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Arrêt
publié le 13 juin 2007

Extrait de l'arrêt n° 67/2007 du 26 avril 2007 Numéro du rôle : 3976 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 25 du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pol La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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Extrait de l'arrêt n° 67/2007 du 26 avril 2007 Numéro du rôle : 3976 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 25 du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, posées par le Tribunal de première instance d'Ypres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 24 avril 2006 en cause du ministère public contre C.L., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 4 mai 2006, le Tribunal de première instance d'Ypres a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « Le décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole-t-il le principe d'égalité ainsi que les articles 10 et 11 de la Constitution en permettant que les personnes auxquelles une amende administrative a été infligée en application de l'article 25 de ce décret, et qui ont effectivement payé cette amende, soient encore poursuivies au pénal, alors que d'autres législations dans le même secteur (la loi du 24 mars 1987 relative à la santé des animaux et l'arrêté royal du 22 février 2001 organisant les contrôles effectués par l'Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire et modifiant diverses dispositions légales) énoncent que l'infliction d'une amende administrative éteint l'action publique ? »;2. « L'article 25, §§ 4 et 5, du décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole-t-il le principe d'égalité ainsi que les articles 10 et 11 de la Constitution en permettant que les personnes auxquelles une amende administrative - calculée au taux d'un euro par kilo de phosphate et d'un euro par kilo d'azote - a été infligée en raison de la part des excédents d'engrais d'exploitation calculés dont le producteur ne peut prouver qu'il l'a écoulée conformément aux dispositions de ce décret, et qui ont effectivement payé cette amende, se voient malgré tout encore infliger, conformément aux articles 42 et 43bis du Code pénal, une confiscation spéciale d'avantages patrimoniaux pour n'avoir pas écoulé des engrais conformément au décret sur les engrais, alors que dans le cadre des infractions de droit commun, une telle confiscation spéciale ne va en principe nullement de pair avec une amende administrative préalable ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Il ressort de la formulation des questions préjudicielles et des motifs qui leur servent de fondement qu'elles portent sur les paragraphes 4 et 5 de l'article 25 du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais [ci-après : décret relatif aux engrais], tels qu'ils ont été respectivement insérés et remplacés par les décrets des 20 décembre 1995 et 11 mai 1999 et qui énoncent : « § 4. Sans préjudice des dispositions du chapitre XI, une amende administrative est imposée à chaque producteur qui ne peut pas prouver qu'il a écoulé les excédents d'exploitation calculés MOp et MOn conformément aux dispositions du présent décret.

L'amende administrative s'élève à 1 euro multiplié par la somme de la fraction de MOp, exprimée en kg d'anhydride phosphorique et de la fraction MOn, exprimée en kg d'azote, dont le producteur ne peut pas prouver qu'elles ont été écoulées conformément aux dispositions du présent décret. § 5. Sans préjudice des dispositions du chapitre XI, une amende administrative de 1 euro, multiplié par la somme de la part exprimée en kg d'anhydride phosphorique et de la part exprimée en kg d'azote que l'utilisateur a utilisée à titre excédentaire sur les terres arables conformément aux dispositions du décret, est imposée à chaque utilisateur qui épand davantage d'éléments nutritionnels provenant d'effluents d'élevage, d'autres engrais ou engrais chimiques [que les quantités admises, exprimées en kg P2O5 et en kg N] ».

La Cour limite son examen à ces dispositions.

B.1.2. Dans l'examen des questions préjudicielles, la Cour doit également tenir compte de l'article 37, § 3, 1° et 2°, figurant au chapitre XI (« Dispositions pénales ») du décret précité, le 2° ayant été remplacé, avec effet au 16 février 2003, par l'article 30, 8°, du décret du 28 mars 2003 et étant applicable à l'année de production 2003.

Le paragraphe 3 de l'article 37 est libellé comme suit : « Est puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de cent euros à cent mille euros ou de l'une de ces peines seulement : 1° celui qui, en infraction à l'article 9, écoule l'engrais animal ou d'autres engrais produit par son entreprise en violation des dispositions du présent décret ou ne fournit pas la preuve qu'il est satisfait auxdites dispositions; [...] 2° celui qui épand ou fait épandre sur une terre arable une quantité d'effluents d'élevage, d'autres engrais ou d'engrais chimiques supérieure aux quantités admises, exprimées en kg P2O5 et en kg N; [...] ».

Avant son remplacement par l'article 30, 8°, du décret du 28 mars 2003, le 2°, tel qu'il avait été modifié par le décret précité du 11 mai 1999 et s'appliquait aux années de production 2001 et 2002, énonçait comme suit : « celui qui épand sur une terre arable une quantité d'engrais supérieure à la valeur limite visée à l'article 13bis, § 1er, alinéa deux, 2°, et aux maxima visés aux articles 13bis, § 2, 14, 15, 15bis, 15ter, 15quater et 20bis ».

B.1.3. La seconde question préjudicielle fait en outre référence aux articles 42 et 43bis du Code pénal, qui disposent : «

Art. 42.La confiscation spéciale s'applique : 1° Aux choses formant l'objet de l'infraction et à celles qui ont servi ou qui ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné;2° Aux choses qui ont été produites par l'infraction.3° Aux avantages patrimoniaux tirés directement de l'infraction, aux biens et valeurs qui leur ont été substitués et aux revenus de ces avantages investis ». «

Art. 43bis.La confiscation spéciale s'appliquant aux choses visées à l'article 42, 3°, pourra toujours être prononcée par le juge, mais uniquement dans la mesure où elle est requise par écrit par le procureur du Roi.

Si ces choses ne peuvent être trouvées dans le patrimoine du condamné, le juge procédera à leur évaluation monétaire et la confiscation portera sur une somme d'argent qui leur sera équivalente.

Lorsque les choses confisquées appartiennent à la partie civile, elles lui seront restituées. Les choses confisquées lui seront de même attribuées lorsque le juge en aura prononcé la confiscation pour le motif qu'elles constituent des biens ou des valeurs substitués par le condamné à des choses appartenant à la partie civile ou parce qu'elles constituent l'équivalent de telles choses au sens de l'alinéa 2 du présent article.

Tout autre tiers prétendant droit sur la chose confisquée pourra faire valoir ce droit dans un délai et selon des modalités déterminées par le Roi ».

Quant à la première question préjudicielle B.2. La première question préjudicielle a pour objet de demander à la Cour si les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés en ce que, par application du décret du 23 janvier 1991, en particulier de ses articles 25, §§ 4 et 5, et 37, § 3, 1° et 2°, la même personne peut, en raison d'une infraction à des dispositions du décret, aussi bien se voir infliger une amende administrative que faire l'objet de poursuites pénales, même après le paiement de cette amende, alors que dans d'autres réglementations, l'infliction d'une amende administrative éteint l'action publique.

B.3. Plusieurs parties intervenantes soulèvent la non-comparabilité des réglementations visées dans la question préjudicielle au motif qu'elles émanent de législateurs différents. A cause de la compétence distincte des législateurs concernés et des finalités différentes que poursuivent de ce fait ces dispositions, leur comparaison compromettrait l'autonomie des différents législateurs.

B.4. Une différence de traitement dans des matières où les différents législateurs disposent de compétences propres est la conséquence d'une politique différente résultant de leur autonomie et ne peut en soi pas être jugée contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Il ressort cependant de la première question préjudicielle qu'indépendamment des catégories qui devraient faire l'objet d'une comparaison, la différence de traitement soumise à la Cour concerne de manière plus générale, d'une part, les personnes qui, pour les mêmes faits, se voient infliger une amende administrative - payée dans l'intervalle - et font ensuite également l'objet de poursuites pénales, et, d'autre part, les personnes pour lesquelles le paiement d'une amende administrative éteint l'action publique, que la différence de traitement soit ou non instaurée par le même législateur. La Cour examine dès lors la première question préjudicielle sous cet angle.

B.5. La nécessité d'étendre le nombre de cas où une amende administrative peut être infligée, notamment dans le cas prévu par l'article 25, § 4, du décret relatif aux engrais, a été commentée de la façon suivante lors des travaux préparatoires : « Cet ajout étend les cas où une amende administrative peut être infligée aux personnes qui restent en défaut de remplir l'obligation de déclaration (§ 3), à celles qui ne peuvent pas prouver qu'elles ont écoulé les excédents d'exploitation conformément aux dispositions du décret (§ 4) et enfin à celles qui font à tort notifier leur exploitation comme élevage familial de bétail (§ 5).

Le fait de ne pas pouvoir prouver un écoulement conforme d'excédents doit être considéré comme une négligence très grave, laquelle, en termes de possibilité de pollution environnementale, est certainement comparable au déversement, mais contre laquelle on ne pouvait à ce jour agir qu'en justice. C'est pour cette raison que le § 4 est particulièrement important. La hauteur de l'amende administrative visée dans le § 4 a été choisie de façon telle que le montant total de l'amende soit en toute hypothèse supérieur aux frais d'écoulement » (Doc. parl., Parlement flamand, 1995-1996, n° 148/01, p. 20).

B.6. Lorsque le législateur décrétal estime que certains manquements à des dispositions décrétales doivent faire l'objet d'une répression, il relève de son pouvoir d'appréciation de décider s'il est opportun d'opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives. Le choix de l'une ou l'autre catégorie de sanctions ne peut être considéré comme établissant, en soi, une discrimination, mais la différence de traitement qui peut en résulter pour le même manquement n'est admissible que si elle est raisonnablement justifiée.

Ce raisonnement s'applique a fortiori lorsque, comme en l'espèce, il s'agit d'un cumul de sanctions pénales sensu stricto et de sanctions administratives pour le même manquement.

B.7. Le choix de réprimer les infractions visées aux paragraphes 4 et 5 de l'article 25 en cause au moyen de sanctions aussi bien administratives que pénales repose sur un critère objectif, à savoir la nature des infractions. Eu égard à l'impact de ces infractions sur l'environnement, cette mesure est également pertinente pour atteindre le but visé.

La Cour doit cependant vérifier si la mesure n'a pas d'effets disproportionnés, en tenant compte en particulier du principe « non bis in idem ».

B.8. En vertu du principe général de droit « non bis in idem », garanti également par l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni une deuxième fois en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce principe est également consacré par l'article 4 du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas encore ratifié par la Belgique.

B.9.1. Les amendes administratives prévues par les paragraphes 4 et 5 de l'article 25 en cause ont pour but de prévenir et de réprimer les infractions commises par les éleveurs de bétail qui ne respectent pas les obligations imposées par le décret. Elles présentent dès lors principalement un caractère répressif et sont pénales au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.9.2. En l'espèce, la partie poursuivie devant la juridiction a quo n'a pas été condamnée une première fois par un jugement définitif mais a payé l'amende qui lui était réclamée par l'administration. Cette particularité, qui tient à ce que l'amende administrative peut être infligée par l'administration sans contrôle préalable d'un juge, n'empêche pas que le principe non bis in idem soit applicable puisque le décret litigieux permet qu'une personne soit punie successivement deux fois pour les mêmes faits.

B.10. Il ressort de la lecture des textes précités que l'amende administrative prévue par l'article 25, §§ 4 et 5, du décret relatif aux engrais et la sanction pénale prévue par l'article 37, § 3, du même décret répriment, en des termes équivalents, le même comportement et que les éléments essentiels des deux infractions sont identiques.

Il ressort en outre du texte de la première question préjudicielle que celle-ci concerne le cas où une personne s'est vu infliger une amende administrative, qu'elle a payée, et fait ensuite l'objet de poursuites pénales devant une juridiction répressive. La Cour limite son examen à cette hypothèse. Elle ne traite donc pas de celle où un même comportement est passible de sanctions différentes sous des qualifications différentes ni de celle où des sanctions différentes sont infligées dans le cadre d'une seule poursuite.

B.11. Le principe non bis in idem est violé lorsqu'une même personne, après avoir été déjà condamnée ou acquittée en raison d'un comportement, est à nouveau poursuivie, en raison du même comportement, pour des infractions dont les éléments essentiels sont identiques (CEDH, 29 mai 2001, Fischer c. Autriche, §§ 25-27; CEDH, 7 décembre 2006, Hauser-Sporn c. Autriche, §§ 42-46).

B.12. La question préjudicielle invite la Cour à comparer la catégorie des personnes qui, après le paiement d'une amende administrative sur la base des dispositions en cause, font encore l'objet de poursuites pénales avec la catégorie des personnes pour lesquelles le paiement d'une amende administrative présentant un caractère pénal éteint l'action publique.

Une telle différence de traitement n'est pas susceptible de justification en raison de la nature même du principe en cause. Rien ne pourrait en effet justifier qu'une catégorie de personnes se voie refuser l'application du principe non bis in idem alors que les conditions de cette application sont réunies.

B.13. La première question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.14. La seconde question préjudicielle a pour objet de demander à la Cour si l'article 25, §§ 4 et 5, du décret relatif aux engrais est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'une personne qui a payé une amende administrative en raison d'une infraction à des dispositions du décret peut encore être condamnée à une confiscation spéciale d'avantages patrimoniaux conformément aux articles 42 et 43bis du Code pénal, alors que la personne qui est condamnée à une confiscation spéciale du chef d'infractions de droit commun n'a pas payé d'amende administrative préalable.

B.15. La confiscation spéciale visée à l'article 42 du Code pénal est une peine accessoire tendant généralement à renforcer la peine ou ayant un caractère indemnitaire. Dans les deux hypothèses, elle ne peut, en règle, être prononcée qu'en cas de condamnation du prévenu à une peine principale. La confiscation peut être ordonnée par le juge pour les infractions en général, sous les conditions édictées par les articles 42 et suivants du Code pénal.

B.16. Prévoir qu'une peine accessoire sera infligée en même temps que la peine principale n'est, en soi, pas contraire au principe non bis in idem. Une peine accessoire pourrait également être infligée par une décision distincte, si celle-ci intervient en raison de la condamnation définitive prononcée par le juge pénal, sans l'ouverture d'une nouvelle procédure, et s'il existe une étroite connexion entre les deux sanctions (CEDH, Maszni c. Roumanie, 21 septembre 2006, §§ 68 à 70).

B. 17. Toutefois, dans l'hypothèse examinée par la Cour, puisque l'infliction d'une amende administrative présentant un caractère pénal doit nécessairement, en raison du principe général de droit « non bis in idem », conduire à l'extinction de l'action publique, le prévenu ne peut plus être condamné à une peine principale et il ne peut par conséquent pas davantage se voir infliger la peine accessoire de la confiscation spéciale.

B.18. Compte tenu de la réponse de la Cour à la première question préjudicielle et de la conséquence qui en découle, la différence de traitement mentionnée dans la seconde question préjudicielle ne peut en l'espèce se produire, de sorte que cette question n'appelle pas de réponse distincte.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 25, §§ 4 et 5, combiné avec l'article 37, § 3, 1° et 2°, du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le principe général de droit « non bis in idem », en ce que des personnes peuvent, en raison d'un comportement constitutif d'infractions à des dispositions du décret précité, dont les éléments essentiels sont identiques, se voir infliger successivement une amende administrative présentant un caractère pénal et une sanction pénale.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 26 avril 2007.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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