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Arrêt
publié le 22 octobre 2003

Extrait de l'arrêt n° 131/2003 du 8 octobre 2003 Numéro du rôle : 2553 En cause : le recours en annulation partielle des articles III.1, § 1 er , et V.3, §§ 1 er et 2, du décret de la Communauté flamande d La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P(...)

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22/10/2003
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 131/2003 du 8 octobre 2003 Numéro du rôle : 2553 En cause : le recours en annulation partielle des articles III.1, § 1er, et V.3, §§ 1er et 2, du décret de la Communauté flamande du 28 juin 2002 relatif à l'égalité des chances en éducation-I, introduit par J. Librecht et D. Crols.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 octobre 2002 et parvenue au greffe le 29 octobre 2002, un recours en annulation partielle des articles III.1, § 1er, et V.3, §§ 1er et 2, du décret de la Communauté flamande du 28 juin 2002 relatif à l'égalité des chances en éducation-I (publié au Moniteur belge du 14 septembre 2002) a été introduit par J. Librecht, demeurant à 9340 Lede, Papegemstraat 71, et D. Crols, demeurant à 2340 Beerse, Pioenstraat 23. (...) II. En droit (...) B.1. Le décret de la Communauté flamande du 28 juin 2002 relatif à l'égalité des chances en éducation-I s'applique à l'enseignement fondamental et à l'enseignement secondaire, financés ou subventionnés par la Communauté flamande, et aux centres d'encadrement des élèves (article I.2).

Il dispose que tout élève qui remplit les conditions d'admission fixées par ou en vertu d'une loi ou d'un décret a droit, à partir de l'année scolaire 2003-2004, à l'inscription dans l'école choisie par ses parents (articles III.1, § 1er, et III.2).

Préalablement à une première inscription, le pouvoir organisateur informe les parents et l'élève du projet pédagogique et du règlement scolaire de l'école. Le projet pédagogique et le règlement scolaire respectent les principes du droit international et les principes constitutionnels, en matière de droits de l'homme et de l'enfant en particulier. Il est procédé à l'inscription après que les parents ont marqué leur accord sur ce projet et ce règlement (article III.1, § 2).

L'inscription peut être refusée lorsque le pouvoir organisateur estime que celle-ci compromet la sécurité des élèves en raison de circonstances matérielles ou lorsque l'élève concerné a été définitivement exclu de l'école l'année précédente ou l'année antérieure à celle-ci (article III.3). En outre, le pouvoir organisateur d'un établissement d'enseignement ordinaire peut orienter vers une autre école tout élève supplémentaire qui parle le néerlandais ou - le cas échéant - ne parle pas le néerlandais chez lui, afin de garantir la proportion prévue entre les deux groupes d'élèves (article III.4). Le déroulement des présentations et inscriptions est soumis au contrôle du département de l'enseignement du ministère de la Communauté flamande (article III.5).

Une « Commission des droits de l'élève » est instituée auprès du ministère de la Communauté flamande (article IV.7). Cette commission indépendante statue sur le bien-fondé des décisions d'orienter un élève vers une autre école (article V.1, § 2) et sur les plaintes écrites des intéressés concernant les refus d'inscription (article V.3, § 1er). Aucun recours n'est ouvert auprès du Gouvernement flamand contre la décision de la Commission (article IV.9).

Si la Commission juge qu'un refus n'est pas ou est insuffisamment motivé, elle émet un avis à l'intention du Gouvernement flamand concernant un recouvrement ou une retenue à opérer sur les moyens de fonctionnement de l'école. Un refus fondé sur des circonstances matérielles n'est déclaré insuffisamment motivé que s'il est constaté que des inscriptions supplémentaires ont été acceptées après l'inscription controversée (article V.3, § 2).

Le Gouvernement flamand décide ensuite, en droit et dans l'intérêt général, s'il convient d'infliger une sanction financière. Il vérifie préalablement si l'élève concerné s'est finalement inscrit dans l'école où il s'était présenté (article V.4, § 2). Le recouvrement ou la retenue ne peut excéder dix pour cent du budget de fonctionnement de l'école et ne peut avoir pour effet que la part des moyens de fonctionnement affectée aux dépenses en matière de personnel soit inférieure, en chiffres absolus, à ce qu'elle serait si la mesure n'était pas prise (article V.4, § 3).

Enfin, les dispositions du décret doivent être interprétées en gardant à l'esprit l'octroi de chances d'apprentissage et de développement optimales à tous les élèves, la prévention de l'exclusion, de la ségrégation et de la discrimination et la promotion de la cohésion sociale. Les droits fixés dans le décret doivent être exercés dans le respect des libertés fondamentales de l'école, en particulier le droit d'élaborer un projet pédagogique et un règlement scolaire propres, dans le respect des intérêts de la communauté scolaire et du droit à l'enseignement de l'élève (article I.3).

Les dispositions attaquées B.2.1. L'article III.1, § 1er, première phrase, du décret du 28 juin 2002 relatif à l'égalité des chances en éducation-I dispose : « A compter de l'année scolaire 2003-2004, chaque élève a droit à l'inscription dans l'école choisie par ses parents. Si l'élève est âgé de 12 ans ou plus, ce choix d'école se fait de concert avec l'élève. » B.2.2. L'article V.3, §§ 1er et 2, du même décret dispose : « § 1er. La Commission statue dans un délai de cinq jours calendrier commençant le jour après la date de la signification ou la date de la poste, sur le bien-fondé des réclamations écrites introduites par les personnes intéressées relatives aux refus d'inscription. Des plaintes introduites après expiration d'un délai de trente jours calendrier du constat des différends ne sont pas recevables. § 2. Si la Commission juge que le refus n'est pas motivé ou n'est pas suffisamment motivé, elle émet un avis à l'intention du Gouvernement flamand quant au recouvrement ou à la retenue d'un montant sur les moyens de fonctionnement de l'école.

Un refus sur la base de l'article III.3, 1o, n'est pas suffisamment motivé lorsqu'il est constaté que des inscriptions additionnelles étaient [lire : ont été] acceptées après l'inscription controversée. » Quant à l'intérêt B.3.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article III.1, § 1er, en tant qu'il dispose que chaque élève a droit à l'inscription dans l'école choisie par ses parents, et l'annulation de l'article V.3, en tant qu'il dispose que la Commission des droits de l'élève apprécie le bien-fondé d'une plainte après le dépôt d'une plainte écrite d'un intéressé concernant le refus d'inscription.

B.3.2. Le Gouvernement flamand et le Gouvernement de la Communauté française contestent l'intérêt des parties requérantes à l'annulation des dispositions attaquées.

B.3.3. Le premier requérant introduit le recours en sa qualité de membre du Parlement flamand.

Il résulte de l'article 2, 3o, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage que le législateur spécial a entendu limiter la possibilité d'agir pour les membres des assemblées législatives en la réservant à leurs présidents et à la condition que deux tiers des membres en fassent la demande. Un membre d'une assemblée législative ne justifie dès lors pas, en cette seule qualité, de l'intérêt requis pour agir devant la Cour.

Cette disposition n'exclut certes pas qu'un membre d'une assemblée législative puisse invoquer un intérêt fonctionnel si les dispositions attaquées portaient atteinte aux prérogatives propres à l'exercice individuel de son mandat; les règles attaquées n'affectent toutefois pas de telles prérogatives.

Le premier requérant ne justifie pas de l'intérêt requis à l'annulation des dispositions attaquées.

B.3.4. Le deuxième requérant a décidé de choisir pour ses enfants une école proposant un projet pédagogique philosophiquement orienté. Il fait valoir que les dispositions attaquées sont susceptibles de modifier l'identité de l'école, ce qui l'obligerait à retirer ses enfants de celle-ci. Faute d'une diversité d'écoles à l'identité clairement reconnaissable, il ne disposerait dès lors plus de la liberté du choix de l'enseignement.

Etant donné que l'intérêt du requérant dépend de la portée des dispositions attaquées, son examen se confond avec celui du fond de l'affaire.

Quant au fond B.4. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 24 de la Constitution. Le deuxième requérant se plaint de ce que l'article III.1, § 1er, du décret du 28 juin 2002 relatif à l'égalité des chances en éducation-I octroie à chaque élève le droit de s'inscrire dans l'école choisie par ses parents. Un tel droit d'inscription pourrait menacer le projet pédagogique ou « l'identité (religieuse) » de l'école. La liberté de choix des parents s'en trouverait affectée.

B.5.1. L'article 24, § 1er, alinéas 1er et 2, de la Constitution dispose : « L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi ou le décret.

La communauté assure le libre choix des parents. » La liberté de choix des parents implique que ceux-ci puissent choisir pour leurs enfants l'enseignement qui est le plus proche de leurs conceptions philosophiques. C'est pour garantir cette liberté de choix que la communauté organise un enseignement neutre dans le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves (article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution) et qu'elle subventionne les établissements d'enseignement dont la spécificité réside dans une conception religieuse, philosophique ou pédagogique déterminée. Cette liberté n'implique pas que les parents et les élèves aient un droit inconditionnel d'inscription dans l'école de leur choix.

B.5.2. Le droit au subventionnement est limité, d'une part, par le pouvoir de la communauté de lier les subventions à des exigences tenant à l'intérêt général, entre autres celles d'un enseignement de qualité, du respect de normes de population scolaire et d'une égalité d'accès à l'enseignement et, d'autre part, par la nécessité de répartir les moyens financiers disponibles entre les diverses missions de la communauté.

La liberté d'enseignement connaît dès lors des limites et n'empêche pas que le législateur décrétal impose des conditions de financement et de subventionnement qui restreignent l'exercice de cette liberté, pour autant qu'il n'y soit pas porté d'atteinte essentielle.

B.5.3. La liberté de choix des parents ne saurait être dissociée du droit de créer des établissements d'enseignement et du droit au subventionnement que possèdent lesdits établissements. En effet, le libre choix des parents ne peut être pleinement réalisé que si la liberté des pouvoirs organisateurs d'organiser un enseignement et le droit au subventionnement que possède en principe cet enseignement ne sont pas limités de manière arbitraire.

B.5.4. Par ailleurs, la liberté d'enseignement n'empêche pas que le législateur compétent, en vue d'assurer la qualité et l'équivalence de l'enseignement dispensé au moyen des deniers publics, prenne des mesures qui soient applicables de manière générale aux établissements d'enseignement, indépendamment de la spécificité de l'enseignement dispensé par ceux-ci.

B.5.5. Le décret dont font partie les dispositions attaquées vise à apporter une réponse au problème de l'inégalité des chances dans l'enseignement (Doc. , Parlement flamand, 2001-2002, no 1143/1, p. 3).

Il accorde à chaque élève un droit de principe à l'inscription dans l'école financée ou subventionnée de son choix. Ce droit doit permettre « que, dans notre société pluraliste de la connaissance, tous les élèves et parents puissent choisir sans entrave un enseignement parmi un éventail de projets » (ibid. ).

Ce droit limite la liberté des pouvoirs organisateurs d'accepter ou non des élèves, compte tenu des principes fondamentaux de l'enseignement qu'ils organisent.

La Cour doit vérifier si la disposition en cause ne limite pas la liberté d'enseignement de façon disproportionnée.

B.5.6. Le droit à l'inscription n'est pas absolu. Il est, premièrement, subordonné à l'adhésion des parents au projet pédagogique et au règlement scolaire de l'école (article III.1, § 2).

Le projet pédagogique est « l'ensemble de points de départ fondamentaux pour une école et son fonctionnement » (article II.1, 10o).

Il contient tous les principes que le pouvoir organisateur considère comme fondamentaux, parmi lesquels, par exemple, les principes philosophiques sur lesquels le pouvoir organisateur souhaite se fonder. Il n'est limité que par l'obligation de respecter les principes du droit international et du droit constitutionnel, en matière de droits de l'homme et de l'enfant en particulier (article III.1, § 2, alinéa 2).

Deuxièmement, une inscription peut être refusée lorsque le pouvoir organisateur estime que celle-ci compromet la sécurité des élèves en raison de circonstances matérielles ou lorsque l'élève concerné a été définitivement exclu de l'école l'année précédente ou l'année antérieure à celle-ci (article III.3). Un refus fondé sur des circonstances matérielles n'est insuffisamment motivé que lorsqu'il est constaté que des inscriptions supplémentaires ont été acceptées après l'inscription controversée (article V.3, § 2).

Troisièmement, le pouvoir organisateur d'un établissement d'enseignement ordinaire peut orienter vers une autre école tout nouvel élève qui parle le néerlandais ou - le cas échéant - ne parle pas le néerlandais chez lui, afin de garantir la proportion prévue entre les deux groupes d'élèves (article III.4). Ce n'est que lorsque la Commission des droits de l'élève juge infondée la décision d'orienter un élève vers une autre école qu'il est fait droit au choix des parents (article V.1, § 2).

Quatrièmement, la sanction ne consiste pas en une inscription d'office mais dans un recouvrement ou une retenue sur les moyens de fonctionnement de l'école. Ce recouvrement ou cette retenue ne peuvent excéder 10 p.c. du budget de fonctionnement de l'école et ne peuvent avoir pour effet que la part des moyens de fonctionnement affectée aux dépenses en matière de personnel soit inférieure, en chiffres absolus, à ce qu'elle serait si la mesure n'était pas prise (article V.4, § 3).

Enfin, le pouvoir organisateur d'une école libre peut exclure, le cas échéant, un élève inscrit, en demandant la résiliation de la convention, sur la base de l'article 1184 du Code civil, pour non-respect des conditions convenues, ou en appliquant les règles existantes en matière d'ordre et de discipline.

B.5.7. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer que la disposition attaquée implique une limitation disproportionnée de la liberté d'enseignement.

Il s'ensuit que, même si l'on considère que le deuxième requérant pourrait être directement et défavorablement affecté par la disposition attaquée, le moyen ne peut être admis.

B.6. Par son deuxième moyen, le deuxième requérant fait valoir que l'article V.3 viole l'article 24 de la Constitution, parce que l'avis de la Commission des droits de l'élève peut avoir de lourdes conséquences financières pour les pouvoirs organisateurs. Il se plaint de ce qu'aucun recours n'est ouvert contre l'avis de la Commission et que le juge ne serait pas compétent en ce qui concerne les contestations relatives au refus d'inscription.

B.7. En vertu de la disposition attaquée, la Commission des droits de l'élève statue sur le bien-fondé des plaintes écrites des intéressés concernant les refus d'inscription. Si la Commission juge qu'un refus n'est pas ou est insuffisamment motivé, elle émet un avis à l'intention du Gouvernement flamand concernant un recouvrement ou une retenue à opérer sur les moyens de fonctionnement de l'école.

Après réception de l'avis, le Gouvernement flamand décide, en droit et dans l'intérêt général, s'il convient d'infliger une sanction financière. Cette décision est un acte administratif de l'autorité, dont la suspension et l'annulation peuvent être demandées devant le Conseil d'Etat et dont la non-application peut être poursuivie, sur la base de l'exception d'illégalité, devant les cours et tribunaux.

B.8. La disposition attaquée n'ayant donc pas la portée que lui prête le second requérant, le moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 8 octobre 2003.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, A. Arts.

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