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Arrêt
publié le 10 août 2006

Extrait de l'arrêt n° 78/2006 du 17 mai 2006 Numéro du rôle : 3725 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 jui La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 78/2006 du 17 mai 2006 Numéro du rôle : 3725 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 145.129 du 30 mai 2005 en cause de J. De Blauwe contre l'Institut belge de normalisation, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 15 juin 2005, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, viole-t-il l'article 10 de la Constitution en ce qu'il impose une attribution égale aux deux cadres linguistiques pour les fonctions de directeur et au-dessus, même lorsque le volume de travail qui concerne chacune des régions linguistiques présente un déséquilibre, ce qui a pour effet que les citoyens, utilisateurs du service public, qui appartiennent à la région linguistique à laquelle a trait la plus grande partie du volume de travail sont préjudiciés par rapport à ceux qui appartiennent à l'autre région linguistique, parce qu'ils ont moins de possibilités d'être servis dans leur langue, et que les fonctionnaires du rôle linguistique correspondant à la région linguistique nommée en premier lieu ont moins de possibilités de promotion aux emplois de direction que leurs collègues du rôle linguistique correspondant à l'autre région linguistique ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle a pour objet de demander à la Cour si l'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, viole l'article 10 de la Constitution, en ce qu'il impose une attribution égale d'emplois aux deux cadres linguistiques pour les fonctions de directeur et les fonctions plus élevées, même lorsque le volume de travail qui concerne chacune des régions linguistiques présente un déséquilibre, ce qui serait préjudiciable aussi bien aux citoyens, utilisateurs du service public, qui appartiennent à la région linguistique à laquelle a trait la plus grande partie du volume de travail, qu'aux fonctionnaires appartenant au rôle linguistique correspondant à cette région linguistique.

Les alinéas premier et six de l'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, tels qu'ils sont jugés applicables à l'instance principale par le Conseil d'Etat, énonçaient, avant leur remplacement et leur modification par l'article 2, 2° et 3°, de la loi du 19 octobre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/10/1998 pub. 03/12/1998 numac 1998002117 source ministere de la fonction publique Loi modifiant l'article 43 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 fermer « modifiant l'article 43 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 » (Moniteur belge , 3 décembre 1998), par l'article 504, 2° et 5°, de la loi-programme du 27 décembre 2004 (Moniteur belge , 31 décembre 2004, deuxième édition) et par l'article 18, 2° et 4°, de la loi du 20 juillet 2005 portant des dispositions diverses (Moniteur belge , 29 juillet 2005, troisième édition) : « Le Roi détermine pour chaque service central le nombre des emplois à attribuer au cadre français et au cadre néerlandais, en tenant compte, à tous les degrés de la hiérarchie, de l'importance que représentent respectivement pour chaque service la région de langue française et la région de langue néerlandaise. Toutefois à partir du grade de directeur et au-dessus, les emplois sont répartis en nombre égal entre les deux cadres, à tous les degrés de la hiérarchie. [...] Après consultation de la même Commission, le Roi peut, par un arrêté motivé et délibéré en Conseil des Ministres, déroger à la règle de l'égalité numérique des emplois de direction, en faveur des services centraux dont les attributions ou les activités intéressent de façon inégale la région de langue française et la région de langue néerlandaise ».

B.2. L'égalité entre les deux rôles linguistiques pour les fonctions supérieures a été justifiée comme suit durant les travaux préparatoires de l'article 32 de la loi du 2 août 1963 sur l'emploi des langues en matière administrative, renuméroté ultérieurement article 43 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative : « D'une part, il est opportun que les fonctions supérieures soient réparties à égalité, entre les deux rôles linguistiques.

En effet, au sommet de la hiérarchie, il est essentiel de trouver de hauts fonctionnaires également attentifs aux intérêts de l'Etat et à ceux des régions, capables de ' sentir ' les problèmes qui s'y posent, sans le tampon d'une traduction, et d'y répondre adéquatement, sans qu'à tort ou à raison, l'une des régions puisse se croire lésée. Cette égalité de droit permet aussi, et c'est heureux, d'éviter toute blessure inutile à l'amour propre des uns et des autres.

Il est symptomatique de constater que le Centre Harmel avait abouti à des conclusions du même genre (voir Rapport p. 235).

A l'unanimité, le Centre adopta la résolution suivante : ' Les fonctionnaires de la première catégorie appartiennent en nombre égal à l'un ou l'autre des deux rôles linguistiques : - le comité de direction comprend une section néerlandaise et une section française, numériquement égales; - les comités du personnel comprennent un nombre égal de fonctionnaires de langue néerlandaise et de langue française. ' Le fondement et la mesure de cette égalité nous paraissent avoir été heureusement exprimés par d'aucuns en disant que cette égalité se justifie pour toutes les fonctions ' de conception ou de direction générale '.

Mais quels sont ces fonctionnaires de ' conception et de direction générale ' ? S'agit-il de toute la première catégorie des fonctionnaires, dont le nombre s'élève à environ 6.000 pour les seuls départements ministériels; s'agit-il de ceux remplissant des fonctions égales ou supérieures à celles de directeur, environ 1.200.

En fait, la vérité se situe probablement à mi-chemin; tous les fonctionnaires de première catégorie ne remplissent pas nécessairement des fonctions de ' conception ou de direction générale ', mais par contre, d'autres fonctionnaires que les directeurs peuvent avoir des missions de ' conception '; si cette notion n'a pu être reprise dan le texte actuel, c'est surtout parce qu'elle ne correspondait pas à une catégorie bien précise de la hiérarchie actuelle des fonctions et que les situations sont différentes selon les départements ministériels.

Nous pensons toutefois que lors de l'établissement des cadres, l'idée fondamentale de cette disposition ne devra pas être perdue de vue, c'est-à-dire que si, pour tout ce qui relève de l'exécution, les cadres doivent être composés en tenant compte des besoins de chaque service, pour chaque région; par contre dans les matières qui couvrent à la fois tout le pays, c'est-à-dire ce qui relève de la conception ou de la direction générale, l'égalité des cadres devrait être la règle » (Doc. parl., Sénat, 1962-1963, n° 304, pp. 26-27).

B.3. Le législateur a réparti les emplois au sein du corps de fonctionnaires des services centraux entre les fonctionnaires appartenant respectivement au rôle linguistique néerlandais et au rôle linguistique français et il a établi, à partir du rang de directeur, une égalité de principe entre les rôles linguistiques respectifs à tous les degrés de la hiérarchie.

Il revient à la Cour de vérifier si cette mesure n'est pas discriminatoire.

B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. Le traitement identique, dans les services centraux, des fonctionnaires appartenant respectivement au rôle linguistique néerlandais et au rôle linguistique français, par l'attribution égale des emplois - à partir du rang de directeur - aux deux cadres, répond à un objectif légitime, celui d'assurer suffisamment d'emplois à un niveau élevé qui permettent de garantir l'accomplissement des tâches de conception et de direction générale dans chacun des deux cadres au sein de ces services. Le critère d'égalité utilisé est l'appartenance au cadre néerlandais ou français, ce qui constitue un critère pertinent pour réaliser l'objectif poursuivi par le législateur en ce qui concerne le fonctionnement des services centraux.

La mesure n'a d'effets disproportionnés ni pour les citoyens qui doivent recourir aux services centraux et appartiennent à la région linguistique à laquelle a trait la plus grande partie du volume de travail, ni pour les fonctionnaires appartenant au rôle linguistique correspondant à cette région linguistique. En effet, l'avantage supplémentaire qu'une attribution inégale des emplois de direction aux deux cadres procurerait aux citoyens précités ne saurait l'emporter sur le préjudice que subiraient de ce fait les citoyens appartenant à la région linguistique dont relève la plus petite partie du volume de travail du service central concerné et qui consiste en ce que les tâches de conception et de direction générale ne pourraient être accomplies de manière satisfaisante au sein de ce cadre. De même, les possibilités individuelles de carrière des fonctionnaires qui s'estiment préjudiciés par l'attribution égale des emplois de direction aux deux cadres ne sauraient primer l'intérêt collectif du bon fonctionnement des deux cadres des services centraux visé par la mesure en cause. L'attribution égale de ces emplois n'est en outre pas absolue : la disposition en cause contient un mécanisme de correction au cas où l'attribution égale des emplois de direction aux deux cadres ne serait plus conciliable avec le bon fonctionnement des services centraux visé par cette mesure. En effet, sur la base de l'article 43, § 3, alinéa 6, le Roi peut, par un arrêté motivé et délibéré en Conseil des Ministres, déroger à la règle de l'égalité numérique des emplois de direction si les attributions ou les activités des services centraux concernés intéressent de façon inégale la région de langue française et la région de langue néerlandaise.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 43, § 3, alinéas 1er et 6, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, avant son remplacement et sa modification par l'article 2, 2° et 3°, de la loi du 19 octobre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/10/1998 pub. 03/12/1998 numac 1998002117 source ministere de la fonction publique Loi modifiant l'article 43 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 fermer modifiant l'article 43 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, par l'article 504, 2° et 5°, de la loi-programme du 27 décembre 2004 et par l'article 18, 2° et 4°, de la loi du 20 juillet 2005 portant des dispositions diverses, ne viole pas l'article 10 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 17 mai 2006.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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