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Arrêt
publié le 17 décembre 2008

Extrait de l'arrêt n° 143/2008 du 30 octobre 2008 Numéro du rôle : 4320 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 51 du décret de la Région wallonne du 27 juin 1996 relatif aux déchets, posée par la Cour d'appel de Mons. composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groo(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 143/2008 du 30 octobre 2008 Numéro du rôle : 4320 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 51 du décret de la Région wallonne du 27 juin 1996 relatif aux déchets, posée par la Cour d'appel de Mons.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 17 octobre 2007 en cause du ministère public et du directeur général de la direction générale des ressources naturelles et de l'environnement du Ministère de la Région wallonne contre R.L., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 octobre 2007, la Cour d'appel de Mons a demandé à la Cour de dire « si l'article 51 du décret du Conseil régional wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets, lu en combinaison avec les articles 2, 1°, et 7, § 1er, du même décret, viole le principe de légalité en matière répressive, garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'il punit d'une peine d'emprisonnement de huit jours à trois ans et d'une amende de 100 francs à 1 million de francs, ou d'une de ces peines seulement, celui qui abandonne ou manipule les déchets au mépris des dispositions légales et réglementaires, en abandonnant à une appréciation relevant de la discrétion du juge répressif la définition de déchet ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité avec le principe de légalité en matière répressive, garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 51 du décret de la Région wallonne du 27 juin 1996 relatif aux déchets, lu en combinaison avec les articles 2, 1°, et 7, § 1er, du décret précité, en ce qu'il punit d'une peine d'emprisonnement de huit jours à trois ans et d'une amende de 100 francs à un millions de francs, ou d'une de ces peines seulement, celui qui abandonne ou manipule des déchets au mépris des dispositions légales et réglementaires, en abandonnant à une appréciation relevant de la discrétion du juge répressif la définition de déchet.

B.2.1. L'article 2, 1°, du décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets dispose : « Au sens du présent décret, on entend par : 1° déchet : toute matière ou tout objet qui relève des catégories figurant à l'annexe I dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ». L'article 7, § 1er, du même décret dispose : « Il est interdit d'abandonner les déchets ou de les manipuler au mépris des dispositions légales et réglementaires ».

L'article 51 du même décret dispose : « Est puni d'une peine d'emprisonnement de huit jours à trois ans et d'une amende de 100 francs à 1 million de francs, ou d'une de ces peines seulement, celui qui contrevient aux articles 3, alinéa 3, 6, 7, § 1er, § 2 et § 5, 8, 10, 14 et 23 et aux mesures prises pour leur exécution.

La peine d'emprisonnement prévue à l'alinéa 1er est d'un mois à cinq ans et la peine d'amende est de 100 francs à 2,5 millions de francs, lorsque le contrevenant a commis l'infraction en connaissance de cause ».

B.2.2. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit ».

L'article 14 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ».

L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ».

L'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

B.3. En ce qu'ils garantissent le principe de légalité en matière pénale, l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue aux articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.

B.4.1. Le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

B.4.2. Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

B.4.3. La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, le cas échéant, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

Ce n'est que dans le cadre de l'examen d'une disposition pénale spécifique qu'il est possible de déterminer, compte tenu des éléments propres aux infractions qu'elle entend sanctionner, si les termes employés par le législateur sont à ce point imprécis qu'ils violeraient le principe de légalité consacré par l'article 12, alinéa 2, de la Constitution.

B.5.1. La définition donnée à l'article 2 du décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets est la transcription littérale de la définition européenne qu'en donnait la directive 75/442/CEE du Conseil du 15 juillet 1975 relative aux déchets (JOCE, n° L 194 du 25 juillet 1975), modifiée par la directive 91/156/CEE du 18 mars 1991 (JOCE, n° L 78 du 26 mars 1991).

B.5.2. L'article 1er, a), de la directive 75/442/CEE précitée disposait, à l'époque des faits soumis au juge a quo : « 1. Aux fins de la présente directive, on entend par : a) déchet : toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l'annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ». L'annexe I à la directive 75/442/CEE, disposait : « Q 1 Résidus de production ou de consommation non spécifiés ci-après Q 2 Produits hors normes Q 3 Produits périmés Q 4 Matières accidentellement déversées, perdues ou ayant subi tout autre incident, y compris toute matière, équipement, etc., contaminés par suite de l'incident en question Q 5 Matières contaminées ou souillées par suite d'activités volontaires (par exemple résidus d'opérations de nettoyage, matériaux d'emballage, conteneurs, etc.) Q 6 Eléments inutilisables (par exemple batteries hors d'usage, catalyseurs épuisés, etc.) Q 7 Substances devenues impropres à l'utilisation (par exemple acides contaminés, solvants contaminés, sels de trempe épuisés, etc.) Q 8 Résidus de procédés industriels (par exemple scories, culots de distillation, etc.) Q 9 Résidus de procédés antipollution (par exemple boues de lavage de gaz, poussières de filtres à air, filtres usés, etc.) Q 10 Résidus d'usinage/façonnage (par exemple copeaux de tournage ou de fraisage, etc.) Q 11 Résidus d'extraction et de préparation des matières premières (par exemple résidus d'exploitation minière ou pétrolière, etc.) Q 12 Matières contaminées (par exemple huile souillée par des PCB, etc.) Q 13 Toute matière, substance ou produit dont l'utilisation est interdite par la loi Q 14 Produits qui n'ont pas ou plus d'utilisation pour le détenteur (par exemple articles mis au rebut par l'agriculture, les ménages, les bureaux, les magasins, les ateliers, etc.) Q 15 Matières, substances ou produits contaminés provenant d'activités de remise en état de terrains Q 16 Toute matière, substance ou produit qui n'est pas couvert par les catégories ci-dessus ».

Cette annexe a été reproduite en des termes quasi identiques à ceux de l'annexe I du décret wallon en cause.

B.5.3. Sur le plan européen, la Commission européenne a adopté le 20 décembre 1993 une décision 94/3/CE établissant une liste détaillée des déchets appartenant aux catégories énumérées à l'annexe I de la directive 75/442/CEE, dénommée catalogue européen des déchets. La décision de la Commission européenne indiquait dans sa note préliminaire que le fait qu'une matière y figure ne signifiait pas qu'elle soit un déchet dans tous les cas, le catalogue étant tout au plus destiné à servir de nomenclature de référence afin d'harmoniser la terminologie au sein de la Communauté pour améliorer l'efficacité des activités de gestion des déchets.

B.5.4. Sur le plan interne, en application du décret du 27 juin 1996 en cause, le Gouvernement wallon a également adopté le 10 juillet 1997 un catalogue des déchets (Moniteur belge du 30 juillet 1997). Il est précisé à l'article 2 de l'arrêté que les déchets non répertoriés dans le catalogue peuvent faire l'objet d'une demande d'identification et de classement introduite suivant les modalités prévues aux articles 5 et 10.

Le Gouvernement wallon a encore pris un arrêté le 20 mai 1999 établissant une liste des matières assimilables à des produits (Moniteur belge du 18 juin 1999). Cet arrêté a été abrogé et remplacé par un arrêté du 14 juin 2001 (Moniteur belge du 10 juillet 2001) fixant, en son annexe I, une liste de déchets pouvant être valorisés au titre de produits au terme d'une procédure qui, si elle aboutit, dispense la personne qui valorise ces déchets à titre professionnel de l'autorisation prescrite par l'article 11, § 1er, du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets.

B.5.5. La notion de déchet a également fait l'objet de plusieurs arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes qui en ont précisé la portée.

Ainsi, d'après la Cour de justice, le champ d'application de la notion de déchet dépend de la signification des termes « se défaire » contenus à l'article 1er, sous a), de la directive 75/442/CEE (CJCE, 18 décembre 1997, C-129/96, Inter-Environnement Wallonie, § 26).

Dans l'arrêt du 28 mars 1990 (C-206/88 et C-207/88, Vessoso et Zanetti ), la Cour de justice a toutefois précisé que la notion de déchet, au sens des articles 1er des directives 75/442 et 78/319 du Conseil, ne devait pas s'entendre comme excluant les substances et objets susceptibles de réutilisation économique. Ainsi ne pourraient être exclus de cette notion les déchets recyclables qui, bien qu'étant destinés à être valorisés, demeurent des déchets jusqu'au terme de cette opération de valorisation (CJCE, 10 mai 1995, C-422/92, Commission c. République fédérale d'Allemagne).

La Cour de justice a également jugé que certaines circonstances pouvaient constituer des indices de l'existence d'une action, d'une intention ou d'une obligation de se défaire d'une substance ou d'un objet au sens de l'article 1er, sous a), de la directive précitée, notamment lorsque la substance utilisée est un résidu de production, c'est-à-dire un produit qui n'a pas été recherché comme tel (CJCE, 15 juin 2000, C-418/97 et C-419/97, ARCO Chemie Nederland e.a., §§ 83 et 84).

D'après la Cour de justice, il convient d'interpréter les termes de la directive en tenant compte de son objectif (arrêt précité, ARCO Chemie Nederland e.a., § 37), la notion de déchet ne pouvant pas, en tout état de cause, être interprétée de manière restrictive (ibid., § 40).

B.6.1. Il ressort tant de l'article 1er du décret du 27 juin 1996 que de ses travaux préparatoires que le législateur décrétal wallon entendait protéger l'environnement et la santé de l'homme de toute influence dommageable causée par les déchets en réduisant leur production et leur nocivité, en promouvant leur valorisation par le recyclage, le réemploi, la récupération ou l'utilisation comme source d'énergie et en organisant leur élimination (Doc. parl., Parlement wallon, S.E. 1995, n° 9/1, p. 5).

B.6.2. Ledit décret et ses arrêtés d'exécution imposent des obligations détaillées aux personnes et établissements qui y sont soumis. Le non-respect de ces obligations est passible de sanctions pénales.

B.7.1. Le respect du principe de la légalité pénale doit être apprécié à la lumière tant des objectifs poursuivis par le législateur que de la matière en cause. A cet égard, une substance ne peut être qualifiée de déchet que moyennant une appréciation factuelle permettant de tenir compte des circonstances concrètes dans lesquelles la substance en question est manipulée et dans quelle intention.

B.7.2. Une telle appréciation ne rend pas pour autant la notion à ce point vague que le principe de légalité en matière pénale serait méconnu. Le justiciable dispose en effet de suffisamment d'éléments, compte tenu du décret lui-même par les procédures administratives qu'il prévoit, notamment en matière de reconnaissance de la qualité des substances qu'il détient, compte tenu de l'annexe qui l'accompagne, de ses arrêtés d'exécution, ou encore de la jurisprudence européenne dont les principes essentiels ont été rappelés en B.5.5, pour savoir si, au moment où il adopte un comportement, celui-ci est ou non passible de sanction pénale, sans que soit laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 51 du décret de la Région wallonne du 27 juin 1996 relatif aux déchets, combiné avec les articles 2, 1°, et 7, § 1er, de ce décret, ne viole pas les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 30 octobre 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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