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Arrêt
publié le 04 juillet 2005

Extrait de l'arrêt n° 107/2005 du 22 juin 2005 Numéro du rôle : 3003 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession, introduit par P. R La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, du président A.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 107/2005 du 22 juin 2005 Numéro du rôle : 3003 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession, introduit par P. Renkin.

La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, du président A. Arts et des juges R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le juge P. Martens, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 mai 2004 et parvenue au greffe le 19 mai 2004, P. Renkin, demeurant à 1472 Genappe, Vieux Manands 12, a introduit un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession (publié au Moniteur belge du 19 novembre 2003). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions entreprises B.1.1. L'article 1er du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession (ci-après : décret du 22 octobre 2003) remplace, pour ce qui concerne la Région wallonne, les deux dernières colonnes du tableau II de l'article 48 du Code des droits de succession, modifiées par le décret du 14 novembre 2001 et par l'arrêté du Gouvernement wallon du 20 décembre 2001, par ce qui suit : « Entre toutes autres personnes : Pour la consultation du tableau, voir image B.1.2. L'article 2 du même décret remplace, pour ce qui concerne la Région wallonne, l'article 54, 1°, du Code des droits de succession, modifié par la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer, par le décret du 14 novembre 2001 et par l'arrêté du Gouvernement wallon du 20 décembre 2001, par la disposition suivante : « 1° ce qui est recueilli par un héritier en ligne directe appelé légalement à la succession, ou entre époux, ou entre cohabitants légaux visés à l'article 48 : - à concurrence de la première tranche de 12.500,00 EUR; - à concurrence de la deuxième tranche de 12.500,01 EUR à 25.000,00 EUR, lorsque la part nette recueillie par cet ayant droit n'excède pas 125.000,00 EUR. Le montant total exempté est augmenté, en faveur des enfants du défunt qui n'ont pas atteint l'âge de vingt et un ans, de 2.500,00 EUR pour chaque année entière restant à courir jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de vingt et un ans et, en faveur du conjoint ou du cohabitant légal survivant, de la moitié des abattements supplémentaires dont bénéficient ensemble les enfants communs.

Le montant total exempté, éventuellement augmenté, est imputé sur les tranches successives de la part nette soumise au droit de succession, en commençant par la plus basse; ».

B.1.3. Le décret du 22 octobre 2003 est entré en vigueur, en vertu de son article 3, au jour de sa publication au Moniteur belge , soit le 19 novembre 2003.

Quant à l'intérêt du requérant B.2. Les dispositions attaquées ont pour effet, en ce qui concerne la Région wallonne, d'une part, d'augmenter le pourcentage des tarifs applicables aux trois dernières tranches des droits de succession « Entre toutes autres personnes » (article 1er) et, d'autre part, d'octroyer une exemption supplémentaire des droits de succession dus par un héritier en ligne directe, entre époux ou entre cohabitants légaux, lorsque la part nette recueillie par l'ayant droit n'excède pas 125.000 euros (article 2).

B.3. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme entreprise.

B.4. A l'appui de son intérêt, le requérant invoque sa qualité de légataire universel, sans lien de parenté, d'alliance ou de cohabitation légale avec le défunt, d'une succession ouverte en Région wallonne après l'entrée en vigueur du décret entrepris, et dont le montant dépasse 175.000 euros.

B.5.1. Personnellement redevable des droits de succession dus sur les tranches les plus élevées du tarif applicable « Entre toutes autres personnes », le requérant peut être directement et défavorablement affecté par l'article 1er du décret du 22 octobre 2003.

En revanche, la seule qualité d'ayant droit soumis aux tranches les plus élevées du tarif applicable « Entre toutes autres personnes » ne permet pas au requérant de justifier d'un intérêt à agir contre l'article 2 du décret du 22 octobre 2003, qui accorde une exemption supplémentaire aux héritiers en ligne directe, époux ou cohabitants légaux, lorsque leur part nette recueillie dans la succession n'excède pas 125.000 euros.

B.5.2. Le recours, en tant qu'il est dirigé contre l'article 2 du décret du 22 octobre 2003, est par conséquent irrecevable pour défaut d'intérêt.

La Cour limitera dès lors son examen aux seuls moyens dirigés contre l'article 1er du décret entrepris.

Quant au fond B.6. L'examen de la conformité d'une disposition entreprise aux règles de compétence doit précéder l'examen de sa compatibilité avec les dispositions du titre II de la Constitution et avec les articles 170, 172 et 191 de celle-ci.

Quant aux règles répartitrices de compétences En ce qui concerne le cinquième moyen B.7. Le cinquième moyen est pris de la violation des principes fondamentaux de l'union économique et monétaire sur laquelle repose la structure de l'Etat belge, et plus particulièrement de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

En portant le taux des trois tranches supérieures du tarif « Entre toutes autres personnes » à, respectivement, 60, 80 et 90 p.c., l'article 1er du décret du 22 octobre 2003 serait susceptible de conduire à des distorsions de marché et à des entraves à la libre circulation des personnes, en incitant de nombreux résidents wallons à s'établir dans une autre région.

B.8.1. Il ressort de l'ensemble des textes qui découlent des révisions constitutionnelles de 1970, 1980 et 1988, et notamment des dispositions de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 - insérées par l'article 4, § 8, de la loi spéciale du 8 août 1988 -, que la structure de l'Etat belge repose sur une union économique et monétaire caractérisée par un marché intégré et l'unité de la monnaie.

Bien que l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 s'inscrive dans l'attribution de compétences aux régions en ce qui concerne l'économie, cette disposition traduit la volonté du législateur spécial de maintenir une réglementation de base uniforme de l'organisation de l'économie dans un marché intégré.

B.8.2. Si l'existence d'une union économique implique au premier chef la libre circulation des marchandises et des facteurs de production, elle implique également la libre circulation des personnes entre les composantes de l'Etat.

B.9.1. Le décret du 22 octobre 2003 se fonde sur l'article 4, § 1er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, remplacé par l'article 6 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des communautés et extension des compétences fiscales des régions, en vertu duquel les régions sont compétentes pour modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations des droits de succession, qui constituent, en vertu de l'article 3, alinéa 1er, 4°, de la même loi spéciale, un impôt régional.

B.9.2. Puisque le législateur spécial a explicitement autorisé les régions à modifier le taux d'imposition des droits de succession, il peut en résulter que le montant de ces droits soit différent d'une région à l'autre. Pareille différence n'implique pas d'office une violation de l'union économique et monétaire.

B.9.3. Le fait que l'augmentation d'un impôt puisse avoir pour conséquence qu'une modification se produise dans le comportement d'un contribuable est un effet secondaire possible de toute taxe ou de toute augmentation ou réduction fiscale.

On ne peut cependant considérer qu'une augmentation du taux des droits de succession « Entre toutes autres personnes », envisagée hors du contexte de la politique fiscale globale d'une région, entraînera nécessairement un effet de délocalisation de la base imposable, en violation du principe de l'union économique et de l'unité monétaire.

B.9.4. En outre, afin de limiter le risque de concurrence fiscale, l'article 5, § 2, 4°, de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989, remplacé par l'article 7, 2°, de la loi spéciale du 13 juillet 2001 précitée, définit comme critère de localisation des droits de succession des habitants du Royaume « l'endroit où le défunt avait son domicile fiscal au moment de son décès », et précise que « si le défunt a eu son domicile fiscal dans plus d'un endroit en Belgique au cours de la période de cinq ans précédant son décès », les droits de succession se localisent « à l'endroit de la Belgique où son domicile fiscal a été établi le plus longtemps pendant ladite période ».

B.9.5. Compte tenu de ces éléments, l'augmentation des taux applicables « Entre toutes autres personnes », prévue par l'article 1er du décret du 22 octobre 2003, ne viole pas le principe de l'union économique et de l'unité monétaire.

B.9.6. Le cinquième moyen ne peut être accueilli.

En ce qui concerne le troisième moyen B.10. Le troisième moyen est pris de la violation des règles répartitrices de compétences, plus particulièrement de l'article 39 de la Constitution et des articles 1er, 6, 7, 8 et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

Le taux marginal de 90 p.c. constituerait une mesure équipollente à la création d'une « réserve héréditaire » au profit de la Région wallonne, qui s'attribuerait une quotité du patrimoine à ce point disproportionnée qu'on devrait considérer qu'elle s'attribue de facto la qualité d'héritier réservataire, alors qu'aucune disposition n'habilite les régions à modifier les règles légales relatives aux réserves héréditaires.

B.11.1. La réserve héréditaire est une institution qui protège, de manière légale et impérative, certains héritiers désignés par la loi en leur attribuant une part minimale de la succession ab intestat. Les héritiers réservataires sont ainsi protégés contre les actes à titre gratuit - libéralités et legs - du de cujus, mais restent tenus des dettes successorales, comme tout héritier. La notion de réserve traduit ainsi un devoir impératif de solidarité à charge du défunt à l'égard de certains membres de sa famille proche.

B.11.2. Les droits de succession sont un impôt qui naît au décès d'un habitant du Royaume et qui est levé sur la valeur de l'universalité des biens transmis par héritage, déduction faite des dettes. En tant qu'impôt, les droits de succession impliquent une conception politique déterminée de transmission d'un patrimoine, et, dans l'état actuel de la législation, sont fixés en fonction du lien affectif que permet de présumer le lien de parenté, d'alliance ou de cohabitation légale avec le défunt.

B.11.3. Il résulte des différences intrinsèques entre ces deux institutions, qui poursuivent des objectifs distincts et ne peuvent donc être confondues, que les droits de succession, même si leur montant est élevé, ne peuvent aucunement être assimilés à des réserves héréditaires au profit du législateur qui en détermine le taux. Par conséquent, l'augmentation des taux applicables « Entre toutes autres personnes », prévue par l'article 1er du décret du 22 octobre 2003, ne viole pas les règles répartitrices de compétences invoquées au moyen.

B.11.4. Le troisième moyen ne peut être accueilli.

Quant au principe d'égalité et de non-discrimination En ce qui concerne le premier moyen B.12.1. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Compte tenu des B.5.1 et B.5.2, la Cour limitera son examen à la première branche du moyen.

B.12.2. En portant le taux du tarif des droits de succession applicable « Entre toutes autres personnes » de 50 à 60 p.c. pour la tranche de 25.000,01 à 75.000 euros, de 65 à 80 p.c. pour la tranche de 75.000,01 à 175.000 euros et de 80 à 90 p.c. pour la tranche supérieure à 175.000 euros, l'article 1er du décret entrepris aggraverait la pression fiscale atteignant l'ayant droit sans lien de parenté ou de cohabitation légale avec le défunt à tel point qu'elle ne respecterait plus le principe de la capacité contributive du contribuable, ce qui créerait une discrimination entre les ayants droit recueillant un émolument net supérieur à 25.000 euros.

B.13.1. Il appartient au législateur fiscal compétent de fixer les tarifs d'imposition applicables aux différentes catégories qu'il détermine et d'en établir les modalités. Un tarif différent pour les divers groupes d'héritiers, en fonction de leur parenté, alliance, ou situation de cohabitation avec le défunt, repose sur un critère objectif et pertinent. Il n'est pas manifestement déraisonnable d'établir un tarif différent pour les quatre catégories de personnes précitées en tenant compte du lien affectif que permet de présumer le degré de parenté entre le défunt et ses héritiers.

B.13.2. Le décret du 22 octobre 2003 vise à « octroyer un régime préférentiel aux petites et moyennes successions » (Doc. parl., Parlement wallon, 2002-2003, DOC 520/1, p. 2), « où les enfants se partagent l'actif laissé par un de leurs parents et où le conjoint ou le cohabitant survivant vient également à la succession » (ibid., p. 3), en ajoutant, à l'exemption existante, une exemption des droits de succession sur la tranche de 12.500,01 euros à 25.000 euros pour les ayants droit dont la part nette ne dépasse pas 125.000 euros.

L'article 1er du décret du 22 octobre 2003 a pour but de « compenser cette exemption par une augmentation des taux applicables aux successions relatives ' Entre toutes autres personnes ' » (ibid., p. 2). Il a été observé, au cours des travaux préparatoires, que cette augmentation des taux ne s'appliquait qu'aux tranches nettes par héritier supérieures à 25.000 euros (ibid., p. 2).

B.13.3. Sans qu'il soit nécessaire d'établir une adéquation parfaite entre les montants respectifs - par essence fluctuants - de l'exemption supplémentaire et de l'augmentation des trois tranches supérieures du tarif « Entre toutes autres personnes », le législateur décrétal a pu, du moins en théorie, raisonnablement considérer que cette nouvelle recette fiscale pourrait compenser le coût fiscal de l'exemption complémentaire.

Le législateur décrétal a donc pu décider de favoriser certaines petites et moyennes successions et d'instaurer, dans un objectif de neutralité budgétaire, une augmentation des taux applicables à la seule catégorie « Entre toutes autres personnes ».

B.13.4. Au regard de ces objectifs, la modification des tarifs applicables « Entre toutes autres personnes » est pertinente.

Même s'ils sont très élevés - et sous réserve du taux de 90 p.c. pour la tranche supérieure à 175.000 euros, qui fait l'objet du deuxième moyen -, les droits de succession dus par les légataires ne possédant aucun lien de parenté ou d'alliance et ne cohabitant pas avec le défunt ne sont pas disproportionnés puisque ces héritiers ne faisaient pas partie de la famille du défunt et peuvent être présumés ne pas avoir de lien suffisant avec le patrimoine familial qu'il transmet à son décès.

B.13.5. Le premier moyen ne peut être accueilli.

En ce qui concerne le deuxième moyen B.14. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus conjointement avec son article 16 et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Un taux d'imposition de 90 p.c. pour la tranche supérieure à 175.000 euros serait manifestement confiscatoire et priverait donc sans indemnité, en violation du principe d'égalité et de non-discrimination, une catégorie de contribuables de leur droit de propriété, sans que cette privation soit raisonnablement justifiée. Ce taux de 90 p.c., qui serait le plus élevé en Europe, aboutirait dans les faits à une confiscation pure et simple, car la combinaison d'un seuil bas (175.000 euros) et d'un taux exorbitant (90 p.c.) créerait le risque réel d'appauvrissement du patrimoine personnel de l'ayant droit. Celui-ci courrait le risque de devoir débourser au-delà de 100 p.c. de l'émolument dont il a hérité lorsque l'actif successoral se compose de biens qui ne sont pas immédiatement liquides et réalisables et dont la valeur peut fluctuer de manière importante et rapide, ce qui serait de nature à le faire hésiter quant à l'acceptation de la succession.

B.15.1. La fixation de taux élevés en matière de droits de succession est de nature à affecter le droit du testateur de disposer de son bien que lui reconnaît l'article 544 du Code civil. Elle peut rendre impossible le legs à une personne à revenus modestes d'un immeuble ou d'un bien indivisible puisque cette personne devra nécessairement s'en défaire pour acquitter les droits de succession avec le risque de ne pouvoir le vendre à un prix suffisant dans le délai légal de paiement des droits de succession.

B.15.2. L'obligation pour le légataire de s'acquitter de droits élevés est également de nature à porter atteinte au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon cette disposition, la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

Même si le législateur fiscal dispose d'une ample marge d'appréciation, une imposition peut revêtir un caractère disproportionné portant une atteinte injustifiée au respect des biens si elle rompt le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens (C.E.D.H., Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995; s.a. Dangeville c. France, 16 avril 2002 et s.a. Cabinet Diot et s.a.

Gras Savoye c. France, 16 avril 2002; Buffalo SRL en liquidation c.

Italie, 3 juillet 2003). Par ailleurs, il est également admis que les droits perçus à l'égard de biens immobiliers hérités peuvent porter atteinte aux droits garantis par l'article 1er du Premier Protocole additionnel précité (Jokela c. Finlande, 21 mai 2002).

B.15.3. Si, pour les motifs exprimés en B.12 et B.13, le législateur décrétal a pu raisonnablement accroître la progressivité de l'impôt pour favoriser les petites et moyennes successions tout en respectant l'objectif budgétaire qu'il s'était fixé, il convient d'examiner si un taux de 90 p.c., applicable pour la tranche supérieure à 175.000 euros, n'est pas de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit d'une catégorie de personnes au respect de leurs biens.

B.15.4. Il peut se concevoir que, accessoirement à l'objectif fiscal qu'il poursuit, le législateur s'efforce d'influencer dans certaines matières le comportement des contribuables, ce qui peut justifier un taux particulièrement élevé d'imposition. Il en est ainsi, par exemple, de taxes qui veulent dissuader le consommateur d'utiliser des produits jetables ou préjudiciables à l'environnement (voir en ce sens les arrêts nos 11/94, 3/95, 4/95, 5/95, 6/95, 7/95, 8/95, 9/95, 10/95, 30/99, 195/2004 en matière d'écotaxes), qui visent à pénaliser des comportements illicites (voir les arrêts nos 44/2000, 28/2003 et 72/2004 en matière de commissions secrètes) ou qui tendent à freiner des activités tolérées mais nuisibles (voir l'arrêt n° 100/2001 en matière de jeux et paris).

B.15.5. En l'espèce, il n'apparaît pas que le législateur décrétal ait considéré que le voeu d'un testateur de gratifier des personnes qui lui sont chères mais qui n'ont pas de lien suffisant de parenté ou d'alliance avec lui constitue un comportement illégitime. Si, dans la matière des droits de succession, il peut être admis que le législateur favorise, par des taux avantageux, des parents ayant un lien d'affection présumée avec le défunt (voir en ce sens les arrêts nos 128/98, 82/99 et 66/2004), il ne s'ensuit pas qu'il ne devrait avoir aucun égard aux liens d'affection dont une disposition testamentaire établit la réalité.

B.15.6. En l'espèce, le législateur décrétal a porté une atteinte disproportionnée à la fois au droit du testateur de disposer de ses biens et aux espérances légitimes qu'a le légataire de les recueillir, en fixant un taux qui est sans commune mesure avec les droits fiscaux exigés pour d'autres formes de transferts de propriété et avec ceux qui frappent d'autres catégories d'héritiers.

S'il relève des choix politiques du législateur fiscal d'appliquer des taux différents aux différents impôts et de taxer différemment les catégories d'héritiers, il est manifestement disproportionné d'appliquer, en matière de droits de succession, un taux dont aucun objectif propre à la catégorie de contribuables visée ne justifie qu'il soit aussi élevé, en n'ayant égard qu'à l'objectif budgétaire poursuivi.

B.15.7. En ce qu'il porte au-delà de 80 p.c. le taux applicable à la tranche supérieure à 175.000 euros, l'article 1er du décret attaqué n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution et doit être annulé dans cette mesure.

En ce qui concerne le quatrième moyen B.16. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Selon le requérant, alors que le décret wallon du 27 mai 2004 « rendant applicables aux impôts régionaux les conséquences de la loi du 31 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/12/2003 pub. 06/01/2004 numac 2003003587 source service public federal finances Loi instaurant une déclaration libératoire unique fermer instaurant une déclaration libératoire unique » (ci-après : décret du 27 mai 2004) s'applique aux successions ouvertes avant le 1er janvier 2003, l'article 1er du décret entrepris créerait une discrimination entre les contribuables atteints par l'augmentation des taux des droits de succession « Entre toutes autres personnes » et la même catégorie d'ayants droit pouvant bénéficier, en vertu du décret du 27 mai 2004, d'un allégement considérable de la charge fiscale, pour des avoirs frauduleusement soustraits aux droits de succession. Le législateur décrétal n'aurait ainsi pas respecté une cohérence minimale entre des textes votés sur un même objet, à un court intervalle de temps et alors qu'aucune modification socio-économique ne s'est produite dans cette matière et dans cet intervalle.

B.17.1. La loi du 31 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/12/2003 pub. 06/01/2004 numac 2003003587 source service public federal finances Loi instaurant une déclaration libératoire unique fermer a instauré un système de déclaration libératoire unique permettant à des personnes physiques qui ont bénéficié de sommes, capitaux ou valeurs mobilières qui n'ont pas été repris dans une comptabilité ou une déclaration obligatoires en Belgique, jusqu'au 31 décembre 2004, de déclarer ces sommes, capitaux ou valeurs mobilières. Après le paiement d'une contribution de 6 p.c. ou de 9 p.c., selon que les avoirs font ou non l'objet d'un investissement, les sommes, capitaux ou valeurs mobilières déclarés sont réputés de manière irréfragable avoir fait définitivement l'objet de tous impôts. Les travaux préparatoires de cette loi font apparaître que celle-ci visait exclusivement la régularisation des impôts fédéraux (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0353/001, p. 4, et DOC 51-0353/005, p. 119). La Région wallonne a toutefois conclu avec l'Etat fédéral un accord de coopération par lequel elle s'est engagée à prendre « les mesures législatives nécessaires afin d'étendre le caractère libératoire de la déclaration unique aux impôts régionaux dès le 1er janvier 2004 » (Moniteur belge , 25 juin 2004, deuxième édition).

Ainsi, « dans le but de mettre en place un système de déclaration libératoire unique cohérent applicable à tous les impôts, tant fédéraux que régionaux, et pour harmoniser leurs initiatives législatives en la matière, l'autorité fédérale et les Régions ont conclu des accords de coopération bilatéraux relatifs à la mise en place d'un système de déclaration libératoire unique, sur la base de l'article 92bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles » (Doc. parl., Parlement wallon, 2003-2004, DOC 701/1, p. 2).

Afin de mettre en oeuvre cet accord de coopération, le décret du 27 mai 2004 « vise dès lors à étendre cet effet libératoire à l'ensemble des impôts régionaux ressortissant [à] la compétence de la Région wallonne » (ibid., p. 3), par « un décret régional autonome » (ibid., p. 3). B.17.2. L'article 4, § 1er, du décret du 27 mai 2004 dispose : « Pour ce qui concerne les droits de succession pour lesquels la Région wallonne est compétente en vertu de l'article 3, 4°, de l'article 4, § 1er, et de l'article 5, § 2, 4°, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, par dérogation aux articles 1er à 3, la déclaration prévue à l'article 1er est sans effet en ce qui concerne les droits de succession dus sur les sommes, capitaux ou valeurs mobilières qui font partie de la succession d'un habitant du Royaume ou qui sont censés en faire partie, dans les cas suivants : 1° la succession est ouverte après le 31 décembre 2002;2° la succession, ouverte avant le 1er janvier 2003, n'a pas fait l'objet d'une déclaration de succession introduite avant le 1er juin 2003 ou dans le délai sur lequel l'administration a marqué son accord par écrit avant cette date ». Cette disposition « tend à exclure, en matière de droits de succession, que les héritiers d'un habitant du Royaume puissent opter, du fait de l'entrée en vigueur de cette loi, pour une déclaration libératoire unique au lieu d'une déclaration de succession complète » (Doc. parl., Parlement wallon, 2003-2004, DOC 701/1, p. 4).

B.17.3. En vertu de l'article 4, § 1er, du décret du 27 mai 2004, une succession ouverte après le 31 décembre 2002 ne peut donc bénéficier des effets de la déclaration libératoire unique.

En vertu de son article 3, le décret du 22 octobre 2003 est entré en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge , soit le 19 novembre 2003.

B.17.4. La date d'ouverture d'une succession constitue un critère pertinent pour déterminer le champ d'application temporel de législations en matière de droits de succession.

Si les objectifs poursuivis par les décrets du 22 octobre 2003 et du 27 mai 2004 - rappelés respectivement en B.13.2 et B.17.1 - sont différents, ils ne sont cependant pas inconciliables, puisqu'une même succession ne peut être soumise concomitamment à ces deux décrets.

B.17.5. Ne sont dès lors pas comparables la situation dans laquelle se trouve le requérant soumis au décret entrepris et celle qui résulte de l'application du décret du 27 mai 2004 précité.

B.17.6. Le quatrième moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs, la Cour annule l'article 1er du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession en ce qu'il porte au-delà de 80 p.c. le taux des droits de succession.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 juin 2005.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président f.f., P. Martens.

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