publié le 12 février 2007
Extrait de l'arrêt n° 177/2006 du 22 novembre 2006 Numéro du rôle : 3893 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 36, § 1 er , des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat. La Cou composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 177/2006 du 22 novembre 2006 Numéro du rôle : 3893 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 36, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 154.161 du 26 janvier 2006 en cause de E. Peelman contre la « Hogeschool Gent », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 9 février 2006, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 36, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées par l'arrêté royal du 12 janvier 1973, lu en combinaison avec les articles 14 et 30, § 1er, de ces mêmes lois, viole-t-il les principes d'égalité et de non-discrimination inscrits aux articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée et le principe de légalité en ce qui concerne la composition, la compétence et le fonctionnement du Conseil d'Etat, inscrit à l'article 160 de la Constitution : A. en tant que : a) l'article 30, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dispose que le Roi détermine notamment les délais de prescription pour l'introduction des demandes et recours prévus à l'article 14 et que ces délais sont de 60 jours au moins;b) l'article 36 des lois coordonnées prévoit par ailleurs qu'une demande d'astreinte n'est recevable que si le requérant a enjoint à l'autorité, par pli recommandé à la poste, de prendre une nouvelle décision et qu'au moins trois mois se sont écoulés depuis la notification de l'arrêt en annulation; B. de sorte que, contrairement à la procédure relative aux recours en annulation, le législateur a omis de fixer les principes en ce qui concerne les délais applicables à la prescription de la demande d'astreinte et que le requérant est donc privé d'une réglementation dont les principes ont été fixés par une assemblée démocratiquement élue ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle concerne l'article 36, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, inséré par la loi du 17 octobre 1990 et modifié par l'article 148 de la loi du 20 juillet 1991, qui énonce : « Lorsque le rétablissement de la légalité signifie que l'annulation d'un acte juridique comme mentionné à l'article 14, doit être suivie d'une nouvelle décision des autorités ou d'un nouvel acte des autorités, la personne à la requête de laquelle l'annulation est prononcée, peut, si l'autorité ne remplit pas ses obligations, demander au Conseil d'Etat d'imposer une astreinte à l'autorité en question. Lorsqu'il ressort d'un arrêt en annulation une obligation d'abstention vis-à -vis de certaines décisions pour l'autorité administrative, la personne à la requête de laquelle l'annulation est prononcée peut demander au Conseil d'Etat d'ordonner à l'autorité sous peine d'une astreinte, de retirer les décisions qu'elle aurait prises en violation de l'obligation d'abstention découlant de l'arrêt d'annulation.
Cette requête n'est recevable que si le requérant a enjoint à l'autorité par une lettre recommandée à la poste, de prendre une nouvelle décision et qu'au moins trois mois se sont écoulés depuis la notification de l'arrêt en annulation. L'astreinte ne peut être encourue avant que l'arrêt qui la fixe ne soit notifié ».
B.1.2. Selon les termes de la question préjudicielle, la disposition en cause doit être combinée avec les articles 14 et 30, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.
L'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat concerne la compétence d'annulation du Conseil d'Etat.
L'article 30, § 1er, des mêmes lois énonce : « La procédure à suivre devant la section d'administration dans les cas visés aux articles 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18 et 36 sera déterminée par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.
L'arrêté royal déterminera notamment les délais de prescription pour l'introduction des demandes et recours prévus aux articles 11 et 14, ces délais devant être de soixante jours au moins; il réglera les conditions d'exercice des oppositions et tierces oppositions, ainsi que des recours en révision; il fixera les tarifs des frais et dépens, ainsi que les droits de timbre et d'enregistrement; il prévoira l'octroi aux indigents du bénéfice du pro deo ».
B.2.1. Le Conseil des ministres soulève en ordre principal deux exceptions : d'une part, le Conseil des ministres est d'avis que la Cour n'est pas compétente pour effectuer un contrôle direct au regard de l'article 160 de la Constitution; d'autre part, on ne pourrait déterminer ni à partir de la question préjudicielle ni à partir de la décision de renvoi quelles catégories de personnes doivent être comparées, si bien que la question préjudicielle n'appellerait pas de réponse.
B.2.2. En tant que la question préjudicielle devrait être comprise en ce sens qu'elle a pour objet un contrôle direct au regard du principe de légalité en ce qui concerne la composition, la compétence et le fonctionnement du Conseil d'Etat, inscrit à l'article 160 de la Constitution, la Cour n'est pas compétente pour y répondre.
La question préjudicielle doit toutefois être lue, à la lumière de la décision de renvoi, comme une question portant sur la compatibilité de l'article 36, § 1er, combiné avec l'article 30, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat avec les articles 10 et 11, combinés avec l'article 160, de la Constitution, en comparant, sur le plan du respect du principe de légalité, la situation des personnes qui demandent l'imposition d'une astreinte visée à l'article 36, § 1er, avec la situation des personnes qui introduisent un recours en annulation visé à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.
Aussi bien pour les recours visés à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat que pour les demandes d'astreinte visées à l'article 36, § 1er, de ces mêmes lois, l'article 30, § 1er, alinéa 1er, desdites lois confie la détermination de la procédure au Roi.
Cependant, l'article 30, § 1er, alinéa 2, précité exige que cet arrêté royal détermine les délais de prescription pour l'introduction des recours visés à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et que ceux-ci soient de soixante jours au moins. Pour l'introduction d'une demande d'astreinte, en revanche, aucun délai de prescription n'a été déterminé par la loi.
Les exceptions du Conseil des ministres sont rejetées.
B.3.1. Par l'article 5 de la loi du 17 octobre 1990 modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, et la loi du 5 avril 1955 relative au traitement des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, le Conseil d'Etat s'est vu attribuer la compétence d'imposer une astreinte en vue d'assurer une exécution efficace de ses arrêts d'annulation.
Selon l'exposé des motifs : « [l]'instauration d'une astreinte dans ce contentieux s'impose, car la recherche scientifique révèle que l'efficacité d'un recours devant le Conseil d'Etat est de plus en plus compromise par le fait qu'un bon nombre d'arrêts ne sont pas exécutés par les autorités. Une situation dans laquelle l'administration - [considérant] comme étant légal ce que le juge administratif a jugé illégal - ne tient pas compte de l'arrêt, constitue la négation du principe même du juge administratif (Conseil d'Etat, 18 octobre 1978, Van Vuchelen, n° 19.197) » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984/1, p. 8).
B.3.2. L'application de l'article 36 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat suppose que le Conseil d'Etat ait au préalable rendu un arrêt d'annulation. Ce n'est que dans les cas où le rétablissement de la légalité implique que l'annulation d'un acte, visée à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, soit suivie d'une nouvelle décision d'une autorité ou d'un acte d'une autorité, ou dans les cas où une obligation d'abstention à l'égard de certaines décisions résulte, pour l'autorité administrative, d'un arrêt d'annulation, qu'une astreinte peut être imposée.
Le Conseil d'Etat ne peut décider d'imposer une astreinte qu'à la demande de la personne sur la requête de laquelle l'annulation a été prononcée et après avoir suivi une procédure particulière. La demande d'astreinte ne peut être formulée en même temps que l'introduction d'un recours en annulation; le Conseil d'Etat ne peut pas non plus imposer lui-même une astreinte dans l'arrêt d'annulation.
La demande n'est recevable que lorsque la partie requérante a, par courrier recommandé à la poste, sommé l'autorité de prendre une nouvelle décision et lorsqu'au moins trois mois se sont écoulés à compter de la notification de l'arrêt d'annulation.
B.3.3. En exécution de l'article 30, § 1er, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, l'arrêté royal du 2 avril 1991 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat en matière d'astreinte fixe la procédure pour la demande d'imposition d'une astreinte. Aux termes de l'article 2, alinéa 2, dudit arrêté royal, la requête n'est recevable qu'après que l'autorité a refusé de déférer à la mise en demeure de prendre une nouvelle décision ou, en cas de silence de l'autorité, après l'expiration du délai d'un mois suivant la mise en demeure.
B.4. Le législateur a estimé devoir confier au Roi le pouvoir de déterminer la procédure à suivre dans les cas visés aux articles 14 et 36 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat (article 30, § 1er, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat).
Dans le cas des recours en annulation visés à l'article 14 de ces lois, l'article 30, § 1er, alinéa 2, exige que le Roi détermine les délais de prescription pour l'introduction des recours et que ces délais soient de soixante jours au moins. Le législateur a estimé qu'une telle disposition était indispensable pour des motifs de sécurité juridique : « Par sa gravité et l'importance des effets, valables erga omnes, qu'elle entraîne, l'annulation intéresse au premier chef l'ordre public. Aussi, ne convient-il pas que la validité des actes, règlements ou décisions demeure indéfiniment incertaine, au gré de la diligence mise par les parties à intenter les recours en annulation » (Rapport au Régent précédant l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat, Moniteur belge , 23-24 août 1948).
En ce qui concerne les demandes d'imposition d'astreinte, le législateur n'a pas posé pareille exigence. Ainsi, ni les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ni l'arrêté royal du 2 avril 1991 ne contiennent une disposition relative au délai dans lequel il convient d'introduire la requête en imposition d'une astreinte après sommation de l'autorité. Il peut se déduire de la décision de renvoi que le Conseil d'Etat exige à cet égard que la requête soit introduite dans un délai raisonnable.
B.5.1. L'article 160, alinéa 1er, de la Constitution dispose : « Il y a pour toute la Belgique un Conseil d'État, dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi. Toutefois, la loi peut attribuer au Roi le pouvoir de régler la procédure conformément aux principes qu'elle fixe ».
B.5.2. La seconde phrase de cette disposition vise à maintenir la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, telle qu'elle était prévue par les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, en vigueur lors de la publication, le 29 juin 1993, de l'article 160 de la Constitution. Elle confirme qu'il appartient au législateur de déterminer les prescriptions fondamentales de la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et au Roi de préciser les règles de procédure (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 831/1, pp. 2-4; ibid., n° 831/3, p. 3).
Il a été observé, lors de cette révision constitutionnelle, que la circonstance que, depuis la création du Conseil d'Etat, la procédure était réglée par le Roi n'avait pas porté atteinte aux droits des justiciables (ibid., n° 831/3, pp. 4 et 7).
La seconde phrase de la disposition constitutionnelle précitée concerne les matières qui pouvaient être réglées par le Roi en vertu des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, telles qu'elles étaient alors en vigueur (ibid., n° 831/3, pp. 5 et 7; Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, n° 100-48/2°, p. 3).
Le Constituant a dès lors établi la constitutionnalité non seulement de ce que les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne fixent elles-mêmes aucun délai de prescription pour l'introduction des demandes d'astreinte visées à l'article 36 de ces lois, mais également de la délégation au Roi en vertu de laquelle a été pris l'arrêté royal du 2 avril 1991 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat en matière d'astreinte, tel qu'il était en vigueur à l'époque.
La Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur une option du Constituant.
B.5.3. Il s'ensuit que l'absence d'un délai de prescription pour l'introduction de demandes d'astreinte, résultant de la lecture conjointe des articles 30, § 1er, et 36, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, a pour fondement juridique l'article 160, alinéa 1er, de la Constitution et qu'elle ne pourrait dès lors violer les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 36, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, ne viole pas les articles 10 et 11, lus en combinaison avec l'article 160, de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 novembre 2006.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, A. Arts.