publié le 27 juillet 2006
Extrait de l'arrêt n° 74/2006 du 10 mai 2006 Numéro du rôle : 3894 En cause : les questions préjudicielles relatives à - l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme; - l - l'article 53, § 2, alinéa 5, du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du terr(...)
Extrait de l'arrêt n° 74/2006 du 10 mai 2006 Numéro du rôle : 3894 En cause : les questions préjudicielles relatives à - l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme; - l'article 12 de la loi du 22 décembre 1970, en tant qu'il contenait, en ce qui concerne les suites de l'envoi d'un rappel, une modification et une confirmation de l'article 55, alinéa 5, précité; - l'article 53, § 2, alinéa 5, du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 154.192 du 26 janvier 2006 en cause de Y. Beirens contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 10 février 2006, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. - l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, - la loi du 22 décembre 1970, en tant que celle-ci, pour ce qui concerne les effets de l'envoi de la lettre de rappel, impliquait une modification et une confirmation de l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962, et désormais - l'article 53, § 2, alinéa 5, du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, violent-t-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, en ce qu'il instaure un régime de permis tacite, a. dont la nature exclurait tout recours en annulation et, le cas échéant, en suspension, devant la section d'administration du Conseil d'Etat, b.dont le contrôle par les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire ne serait pas équivalent aux contrôles juridictionnels exercés à l'égard d'un permis d'urbanisme délivré par une autorité compétente pour ce faire, en particulier : - en ce que ce contrôle ne pourrait se fonder sur la violation d'autres dispositions que celles que le demandeur est tenu de respecter en vertu de l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme de la loi du 22 décembre 1970, en tant que celle-ci, pour ce qui concerne les effets de l'envoi de la lettre de rappel, impliquait une modification et une confirmation de l'article 55, alinéa 5, de la loi du 29 mars 1962, et désormais de l'article 53, § 2, alinéa 5, du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996; - en ce que ce contrôle ne pourrait, même marginalement, porter sur le respect des principes du bon aménagement du territoire ou le respect des conditions d'une dérogation ou d'une exception à une interdiction de bâtir préexistante ? 2. Cette violation n'existe-t-elle pas à tout le moins lorsque ce permis tacite résulte de l'absence de décision du Gouvernement régional alors que la ou les autres autorités compétentes qui auraient statué en première ou en seconde instance auraient refusé de délivrer le permis d'urbanisme ? 3.Cette violation n'existe-t-elle pas à tout le moins lorsque ce permis tacite ne concerne pas un terrain où la construction est en principe admise, mais un terrain où, en raison d'une servitude non aedificandi, la construction est en principe exclue et ne peut être autorisée qu'exceptionnellement, moyennant une appréciation effective et motivée de l'autorité administrative portant sur l'existence de conditions locales spécifiques ? ».
Le 1er mars 2006, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs L. Lavrysen et J.-P. Snappe ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 53 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, qui a repris l'article 55 de la loi du 29 mars 1962, remplacé par l'article 12 de la loi du 22 décembre 1970, énonçait, avant son abrogation par l'article 171 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire et avant sa modification par l'article 60 du décret du 26 avril 2000 : «
Art. 53.§ 1er. Le demandeur peut, dans les trente jours de la réception de la décision du collège échevinal ou de la décision de refus du fonctionnaire délégué visée à l'article 52, § 1er, deuxième alinéa, introduire un recours contre cette décision auprès de la députation permanente. Il peut également introduire un recours, en cas d'absence de décision, dans les trente jours de l'expiration du délai visé à l'article 52, § 1er, deuxième alinéa. Copie du recours est adressée par la députation permanente à la commune et au fonctionnaire délégué dans les cinq jours de la réception.
Le demandeur ou son conseil, le collège des bourgmestre et échevins ou son délégué, ainsi que le fonctionnaire délégué sont, à leur demande, entendus par la députation permanente. Lorsqu'une partie demande à être entendue, les autres parties sont invitées à comparaître.
La décision de la députation permanente est notifiée au demandeur, au collège et au fonctionnaire délégué, dans les soixante jours de la date du dépôt à la poste de l'envoi recommandé contenant le recours.
Lorsque les parties sont entendues, le délai est prolongé de quinze jours. § 2. Le collège des bourgmestre et échevins ainsi que le fonctionnaire délégué peuvent introduire un recours auprès du Gouvernement flamand, dans les trente jours qui suivent la réception de la décision de la députation permanente octroyant un permis. Ce recours de même que le délai pour former recours est suspensif.
Il est adressé en même temps au demandeur et au Gouvernement flamand.
Lorsque le recours est introduit par le fonctionnaire délégué, ce dernier avertit également le collège.
Le demandeur peut introduire un recours auprès du Gouvernement flamand dans les trente jours qui suivent la réception de la décision de la députation permanente ou à défaut de cette réception, l'expiration du délai dans lequel elle devait avoir lieu. Ce recours est envoyé, par lettre recommandée à la poste, au Gouvernement flamand qui en adresse copie au collège dans les cinq jours de la réception.
Le demandeur ou son conseil ainsi que le collège ou son délégué, sont, à leur demande, entendus par le Gouvernement flamand ou son délégué.
Lorsqu'une partie demande à être entendue, les autres parties sont invitées à comparaître.
La décision du Gouvernement flamand est notifiée aux parties dans les soixante jours de la date du dépôt à la poste de l'envoi recommandé contenant le recours. Lorsque les parties sont entendues, le délai est prolongé de quinze jours. A défaut, le demandeur peut, par lettre recommandée, adresser un rappel au Gouvernement flamand.
Si, à l'expiration d'un nouveau délai de trente jours prenant cours à la date du dépôt à la poste de l'envoi recommandé contenant rappel, le demandeur n'a pas reçu de décision, il peut sans autre formalité, passer à l'exécution des travaux ou accomplir les actes, en ce conformant aux indications du dossier qu'il a déposé, aux décrets et règlements, notamment aux prescriptions des plans d'aménagement approuvés, ainsi qu'aux dispositions du permis de lotir; lorsque le recours a été introduit par le collège ou le fonctionnaire délégué, le demandeur peut passer à l'exécution des travaux ou accomplir les actes en se conformant à la décision de la députation permanente. § 3. Les décisions de la députation permanente et du Gouvernement flamand sont motivées.
Le permis peut être refusé pour les motifs ou être assorti de conditions ou consentir les dérogations prévues aux articles 43, 44 et 49 ».
B.2. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité de l'alinéa 5 du paragraphe 2 de l'article 53 précité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
En ce qui concerne la première question préjudicielle B.3.1. La première question préjudicielle interroge la Cour sur le point de savoir s'il n'est pas discriminatoire, en matière d'urbanisme, que, d'une part, à l'issue d'une procédure administrative, les personnes intéressées par cette procédure ne puissent contester devant le Conseil d'Etat le résultat de celle-ci et que, d'autre part, le contrôle qui peut être exercé par les juridictions judiciaires quant aux travaux qui peuvent être exécutés en vertu de la disposition en cause n'équivaut pas à celui qui pourrait être exercé à l'égard d'un acte administratif.
B.3.2. Contrairement à ce que paraît suggérer la question préjudicielle, la disposition en cause ne prévoit pas l'octroi d'un permis tacite par l'administration, mais bien l'autorisation, par l'effet direct du décret, de passer à l'exécution des travaux. Le silence de l'administration ne reçoit donc pas, aux termes du décret, la signification d'un acte administratif tacite de refus ou d'acceptation de la demande de l'administré.
B.4. L'absence d'acte administratif, dans le système législatif considéré, rend impossible l'intervention du Conseil d'Etat, tant sur la base de l'article 14, § 1er, des lois coordonnées que sur celle de l'article 14, § 3, des mêmes lois.
Il y a toutefois lieu de constater que, en vertu de la disposition en cause, l'exécution des travaux par le demandeur de permis peut être contrôlée par le juge judiciaire quant à la conformité des travaux par rapport « aux indications du dossier qu'il a déposé, aux décrets et règlements, notamment aux prescriptions des plans d'aménagement approuvés, ainsi qu'aux dispositions [de l'éventuel] permis de lotir ».
B.5. En soi, la différence de traitement entre les justiciables selon que des recours peuvent être introduits devant les juridictions judiciaires ou devant le Conseil d'Etat n'est pas discriminatoire.
Elle ne le devient que lorsque les garanties offertes par l'une des voies de recours sont sensiblement inférieures à celles qu'offre l'autre.
B.6.1. La différence de traitement qui résulte de l'application de l'article 53, § 2, alinéa 5, du décret repose sur un critère objectif : l'absence d'acte administratif susceptible d'un recours au Conseil d'Etat.
B.6.2. Cette disposition reprend le contenu de l'article 55, § 2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, modifié par l'article 12 de la loi du 22 décembre 1970.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 mars 1962 (Doc. parl., Sénat, 1959-1960, n° 275, p. 67) ainsi que des travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1970 (Doc. parl., Sénat, 1969-1970, n° 525, pp. 69-70) que l'objectif poursuivi par le législateur en instituant une telle procédure était de ne pas pénaliser l'administré pour la passivité, voire l'incurie ou la mauvaise volonté, de l'administration.
B.6.3. Le moyen employé par le décret pour atteindre ce but est pertinent : la possibilité de passer à l'exécution des travaux moyennant l'accomplissement de certaines formalités préalables et l'écoulement d'un certain délai permet, en effet, au demandeur de permis d'obtenir satisfaction en cas de carence de l'administration.
B.6.4. Il reste toutefois à vérifier si le moyen employé par le décret pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur décrétal ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des tiers, malgré la possibilité qui existe pour eux de saisir le juge judiciaire.
B.7. En matière d'urbanisme, il est, de façon générale, essentiel, tant pour le demandeur du permis que pour les tiers intéressés, qu'ils ne soient pas privés du service qu'une administration spécialisée peut rendre en appréciant leur situation in concreto et que puisse être examinée par le juge la question de savoir si l'administration n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la demande est ou non conforme au bon aménagement des lieux ou en accordant une dérogation aux dispositions planologiques en vigueur.
Ce contrôle peut être exercé par le Conseil d'Etat lorsqu'une décision administrative a été prise ou est réputée, en cas de silence de l'administration, avoir été prise. En présence d'une telle décision administrative, le juge judiciaire pourrait, en vertu de l'article 159 de la Constitution, exercer un contrôle comparable.
Dans la situation créée par la disposition en cause, toutefois, le juge judiciaire n'est pas en présence d'une décision administrative dont il puisse exercer le contrôle. Par ailleurs, charger le juge judiciaire, dans de telles circonstances, de substituer son appréciation au pouvoir discrétionnaire d'appréciation de l'administration reviendrait à lui reconnaître une compétence incompatible avec les principes qui régissent les rapports entre l'administration et les juridictions.
B.8. Il en résulte une atteinte disproportionnée aux droits des tiers intéressés, ce qui discrimine cette catégorie de personnes par rapport à celles auxquelles un contrôle juridictionnel est garanti.
B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse positive.
B.10. L'examen de la première question préjudicielle ayant conduit à un constat de violation des articles 10 et 11 de la Constitution, il n'y a pas lieu de procéder à un examen des autres questions préjudicielles, qui ne pourrait conduire à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 53, § 2, alinéa 5, du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 mai 2006.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, A. Arts.