Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 27 février 2004

Extrait de l'arrêt n° 26/2004 du 11 février 2004 Numéro du rôle : 2668 En cause : le recours en annulation de l'article 70, alinéas 2 à 6, du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tel qu'il a été remp La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, et du président(...)

source
cour d'arbitrage
numac
2004200353
pub.
27/02/2004
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
liens
Conseil d'État (chrono)
Document Qrcode

COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 26/2004 du 11 février 2004 Numéro du rôle : 2668 En cause : le recours en annulation de l'article 70, alinéas 2 à 6, du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tel qu'il a été remplacé par l'article 33 du décret de la Région wallonne du 18 juillet 2002, introduit par J. Boesmans et A.-M. Hene.

La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, et du président A. Arts, et des juges R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen et J.-P. Moerman, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le juge P. Martens, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 mars 2003 et parvenue au greffe le 14 mars 2003, J. Boesmans, demeurant à 5310 Branchon, rue Romaine 4, et A.-M. Hene, demeurant à 4520 Huccorgne, rue de Biénonsart 210, ont introduit un recours en annulation de l'article 70, alinéas 2 à 6, du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tel qu'il a été remplacé par l'article 33 du décret de la Région wallonne du 18 juillet 2002 (publié au Moniteur belge du 21 septembre 2002, deuxième édition). (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée B.1.1. Les alinéas 1er à 7 de l'article 70 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine (CWATUP), modifiés par l'article 33 du décret du 18 juillet 2002, disposent : « Il y a lieu à indemnité à charge, suivant le cas, de la Région ou de la commune lorsque l'interdiction de bâtir, au sens visé à l'article 84, § 1er, 1o, ou de lotir résultant d'un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l'affectation donnée au bien par le plan d'aménagement en vigueur au jour précédant l'entrée en vigueur dudit plan, à condition qu'à ce jour, le bien soit apte à recevoir des constructions et riverain d'une voirie suffisamment équipée compte tenu de la situation des lieux.

En outre, le demandeur d'indemnisation doit montrer par des actes concrets et non équivoques qu'il a cherché à réaliser l'affectation à laquelle il est mis fin.

Dans le cas où l'affectation à laquelle il est mis fin a été établie plus de trois ans avant le 1er décembre 2000, cette démonstration doit résulter d'actes concrets et non équivoques accomplis avant le 1er décembre 2000.

Dans le cas où l'affectation à laquelle il est mis fin a été établie moins de trois ans avant le 1er décembre 2000, cette démonstration peut résulter d'actes concrets et non équivoques accomplis dans les trois ans de l'établissement de cette destination.

Dans le cas où l'affectation à laquelle il est mis fin a été établie après le 1er décembre 2000, cette démonstration est admise sans condition de délai.

Cette démonstration n'est pas exigée de celui qui a acquis le bien à titre onéreux postérieurement à l'entrée en vigueur du plan qui établissait l'affectation à laquelle il est mis fin et qui a supporté lors de cette acquisition une contrepartie au moins équivalente à la valeur du bien calculée sur la base de l'affectation établie par ce plan.

La diminution de valeur, qui est prise en considération pour l'indemnisation, est estimée en tant que la différence entre, d'une part, la valeur du bien au moment de l'acquisition et, d'autre part, la valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation après l'entrée en vigueur du plan. Seule la diminution de valeur résultant du plan peut être prise en considération pour l'indemnisation. » B.1.2. Les requérants poursuivent l'annulation des alinéas 2 à 6 de la disposition précitée.

Quant à la recevabilité du recours B.2.1. Le Gouvernement wallon soulève une exception d'irrecevabilité du recours, au motif que, les requérants étant propriétaires de parcelles situées dans une zone d'habitat suivant le plan de secteur actuel, et ce plan n'étant pas modifié, leur situation ne serait pas directement et défavorablement affectée par la disposition en cause.

B.2.2. En tant que propriétaires de terrains situés en Région wallonne dans une zone d'habitat, les requérants sont susceptibles d'être directement et défavorablement affectés par une disposition en vertu de laquelle ils n'auraient pas droit à une indemnisation de la moins-value de ces biens dans l'hypothèse où le plan de secteur ou le plan d'aménagement communal viendraient à être révisés et où l'affectation des biens des requérants s'en trouverait modifiée.

B.2.3. L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

B.3.1. Le Gouvernement flamand soulève une exception d'irrecevabilité du recours, au motif que l'exigence posée par l'alinéa 2 attaqué, à savoir que le propriétaire prouve qu'il a cherché à réaliser l'affectation à laquelle il est mis fin, serait déjà implicitement contenue dans l'alinéa 1er, non attaqué, de la disposition.

B.3.2. L'exception est liée à l'interprétation qu'il convient de donner aux alinéas 1er et 2 de la disposition attaquée. Elle porte donc sur le fond de l'affaire et doit être jointe à l'examen de celui-ci.

Quant au fond B.4. Les requérants estiment que la disposition en cause crée une distinction de traitement injustifiée entre les propriétaires de terrain qui subissent une moins-value à la suite d'un changement d'affectation en conséquence de l'adoption d'un plan ayant force obligatoire, selon qu'ils peuvent ou ne peuvent pas prouver par des actes concrets et non équivoques qu'ils ont cherché à réaliser l'affectation à laquelle il est mis fin.

B.5. Avant sa modification par la disposition attaquée, l'article 70 du CWATUP prévoyait que la moins-value occasionnée par le changement d'affectation d'un bien pouvait donner lieu à indemnisation lorsque le bien pouvait être considéré comme à bâtir ou à lotir, soit en vertu de l'affectation existante, soit en vertu de la destination normale du terrain. Pour apprécier si la destination normale du terrain était d'être bâti ou loti, il était traditionnellement exigé que le bien soit apte à recevoir des constructions, qu'il soit riverain d'une voirie suffisamment équipée et voisin d'autres terrains à bâtir ou de bâtiments existants.

L'article 33 du décret du 18 juillet 2002 remplace le critère de la « destination normale du bien » par la condition que « le bien soit apte à recevoir des constructions et riverain d'une voirie suffisamment équipée compte tenu de la situation des lieux ». Il ajoute la condition que le propriétaire puisse « montrer par des actes concrets et non équivoques qu'il a cherché à réaliser l'affectation à laquelle il est mis fin ».

B.6. Les travaux préparatoires de la disposition en cause indiquent qu'elle s'inscrit dans le contexte de la « révision globale des vingt-trois plans de secteur que compte la Région wallonne en vue de l'inscription thématique de nouvelles zones d'activité économique » (Doc., Parlement wallon, 2001-2002, no 309/1, p. 4). Le décret du 18 juillet 2002 doit permettre de « mieux appliquer le principe de gestion parcimonieuse » lors de cette révision, « notamment en renforçant les conditions de naissance du droit à l'indemnisation des moins-values » (ibid., p. 5). Le principe de l'indemnisation est maintenu, mais la condition selon laquelle le propriétaire doit montrer qu'il a cherché à valoriser l'affectation compromise permet d'assurer que « seules les frustrations d'espérances légitimes concrétisées seront indemnisables » (ibid ., p. 11), « de ne compenser que les moins-values effectivement ressenties par ceux qui se disposaient à réaliser l'affectation prévue par le plan révisé et d'exclure les effets d'aubaine liés au classement de biens en zone d'habitat » (ibid ., p. 32).

B.7. L'interdiction de bâtir ou de lotir provenant d'un plan revêtu de la force obligatoire est une limitation de la jouissance du droit de propriété. Il appartient au législateur de déterminer les cas dans lesquels une telle limitation donne lieu à indemnité et les conditions auxquelles cette indemnité peut être octroyée. Ce faisant, le législateur ne pourrait cependant faire usage de critères qui seraient discriminatoires.

B.8. Le législateur décrétal peut légitimement prendre des mesures visant à éviter que des pertes purement spéculatives ne soient supportées par la collectivité. En exigeant que le propriétaire fasse la preuve qu'il a effectivement cherché à réaliser l'affectation à laquelle il est mis fin, il a pris une mesure qui est pertinente pour atteindre cet objectif.

B.9. Toutefois, par sa généralité, cette mesure risque d'avoir des effets disproportionnés au détriment de certaines catégories de propriétaires. Ainsi, à l'égard des propriétaires qui ont acquis le bien après l'entrée en vigueur du plan établissant l'affectation à laquelle il est mis fin et qui ne l'ont pas acquis à titre onéreux, la mesure apparaît disproportionnée puisque ces propriétaires seraient privés de toute indemnisation alors qu'ils ont subi, lors de cette acquisition, une charge fiscale calculée sur une valeur du bien qui tenait compte de cette affectation.

B.10. En s'abstenant de prendre en considération une telle situation, alors qu'il a exempté de la preuve prévue par l'alinéa 2 de l'article 70 les propriétaires qui, à la même époque, ont acquis l'immeuble à titre onéreux et qui ont payé un prix calculé sur une valeur du bien qui tient compte, dans la mesure précisée par le décret, de l'affectation établie par le plan, le législateur décrétal a traité de manière discriminatoire la catégorie de propriétaires décrite en B.9.

Par ces motifs, la Cour annule les alinéas 2 à 6 de l'article 70 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine tels qu'ils ont été modifiés par l'article 33 du décret de la Région wallonne du 18 juillet 2002.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 11 février 2004.

Le greffier, L. Potoms.

Le président f.f., P. Martens.

^