la décision définitive ».
B.3.1. Contrairement à ce qu'affirment les demandeurs en cassation, il ressort des termes de la question préjudicielle posée qu'il est demandé à la Cour non pas de comparer les situations de deux catégories de bailleurs, mais bien celles des deux catégories de preneurs mentionnées en B.1.2.
B.3.2. D'après le Conseil des ministres, ces deux catégories de preneurs se trouveraient dans des situations qui ne sont pas comparables, puisque dans un cas, le preneur est partie à un contrat à durée déterminée, tandis que dans l'autre, il est partie à un contrat d'une durée indéterminée.
Cette circonstance ne permet toutefois pas de conclure que ces deux catégories de preneurs ne peuvent être comparées. Il s'agit, au contraire, pour la Cour, d'examiner si les conséquences qui s'attachent au caractère indéterminé ou non de la durée du contrat à l'égard du preneur sont raisonnablement justifiées par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur.
B.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 avril 1951 que le législateur entendait à la fois assurer une certaine stabilité au preneur d'un fonds de commerce et trouver un point d'équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur.
Il a été exposé que le but de la loi répondait « au souci de garantir les intérêts économiques et sociaux légitimes des Classes moyennes contre l'instabilité et les sources d'abus que comporte le régime de la liberté absolue des conventions de bail » et que « [le] but [était] triple : 1° donner au preneur commerçant des garanties de durée et d'initiative; 2° lui assurer le renouvellement du bail quand le propriétaire n'a pas de raisons fondées de disposer autrement des lieux et, à offre égale, la préférence à tout tiers enchérisseur; 3° établir à son profit diverses indemnités sanctionnant soit la fraude à la loi, soit la concurrence illicite ou l'appropriation de la clientèle à l'occasion d'une fin de bail, soit enfin l'enrichissement sans cause » (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, pp. 2, 4 et 5).
Il a été souligné qu'un « point d'équilibre [était] à trouver entre la protection du fonds de commerce, au sens large, et le respect des intérêts légitimes des propriétaires d'immeubles » et qu'il convenait « de concilier les intérêts en présence » (Doc. parl., Sénat, 1948-1949, n° 384, pp. 2 et 3).
Quant à la faculté, pour les parties au contrat, de demander la révision du loyer tous les trois ans, le législateur a estimé qu'il était nécessaire d'apporter un contrepoids à la durée minimale de neuf années fixée par la loi sur les baux commerciaux (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, p. 14) B.5.1. Dans la mesure où le législateur a conçu la possibilité de demander la révision du loyer, prévue à l'article 6 de la loi sur les baux commerciaux, comme une compensation à la durée minimale de neuf années fixée par l'article 3, alinéa 1er, de la même loi, il convient de constater que, lorsque naît un nouveau bail d'une durée indéterminée, en application de l'article 14, alinéa 3, en cause, de cette même loi, tant le bailleur que le preneur peuvent mettre fin à ce contrat moyennant un congé relativement court. L'article 14, alinéa 3, de la loi sur les baux à loyer dispose à cet égard que le bailleur pourra mettre fin à ce bail moyennant un congé de dix-huit mois au moins. En application de l'article 1736 du Code civil, le preneur pourra mettre fin au bail conclu pour une durée indéterminée moyennant un congé d'un mois.
B.5.2. Lorsque le bail commercial devient un bail à durée indéterminée à défaut de renouvellement, les parties au contrat peuvent toutefois convenir à l'amiable d'un renouvellement du bail sans respecter les formalités légales, qui ne revêtent un caractère impératif que pour protéger le bailleur (Cass., 25 juin 1981, Pas., 1981, p. 1246). La possibilité de révision s'appliquant aussi pendant ce loyer renouvelé, les parties à un bail à durée indéterminée, mis en oeuvre par application de l'article 14, alinéa 3, de la loi sur les baux commerciaux, peuvent ainsi encore obtenir un droit de révision.
B.5.3. Compte tenu de ce qui précède, la différence de traitement est raisonnablement justifiée par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur et décrit en B.4.
B.6. Dans l'interprétation des dispositions en cause soumise par le juge a quo, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
B.7. Le Conseil des ministres et la défenderesse en cassation relèvent que les dispositions en cause peuvent également recevoir une autre interprétation. En effet, l'article 3, alinéa 1er, de la loi sur les baux commerciaux prévoit que la durée du bail ne peut être inférieure à neuf années. Il n'est dès lors pas exclu que le bail initialement conclu le soit pour une période plus longue que celle de neuf ans.
Rien, des termes de l'article 6 de la même loi ni des travaux préparatoires qui ont précédé son adoption, ne permet d'affirmer que l'application de celui-ci serait exclue en pareille hypothèse.
Il en est de même pour un bail commercial d'une durée indéterminée né en application dudit article 14, alinéa 3. Dans ce cas, le bail prend cours à l'expiration de la précédente période de neuf ans qui constitue le terme du bail initial, de sorte qu'une demande de révision du loyer à l'expiration de chaque triennat à compter de cette date pourrait être envisagée en application de l'article 6 en cause.
B.8. Dans cette interprétation, la différence de traitement entre les deux catégories de preneurs visées par la question préjudicielle est inexistante, de sorte que les articles 6 et 14, alinéa 3, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ne sont pas incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.9. Il appartient à la juridiction a quo de déterminer quelle est l'interprétation à donner aux dispositions en cause.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 6 et 14, alinéa 3, de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 22 décembre 2010.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.