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Arrêt
publié le 05 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 147/2004 du 15 septembre 2004 Numéros du rôle : 2768 et 2769 En cause : les recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz, et plus particul La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 147/2004 du 15 septembre 2004 Numéros du rôle : 2768 et 2769 En cause : les recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz, et plus particulièrement de ses articles 10, § 3, 51, 52 et 74, introduits par la s.a. Electrabel et par Interest.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot et L. Lavrysen, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 6 et 7 août 2003 et parvenues au greffe les 7 et 8 août 2003, la s.a. Electrabel, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, boulevard du Régent 6, et la Société intercommunale d'électricité et de gaz des Régions de l'Est, en abrégé : Interest, dont le siège social est établi à 4700 Eupen, rue de Verviers 64-68, ont introduit un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz, et plus particulièrement de ses articles 10, § 3, 51, 52 et 74 (publié au Moniteur belge du 11 février 2003).

Ces affaires, inscrites sous les numéros 2768 et 2769 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant à l'emploi de la langue allemande par la requérante Interest (affaire n° 2769) B.1.1. La requérante dans l'affaire n° 2769, qui a introduit sa requête en langue allemande, est une société intercommunale dont le siège social est établi à Eupen, soit en région de langue allemande, et dont l'activité s'étend à des communes de cette région, ainsi qu'à des communes de la région de langue française.

En vertu de l'article 62, alinéa 2, 6°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, elle doit utiliser devant la Cour la langue qui est déterminée par les lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966.

B.1.2. L'article 36, § 2, des lois coordonnées précitées, qui vise le cas de la requérante, dispose : « S'il y a lieu, le Roi détermine, en s'inspirant des principes qui régissent le § 1er, le régime linguistique applicable aux services régionaux dont l'activité s'étend à des communes de plusieurs régions linguistiques, autres que Bruxelles-Capitale, et dont le siège est établi dans une commune malmédienne ou dans la région de langue allemande. » B.1.3. En l'absence d'exécution de cette disposition par le Roi, aucune disposition normative n'impose aux services visés l'utilisation d'une langue déterminée. Il ne peut dès lors être fait grief à la requérante d'avoir utilisé, dans les actes et déclarations qu'elle adresse à la Cour, la langue qui est celle de la région dans laquelle est établi son siège.

Il en est d'autant plus ainsi que l'article 36, § 1er, des lois coordonnées, qui ne s'applique pas à la requérante, mais dont celle-ci a pu s'inspirer en l'absence d'exécution par le Roi du paragraphe 2 du même article, désigne, pour les affaires qui ne sont ni localisées, ni localisables dans une région linguistique, la langue de la région dans laquelle le service a son siège. Or, contrairement à ce que soutient le Gouvernement wallon, le recours ne concerne pas une affaire localisée ou localisable en région de langue française, puisque les dispositions attaquées sont susceptibles d'être appliquées dans les deux régions linguistiques. Il est, à cet égard, indifférent que les litiges actuellement en cours concernent uniquement des communes situées en région de langue française.

B.1.4. L'exception tirée de la nullité de la requête dans l'affaire n° 2769 pour violation de l'article 62 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 soulevée par le Gouvernement wallon est rejetée.

Quant aux dispositions en cause B.2.1. L'article 10, § 3, du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz dispose : « Dans l'hypothèse où le gestionnaire de réseau est proposé par une commune propriétaire d'une partie du réseau sur son territoire ou par une commune enclavée, le Gouvernement peut autoriser la commune à procéder à ses frais à l'expropriation pour cause d'utilité publique du réseau de distribution situé sur son territoire et nécessaire à la réalisation de la mission du gestionnaire de réseau de distribution proposé par celle-ci.

La commune enclavée est la commune dont le réseau de distribution situé sur son territoire est géré par un autre gestionnaire que le gestionnaire du réseau de toutes les communes limitrophes.

La procédure d'extrême urgence instaurée par la loi du 26 juillet 1962Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1962 pub. 26/02/2010 numac 2010000080 source service public federal interieur Loi relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux expropriations pour cause d'utilité publique et aux concessions en vue de la construction d'autoroutes est applicable aux expropriations visées au paragraphe 3, alinéa 1er.

Par dérogation à l'article 9 du décret du 5 décembre 1996 relatif aux intercommunales wallonnes, une commune associée à une intercommunale assurant la gestion du réseau de distribution peut, outre les cas visés à l'article 9 susmentionné, se retirer avant le terme de l'intercommunale lorsqu'elle remplit les conditions visées au paragraphe 3, alinéa 1er. Dans cette hypothèse, nonobstant toute disposition statutaire, aucun vote n'est requis. La commune est tenue de réparer le dommage, évalué à dire d'experts, que son retrait cause aux autres associés. » B.2.2. L'article 51 du même décret supprime le mot « candidat » à l'article 3 du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité, qui était rédigé comme suit : « Tout candidat gestionnaire de réseau est propriétaire ou titulaire d'un droit lui garantissant la jouissance des infrastructures et équipements du réseau pour lequel il postule la gestion. » B.2.3. L'article 52 du même décret complète l'article 10 du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité par un paragraphe 3 qui est rédigé en des termes identiques à ceux du paragraphe 3 de l'article 10 du décret du 19 décembre 2002, cité en B.2.1.

B.2.4. L'article 74 du même décret dispose que le chapitre XIV du décret, dans lequel se trouvent les articles 51 et 52 attaqués, produit ses effets à partir du 1er janvier 2003.

B.2.5. Le décret attaqué du 19 décembre 2002 a pour objet principal de transposer dans le champ des compétences régionales la Directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, qui a pour objectif d'établir un marché intérieur du gaz naturel concurrentiel. L'exposé des motifs indique que « tout comme pour l'électricité, le Gouvernement entend inscrire la libéralisation du marché du gaz dans un schéma de développement durable », et que « les règles d'organisation du marché du gaz sont donc élaborées dans une triple préoccupation », à savoir, « tenir compte des enjeux économiques, assurer la protection de l'environnement, et garantir les aspects sociaux de la fourniture de gaz ». Pour atteindre ces objectifs, la Région wallonne dispose de moyens d'action, parmi lesquels se trouve « la désignation du ou des gestionnaires de réseaux de distribution ». (Doc., Parlement wallon, 2001-2002, n° 398/1, p. 7.) Le décret « gaz » du 19 décembre 2002 est, en grande partie, fondé sur des principes identiques à ceux qui inspirent le décret « électricité » du 12 avril 2001. Les deux décrets imposent de la même manière la séparation des métiers de gestion des réseaux d'une part, et de fourniture aux clients d'autre part, et prévoient une procédure similaire de désignation des gestionnaires de réseaux de distribution.

Quant à l'intérêt des requérantes B.3.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme entreprise.

B.3.2. En tant que propriétaires ou copropriétaires - via l'association au sein d'intercommunales - d'une partie des réseaux de distribution d'électricité et de gaz, ou titulaires d'un droit d'usage de ces réseaux, les requérantes sont susceptibles d'être directement et défavorablement affectées par des dispositions qui créent la possibilité, pour les communes, de procéder à des expropriations portant sur des portions de ces réseaux. Les requérantes justifient donc de l'intérêt requis pour poursuivre l'annulation des articles 10, § 3, et 52 du décret attaqué. Contrairement à ce que soutient l'intervenante A.L.E., le préjudice qui pourrait être subi par les propriétaires des réseaux, ensuite de l'expropriation, est directement causé par les dispositions décrétales attaquées, qui créent la possibilité d'expropriation.

B.3.3. Les requérantes sont, soit directement (pour l'intercommunale Interest), soit indirectement (via sa participation à plusieurs intercommunales pour la s.a. Electrabel), potentiellement candidates à la désignation en tant que gestionnaire d'une partie des réseaux de distribution du gaz et de l'électricité. Elles sont donc susceptibles d'être directement et défavorablement affectées par les dispositions des articles 51 et 74 du décret, qui concernent la procédure de désignation des gestionnaires de réseau. Cette procédure étant établie pour une durée indéterminée, le fait que les requérantes n'aient pas été candidates lors des récentes désignations par les communes impliquées dans les litiges en cours, parce qu'elles ne remplissaient pas les conditions alors posées par le décret, n'exclut pas qu'elles aient, pour l'avenir, un intérêt à obtenir l'annulation des dispositions précitées.

B.3.4. Enfin, la question de savoir si les dispositions attaquées ont pour objet ou pour effet d'intervenir dans la procédure de désignation des gestionnaires de réseau en cours, ou dans les litiges pendants liés à cette procédure, est liée à l'interprétation qui doit leur être donnée et sur laquelle les parties divergent. Elle se confond avec le fond et doit être examinée avec celui-ci.

B.3.5. Les exceptions sont rejetées.

Quant au premier moyen B.4.1. Pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec les articles 86 et suivants du Traité instituant la Communauté européenne, le premier moyen fait grief aux articles 10, § 3, et 52 du décret attaqué d'être contraires aux règles relatives à la concurrence en permettant à la commune expropriante de favoriser le candidat gestionnaire de réseau de son choix.

B.4.2. L'article 16 de la Constitution concerne le droit à la propriété et est étranger aux règles relatives à la libre concurrence.

Le grief énoncé dans le premier moyen et l'argumentation qui y est développée ne peuvent être mis en relation avec l'article 16. En ce qu'il est pris de la violation de cette disposition, le moyen n'est pas fondé.

B.4.3. Les articles 86 et suivants du Traité instituant la Communauté européenne expriment des règles relatives à la concurrence et aux aides d'Etat. Les parties requérantes n'avancent aucun argument démontrant que les dispositions qu'elles attaquent constitueraient une aide d'Etat prohibée par le droit communautaire.

La Cour examine le moyen uniquement en tant qu'il dénonce une violation discriminatoire des règles relatives à la libre concurrence.

B.4.4. En prévoyant que les communes qui sont, soit propriétaires d'une partie du réseau de distribution de gaz (article 10, § 3) ou d'électricité (article 52) qui alimente leur territoire, soit « enclavées », c'est-à-dire dont le réseau est géré par une personne morale qui n'est gestionnaire du réseau d'aucune des communes limitrophes, pourront procéder à une expropriation de ce réseau ou de cette partie de réseau, le législateur décrétal wallon a entendu « garantir l'autonomie de décision » des communes concernées, « dans la mesure où tout autre propriétaire refuse de négocier le transfert de propriété aux fins de permettre au candidat gestionnaire de réseau proposé par la commune d'obtenir le droit d'usage du réseau » (Doc., Parlement wallon, 2002-2003, nos 398/13 et 398/15).

B.4.5. Les décrets « électricité » du 12 avril 2001 et « gaz » du 19 décembre 2002 s'inscrivent, ainsi qu'il est dit en B.2.5, dans le contexte de l'ouverture des marchés de l'énergie à la concurrence.

Cette libéralisation des marchés suppose que l'activité de gestion des réseaux de distribution soit exercée par un gestionnaire qui aura été désigné dans un contexte concurrentiel, et donc que plusieurs candidats gestionnaires puissent se présenter.

Par ailleurs, le gestionnaire de réseau désigné, pour être à même de remplir sa mission, devra être soit propriétaire du réseau, soit titulaire d'un droit d'usage de celui-ci. Toute désignation d'un nouveau gestionnaire, différent de celui qui exerçait jusqu'alors la mission, doit donc nécessairement s'accompagner d'un transfert de la propriété ou, à tout le moins, du droit d'usage du réseau. A défaut de ce transfert, la désignation ne peut se faire dans un cadre concurrentiel ouvert, puisque l'ancien gestionnaire serait seul en mesure d'être candidat gestionnaire de réseau.

B.4.6. Dès lors, en permettant aux communes d'exproprier les parts de réseau qui devront être mises à disposition du gestionnaire de réseau qu'elles proposeront à la désignation par le Gouvernement wallon, le législateur a, non pas violé les règles relatives à la concurrence, mais au contraire, créé les conditions de leur application correcte dans la procédure de désignation des gestionnaires.

B.4.7. Par ailleurs, le respect par les communes, lors du choix du candidat gestionnaire de réseau qui sera proposé à l'autorité compétente, des règles relatives à la non-discrimination et à la concurrence, peut faire l'objet d'un contrôle par le Conseil d'Etat.

B.4.8. Le moyen n'est pas fondé.

Quant au deuxième moyen B.5.1. Pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, le deuxième moyen fait grief aux articles 10, § 3, et 52 du décret attaqué de créer une possibilité d'expropriation qui ne sert pas l'intérêt public et porte dès lors une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

B.5.2. S'il appartient au législateur décrétal, dans l'exercice de ses compétences, de déterminer les cas dans lesquels une expropriation peut avoir lieu, il ne peut le faire que dans le respect des articles 10, 11 et 16 de la Constitution et des dispositions de droit international qui protègent le droit de propriété.

Les articles 16 de la Constitution et 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme garantissent que l'expropriation n'aura lieu que pour cause d'utilité publique.

La Cour doit donc examiner si, en l'espèce, le législateur décrétal n'a pas permis qu'il soit procédé à des expropriations qui ne répondraient pas à cette exigence.

B.5.3. Il est vrai que l'objectif d'intérêt public selon lequel les usagers doivent être approvisionnés en électricité et en gaz était déjà poursuivi par le système de distribution d'énergie existant avant l'entrée en vigueur du décret attaqué. Les expropriations envisagées ne pourraient donc avoir pour but la réalisation d'un intérêt général qui ne serait pas déjà poursuivi. La Cour doit toutefois examiner si, en prévoyant ces possibilités d'expropriation, le législateur décrétal ne cherche pas à atteindre un autre but qui pourrait être considéré comme étant d'utilité publique.

B.5.4. Les gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité (article 10 du décret du 12 avril 2001) et de gaz (article 10 du décret du 19 décembre 2002) sont désignés par le Gouvernement wallon, après avis de la Commission wallonne pour l'énergie (CWaPE), et sur proposition des communes et/ou provinces lorsque le réseau en question est, en tout ou en partie, leur propriété.

Les dispositions décrétales précitées précisent que les gestionnaires doivent être désignés pour des zones géographiquement distinctes et sans recouvrement.

La CWaPE est l'organisme régulateur wallon pour l'énergie, institué par l'article 43 du décret du 12 avril 2001. Elle est investie d'une mission de conseil auprès des autorités publiques en ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement du marché régional de l'électricité. En vertu de l'article 36 du décret du 19 décembre 2002, elle est investie de la même mission en ce qui concerne le marché régional du gaz.

B.5.5. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires cités en B.4.4, un des objectifs des dispositions en cause est de garantir l'autonomie communale lors de la proposition du candidat gestionnaire de réseau.

Il a également été souligné que l'autonomie communale de décision doit garantir la « volonté de gestion homogène des réseaux et une rationalisation du territoire [qui devrait être] géré par le même gestionnaire que celui des communes limitrophes », ceci afin de réaliser des économies de gestion (Doc., Parlement wallon, 2001-2002, n° 398/27, p.67).

Dans un avis du 26 septembre 2000, la CWaPE estime que « la distribution d'électricité dans la province de Liège présente la particularité d'être relativement plus morcelée entre une intercommunale pure et deux intercommunales mixtes dont les territoires sont fortement imbriqués » et elle considère qu'il est « utile d'examiner les possibilités de rationalisation dans cette province. » B.5.6. Les objectifs de rationalisation de la gestion et de constitution de territoires homogènes, qui peuvent être considérés comme des objectifs d'intérêt général, ne peuvent être atteints, dans les territoires concernés, que par un changement de gestionnaire de réseau pour certaines parties de celui-ci. Ils constituent dès lors une cause d'utilité publique au sens des articles 16 de la Constitution et 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Ils justifient à suffisance la possibilité d'expropriation critiquée, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.7. En outre, la mesure n'a pas d'effets disproportionnés pour les titulaires du droit de propriété ou d'usage sur le réseau exproprié, dès lors que la procédure d'expropriation garantit la possibilité d'exercer des recours, et d'obtenir le paiement d'une indemnité.

B.5.8. Le moyen n'est pas fondé.

Quant aux troisième et quatrième moyens B.6.1. Les moyens sont pris de la violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec le principe de l'égalité des armes, de la violation des articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et de celle du principe général de bonne administration. Les parties requérantes soutiennent que les articles 51, 52 et 74 du décret attaqué ont pour effet d'influencer l'issue des litiges actuellement pendants devant la Cour d'appel de Liège et devant le Conseil d'Etat, ainsi que d'interférer dans la procédure administrative de désignation des gestionnaires de réseau.

B.6.2. En tant que les moyens invoquent directement la violation des articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et du principe général de bonne administration, la Cour n'est pas compétente pour y répondre. En outre, l'article 14 de la Convention européenne précitée n'a pas une portée plus large que celle des articles 10 et 11 de la Constitution en ce qui concerne les droits et libertés garantis par cette Convention et ses protocoles additionnels.

B.6.3. Il ressort des pièces du dossier que l'ingérence alléguée porterait sur les recours introduits devant le Conseil d'Etat par Electrabel et Interest contre les décisions des quatre communes qui ont proposé l'A.L.E. comme candidat gestionnaire.

La légalité de ces décisions, prises les 10, 17, 23 et 31 juillet 2002, et qui font suite à une invitation du gouvernement régional publiée au Moniteur belge le 3 mai 2002, ne peut être affectée par les dispositions décrétales, attaquées dans ces moyens, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2003.

Il s'ensuit que le décret attaqué ne peut avoir pour effet ni d'influencer la procédure administrative de désignation des gestionnaires du réseau par les communes, qui a eu lieu avant son entrée en vigueur, ni d'influencer les recours dirigés contre les délibérations par lesquelles les communes ont proposé de désigner l'A.L.E. comme candidat gestionnaire.

B.6.4. L'ingérence alléguée porte également, selon le dossier déposé par les requérantes, sur une procédure pendante devant la Cour d'appel de Liège, évoquée dans le troisième moyen, procédure qui est mue à l'initiative de l'A.L.E., à la suite de sa proposition comme gestionnaire de réseau et qui a pour objet de faire condamner Electrabel et plusieurs intercommunales à négocier de bonne foi la cession de la propriété ou de la jouissance de parties du réseau concerné. L'action originaire, mue par citation en référé du 24 septembre 2002, a été déclarée irrecevable par ordonnance du 22 novembre 2002 du Président du Tribunal de première instance de Liège et l'A.L.E. a interjeté appel de cette décision.

B.6.5. La possibilité d'expropriation du réseau prévue par l'article 52 du décret attaqué a certes pour effet indirect de vider d'une grande part de leur objet les procédures pendantes devant la Cour d'appel de Liège.

Toutefois, dès lors que la possibilité d'expropriation créée par l'article 52 du décret attaqué ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, pour les motifs exprimés en B.4.1 à B.5.7, les principes d'égalité et de non-discrimination ne sauraient être violés pour la seule raison qu'une nouvelle disposition déjouerait les attentes d'une partie à un procès. Il ne saurait davantage être admis que soit violé en l'espèce l'accès au juge garanti par l'article 13 de la Constitution.

B.6.6. Les arrêtés du Gouvernement régional désignant les gestionnaires de réseau ont été pris le 9 janvier 2003 et publiés par extraits au Moniteur belge du 26 février 2003. L'un de ces arrêtés, qui désigne l'A.L.E. en tant que gestionnaire du réseau sous condition suspensive d'obtention du droit d'usage ou de propriété du réseau pour trois communes, est attaqué devant le Conseil d'Etat.

B.6.7. Par les dispositions attaquées, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2003, le législateur décrétal ne pourrait s'ingérer dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat le 23 mars 2003 contre l'arrêté du 9 janvier 2003 puisque le décret a été promulgué et les dispositions attaquées sont entrées en vigueur avant que ces recours ne fussent introduits.

B.6.8. Il est vrai que la légalité de l'arrêté du Gouvernement wallon du 9 janvier 2003 devrait, en principe, s'apprécier à la lumière du décret attaqué, entré en vigueur le 1er janvier 2003, alors que ce décret n'était pas encore publié lorsque l'arrêté a été pris. Mais cette question relève de la compétence du Conseil d'Etat. Du simple fait qu'un décret est publié après qu'ont été prises des décisions administratives fondées sur ce décret, il ne peut être déduit que le décret lui-même violerait de manière discriminatoire le principe de non-rétroactivité des lois.

B.6.9. Les moyens ne sont pas fondés.

Quant au cinquième moyen (affaire n° 2769) B.7.1. Pris de la violation des articles 10, 11, 16 et 17 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention, l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le décret d'Allarde, le cinquième moyen fait grief aux articles 10 et 52 du décret attaqué de limiter l'indemnisation du préjudice causé par le retrait de la commune aux autres associés au sein de l'intercommunale, excluant ainsi toute indemnisation au profit de l'intercommunale elle-même.

B.7.2. L'article 52 du décret attaqué introduit dans l'article 10 du décret « électricité » un paragraphe 3, rédigé en termes similaires à celui du paragraphe 3 de l'article 10 du décret attaqué. Ces deux dispositions prévoient, in fine, que « la commune [qui se retire avant le terme de l'intercommunale] est tenue de réparer le dommage, évalué à dire d'experts, que son retrait cause aux autres associés ».

L'article 9, § 2, du décret wallon du 5 décembre 1996 relatif aux intercommunales wallonnes prévoit quant à lui que tout associé d'une intercommunale peut se retirer dans les cas qu'il prévoit, « sous réserve de l'obligation pour celui qui se retire de réparer le dommage évalué à dire d'experts, que son retrait cause à l'intercommunale et aux autres associés. » B.7.3. La disposition attaquée déroge à la règle générale applicable aux intercommunales wallonnes qui exige qu'en cas de retrait, l'associé qui se retire indemnise le dommage subi par les autres associés et par l'intercommunale, et crée une différence de traitement en ce domaine entre les associés et l'intercommunale.

B.7.4. Les travaux préparatoires des dispositions attaquées font référence à l'article 9 du décret du 5 décembre 1996 précité et indiquent que le législateur a entendu « envisager une nouvelle possibilité de retrait », « vu les cas limités de retrait envisagés par » cette disposition (Doc., Parlement wallon, 2001-2002, n° 398/27, pp. 67 et 92). Ils sont par contre muets quant à la justification de la différence de traitement relevée en B.7.3.

B.7.5. La Cour n'aperçoit pas, et le Gouvernement wallon n'expose pas, quels motifs pourraient justifier que l'intercommunale ne soit pas indemnisée du préjudice qui lui est causé par le retrait d'un associé dans l'hypothèse prévue par les articles 10, § 3, du décret « gaz » du 19 décembre 2002 et 10, § 3, du décret « électricité » du 12 avril 2001, modifié par l'article 52 du décret précité du 19 décembre 2002, alors que, d'une part, les autres associés doivent être indemnisés, et que, d'autre part, une indemnisation de l'intercommunale est prévue dans les autres cas de retrait.

L'interprétation conciliante proposée par le Gouvernement wallon ne trouve pas de fondement dans les textes.

B.7.6. Le moyen, en ce qu'il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, est fondé.

Les articles 10, § 3, et 52 du décret du 19 décembre 2002 doivent être annulés en ce qu'ils ne prévoient pas, dans le cas du retrait d'un associé de l'intercommunale qu'ils envisagent, que l'intercommunale puisse être indemnisée du préjudice qu'elle subit suite à ce retrait.

Par ces motifs, la Cour - annule les articles 10, § 3, et 52 du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz, en ce qu'ils ne prévoient pas, dans le cas du retrait d'un associé de l'intercommunale qu'ils envisagent, que l'intercommunale puisse être indemnisée du préjudice qu'elle subit à la suite de ce retrait; - rejette les recours pour le surplus.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 septembre 2004.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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