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Arrêt
publié le 20 février 2004

Extrait de l'arrêt n° 169/2003 du 17 décembre 2003 Numéro du rôle : 2565 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 321 du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Malines. La Cour d'arbitrage, c après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédu(...)

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Extrait de l'arrêt n° 169/2003 du 17 décembre 2003 Numéro du rôle : 2565 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 321 du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Malines.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 31 octobre 2002 en cause du ministère public contre T. Schouppe et I. Fransen, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 12 novembre 2002, le Tribunal de première instance de Malines a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 321 du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 7.1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, en tant que l'article précité prive de la possibilité de faire établir sa filiation paternelle un enfant né d'une relation faisant apparaître un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser, de sorte que cet enfant ne peut donc avoir qu'un seul lien de filiation, à savoir le lien maternel, alors qu'un enfant né d'un mariage, d'un concubinage ou d'une relation extra-conjugale a matre ou a patre ne faisant pas apparaître d'empêchement à mariage a la possibilité de faire établir aussi sa filiation paternelle et peut donc avoir deux liens de filiation ? 2. L'article 321 du Code civil, combiné avec les articles 312 et 313 du même Code, d'une part, et avec les articles 315, 317 et 319 du même Code, d'autre part, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il n'autorise pas à faire établir la filiation paternelle le père d'un enfant né d'une relation faisant apparaître un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser, alors que la filiation maternelle d'un enfant né d'une relation faisant apparaître un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser sera toujours établie ? » (...) III. En droit (...) Concernant la première question préjudicielle B.1.1. L'article 321 du Code civil dispose : « Le père ne peut reconnaître l'enfant, lorsque la reconnaissance ferait apparaître entre la mère et lui un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser. » B.1.2. Les dispositions concernant les empêchements au mariage sont prévues aux articles 161 à 164 du Code civil. Ces dispositions prévoient : «

Art. 161.En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.

Art. 162.En ligne collatérale, le mariage est prohibé entre frères, entre soeurs ou entre frère et soeur.

Art. 163.Le mariage est encore prohibé entre l'oncle et la nièce ou le neveu, ou entre la tante et la nièce ou le neveu.

Art. 164.Néanmoins, il est loisible au Roi de lever, pour des causes graves, la prohibition portée au précédent article, y compris l'interdiction prévue à l'article 162 relativement aux mariages entre beau-frère et belle-soeur, beau-frère et beau-frère ou belle-soeur et belle-soeur. » B.1.3. L'article 321 du Code civil ne visant que les reconnaissances qui feraient apparaître entre la mère et le père un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser, il ne concerne que les empêchements prévus par les articles 161 et 162.

B.2.1. La première question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 7.1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, de l'article 321 du Code civil en tant que cette disposition prive des enfants de la possibilité de faire établir leur filiation paternelle et donc d'avoir une double filiation alors que les autres enfants ont cette possibilité.

B.2.2. La question est formulée en termes généraux et l'établissement de la filiation paternelle n'est d'ordinaire pas possible, tant pour l'enfant né d'une relation entre des personnes qui sont parentes à un degré prohibé que pour l'enfant né d'une relation entre des personnes alliées à un degré interdit. Le problème est dans une certaine mesure différent selon que la relation dite incestueuse qui pourrait apparaître a eu lieu entre alliés ou entre parents, seuls liés par le sang. Il faut entendre la question comme relative aux seuls problèmes où c'est l'alliance qui est en cause, puisque le cas dont le juge a quo est saisi est celui d'un enfant dont la filiation maternelle est établie et dont les auteurs étaient alliés (en ligne directe), le mariage dont résulte cette alliance étant dissous.

B.2.3. Il importe en outre de préciser que, bien que l'article 321 mentionne l'empêchement à mariage afin de désigner par ce détour la relation dite incestueuse qu'une reconnaissance ne peut faire apparaître, la question ne porte nullement sur l'admissibilité de tels empêchements, mais sur le problème tout différent de la reconnaissance.

B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 38 de la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation, qui a inséré l'article 321 dans le Code civil, que, nonobstant les objectifs prioritaires de cette loi, assurer l'égalité des filiations et cerner d'aussi près que possible la vérité en matière de filiation biologique, le législateur a estimé que dans le cas d'une filiation dite incestueuse, « les intérêts de l'enfant doivent l'emporter sur tous les autres intérêts » et qu'en ce qui concerne les enfants visés à cet article, « on peut partir de l'hypothèse qu'une reconnaissance servira rarement les intérêts de cet enfant » (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, no 904/2, p. 88).

B.5. Sans qu'il soit nécessaire en l'espèce d'examiner si l'intérêt de l'enfant ou l'ordre social peuvent pâtir de ce que le caractère « incestueux » de la relation dont cet enfant est issu apparaisse, même quand l'obstacle à cette relation était un lien d'alliance et non de parenté, la prohibition en cause est disproportionnée quand le lien d'alliance est dissous. Si certains peuvent souffrir de ce qu'une reconnaissance survenant à ce moment révèle rétrospectivement qu'ils sont issus d'une relation jugée scandaleuse, il ne s'ensuit pas nécessairement que disparaisse dans leur chef tout intérêt à faire valoir le droit fondamental, que la Convention internationale relative aux droits de l'enfant reconnaît à celui-ci, d'être élevé par ses parents, c'est-à-dire par ses auteurs (article 7.1).

B.6. La première question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Concernant la seconde question préjudicielle B.7. La seconde question préjudicielle se place dans l'hypothèse où la filiation maternelle est établie (ce qui se produit le plus souvent et non pas « toujours », comme la question le suppose).

B.8. Le problème semble tenir à ce que l'interdiction de faire apparaître une relation « incestueuse » par l'établissement d'une filiation est opposée aux pères et non aux mères, puisque la filiation de celles-ci est généralement établie en premier lieu.

La différence des règles relatives à l'établissement de la filiation maternelle et de la filiation paternelle tient en grande partie à la nature même des choses.

B.9. La seconde question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - En ce qu'il ne permet pas au père de reconnaître l'enfant, lorsque la reconnaissance ferait apparaître entre la mère et lui un empêchement à mariage, dû à l'alliance, dont le Roi ne peut dispenser, lorsque ce lien d'alliance a disparu, l'article 321 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - La seconde question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 17 décembre 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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