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Arrêt
publié le 22 août 2006

Extrait de l'arrêt n° 98/2006 du 14 juin 2006 Numéros du rôle : 3771, 3773, 3777 et 3832 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 442bis du Code pénal et à l'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991 portant La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, L.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 98/2006 du 14 juin 2006 Numéros du rôle : 3771, 3773, 3777 et 3832 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 442bis du Code pénal et à l'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques, posées par le Tribunal correctionnel de Bruxelles et par le Tribunal correctionnel de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a) Par jugement du 6 septembre 2005 en cause du ministère public et autres contre P.C., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 septembre 2005, le Tribunal correctionnel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 442bis du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York, en ce qu'un traitement différent pourrait être réservé, sur le plan pénal et procédural, à deux justiciables ayant commis les mêmes actes matériels dans le même état d'esprit, de conscience ou de volonté, en raison, d'une part, de l'absence d'une définition légale de l'élément matériel de l'infraction respectant le principe de légalité des incriminations et, d'autre part, du fait que la définition de l'élément moral de l'infraction audit article 442bis laisse un vaste pouvoir d'appréciation aux juges dans une matière de droit où règnent les principes de l'interprétation restrictive, ce qui pourrait être constitutif d'une rupture d'égalité ? 2. L'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le principe de légalité de l'incrimination consacré par les articles 12 et 14 de la Constitution et par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant qu'un traitement différent pourrait être réservé, sur le plan pénal et procédural, à deux justiciables ayant commis les mêmes actes matériels dans le même état d'esprit, de conscience ou de volonté, ce qui pourrait être constitutif d'une rupture d'égalité en raison du fait que les termes employés, à savoir ' afin d'importuner son correspondant ou de provoquer des dommages ', ne permettraient pas aux justiciables de savoir, au moment où ils adoptent un comportement, si celui-ci est ou non punissable ? ». b) Par jugement du 19 septembre 2005 en cause du ministère public contre G.C., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 22 septembre 2005, le Tribunal correctionnel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 442bis du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York en ce qu'il pourrait, sur le plan pénal et procédural, être réservé un sort différent entre deux justiciables ayant commis les mêmes actes matériels dans le même état d'esprit, de conscience ou de volonté en raison d'une part de l'absence d'une définition légale de l'élément matériel de l'infraction respectant le principe de légalité des incriminations et d'autre part du fait que la définition de l'élément moral de l'infraction audit article 442bis laisse un vaste pouvoir d'appréciation aux juges dans une matière de droit où règnent les principes de l'interprétation restrictive, ce qui pourrait être constitutif d'une rupture d'égalité ? ». c) Par jugement du 26 septembre 2005 en cause du ministère public contre B.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 30 septembre 2005, le Tribunal correctionnel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques autonomes, lu en combinaison avec l'article 442bis du Code pénal, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce sens que la personne qui a notamment utilisé un moyen de télécommunication dans le cadre de la perpétration de faits de harcèlement au sens de l'article 442bis du Code pénal encourt des peines plus fortes que celles comminées par cette dernière disposition ? ». d) Par jugement du 12 décembre 2005 en cause du ministère public contre M.D. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 19 décembre 2005, le Tribunal correctionnel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 442bis du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou combinés avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York en ce qu'il pourrait, sur le plan pénal et procédural, être réservé un sort différent entre deux justiciables ayant commis les mêmes actes matériels dans le même état d'esprit, de conscience ou de volonté en raison, d'une part, de l'absence d'une définition légale de l'élément matériel de l'infraction respectant le principe de légalité des incriminations et, d'autre part, du fait que la définition de l'élément moral de l'infraction à l'article 442bi s laisse un vaste pouvoir d'appréciation aux juges dans une matière du droit où règnent les principes de l'interprétation restrictive, ce qui pourrait être constitutif d'une rupture d'égalité ? 2. L'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le principe de légalité de l'incrimination consacré par les articles 12 et 14 de la Constitution et par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant qu'un traitement différent pourrait être réservé, sur le plan pénal et procédural, à deux justiciables ayant commis les mêmes actes matériels dans le même état d'esprit, de conscience ou de volonté, ce qui pourrait être constitutif d'une rupture d'égalité en raison du fait que les termes employés, à savoir ' afin d'importuner son correspondant ou de provoquer des dommages ', ne permettraient pas aux justiciables de savoir, au moment où ils adoptent un comportement, si celui-ci est ou non punissable ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 3771, 3773, 3777 et 3832 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Quant à la première question préjudicielle dans les affaires nos 3771 et 3832 et à la question préjudicielle dans l'affaire n° 3773 B.1. Il ressort du libellé des questions préjudicielles susdites et des motifs des décisions de renvoi que les questions invitent la Cour à statuer sur la compatibilité de l'article 442bis du Code pénal avec le principe de légalité en matière pénale, tel qu'il est garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, par l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les juges a quo demandent à la Cour si ce principe n'est pas violé, d'une part, par l'absence d'une définition légale de l'élément matériel de l'infraction prévue par la disposition en cause et, d'autre part, par la circonstance que la définition de l'élément moral de cette infraction laisse au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

B.2. En outre, la Cour est invitée à dire si l'article 442bis du Code pénal porte atteinte de manière discriminatoire aux droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ni le libellé des questions préjudicielles ni les motifs des décisions de renvoi ne précisent cependant en quoi l'article 442bis du Code pénal violerait le principe d'égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec cette disposition de droit international.

B.3. L'article 442bis du Code pénal, inséré par la loi du 30 octobre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/10/1998 pub. 17/12/1998 numac 1998009993 source ministere de la justice Loi qui insère un article 442bis dans le Code pénal en vue d'incriminer le harcèlement type loi prom. 30/10/1998 pub. 10/11/1998 numac 1998021437 source services du premier ministre Loi relative à l'euro fermer « qui insère un article 442bis dans le Code pénal en vue d'incriminer le harcèlement », dispose : « Quiconque aura harcelé une personne alors qu'il savait ou aurait dû savoir qu'il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d'une peine d'emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de cinquante euros à trois cents euros, ou de l'une de ces peines seulement.

Le délit prévu par le présent article ne pourra être poursuivi que sur la plainte de la personne qui se prétend harcelée ».

B.4.1. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit ».

L'article 14 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ».

B.4.2. L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ».

L'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

B.4.3. En vertu de l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, remplacé par l'article 9, a), de la loi spéciale du 9 mars 2003, la Cour est compétente pour contrôler les normes législatives au regard des articles du titre II de la Constitution « Des Belges et de leurs droits ».

Lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d'une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.

Il s'ensuit que, dans le contrôle qu'elle exerce au regard de ces dispositions constitutionnelles, la Cour tient compte de dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues.

En ce qu'ils garantissent le principe de légalité en matière pénale, l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue aux articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.

B.5.1. Le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

B.5.2. Ce n'est qu'en examinant une disposition pénale spécifique qu'il est possible, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu'elle entend réprimer, de déterminer si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu'ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.

B.6.1. La disposition en cause n'a pas pour objet de réprimer tous les cas de harcèlement. Il ressort de son libellé que la sanction pénale qu'elle instaure ne concerne que le harceleur qui affecte gravement la tranquillité de la personne qu'il vise, et qui savait ou aurait dû savoir que son comportement aurait cette conséquence.

Il ressort, en outre, des travaux préparatoires que les agissements que le législateur entend réprimer constituent des atteintes à la vie privée des personnes (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 3;

Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9221). Leur poursuite pénale est à cet égard subordonnée à la plainte de la personne qui se prétend harcelée.

Ces comportements consistent à importuner une personne de manière irritante pour celle-ci (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/6, p. 2; Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9221).

B.6.2. Les auteurs de la proposition de loi qui a mené à l'adoption de la disposition en cause entendaient, à l'instar des auteurs des premiers amendements auxquels cette proposition a donné lieu, punir celui qui poursuit, épie ou harcèle une personne « de façon répétée » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, pp. 1-3; n° 1046/3, p. 1; n° 1046/5, p.1). Les commentaires et illustrations de cette proposition de loi indiquent, par ailleurs, que ses auteurs ne souhaitaient réprimer que des comportements qui contenaient plus d'un acte (ibid., n° 1046/1, p. 2; ibid., n° 1046/8, pp. 2 et 6).

Lors de l'examen de l'amendement qui proposait de supprimer les mots « de façon répétée », l'un de ses auteurs expliquait que la notion de « harcèlement » doit être « comprise [...] dans [sa] signification habituelle qui peut évoluer », ajoutant que « [le] juge appréciera, selon les circonstances de l'affaire, s'il y a ou non harcèlement ».

Un autre député demandait si la notion de « harcèlement » n'impliquait pas nécessairement un caractère répétitif. L'autre auteur de l'amendement précité précisait, à cet égard, que la suppression de ces mots s'expliquait par la volonté de sanctionner un « comportement qui peut constituer une forme de harcèlement, même s'il n'a pas été répété à différents moments », tel que celui qu'adopte « une personne qui aborde quelqu'un en rue et insiste alors qu'il lui a été clairement fait comprendre que son comportement était gênant » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 8).

L'adoption de cet amendement - à l'unanimité - ne peut dès lors être interprétée comme la volonté du législateur de s'écarter du sens commun du mot « harcèlement », qui renvoie à la répétition d'actes, ou d'étendre le champ d'application de la disposition en cause aux actes isolés. Cet amendement témoigne uniquement du souci d'écarter une interprétation de l'article 442bis du Code pénal empêchant la répression du harcèlement, lorsque la période qui sépare les actes répétés est de courte durée.

B.6.3. La proposition de loi prévoyait initialement que, pour être punissable, le comportement harcelant devait être « gênant, inquiétant ou angoissant » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, p. 3; n° 1046/3). Un amendement suggérait de préciser que ce comportement devait « manifestement » avoir cet effet, afin de « donner une définition objective du délit de harcèlement » et de permettre au juge de vérifier si « le comportement de l'auteur du harcèlement doit raisonnablement pouvoir être considéré comme gênant, inquiétant ou angoissant pour la victime » (ibid., n° 1046/3, p. 2, n° 1046/8, p. 2). Le but de cet amendement était « d'objectiver quelque peu la prise en considération d'éléments par ailleurs purement subjectifs » (ibid., n° 1046/8, p.4). A la suite de remarques de plusieurs députés qui s'interrogeaient sur la place réservée à « l'expérience subjective de la victime », à la « sensibilité de chacun » ou à la « perception subjective de la victime » (ibid., pp. 5 et 6), la référence au caractère manifestement gênant, inquiétant ou angoissant fut supprimée (ibid., n° 1046/6, n° 1046/8, p. 8). Par ailleurs, les travaux préparatoires illustrent à plusieurs reprises le type de comportement que le législateur entendait réprimer (ibid., n° 1046/1, p. 2, n° 1046/8, pp. 2, 3, 5, 6, 8; Ann., Chambre, 1997-1998, séance du 8 juillet 1998, p. 9222).

La notion d'atteinte grave à la tranquillité dont il est question dans la disposition en cause ne peut dès lors être comprise comme une autorisation pour le juge de sanctionner un comportement sur la base de données subjectives, telles que le sentiment de la personne visée par le comportement harcelant. Il va de soi qu'une plainte de celle-ci, sur la base de l'alinéa 2 de cette disposition, ne suffit pas à établir l'existence d'une telle atteinte à la tranquillité.

B.6.4. Une atteinte grave à la tranquillité d'autrui n'est par ailleurs punissable que si elle est la conséquence d'un comportement harcelant adopté par la personne poursuivie sur la base de l'article 442bis du Code pénal.

Une telle sanction suppose, en outre, que, par ce comportement, le harceleur vise la personne dont la tranquillité a été affectée. La disposition en cause ne permet pas de sanctionner celui qui adopte un comportement qui affecte la tranquillité de personnes indéterminées (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/8, p. 9).

Ce n'est que dans ces conditions que cette disposition peut mener à la répression de comportements jugés asociaux, inadaptés ou inadéquats.

Il appartient en définitive au juge d'apprécier la réalité de l'atteinte à la tranquillité d'une personne, de la gravité de celle-ci et du lien de causalité entre cette perturbation d'une personne déterminée et le comportement harcelant. Il aura, pour ce faire, égard aux données objectives qui lui sont soumises, telles que les circonstances du harcèlement, les rapports qu'entretiennent l'auteur du comportement harcelant et le plaignant, la sensibilité ou la personnalité de ce dernier ou la manière dont ce comportement est perçu par la société ou le milieu social concerné.

B.6.5. Il ressort enfin des travaux préparatoires que l'insertion dans l'article 442bis du Code pénal des mots « savait ou aurait dû savoir » résulte d'un compromis entre le souhait de certains députés de sanctionner le harceleur qui fait preuve de négligence ou d'imprévoyance et la volonté d'autres parlementaires de ne réprimer que celui qui « aura méchamment harcelé » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1046/1, p. 2; ibid., n° 1046/5; ibid., n° 1046/6; ibid., n° 1046/8, pp.7-9).

Les mots « aurait dû savoir » ne permettent dès lors pas la sanction du harceleur qui ne savait pas que son comportement affecterait gravement la tranquillité de la personne qu'il visait.

La perturbation de la tranquillité de la personne visée par le comportement harcelant ne constitue pas, du reste, une preuve de la connaissance des conséquences de cet acte. Celle-ci pourra être établie sur la base d'éléments objectifs que le harceleur ne pouvait ignorer, tels que les circonstances du harcèlement, la nature des rapports entre le harceleur et le plaignant, la manière dont ce comportement est perçu par la société ou le milieu social concerné, voire, dans certains cas, la personnalité du plaignant.

Le juge devra, par ailleurs, dans chaque cas, apprécier la gravité de la faute commise et, dans les limites fixées par le législateur, proportionner la peine en conséquence.

B.6.6. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle dans les affaires nos 3771 et 3832 B.7. Il ressort du libellé des questions visées que la Cour est invitée à dire si les termes « afin d'importuner son correspondant ou de provoquer des dommages », employés dans l'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques, sont compatibles avec le principe de légalité en matière pénale, tel qu'il est garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution et par l'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.8. L'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer, modifié par l'article 85, H), de la loi du 19 décembre 1997 « modifiant la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques afin d'adapter le cadre réglementaire aux obligations en matière de libre concurrence et d'harmonisation sur le marché des télécommunications découlant des décisions de l'Union européenne », disposait, avant son abrogation par l'article 155, 4°, de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques : « Est punie d'une amende de cinq cents à cinquante mille euros maximum et d'un emprisonnement d'un à quatre ans ou d'une de ces peines seulement : [...] 2° la personne qui utilise un réseau ou un service de télécommunications ou d'autres moyens de télécommunications afin d'importuner son correspondant ou de provoquer des dommages ». B.9.1. La disposition en cause a pour objectif de réprimer certains usages des moyens de télécommunications.

Les questions préjudicielles ne portent que sur les éléments moraux de l'infraction que crée cette disposition.

B.9.2. Les mots « afin d'importuner son correspondant » indiquent à suffisance l'élément moral de l'infraction et les mots « afin [...] de provoquer des dommages » ne peuvent raisonnablement s'entendre que comme visant des dommages causés aux moyens de télécommunication eux-mêmes, ce que confirment les travaux préparatoires (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1287/1, p. 71).

La disposition en cause n'est donc pas incompatible avec le principe de légalité.

B.9.3. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Quant à la question préjudicielle dans l'affaire n° 3777 B.10. La Cour est interrogée sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de la différence que font les articles 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer et 442bis du Code pénal entre, d'une part, la personne qui utilise un moyen de télécommunications afin d'importuner quelqu'un et, d'autre part, celle qui harcèle quelqu'un en affectant gravement sa tranquillité, en ce que le comportement de la première personne est susceptible d'être sanctionné plus lourdement (à savoir par un emprisonnement d'un à quatre ans et une amende de cinq cents à cinquante mille euros ou une de ces peines seulement) que celui de la seconde (à savoir par un emprisonnement de quinze jours à deux ans et une amende de cinquante à trois cents euros ou une de ces peines seulement).

B.11. L'appréciation du caractère plus ou moins grave d'une infraction et de la sévérité avec laquelle cette infraction peut être punie relève du jugement d'opportunité qui appartient au législateur.

La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs portant des sanctions pénales, elle ne limitait pas, en ce qui concerne l'échelle des peines, son appréciation aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu'elle aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable d'infractions comparables.

B.12. Les deux dispositions en cause ont pour objectif de réprimer des comportements qui sont susceptibles de perturber la tranquillité d'autrui. Celles-ci peuvent donc être comparées de façon suffisamment pertinente en ce qui concerne l'échelle des peines.

B.13.1. Comme cela a été rappelé en B.6.1, l'article 442bis du Code pénal a pour objectif de réprimer des agissements portant atteinte à la vie privée des personnes en les importunant de manière irritante.

B.13.2. La peine prévue par l'article 442bis du Code pénal n'est applicable que moyennant la réunion des conditions suivantes : le caractère harcelant du comportement de la personne poursuivie, une atteinte à la tranquillité de la personne visée par le harceleur, un lien de causalité entre le comportement de celui-ci et cette perturbation de la tranquillité d'autrui ainsi que la gravité de cette perturbation.

La peine prévue par l'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer peut être appliquée même si ces conditions ne sont pas remplies. Il n'est requis ni que l'utilisation du moyen de télécommunication présente un caractère harcelant ni que la tranquillité du correspondant de la personne soit effectivement perturbée.

B.13.3. L'élément moral de l'infraction créée par l'article 442bis du Code pénal est, certes, d'un degré moindre que celui de l'infraction créée par l'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer.

Cette dernière disposition ne rend punissable le comportement de l'utilisateur du moyen de télécommunication que si celui-ci avait l'intention d'importuner son correspondant alors que le harceleur visé par la première disposition est punissable même s'il n'avait pas l'intention de perturber la tranquillité d'autrui.

La Cour n'aperçoit cependant pas en quoi cette circonstance ou l'utilisation d'un moyen de télécommunication sont de nature à justifier une peine à ce point plus lourde.

B.13.4. La question préjudicielle appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. L'article 442bis du Code pénal ne viole pas les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.2. L'article 114, § 8, 2°, de la loi du 21 mars 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/03/1991 pub. 09/01/2013 numac 2012000673 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 21/03/1991 pub. 18/01/2016 numac 2015000792 source service public federal interieur Loi portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant réforme de certaines entreprises publiques économiques ne viole pas les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.3. L'article 114, § 8, 2°, de la même loi viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il prévoit, pour celui qui utilise un moyen de télécommunication afin d'importuner son correspondant, des peines plus lourdes que celles prévues par l'article 442bis du Code pénal. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 juin 2006.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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