publié le 09 février 2007
Extrait de l'arrêt n° 176/2006 du 22 novembre 2006 Numéro du rôle : 3862 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 215, alinéa 3, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Liège. La Cour d' composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E(...)
Extrait de l'arrêt n° 176/2006 du 22 novembre 2006 Numéro du rôle : 3862 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 215, alinéa 3, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Liège.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 13 janvier 2006 en cause de la SA « Bureau d'études Pierre Berger » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 25 janvier 2006, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « Dans l'interprétation selon laquelle l'article 215, alinéa 3, 4°, du CIR/92, ne viserait que les rémunérations d'administrateurs ou associés actifs au sens strict du terme, cette disposition viole-t-elle les articles 10, 11 et 172 de la Constitution coordonnée, dès lors qu'elle crée une discrimination entre, d'une part, les sociétés allouant la somme prévue à l'article 215 à un administrateur ou associé actif, au titre de rémunération, que ce soit au titre de l'article 32 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou encore de l'article 31 du Code des impôts sur les revenus 1992, rémunération imposée au tarif progressif de l'impôt des personnes physiques et soumise aux cotisations sociales et, d'autre part, les sociétés allouant la somme prévue à l'article 215 à un administrateur ou à un associé actif, mais à un autre titre encore tel que des profits, alors que ces sommes seraient également imposées au tarif progressif de l'impôt des personnes physiques et soumises aux cotisations sociales et que l'objectif de la disposition serait adéquatement rencontré tant dans la première hypothèse que dans la seconde ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 215, alinéa 3, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : C.I.R. 1992).
La formulation de la question préjudicielle ainsi que les mémoires déposés font apparaître que la Cour est invitée à contrôler cette disposition dans sa version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20 décembre 1996 et par la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 15/01/1999 numac 1998003665 source ministere des finances Loi portant des dispositions fiscales et autres fermer.
En vertu de cette disposition, le taux réduit de l'impôt des sociétés n'est pas applicable : « aux sociétés, autres que les sociétés coopératives agréées par le Conseil national de la coopération, qui n'allouent pas à au moins un administrateur ou un associé actif, une rémunération d'au moins 1.000.000 francs à charge du résultat de la période imposable; ».
B.2.1. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution lorsqu'elle est interprétée comme ne visant, par le terme « rémunération », que les rémunérations d'administrateur ou associé actif au sens strict du terme.
Dans cette interprétation, la disposition en cause créerait une différence de traitement, quant au bénéfice du taux réduit de l'imposition, entre les sociétés, selon qu'elles attribuent la somme prévue par la disposition en cause à un administrateur ou associé actif au titre de rémunérations visées aux articles 32 et 33 ou à l'article 31 du C.I.R. 1992, ou qu'elles attribuent cette somme à un administrateur ou associé actif à un autre titre, en l'espèce des profits de profession libérale visés à l'article 27 du C.I.R. 1992.
B.2.2. Il ressort des mémoires et des faits de la cause que le litige devant le juge a quo concerne le versement d'honoraires d'ingénieur-conseil par une société anonyme à son administrateur qui exerce également à titre personnel la profession d'ingénieur-conseil.
Ces sommes ayant été déclarées par l'administrateur au titre de « profits de profession libérale », l'administration a refusé à la société le bénéfice du taux d'imposition réduit, au motif que ces sommes n'ont pas été soumises au régime des rémunérations d'administrateur, mais à l'impôt des personnes physiques à titre de profits de profession libérale.
La Cour limite son examen à cette situation.
B.3. Dans leur version appliquée au litige devant le juge a quo, les articles 23, 27, 31, 32 et 33 du C.I.R. 1992 définissaient les revenus professionnels, les profits et les rémunérations comme suit : «
Art. 23.§ 1er. Les revenus professionnels sont les revenus qui proviennent, directement ou indirectement, d'activités de toute nature, à savoir : 1° les bénéfices;2° les profits;3° les bénéfices ou profits d'une activité professionnelle antérieure;4° les rémunérations;5° les pensions, rentes et allocations en tenant lieu. [...] ». «
Art. 27.Les profits sont tous les revenus d'une profession libérale, charge ou office et tous les revenus d'une occupation lucrative qui ne sont pas considérés comme des bénéfices ou des rémunérations.
Ils comprennent : 1° les recettes;2° les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle;3° toutes les plus-values réalisées sur des éléments de l'actif affectés à l'exercice de la profession;4° les indemnités de toute nature obtenues au cours de l'exercice de l'activité professionnelle : a) en compensation ou à l'occasion de tout acte quelconque susceptible d'entraîner une réduction de l'activité professionnelle ou des profits de celle-ci;b) en réparation totale ou partielle d'une perte temporaire de profits. Les plus-values sur des véhicules visés à l'article 66 ne sont prises en considération qu'à concurrence de 75 p.c. ». «
Art. 31.Les rémunérations des travailleurs sont toutes rétributions qui constituent, pour le travailleur, le produit du travail au service d'un employeur.
Elles comprennent notamment : 1° les traitements, salaires, commissions, gratifications, primes, indemnités et toutes autres rétributions analogues, y compris les pourboires et autres allocations même accidentelles, obtenues en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle à un titre quelconque, sauf en remboursement de dépenses propres à l'employeur;2° les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle;3° les indemnités obtenues en raison ou à l'occasion de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail;4° les indemnités obtenues en réparation totale ou partielle d'une perte temporaire de rémunérations;5° les rémunérations acquises par un travailleur même si elles sont payées ou attribuées à ses ayants cause. Sont considérées comme des indemnités visées à l'alinéa 2, 4°, les indemnités payées par des agences locales pour l'emploi à concurrence du montant maximum fixé par la réglementation applicable en la matière.
Lorsque les actions ou parts visées à l'article 145.1., 4°, font l'objet d'une mutation, autre qu'une mutation par décès, au cours des cinq ans suivant leur acquisition, un montant correspondant à autant de fois un soixantième des sommes prises en considération pour la réduction d'impôt qu'il reste de mois jusqu'à l'expiration du délai de cinq ans est considéré comme la rémunération d'un travailleur.
Le Roi détermine le minimum des rémunérations imposables dans le chef des travailleurs rémunérés totalement, principalement ou accessoirement au pourboire.
Art. 32.Les rémunérations des administrateurs sont toutes les rétributions qui constituent, pour le bénéficiaire, le produit de l'exercice de son mandat ou de ses fonctions d'administrateur ou de liquidateur ou de fonctions analogues.
Elles comprennent notamment : 1° les rémunérations fixes ou variables, y compris les tantièmes, allouées par les sociétés de capitaux à un titre autre que le remboursement de dépenses propres à la société;2° les avantages, indemnités et rémunérations d'une nature analogue à celles qui sont visées à l'article 31, alinéa 2, 2° à 5°. Lorsqu'un administrateur d'une société donne un bien immobilier bâti en location à celle-ci, le loyer et les avantages locatifs sont, par dérogation à l'article 7, considérés comme des rémunérations d'administrateur, dans la mesure où ils excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé en fonction du coefficient visé à l'article 13. De ces rémunérations ne sont pas déduits les frais relatifs au bien immobilier donné en location.
Art. 33.Les rémunérations des associés actifs sont toutes les rétributions qui constituent, pour le bénéficiaire, le produit de l'activité professionnelle exercée en qualité d'associé dans une société de personnes.
Elles comprennent notamment : 1° toutes les sommes allouées par une société de personnes, autres que des dividendes ou des remboursements de dépenses propres à la société;2° les avantages, indemnités et rémunérations d'une nature analogue à celles qui sont visées à l'article 31, alinéa 2, 2° à 5°. Lorsqu'un associé actif d'une société donne un bien immobilier bâti en location à celle-ci, le loyer et les avantages locatifs sont, par dérogation à l'article 7, considérés comme des rémunérations d'associé actif, dans la mesure où ils excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé en fonction du coefficient visé à l'article 13.
De ces rémunérations ne sont pas déduits les frais relatifs au bien immobilier donné en location ».
B.4. En complétant, par l'article 10 de la loi du 28 décembre 1992, l'article 215 du C.I.R. 1992 d'un alinéa 3, 4°, le législateur a voulu réduire l'incitant fiscal à la constitution de sociétés ou à la transformation d'entreprises individuelles en sociétés (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 717/1, pp. 4-5). Il a voulu éviter que, par la création de sociétés, l'impôt ou les cotisations de sécurité sociale soient éludés (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 717/5, p. 75). A cette fin, il a pris une mesure adéquate en exigeant que les sociétés qui bénéficient du taux réduit de l'impôt des sociétés allouent à leurs dirigeants des rémunérations d'un montant suffisant pour entraîner le paiement d'impôts et de cotisations de sécurité sociale que la constitution en société d'une activité professionnelle indépendante aboutit à faire disparaître.
B.5.1. Dans le cas d'un administrateur exerçant sa charge à titre gratuit, mais rémunéré en tant que salarié, la Cour a considéré, dans l'arrêt n° 37/2005, qu'au regard de l'objectif poursuivi par la disposition en cause, le terme « rémunération » visé à l'article 215, alinéa 3, 4°, pouvait être interprété comme comprenant l'ensemble des rémunérations à charge d'une société perçues par les dirigeants d'entreprise, qu'il s'agisse de rémunérations de dirigeant d'entreprise au sens de l'article 32 du C.I.R. 1992 ou de rémunérations de travailleur au sens de l'article 31 du C.I.R. 1992, perçues par le dirigeant. Dans cette interprétation, la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.5.2. En l'espèce, dans l'interprétation du juge a quo, les sociétés qui attribuent à un administrateur ou associé actif des profits de profession libérale au sens de l'article 27 du C.I.R. 1992 sont exclues du taux d'imposition réduit, même si cette rémunération atteint le montant requis par l'article 215, alinéa 3, 4°, précité, alors que les sociétés qui attribuent à un administrateur ou associé actif des rémunérations d'administrateur ou d'associé actif au sens des articles 32 et 33 du C.I.R. 1992 ou des rémunérations de travailleur au sens de l'article 31 du C.I.R. 1992 peuvent en bénéficier.
B.6.1. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, une personne a perçu des honoraires en contrepartie de prestations effectuées pour le compte de la société dont elle est administrateur, sa situation n'est pas, au regard de la disposition en cause, essentiellement différente de celle qui reçoit des rémunérations d'administrateur ou d'associé actif ou des rémunérations de travailleur.
B.6.2. L'administrateur ou l'associé actif qui perçoit des honoraires de la société dont il est l'administrateur ou l'associé actif est soumis lui-même au tarif progressif de l'impôt des personnes physiques sur ces profits et doit verser sur ces sommes des cotisations sociales d'indépendant.
B.6.3. Au regard de l'objectif poursuivi par l'article 215, alinéa 3, 4°, il n'est dès lors pas justifié de distinguer, en ce qui concerne le bénéfice du taux d'imposition réduit, les sociétés selon qu'elles distribuent à leur administrateur ou associé actif une rémunération au sens des articles 32 et 33 ainsi que 31 du même Code ou des profits de profession libérale.
B.7. Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse positive.
B.8.1. La Cour observe toutefois que le terme « rémunération » contenu dans l'article 215, alinéa 3, 4°, du C.I.R. 1992 concerne des sommes versées par une société à un administrateur ou associé actif, de sorte que ce terme « rémunération » peut être interprété en tenant compte du principe d'attraction applicable aux rémunérations d'administrateur et d'associé actif.
B.8.2. En vertu de ce principe, tous les revenus professionnels qu'un administrateur ou un associé actif perçoit de sa société peuvent être considérés comme des rémunérations d'administrateur ou des rémunérations d'associé actif, même si ces sommes rémunèrent des tâches, effectuées dans l'exercice d'une activité indépendante, pour le compte de la société.
B.8.3. Cette interprétation trouve un appui dans les travaux préparatoires de la loi du 13 juin 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/06/1997 pub. 19/06/1997 numac 1997021186 source services du premier ministre Loi portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne, et la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer confirmant l'arrêté royal du 20 décembre 1996 « portant des mesures fiscales diverses en application des articles 2, § 1er, et 3, § 1er, 2° et 3° de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne », qui a supprimé les notions de « rémunération d'administrateur » et « rémunération d'associé actif » en les remplaçant par la notion de « rémunération de dirigeant d'entreprise », dans lesquels on peut lire : « Le principe d'attraction signifie que doivent être qualifiées de rémunérations, non seulement les sommes et avantages qui rémunèrent l'exercice proprement dit d'un mandat d'administrateur, mais toutes les rétributions quelconques, par exemple des honoraires pour l'exercice de leur profession libérale au sein de la société, qui rémunèrent toute activité professionnelle quelconque effectuée au sein de l'entreprise » (Doc. parl., Sénat, 1996-1997, n° 1-612/7, p. 7).
B.9.1. Il résulte de ce qui précède que l'article 215, alinéa 3, 4°, peut être interprété en ce sens que le terme « rémunération » qu'il contient comprend l'ensemble des revenus professionnels à charge d'une société perçus par les administrateurs ou associés actifs, quelle que soit la qualification donnée à ces sommes, qu'il s'agisse de rémunérations d'administrateur ou d'associé actif au sens des articles 32 et 33 du C.I.R. 1992, de rémunérations de travailleur au sens de l'article 31 du C.I.R. 1992, ou de profits qui sont la contrepartie de tâches effectuées pour le compte de la société dans l'exercice d'une profession libérale.
B.9.2. Dans cette interprétation, la disposition en cause n'exclut pas du bénéfice de l'imposition au taux réduit les sociétés qui allouent des profits suffisants à leur administrateur ou associé actif qui exerce également une profession indépendante, de sorte que la différence de traitement visée par la question préjudicielle disparaît.
B.10. Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 215, alinéa 3, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20 décembre 1996 et par la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 15/01/1999 numac 1998003665 source ministere des finances Loi portant des dispositions fiscales et autres fermer, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution si le terme « rémunération » qu'il contient est interprété comme se rapportant exclusivement aux rémunérations d'administrateur ou d'associé actif, visées aux articles 32 et 33 du même Code. - L'article 215, alinéa 3, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20 décembre 1996 et par la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 15/01/1999 numac 1998003665 source ministere des finances Loi portant des dispositions fiscales et autres fermer, ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution si le terme « rémunération » qu'il contient est interprété comme se rapportant aussi bien aux rémunérations visées aux articles 32 et 33 et à l'article 31 du Code des impôts sur les revenus 1992 qu'aux profits de profession libérale visés à l'article 27 du même Code.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 novembre 2006.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.