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Arrêt
publié le 12 juin 2009

Extrait de l'arrêt n° 76/2009 du 5 mai 2009 Numéro du rôle : 4617 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 442bis du Code pénal, posées par le Tribunal correctionnel de Liège. La Cour constitutionnelle, composée après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procéd(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 76/2009 du 5 mai 2009 Numéro du rôle : 4617 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 442bis du Code pénal, posées par le Tribunal correctionnel de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 16 février 2005 en cause du procureur du Roi contre R.R., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 janvier 2009, le Tribunal correctionnel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 442bis du Code pénal viole-t-il le principe de légalité en matière répressive, garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ? 2. L'article 442bis du Code pénal, en instaurant une incrimination incertaine, viole-t-il le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». Le 18 février 2009, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les juges-rapporteurs R. Henneuse et E. Derycke ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) III. En droit (...) B.1. Il ressort du libellé des questions préjudicielles susdites et des motifs de la décision de renvoi que les questions invitent la Cour à statuer sur la compatibilité de l'article 442bis du Code pénal avec le principe de légalité en matière pénale, tel qu'il est garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, par l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le juge a quo demande à la Cour si ce principe n'est pas violé, en ce que « le concept de harcèlement visé à l'article 442bis du Code pénal ne fait l'objet d'aucune définition légale en sorte que la disposition querellée ne fournit aucune précision sur le sens et la portée du comportement prohibé ».

B.2. Le juge a quo demande par ailleurs à la Cour si, « en instaurant une incrimination incertaine », l'article 442bis du Code pénal viole le principe d'égalité et de non-discrimination.

A supposer que le principe de légalité en matière pénale soit violé, il en résulterait également une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.

La deuxième question préjudicielle n'a donc pas de portée différente de la première question préjudicielle.

B.3. L'article 442bis du Code pénal, inséré par la loi du 30 octobre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/10/1998 pub. 17/12/1998 numac 1998009993 source ministere de la justice Loi qui insère un article 442bis dans le Code pénal en vue d'incriminer le harcèlement fermer « qui insère un article 442bis dans le Code pénal en vue d'incriminer le harcèlement », dispose : « Quiconque aura harcelé une personne alors qu'il savait ou aurait dû savoir qu'il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d'une peine d'emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de cinquante euros à trois cents euros, ou de l'une de ces peines seulement.

Le délit prévu par le présent article ne pourra être poursuivi que sur la plainte de la personne qui se prétend harcelée ».

B.4.1. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit ».

L'article 14 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ».

B.4.2. L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ».

L'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

B.4.3. En vertu de l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, remplacé par l'article 9, a), de la loi spéciale du 9 mars 2003, la Cour est compétente pour contrôler les normes législatives au regard des articles du titre II de la Constitution « Des Belges et de leurs droits ».

Lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d'une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.

Il s'ensuit que, dans le contrôle qu'elle exerce au regard de ces dispositions constitutionnelles, la Cour tient compte de dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues.

En ce qu'ils garantissent le principe de légalité en matière pénale, l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue aux articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.

B.5.1. Le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

B.5.2. Ce n'est qu'en examinant une disposition pénale spécifique qu'il est possible, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu'elle entend réprimer, de déterminer si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu'ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.

B.6.1. La disposition en cause n'a pas pour objet de réprimer tous les cas de harcèlement. Il ressort de son libellé que la sanction pénale qu'elle instaure ne concerne que le harceleur qui affecte gravement la tranquillité de la personne qu'il vise, et qui savait ou aurait dû savoir que son comportement aurait cette conséquence.

Il ressort, en outre, des travaux préparatoires que les agissements que le législateur entend réprimer constituent des atteintes à la vie privée des personnes (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 3;

Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9221). Leur poursuite pénale est à cet égard subordonnée à la plainte de la personne qui se prétend harcelée.

Ces comportements consistent à importuner une personne de manière irritante pour celle-ci (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/6, p. 2; Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9221).

B.6.2. Les auteurs de la proposition de loi qui a mené à l'adoption de la disposition en cause entendaient, à l'instar des auteurs des premiers amendements auxquels cette proposition a donné lieu, punir celui qui poursuit, épie ou harcèle une personne « de façon répétée » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, pp. 1-3; n° 1046/3, p. 1; n° 1046/5, p.1). Les commentaires et illustrations de cette proposition de loi indiquent, par ailleurs, que ses auteurs ne souhaitaient réprimer que des comportements qui contenaient plus d'un acte (ibid., n° 1046/1, p. 2; ibid., n° 1046/8, pp. 2 et 6).

Lors de l'examen de l'amendement qui proposait de supprimer les mots « de façon répétée », l'un de ses auteurs expliquait que la notion de « harcèlement » doit être « comprise [...] dans [sa] signification habituelle qui peut évoluer », ajoutant que « [le] juge appréciera, selon les circonstances de l'affaire, s'il y a ou non harcèlement ».

Un autre député demandait si la notion de « harcèlement » n'impliquait pas nécessairement un caractère répétitif. L'autre auteur de l'amendement précité précisait, à cet égard, que la suppression de ces mots s'expliquait par la volonté de sanctionner un « comportement qui peut constituer une forme de harcèlement, même s'il n'a pas été répété à différents moments », tel que celui qu'adopte « une personne qui aborde quelqu'un en rue et insiste alors qu'il lui a été clairement fait comprendre que son comportement était gênant » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 8).

L'adoption de cet amendement - à l'unanimité - ne peut dès lors être interprétée comme la volonté du législateur de s'écarter du sens commun du mot « harcèlement », qui renvoie à la répétition d'actes, ou d'étendre le champ d'application de la disposition en cause aux actes isolés. Cet amendement témoigne uniquement du souci d'écarter une interprétation de l'article 442bis du Code pénal empêchant la répression du harcèlement, lorsque la période qui sépare les actes répétés est de courte durée.

B.6.3. La proposition de loi prévoyait initialement que, pour être punissable, le comportement harcelant devait être « gênant, inquiétant ou angoissant » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, p. 3; n° 1046/3). Un amendement suggérait de préciser que ce comportement devait « manifestement » avoir cet effet, afin de « donner une définition objective du délit de harcèlement » et de permettre au juge de vérifier si « le comportement de l'auteur du harcèlement doit raisonnablement pouvoir être considéré comme gênant, inquiétant ou angoissant pour la victime » (ibid., n° 1046/3, p. 2, n° 1046/8, p. 2). Le but de cet amendement était « d'objectiver quelque peu la prise en considération d'éléments par ailleurs purement subjectifs » (ibid., n° 1046/8, p.4). A la suite de remarques de plusieurs députés qui s'interrogeaient sur la place réservée à « l'expérience subjective de la victime », à la « sensibilité de chacun » ou à la « perception subjective de la victime » (ibid., pp. 5 et 6), la référence au caractère manifestement gênant, inquiétant ou angoissant fut supprimée (ibid., n° 1046/6, n° 1046/8, p. 8). Par ailleurs, les travaux préparatoires illustrent à plusieurs reprises le type de comportement que le législateur entendait réprimer (ibid., n° 1046/1, p. 2, n° 1046/8, pp. 2, 3, 5, 6, 8; Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9222).

La notion d'atteinte grave à la tranquillité dont il est question dans la disposition en cause ne peut dès lors être comprise comme une autorisation pour le juge de sanctionner un comportement sur la base de données subjectives, telles que le sentiment de la personne visée par le comportement harcelant. Il va de soi qu'une plainte de celle-ci, sur la base de l'alinéa 2 de cette disposition, ne suffit pas à établir l'existence d'une telle atteinte à la tranquillité.

B.6.4. Une atteinte grave à la tranquillité d'autrui n'est par ailleurs punissable que si elle est la conséquence d'un comportement harcelant adopté par la personne poursuivie sur la base de l'article 442bis du Code pénal.

Une telle sanction suppose, en outre, que, par ce comportement, le harceleur vise la personne dont la tranquillité a été affectée. La disposition en cause ne permet pas de sanctionner celui qui adopte un comportement qui affecte la tranquillité de personnes indéterminées (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 9).

Ce n'est que dans ces conditions que cette disposition peut mener à la répression de comportements jugés asociaux, inadaptés ou inadéquats.

Il appartient en définitive au juge d'apprécier la réalité de l'atteinte à la tranquillité d'une personne, de la gravité de celle-ci et du lien de causalité entre cette perturbation d'une personne déterminée et le comportement harcelant. Il aura, pour ce faire, égard aux données objectives qui lui sont soumises, telles que les circonstances du harcèlement, les rapports qu'entretiennent l'auteur du comportement harcelant et le plaignant, la sensibilité ou la personnalité de ce dernier ou la manière dont ce comportement est perçu par la société ou le milieu social concerné.

B.6.5. Il ressort enfin des travaux préparatoires que l'insertion dans l'article 442bis du Code pénal des mots « savait ou aurait dû savoir » résulte d'un compromis entre le souhait de certains députés de sanctionner le harceleur qui fait preuve de négligence ou d'imprévoyance et la volonté d'autres parlementaires de ne réprimer que celui qui « aura méchamment harcelé » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, p. 2; ibid., n° 1046/5; ibid., n° 1046/6; ibid., n° 1046/8, pp.7-9).

Les mots « aurait dû savoir » ne permettent dès lors pas la sanction du harceleur qui ne savait pas que son comportement affecterait gravement la tranquillité de la personne qu'il visait.

La perturbation de la tranquillité de la personne visée par le comportement harcelant ne constitue pas, du reste, une preuve de la connaissance des conséquences de cet acte. Celle-ci pourra être établie sur la base d'éléments objectifs que le harceleur ne pouvait ignorer, tels que les circonstances du harcèlement, la nature des rapports entre le harceleur et le plaignant, la manière dont ce comportement est perçu par la société ou le milieu social concerné, voire, dans certains cas, la personnalité du plaignant.

Le juge devra, par ailleurs, dans chaque cas, apprécier la gravité de la faute commise et, dans les limites fixées par le législateur, proportionner la peine en conséquence.

B.6.6. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 442bis du Code pénal ne viole pas les articles 10, 11, 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, combinés avec l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 5 mai 2009.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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