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Arrêt
publié le 10 août 2010

Extrait de l'arrêt n° 66/2010 du 2 juin 2010 Numéros du rôle : 4692 et 4718 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 346, alinéa 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour d'appel d'Anvers et le Trib La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, des juges R. Henne(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 66/2010 du 2 juin 2010 Numéros du rôle : 4692 et 4718 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 346, alinéa 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour d'appel d'Anvers et le Tribunal de première instance de Louvain.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite P. Martens, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par arrêt du 21 avril 2009 en cause de la SA « Spillemaeckers » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 avril 2009, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 346, alinéa 3, du CIR 1992, combiné avec les articles 32 et 52 du Code judiciaire et avec les arrêts nos 170/2003, 166/2005, 34/2006, 43/2006, 85/2007, 123/2007 et 38/2008, rendus à l'époque par la Cour d'arbitrage, l'actuelle Cour constitutionnelle, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 4.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en faisant commencer à courir le délai de réponse le lendemain de l'envoi de l'avis de rectification, alors que le contribuable est censé fournir à l'administration fiscale sa réponse à cet avis dans le délai d'un mois ? ». b. Par jugement du 8 mai 2009 en cause de Mark Debraekeleer contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 mai 2009, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 346, alinéa 3, du CIR 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prévoit que le délai dont dispose le contribuable pour répondre s'ouvre lors de l'envoi de l'avis de rectification ? Les droits de la défense du contribuable ne sont-ils de ce fait pas limités de manière disproportionnée et cela n'implique-t-il pas de discrimination injustifiée par rapport au contribuable qui reçoit un avertissement-extrait de rôle et dont le délai de réclamation ne commence à courir que le jour où le destinataire a pu, en toute vraisemblance, en avoir connaissance, c'est-à-dire depuis le troisième jour ouvrable qui suit celui où l'avertissement-extrait de rôle a été remis aux services de la poste, sauf preuve contraire du destinataire ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 4692 et 4718 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) dispose : « Lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus nets et les autres éléments que le contribuable a soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification.

Lorsque l'administration fait usage du moyen de preuve prévu à l'article 342, § 1er, alinéa premier, elle communique de la même manière le montant des bénéfices ou profits de trois contribuables similaires ainsi que les éléments nécessaires pour établir proportionnellement le montant des bénéfices ou profits du contribuable concerné.

Un délai d'un mois à compter de l'envoi de cet avis, ce délai pouvant être prolongé pour de justes motifs, est laissé au contribuable pour faire valoir ses observations par écrit; la cotisation ne peut être établie avant l'expiration de ce délai, éventuellement prolongé, sauf si le contribuable a marqué son accord par écrit sur la rectification de sa déclaration ou si les droits du Trésor sont en péril pour une cause autre que l'expiration des délais d'imposition.

Les alinéas précédents sont également applicables aux revenus et autres éléments qui sont repris dans la proposition d'imposition visée à l'article 306, lorsque ladite proposition d'imposition, complétée par les éléments qui ont été communiqués par le contribuable dans le délai mentionné à l'article 306, § 3, est inexacte ou incomplète ou lorsque l'Administration marque son désaccord sur les remarques dont le contribuable lui fait part dans le délai de l'article 306, § 3.

Au plus tard le jour de l'établissement de la cotisation, l'administration fait connaître au contribuable, par lettre recommandée à la poste, les observations que celui-ci a formulées conformément à l'alinéa 3 du présent article, et dont elle n'a pas tenu compte, en indiquant les motifs qui justifient sa décision ».

B.2.1. Le juge a quo dans l'affaire n° 4718 demande si l'article 346, alinéa 3, du CIR 1992 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le délai dont dispose le contribuable pour introduire ses observations écrites concernant l'avis de rectification envoyé par l'administration fiscale commence à courir le lendemain de l'envoi de cet avis.

B.2.2. La juridiction a quo dans l'affaire n° 4692 demande à la Cour si cette même disposition est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La question préjudicielle revient à interroger la Cour au sujet de la compatibilité de la disposition en cause avec ces articles de la Constitution, combinés avec les dispositions conventionnelles précitées.

B.2.3. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'applique pas, sous son aspect civil, aux procédures fiscales (CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/ Italie; 23 février 2006, Stère c. Roumanie;3 août 2006, Stîngaciu et Tudor c. Roumanie; 14 avril 2009, S.C. Gherpadul c. Roumanie; 23 juillet 2009, Jo ubert c. France; 6 octobre 2009, Poniatowski c. France). La Cour ne doit donc pas étendre son contrôle à cette disposition.

B.3. Les deux questions préjudicielles invitent la Cour à comparer la situation du contribuable qui reçoit un avis de rectification, et qui dispose, en application de la disposition en cause, d'un délai de réponse d'un mois qui commence à courir le lendemain de l'envoi de cet avis, avec la situation du contribuable qui reçoit un avertissement-extrait de rôle et qui souhaite introduire une réclamation.

B.4.1. La situation du contribuable qui introduit une réclamation contre un avertissement-extrait de rôle est réglée par l'article 371 du CIR 1992, qui dispose : « Les réclamations doivent être motivées et introduites, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date d'envoi de l'avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation ou de l'avis de cotisation ou de celle de la perception des impôts perçus autrement que par rôle ».

B.4.2. Dans son arrêt n° 162/2007 du 19 décembre 2007, la Cour a jugé que l'article 371 du CIR 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose que le délai dans lequel doit être introduite une réclamation contre un avertissement-extrait de rôle court à partir de la date d'envoi figurant sur l'avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation : « B.3. Comme la Cour l'a déjà jugé dans ses arrêts nos 170/2003, 166/2005, 34/2006, 43/2006, 85/2007 et 123/2007, il est raisonnablement justifié que, pour éviter toute insécurité juridique, le législateur fasse courir des délais de procédure à partir d'une date qui ne soit pas tributaire du comportement des parties.

Toutefois, le choix de la date d'envoi de l'avis d'imposition ou de l'avertissement-extrait de rôle comme point de départ du délai de recours apporte une restriction disproportionnée au droit de défense des destinataires, les délais de recours commençant à courir à un moment où ces derniers ne peuvent pas avoir connaissance du contenu de l'avis d'imposition ou de l'avertissement-extrait de rôle.

B.4. L'objectif d'éviter l'insécurité juridique pourrait être atteint aussi sûrement si le délai commençait à courir le jour où le destinataire a pu, en toute vraisemblance, en avoir connaissance, c'est-à-dire depuis le troisième jour ouvrable qui suit celui où l'avis d'imposition ou l'avertissement-extrait de rôle a été remis aux services de la poste, sauf preuve contraire du destinataire (article 53bis du Code judiciaire).

B.5. En ce qu'elle énonce que le délai de recours court à partir de la date d'envoi figurant sur l'avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation, la disposition en cause restreint de manière disproportionnée les droits de défense du contribuable ».

B.5. La disposition en cause a été insérée en tant qu'article 251, alinéa 2, dans le Code des impôts sur les revenus 1964 par l'article 41 de la loi du 3 novembre 1976 modifiant le Code des impôts sur les revenus. Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le but était d'améliorer la procédure de rectification de la déclaration « dans un souci de sécurité juridique tant pour le contribuable que pour l'administration » (Doc. parl., Chambre, 1975-1976, n° 879/1, p. 2).

B.6.1. La Cour a déjà estimé à plusieurs reprises qu'une disposition en vertu de laquelle le délai dont dispose une personne pour introduire un recours juridictionnel (arrêt n° 170/2003 du 17 décembre 2003; arrêt n° 166/2005 du 16 novembre 2005; arrêt n° 34/2006 du 1er mars 2006; arrêt n° 43/2006 du 15 mars 2006; arrêt n° 48/2006 du 29 mars 2006) ou administratif (arrêt n° 85/2007 du 7 juin 2007; arrêt n° 123/2007 du 26 septembre 2007; arrêt n° 162/2007 du 19 décembre 2007; arrêt n° 178/2009 du 12 novembre 2009) contre une décision prend cours au moment de l'envoi de cette décision, est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le droit de défense du destinataire est limité de manière disproportionnée.

B.6.2. La disposition en cause doit toutefois être distinguée des dispositions au sujet desquelles la Cour s'est prononcée dans les arrêts précités. En effet, l'avis de rectification n'implique pas de décision de l'administration, mais constitue le point de départ de négociations entre l'administration et le contribuable en vue de la détermination ultérieure du revenu imposable. Lorsqu'il ne fait pas valoir ses observations contre l'avis de rectification dans le délai fixé par la disposition en cause, le contribuable ne perd aucune possibilité de recours.

B.7. En outre, contrairement au délai de réclamation prévu à l'article 371 précité du CIR 1992, le délai d'un mois après l'envoi de l'avis de rectification dans lequel le contribuable peut faire valoir ses observations par écrit n'est pas prescrit « à peine de déchéance ». Il peut être prorogé par l'administration pour de « justes motifs ».

Enfin, la disposition en cause doit être interprétée en ce sens que la demande du contribuable visant à obtenir une prorogation du délai dans lequel il peut introduire des observations écrites implique également qu'il marque son désaccord sur l'avis de rectification, de sorte qu'il ne peut être procédé à la taxation d'office, même si les motifs qu'il invoque n'étaient pas admis.

B.8. Il découle de ce qui précède que le contribuable qui introduit une réclamation contre un avertissement-extrait de rôle et celui qui répond à un avis de rectification ne se trouvent pas dans la même situation : le premier doit se soumettre à un délai sous peine de se voir atteint dans son droit de défense puisqu'il se trouverait privé, s'il ne respectait pas ledit délai, d'un recours juridictionnel; le second doit répondre à un avis de rectification qui n'implique pas de décision définitive de l'administration, mais constitue le point de départ de négociations avec le contribuable en vue de la détermination du revenu imposable. Cette différence est de nature à justifier, en règle, que la solution adoptée par la Cour dans l'arrêt n° 162/2007 ne soit pas transposée aux délais applicables en matière administrative.

B.9. Toutefois, l'article 346, alinéa 1er, du CIR 1992 dispose que l'avis de rectification est envoyé « par lettre recommandée à la poste » et l'article 351 du même Code attache des effets propres au défaut de réponse par le contribuable dans le délai d'un mois.

B.10. L'article 351 du CIR 1992 dispose : « L'administration peut procéder à la taxation d'office en raison du montant des revenus imposables qu'elle peut présumer eu égard aux éléments dont elle dispose, dans les cas où le contribuable s'est abstenu : - soit de remettre une déclaration dans les délais prévus par les articles 307 à 311 ou par les dispositions prises en exécution de l'article 312; - soit d'éliminer, dans le délai consenti à cette fin, le ou les vices de forme dont serait entachée sa déclaration; - soit de communiquer les livres, documents ou registres visés à l'article 315 ou les dossiers, supports ou données visés à l'article 315bis ; - soit de fournir dans le délai les renseignements qui lui ont été demandés en vertu de l'article 316; - soit de répondre dans le délai fixé à l'article 346 à l'avis dont il est question.

Avant de procéder à la taxation d'office, l'administration notifie au contribuable, par lettre recommandée à la poste, les motifs du recours à cette procédure, le montant des revenus et les autres éléments sur lesquels la taxation sera basée, ainsi que le mode de détermination de ces revenus et éléments.

Sauf dans la dernière éventualité visée à l'alinéa 1er ou si les droits du Trésor sont en péril pour une cause autre que l'expiration des délais d'imposition ou s'il s'agit de précomptes mobilier ou professionnel, un délai d'un mois à compter de l'envoi de cette notification est laissé au contribuable pour faire valoir ses observations par écrit et la cotisation ne peut être établie avant l'expiration de ce délai. » B.11. En vertu de cette disposition, dans toutes les hypothèses où l'administration peut procéder à la taxation d'office, le contribuable dispose d'un délai d'un mois à compter de l'envoi de la notification des motifs du recours à cette taxation pour faire valoir ses observations par écrit, sauf dans l'hypothèse où il n'a pas répondu dans le délai fixé à l'article 346. Il s'ensuit que le contribuable qui, ayant mal calculé le délai d'un mois prévu par l'article 346, alinéa 3, et qui fait valoir ses observations avec, fût-ce un jour de retard - c'est l'hypothèse des litiges soumis aux deux juridictions qui interrogent la Cour - pourra être taxé d'office, ce qui, en vertu de l'article 352 du même Code, a pour effet de renverser la charge de la preuve, le contribuable n'échappant à cette sanction que s'il a été empêché pour « de justes motifs » de répondre dans le délai d'un mois.

B.12. En exigeant de l'administration qu'elle notifie au contribuable, « par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés », ce qui constitue une règle substantielle de la procédure de rectification, le législateur a pris une mesure qui permet à l'administration de calculer avec certitude le point de départ du délai d'un mois visé à l'article 346, alinéa 3, du CIR 1992. Mais il permet que prenne cours, à un moment où le contribuable ne peut avoir connaissance de l'avis de rectification, un délai qui peut affecter ses droits de défense dans un éventuel recours ultérieur puisque la charge de la preuve sera inversée.

B.13. Les droits du Trésor seraient tout autant respectés, ceux du contribuable seraient mieux garantis et la sécurité juridique pleinement assurée si le délai d'un mois commençait à courir le troisième jour qui suit celui auquel l'avis de rectification a été remis aux services de la poste, sauf preuve contraire du destinataire.

B.14. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse visée à l'article 346 du CIR 1992, en raison des effets spécifiques qui s'attachent à l'écoulement du délai prévu par l'alinéa 3 de cet article, cette disposition a des effets disproportionnés.

B.15. La question préjudicielle appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 346, alinéa 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prévoit que le délai d'un mois dont dispose le contribuable pour répondre à un avis de rectification s'ouvre lors de l'envoi de cet avis.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 2 juin 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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