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Arrêt
publié le 12 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 141/2004 du 22 juillet 2004 Numéro du rôle : 2993 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 111 à 120 du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Termonde. La Cou composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe(...)

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12/10/2004
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 141/2004 du 22 juillet 2004 Numéro du rôle : 2993 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 111 à 120 du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Termonde.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 29 avril 2004 en cause de E. Schaut et autres contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 7 mai 2004, le Tribunal de première instance de Termonde a posé la question préjudicielle suivante : "Les articles 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119 et 120 du Code des droits de succession violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution belge en ce qu'ils violent l'égalité entre les justiciables dans la mesure où l'application des articles 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119 et 120 précités du Code des droits de succession implique qu'un juge, contrairement à ce qui serait le cas dans l'hypothèse d'une expertise telle qu'elle est réglée par le Code judiciaire, ne peut exercer aucun contrôle quant à la valeur déterminée par le ou les experts dans le cadre de la procédure visée aux articles 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119 et 120 du Code des droits de succession ?" Le 19 mai 2004, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs E. Derycke et R. Henneuse ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) IV. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution des articles 111 à 120 du Code des droits de succession, en ce que leur application "implique qu'un juge, contrairement à ce qui serait le cas dans l'hypothèse d'une expertise telle qu'elle est réglée par le Code judiciaire, ne peut exercer aucun contrôle quant à la valeur déterminée par le ou les experts dans le cadre de la procédure visée aux [dispositions précitées] du Code des droits de succession".

La question invite à comparer la situation des contribuables dont les biens successoraux sont soumis à une expertise de contrôle en matière de droits de succession et celle des personnes qui sont concernées par une expertise dans le cadre d'une procédure de droit commun. Sous ce rapport, les catégories de personnes visées sont comparables, en particulier en ce qui concerne le pouvoir d'appréciation du juge à l'égard de l'expertise.

B.2.1. L'article 19, alinéa 1er, du Code des droits de succession, qui figure dans le livre premier (droits de succession et de mutation par décès), chapitre III (évaluation de l'actif imposable), section Ière (règles générales), dispose : "La valeur imposable des biens composant l'actif de la succession d'un habitant du royaume et des immeubles assujettis au droit de mutation par décès est la valeur vénale du jour du décès, à estimer par les déclarants." B.2.2. Les dispositions en cause font partie du livre premier (droits de succession et de mutation par décès), chapitre XII (moyens de preuve), section III (expertise de contrôle), du Code des droits de succession.

L'article 111 du Code des droits de succession confère au receveur des droits de succession la faculté de requérir le cas échéant - indépendamment des autres modes de preuve visés à l'article 105 de ce Code - une expertise de contrôle "en vue d'établir l'insuffisance d'évaluation de tout ou partie des biens successoraux [...] qui sont déclarés pour leur valeur vénale". Les articles 112 à 120 règlent un certain nombre de modalités de cette expertise de contrôle.

B.2.3. Le rôle du juge dans le régime de l'expertise de contrôle en matière de droits de succession et de mutation par décès se limite à désigner un ou trois experts, à défaut d'un accord entre les parties sur ce point (article 114), à statuer sur les éventuelles demandes de récusation de l'expert ou des experts ainsi désignés (article 116) et à se prononcer sur les demandes de nullité de l'expertise "pour contravention à la loi, pour erreur matérielle ou pour violation des formes substantielles". Si la nullité est prononcée pour l'un de ces motifs, le tribunal ordonne une nouvelle expertise (article 120).

Le ou les experts entendent les parties dans leurs dires et observations et tout document communiqué aux experts par l'une des parties doit en même temps être envoyé à la partie adverse (article 117). Les experts énoncent leur avis "de manière raisonnée et avec justification à l'appui, sans aucune restriction ni réserve" (article 118, alinéa 2). Le juge ne peut pas se prononcer sur l'évaluation du ou des experts. Hormis les causes de nullité de l'expertise énumérées dans la loi, le travail du ou des experts ne peut être contesté et leur décision n'est susceptible d'aucun recours (article 120).

B.3. Dans le régime de droit commun du Code judiciaire (articles 962 et suivants), une partie peut faire trancher par le juge la question de l'opportunité de l'expertise.

Le Code judiciaire règle la récusation et le remplacement des experts (articles 966 à 970 et 977) et le caractère contradictoire des opérations (articles 972 et s.). A l'issue de celles-ci, les experts donnent connaissance de leurs constatations aux parties et actent leurs observations (article 978).

L'article 973 dispose expressément que les experts procèdent à leur mission "sous le contrôle du juge". Si le juge ne trouve pas dans le rapport les éclaircissements suffisants, il peut ordonner soit un complément d'expertise, soit une nouvelle expertise (article 987).

L'article 986 du Code judiciaire dispose : "Les juges ne sont point astreints à suivre l'avis des experts si leur conviction s'y oppose." B.4.1. L'expertise de contrôle vise à évaluer correctement l'actif imposable en matière de droits de succession et de mutation par décès.

La circonstance qu'il soit dérogé, à cette occasion, aux dispositions du Code judiciaire en matière d'expertise ne constitue pas en soi une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.

B.4.2. L'expertise de contrôle ne vise pas seulement à combattre la fraude fiscale (" en vue d'établir l'insuffisance d'évaluation de tout ou partie des biens successoraux [...] qui sont déclarés pour leur valeur vénale " - article 111), mais aussi à garantir, dans les cas où la valeur vénale estimée par les déclarants le jour du décès semblerait insuffisante, que l'estimation de la valeur vénale des biens soumis aux droits de succession et de mutation par décès serve de base conformément à l'article 19 cité plus haut.

Compte tenu de cet objectif et de la nature de l'actif imposable - qui ne peut être déterminé préalablement -, il est raisonnablement justifié que l'administration fiscale, outre les moyens de preuve de droit commun dont elle dispose, puisse requérir une expertise de contrôle en vue d'établir l'insuffisance de la valeur déclarée, et demander à cette fin la désignation, par le juge, d'un ou de trois experts.

Il n'est pas manifestement déraisonnable que l'opportunité de la demande d'expertise de contrôle ne soit pas soumise à l'appréciation du juge, contrairement à la règle générale dans le cas d'une demande d'expertise en droit commun.

Il s'ensuit que les articles 111 à 118 du Code des droits de succession, en eux-mêmes et indépendamment de l'autorité conférée, dans les articles suivants, à l'intervention du ou des experts, ne sont pas incompatibles avec le principe d'égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.1. L'expertise de contrôle est déterminante pour le paiement ou non, non seulement d'un droit supplémentaire, d'intérêts moratoires et, le cas échéant, des frais de procédure (article 121), mais en outre, lorsque l'insuffisance constatée atteint ou dépasse le huitième "du total des évaluations des biens contrôlés, telles qu'elles sont énoncées dans la déclaration ", d'une amende égale aux droits supplémentaires (article 127, alinéa 1er).

B.5.2. Il ressort des articles 119 et 120 que les constatations du ou des experts ne peuvent pas être contestées et que le juge ne peut revoir la valeur déterminée par les experts. Il peut seulement ordonner une nouvelle expertise s'il constate une contravention à la loi, une erreur matérielle ou une violation des formes substantielles.

B.5.3. En conséquence, les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés par lesdits articles 119 et 120 en ce que, contrairement au cas de l'expertise réglée par le Code judiciaire, le juge ne peut exercer aucun contrôle de la valeur déterminée par les experts dans la procédure visée par les articles 111 à 120 du Code des droits de succession.

Le fait que l'expertise de contrôle vise à préserver les intérêts du Trésor ne constitue pas une justification suffisante pour prévoir un tel traitement dérogatoire au droit commun : ces intérêts ne doivent pas peser sur les citoyens de manière discriminatoire.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 111 à 118 du Code des droits de succession ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - Les articles 119 et 120 du Code des droits de succession violent les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 juillet 2004.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Arts

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