Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 04 août 2009

Extrait de l'arrêt n° 114/2009 du 9 juillet 2009 Numéro du rôle : 4570 En cause : le recours en annulation de l'article 2, alinéa 3, du décret de la Région wallonne du 22 mai 2008 « modifiant les articles 35 et 111 du Code wallon de l'Aména La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Ma(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2009203264
pub.
04/08/2009
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 114/2009 du 9 juillet 2009 Numéro du rôle : 4570 En cause : le recours en annulation de l'article 2, alinéa 3, du décret de la Région wallonne du 22 mai 2008 « modifiant les articles 35 et 111 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie (CWATUPE) », introduit par l'ASBL « L'Erablière ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, E. De Groot, J.-P. Moerman, E. Derycke et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 décembre 2008 et parvenue au greffe le 5 décembre 2008, l'ASBL « L'Erablière », dont le siège social est établi à 6951 Bande, rue Au-delà de l'Eau 1 B, a introduit un recours en annulation de l'article 2, alinéa 3, du décret de la Région wallonne du 22 mai 2008 « modifiant les articles 35 et 111 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie (CWATUPE) » (publié au Moniteur belge du 5 juin 2008). (...) II. En droit (...) Quant à la recevabilité du recours B.1.1. La partie requérante a déposé au greffe de la Cour une copie de ses statuts, la preuve du dépôt de la liste de ses membres au greffe du tribunal de commerce, ainsi que la copie de la décision d'intenter le recours, prise par l'organe compétent pour ce faire en vertu de ses statuts.

B.1.2. Aux termes de l'article 4 de ses statuts, la partie requérante a pour objet social la défense, dans la région de Marche-Nassogne, de l'environnement, c'est-à-dire « des qualités et diversités des écosystèmes et espèces naturelles ou semi-naturelles, de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, de la valeur paysagère, de l'eau, l'air et autres éléments vitaux pour les êtres humains ainsi que la quiétude des lieux ». Un tel objet social est particulier et distinct de l'intérêt général. La partie requérante a intérêt à demander l'annulation d'une disposition à laquelle elle reproche de diminuer les exigences liées à la délivrance d'une autorisation de bâtir en dérogation au plan de secteur, et de permettre en conséquence une éventuelle dégradation de l'environnement.

B.1.3. Le recours est recevable.

Quant à la disposition attaquée B.2.1. La partie requérante demande l'annulation de la dernière phrase de l'article 2, alinéa 3, du décret de la Région wallonne du 22 mai 2008 modifiant les articles 35 et 111 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie (CWATUPE). Cette disposition remplace, au dernier alinéa de l'article 111 du CWATUP, les mots « doit s'intégrer au site bâti ou non bâti » par les mots « ainsi que le module de production d'électricité ou de chaleur doivent soit respecter, soit structurer, soit recomposer les lignes de force du paysage ».

B.2.2. Les articles 110 à 112 du CWATUP traitent des dérogations au plan de secteur. Avant sa modification par le décret attaqué, l'article 111 prévoyait que les constructions, les installations ou les bâtiments existant avant l'entrée en vigueur du plan de secteur et dont l'affectation ne correspondait pas aux prescriptions de ce plan pouvaient faire l'objet de travaux de transformation, d'agrandissement et de reconstruction. Il prévoyait également que, pour des besoins économiques, les bâtiments et installations conformes au plan de secteur ou existant avant son entrée en vigueur pouvaient faire l'objet de travaux de transformation ou d'agrandissement impliquant une dérogation à l'affectation d'une zone contiguë, à l'exclusion de certains types de zones. Dans les deux cas, la construction, l'installation ou le bâtiment transformé, agrandi ou reconstruit devait, pour être autorisé en dérogation au plan de secteur, « s'intégrer au site bâti ou non bâti ».

Depuis l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, les constructions, reconstructions, installations, transformations et agrandissements dérogatoires au plan de secteur peuvent être autorisés à condition, soit qu'ils respectent, soit qu'ils structurent, soit qu'ils recomposent les lignes de force du paysage.

B.2.3. Le décret du 22 mai 2008 a pour objet de favoriser l'installation de systèmes de production d'énergie valorisant l'énergie solaire, et notamment les installations implantées de manière isolée par rapport aux bâtiments existants. Le législateur décrétal wallon a en effet constaté qu'il s'imposait de « prendre de nouvelles mesures visant à simplifier les démarches en matière d'aménagement du territoire, particulièrement pour ce qui concerne l'installation de panneaux capteurs solaires dans le cadre des rénovations du parc existant de logements » (Doc. parl., Parlement wallon, 2007-2008, n° 764-1, p. 2). Ainsi, entre autres mesures, le décret prévoit-il de permettre l'implantation de ces panneaux dans les zones pour lesquelles les prescriptions du plan de secteur sont incompatibles avec la pose de telles installations, en recourant au mécanisme dérogatoire visé à l'article 111 du Code.

Les travaux préparatoires indiquent que « ce mécanisme dérogatoire est subordonné à la condition que ces installations doivent, conformément à la Convention européenne du paysage de Florence du 20 octobre 2000, [approuvée par le décret wallon du 20 décembre 2001], soit respecter, soit structurer, soit recomposer les lignes de force du paysage » (ibid., p. 3).

Quant au fond B.3. Les deux moyens de la requête portent sur le remplacement, à l'article 111 du CWATUP, de la condition, pour obtenir une dérogation au plan de secteur, que la construction projetée s'intègre au site bâti et non bâti, par la condition que cette construction respecte, structure ou recompose les lignes de force du paysage.

La requérante estime que cette nouvelle condition est moins favorable à la protection de l'environnement que ne l'était la condition ancienne, spécialement parce qu'elle ne concernerait que les sites non bâtis. Elle considère en conséquence que la disposition attaquée crée, en violation des articles 10 et 11 de la Constitution, une différence de traitement discriminatoire entre les personnes qui subissent une construction en dérogation au plan de secteur en application de l'article 111 du CWATUP et les personnes qui subissent une construction en dérogation au plan de secteur en application des articles 110 et 112 du CWATUP, qui font référence à la condition de s'intégrer au site, selon le cas, bâti ou non bâti (premier moyen).

Elle estime par ailleurs que la disposition en cause crée un recul dans la protection du droit à un environnement sain garanti par l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et viole en conséquence l'effet de standstill attaché à cette disposition (second moyen).

B.4.1. La formulation de la condition à laquelle la dérogation au plan de secteur peut être accordée est inspirée par la volonté du législateur décrétal wallon de respecter la Convention européenne du paysage, signée à Florence le 20 octobre 2000, approuvée par le décret du 20 décembre 2001.

L'article 1er, a), de cette Convention définit le terme « paysage » comme désignant « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Son article 2 précise que la Convention « s'applique à tout le territoire des Parties et porte sur les espaces naturels, ruraux, urbains et périurbains ». Le rapport explicatif relatif à cette Convention indique notamment que celle-ci « ne saurait être limitée aux seuls éléments culturels ou artificiels, ou aux seuls éléments naturels du paysage : elle se réfère à l'ensemble de ces éléments et aux relations entre eux » (Conseil de l'Europe, Rapport explicatif sur la Convention européenne du paysage, point 26). Le même document ajoute que la définition du terme « paysage » « tient compte de l'idée que les paysages évoluent dans le temps, sous l'effet des forces naturelles et de l'action des êtres humains », et « souligne également l'idée que le paysage forme un tout dont les éléments naturels et culturels sont considérés simultanément » (ibid., point 38).

B.4.2. Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la partie requérante, la notion de « paysage » utilisée dans la Convention précitée comprend aussi bien le site bâti que le site non bâti. Rien ne permet de considérer que le législateur décrétal wallon, en reprenant cette notion de la Convention pour formuler la condition d'autorisation de dérogation au plan de secteur critiquée par la partie requérante, aurait entendu lui donner une signification différente. Il faut donc en conclure que l'expression « doivent soit respecter, soit structurer, soit recomposer les lignes de force du paysage », utilisée à l'article 111 du CWATUP modifié par la disposition attaquée, vise aussi bien les sites bâtis que les sites non bâtis.

Par conséquent, en ce qui concerne les sites qu'elle oblige à prendre en considération lors de l'octroi d'une dérogation au plan de secteur, la modification législative attaquée ne crée de différence ni par rapport aux situations visées par les articles 110 et 112 du CWATUP, ni par rapport à la législation antérieure.

B.5.1. En revanche, la formulation de la condition, en ce qu'elle prévoit qu'une dérogation peut être accordée si la construction projetée, soit respecte, soit structure, soit recompose les lignes de force du paysage, diffère de celle qui limite l'octroi de la dérogation aux constructions qui s'intègrent au site. Il ne peut être exclu que cette formulation de la condition ait pour effet d'étendre les possibilités de dérogation à des constructions qui ont un effet plus dynamique sur la composition du paysage que les constructions qui doivent s'y intégrer.

Il n'en découle pas pour autant que cette formulation garantirait une protection sensiblement moindre en matière d'environnement que la formulation qui fait référence à l'intégration au site. En effet, les deux formulations de la condition laissent à l'autorité, de manière similaire, un pouvoir d'appréciation important, mais elles l'obligent de manière équivalente à motiver spécialement sa décision sur ce point. Le contrôle exercé par le Conseil d'Etat porte notamment sur cette condition de motivation du permis dérogatoire, et il n'y a pas de raison de considérer qu'il pourrait être moins sévère dans le premier cas que dans le second. En outre, l'article 114 du CWATUP, qui précise que les permis dérogatoires ne peuvent être délivrés qu'à titre exceptionnel, n'est pas modifié par le décret attaqué, de sorte que la pratique administrative et le contrôle juridictionnel qui s'exerce à son endroit demeurent inchangés.

B.5.2. Enfin, même s'il fallait constater que, par l'effet de la disposition en cause, certaines constructions seront autorisées en dérogation au plan de secteur alors qu'elles n'auraient pu l'être si la dérogation avait été soumise à la condition que la construction « s'intègre au site bâti ou non bâti », la mesure n'en serait pas moins raisonnablement justifiée par les objectifs poursuivis par le décret en cause, rappelés en B.2.3, de sorte qu'elle ne saurait constituer ni une violation du principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, ni une réduction sensible du droit à un environnement sain garanti par son article 23.

B.6. Aucun des deux moyens n'est fondé.

Par ces motifs, la Cour, sous réserve de ce qui est dit en B.4.2, rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 9 juillet 2009.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

^