publié le 10 septembre 2007
Extrait de l'arrêt n° 101/2007 du 12 juillet 2007 Numéro du rôle : 4066 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 22, § 1 er , de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social, pos La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Marte(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 101/2007 du 12 juillet 2007 Numéro du rôle : 4066 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 22, § 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social, posée par la Cour du travail de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen et J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 25 octobre 2006 en cause de l'Office national de l'emploi contre Magali Ramioulle, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 novembre 2006, la Cour du travail de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 22, § 1er, de la Charte de l'assuré social en limitant son champ d'application, lorsqu'il existe des dispositions particulières dans d'autres secteurs de la sécurité sociale, et en excluant toute attribution judiciaire quant au contrôle complet de décisions administratives refusant renonciation à récupérer des allocations sociales indûment payées est-il contraire aux principes d'égalité et de non-discrimination formulés aux articles 10 et 11 de la Constitution ainsi qu'au droit d'accès à un juge prévu à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1. Tel qu'il a été modifié par la loi du 25 juin 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1997 pub. 13/09/1997 numac 1997022622 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi modifiant la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social fermer, l'article 22 de la loi du 11 avril 1995 « visant à instituer ' la charte ' de l'assuré social » dispose : « § 1er. Sans préjudice des dispositions légales ou réglementaires propres aux différents secteurs de la sécurité sociale, les dispositions des §§ 2 à 4 s'appliquent à la récupération de l'indu. § 2. L'institution de sécurité sociale compétente peut, dans les conditions déterminées par son Comité de gestion et approuvées par le ministre compétent, renoncer à la récupération de l'indu : a) dans des cas ou catégories de cas dignes d'intérêt et à la condition que le débiteur soit de bonne foi;b) lorsque la somme à récupérer est minime;c) lorsqu'il s'avère que le recouvrement de la somme à récupérer est aléatoire ou trop onéreux par rapport au montant à récupérer. § 3. Sauf en cas de dol ou de fraude, il est renoncé d'office, au décès de celui à qui elles ont été payées, à la récupération des prestations payées indûment si, à ce moment, la réclamation de l'indu ne lui avait pas encore été notifiée. § 4. Toutefois, sans préjudice de l'application de l'article 1410 du Code judiciaire, cette disposition ne fait pas obstacle à la récupération de l'indu sur les prestations qui, au moment du décès de l'intéressé étaient échues, mais ne lui avaient pas encore été versées ou n'avaient pas encore été payées à l'une des personnes suivantes : 1° au conjoint avec qui le bénéficiaire cohabitait au moment de son décès;2° aux enfants avec qui le bénéficiaire vivait au moment de son décès;3° à la personne avec qui le bénéficiaire vivait au moment de son décès;4° à la personne qui est intervenue dans les frais d'hospitalisation, à concurrence de son intervention;5° à la personne qui a payé les frais funéraires à concurrence de ces frais. § 5. Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres et après avis du Conseil national du travail, déterminer que les §§ 1er à 4 ne sont pas d'application à certaines branches de la sécurité sociale ».
B.2. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition, et plus particulièrement son paragraphe 1er, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'elle exclut de son champ d'application les secteurs de la sécurité sociale pour lesquels existent des dispositions particulières (première branche) et en ce qu'elle exclut toute attribution judiciaire quant au contrôle complet des allocations sociales indûment payées (deuxième branche).
Bien que la question préjudicielle ne mentionne que l'article 22, § 1er, il ressort de la motivation de la décision a quo qu'elle concerne également l'application éventuelle de l'article 22, § 2. La Cour englobe cette disposition dans son examen.
B.3.1. La partie appelante devant le juge a quo et le Conseil des Ministres contestent la recevabilité de la question préjudicielle dans la mesure où elle demande à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de la disposition litigieuse avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.3.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles.
Toutefois, dans le contrôle qu'elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour doit prendre en considération les garanties de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui est expressément mentionné dans la question préjudicielle.
B.3.3. L'exception est rejetée.
B.4.1. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que le litige pendant devant le juge a quo concerne la récupération d'allocations payées indûment dans le cadre d'une interruption de carrière pour congé parental.
B.4.2. Selon l'article 22, § 2, de la loi en cause, il peut être renoncé à la récupération des allocations versées indûment dans des cas dignes d'intérêt.
Le juge a quo estime toutefois que cette disposition ne s'applique pas en l'espèce dès lors qu'elle a une portée supplétive et qu'une réglementation particulière est fixée par l'arrêté ministériel du 17 décembre 1991 « d'exécution des articles 13, 15, 20 et 27 de l'arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l'octroi d'allocations d'interruption ».
Conformément à l'article 5 de cet arrêté ministériel, l'administrateur général de l'Office national de l'emploi, ou l'agent désigné par lui, peut, lorsque le délai minimum d'interruption de carrière n'a pas été respecté, renoncer à la récupération des prestations payées indûment en cas de force majeure dans le chef du travailleur, et si celui-ci a introduit à cet effet une requête accompagnée des pièces justificatives nécessaires.
B.5.1. L'amendement du Gouvernement, à l'origine du caractère supplétif de la disposition en cause, a été explicité comme suit dans les travaux préparatoires : « Cet amendement est basé sur les observations du Conseil national du travail qui constate que les articles 31 et 32 traitent des modalités de renonciation et que plus précisément l'article 31 détermine la possibilité pour l'institution de sécurité sociale de renoncer, d'une part, au bénéfice de la prescription de l'action en paiement et, d'autre part, à la récupération de l'indu. [...] En ce qui concerne la renonciation à la récupération de l'indu, le CNT constate que les secteurs connaissent déjà des règles dont l'application ne pose, à sa connaissance, guère de problèmes.
Dans cette mesure et compte tenu également des problèmes de lisibilité qu'il a éprouvés à l'examen de l'article 32, le CNT propose de laisser au secteur concerné le soin d'appliquer ses propres dispositions en matière de renonciation à la récupération de l'indu » (Doc. parl., Chambre, 1991-1992, n° 353/5, p. 21).
B.5.2. L'article 22, § 1er, de la loi en cause se borne à exprimer le caractère supplétif de cet article. L'habilitation qu'il contient ne peut en aucune façon déroger au principe selon lequel, lorsqu'une norme établit une différence de traitement entre certaines catégories de personnes, celle-ci doit se fonder sur une justification raisonnable qui s'apprécie par rapport au but et aux effets de la norme considérée.
B.5.3. C'est au juge administratif et au juge judiciaire qu'il appartient d'apprécier si, en limitant la renonciation à la récupération des allocations payées indûment à la seule hypothèse d'un cas de force majeure, le ministre a pris une mesure qui est raisonnablement justifiée par la nature particulière des allocations d'interruption de carrière.
B.6. La question préjudicielle, en sa première branche, appelle une réponse négative.
B.7.1. Dès lors que l'article 22, § 2, de la loi en cause pourrait s'appliquer au litige pendant devant le juge a quo, la Cour répond à la seconde branche de la question préjudicielle.
B.7.2. Le juge a quo s'interroge sur la constitutionnalité de la disposition en cause, en ce qu'elle ne lui permettrait pas d'exercer un contrôle complet sur une décision refusant de renoncer à la récupération de prestations sociales indues.
B.7.3. En ce que l'article 22, § 2, précité autorise l'institution de sécurité sociale compétente à renoncer à la récupération des allocations payées indûment lorsque la somme à récupérer est minime ou lorsqu'il s'avère que son recouvrement est aléatoire ou trop onéreux, il accorde à cette institution une liberté d'appréciation qui est établie dans le seul intérêt de l'autorité et sur laquelle le juge ne peut exercer aucun contrôle. Il est raisonnablement justifié de ne pas permettre qu'un recours puisse être exercé contre la décision par laquelle le ministre fait usage de cette liberté d'appréciation.
B.7.4. En revanche, en ce que le même article 22, § 2, autorise l'institution de sécurité sociale compétente à renoncer à la récupération des prestations indûment payées « dans des cas ou catégories de cas dignes d'intérêt et à la condition que le débiteur soit de bonne foi », il établit, dans l'intérêt de l'administré, un critère sur l'application duquel le juge, sans qu'il puisse se substituer au ministre, doit pouvoir exercer un contrôle de légalité interne et externe.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Sous réserve de ce qui est mentionné en B.7.4., l'article 22, §§ 1er et 2, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 12 juillet 2007.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.