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Arrêt
publié le 14 juillet 2003

Extrait de l'arrêt n° 28/2003 du 19 février 2003 Numéro du rôle : 2364 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964 et à l'article 33, § 1 er , de la loi du 7 décembre La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 28/2003 du 19 février 2003 Numéro du rôle : 2364 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964 et à l'article 33, § 1er, de la loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen et J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 31 janvier 2002 en cause de la s.p.r.l. Daelemans contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 5 février 2002, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 132 du Code des impôts sur les revenus (cotisation spéciale), tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1984 à 1989, et l'article 33, § 1er, de la loi du 7 décembre 1988 [portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre] (cotisation spéciale distincte), tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1990 et 1991, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les dispositions précitées ne font pas de distinction entre : - d'une part, les sociétés ayant supporté des frais qui devaient être considérés, au moment du paiement, comme des charges professionnelles, et qui n'ont été qualifiés qu'ultérieurement d'avantage professionnel de toute nature imposable dans le chef du gérant, et ayant établi pour ces montants un formulaire 204S insuffisant ou ayant omis d'établir une fiche individuelle 281.21 ainsi qu'un relevé récapitulatif 325.21, alors que toutes les données, comme le nom du bénéficiaire et le montant, ont cependant été reprises intégralement dans la comptabilité, en sorte que ce gérant a été ou a pu être imposé sur ces montants; - et, d'autre part, les sociétés ayant fait des frais dont le caractère d'avantage professionnel de toute nature imposable est établi dans le chef du gérant, mais n'ayant pas établi en conséquence le formulaire 204S ou les fiches individuelles au nom du bénéficiaire ? » (...) IV. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur la cotisation spéciale à l'impôt des sociétés due sur les « commissions secrètes ». Les dispositions en cause sont, d'une part, l'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964, tel que cet article était applicable pour les exercices d'imposition 1984 à 1989 et, d'autre part, l'article 33, § 1er, de la loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1990 et 1991.

B.1.2. Les dispositions précitées font référence, pour définir leur champ d'application matériel, aux articles 47, § 1er, et 101 du Code des impôts sur les revenus 1964. Une société est redevable d'une cotisation spéciale à l'impôt des sociétés lorsqu'elle ne justifie pas dans le délai fixé, par la production, prescrite par la loi, de fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif mentionnant l'identité complète des bénéficiaires, les sommes mentionnées dans ces dispositions (c'est-à-dire les commissions, courtages, honoraires ou avantages de toute nature qui constituent des revenus professionnels pour leurs bénéficiaires ou encore les rémunérations et pensions payées à des membres du personnel ou à d'anciens membres du personnel ainsi qu'à des administrateurs et des gérants).

B.1.3. Pour les exercices d'imposition 1984 à 1989, le montant des charges ou sommes non justifiées conformément aux articles 47, § 1er, et 101 a été incorporé, en tant que dépense non admise, à l'assiette imposable de la société requérante devant le juge a quo , en vertu de l'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964, en vue de la perception de la cotisation ordinaire à l'impôt des sociétés. Ce même montant a en outre été soumis à une cotisation spéciale complémentaire égale à la différence entre les 67,5 centièmes du triple de ces charges ou sommes, d'une part, et la partie de l'impôt des sociétés, calculé conformément aux articles 126 à 128 et 130, se rapportant proportionnellement au triple de ces charges ou sommes, d'autre part.

La cotisation spéciale n'était pas déductible.

Pour les exercices d'imposition 1990 et 1991, en vertu de l'article 33, § 1er, de la loi du 7 décembre 1988, les charges ou sommes non justifiées n'ont plus été incorporées à la base imposable en vue de la taxation ordinaire à l'impôt des sociétés. Une cotisation spéciale distincte de 200 p.c. était due sur les charges ou sommes non justifiées, cotisation qui était déductible à titre de charge professionnelle.

B.1.4. La circonstance que la cotisation spéciale n'était pas déductible pendant la période 1984-1989 mais l'était pendant la période 1990-1991 ne doit pas être prise en considération, car la charge fiscale que représentaient ensemble l'impôt des sociétés et la cotisation spéciale était, en dépit de la différence des modes de calcul, sensiblement la même pour les deux périodes (Doc. parl. , Sénat, S.E. 1988, no 440-2, p. 132).

B.2.1. Le juge a quo pose à la Cour la question de savoir si les dispositions en cause instaurent une discrimination parce qu'elles ne font pas de distinction entre, d'une part, les sociétés qui ont supporté des dépenses qu'elles ont considérées comme des charges professionnelles mais que l'administration fiscale a qualifiées d'avantages professionnels de toute nature imposables dans le chef du gérant, ce qui fait que ces dépenses n'ont pas été justifiées de la manière prescrite par la loi mais que toutes les données y afférentes, telles que le nom du bénéficiaire et le montant, figuraient tout de même intégralement dans la comptabilité, de sorte que le gérant a été taxé sur ces montants ou pouvait l'être, et, d'autre part, les sociétés qui ont supporté des dépenses dont le caractère d'avantage professionnel de toute nature dans le chef du gérant est indubitablement établi mais qui ont délibérément négligé l'obligation spéciale de justification.

B.2.2. En imposant une obligation stricte de justification, le législateur a voulu s'assurer de la collaboration maximale des contribuables. La société est sanctionnée si elle ne respecte pas cette obligation spéciale d'identification et si elle empêche ainsi le fisc de vérifier que lesdits paiements ont bien subi, dans le chef du bénéficiaire, le régime fiscal qui leur est applicable.

Lors de l'introduction de l'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964, il a déclaré que le but était de porter la cotisation à un niveau tel qu'aucune société n'ait encore intérêt à ne plus justifier de tels montants selon les formalités légales (Doc. parl. , Chambre, 1979-1980, no 323/1). La cotisation spéciale a donc un caractère dissuasif.

B.2.3. Le fait de ne pas produire de fiches individuelles ni de relevé récapitulatif constitue, selon la loi, une indication suffisante pour que la cotisation spéciale soit établie. La loi ne fait aucun lien entre la déduction des frais professionnels et leur imposition ou non dans le chef des bénéficiaires. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il y ait intention frauduleuse.

La Cour doit vérifier si la mesure est raisonnablement justifiée en tant qu'elle s'applique d'une manière aussi générale et absolue. La requérante devant le juge a quo , à la demande de laquelle la question préjudicielle a été posée, soutient à ce propos que la cotisation spéciale ne pourrait pas être établie lorsque l'administration de la preuve dans les formes exigées par la loi n'a pas été respectée parce que des doutes légitimes existaient sur la qualification de certaines rétributions ou l'évaluation de celles-ci, mais que cela n'a pas empêché l'Administration de taxer les revenus des bénéficiaires.

B.3.1. Il est légitime que le législateur veille à prévenir la fraude fiscale et à préserver les intérêts du Trésor, par souci de justice et pour remplir au mieux les tâches d'intérêt général dont il a la charge.

La cotisation spéciale à l'impôt des sociétés a pour objet de contraindre les contribuables à remplir leur obligation de fournir à l'administration fiscale, dans les formes et les délais légaux, les renseignements qui lui permettront de procéder à la taxation des bénéficiaires des revenus. La mesure est pertinente par rapport aux objectifs du législateur puisqu'elle permet de lutter contre la fraude fiscale en décourageant la pratique des commissions secrètes.

B.3.2. Admettre que la cotisation spéciale ne pourrait pas être établie lorsque le contribuable n'a pas respecté l'obligation spéciale de justification parce qu'il soutient que certaines charges ou sommes ne tombent pas, à son estime, sous l'application des articles 47, § 1er, et 101 du Code des impôts sur les revenus 1964 ferait perdre à la sanction une grande part de son efficacité et la priverait de l'effet dissuasif escompté par le législateur. En effet, le contribuable ne sera pas incité à collaborer au maximum avec le fisc si le fait de s'en abstenir aboutit seulement à ce qu'il puisse être procédé à des redressements, lors d'un contrôle fiscal, sans qu'une cotisation spéciale puisse être infligée. Les avantages de toute nature accordés et au sujet desquels existerait une controverse entre le contribuable et l'Administration échapperaient alors à l'application de la cotisation spéciale. Il est en outre particulièrement difficile, sinon presque impossible, de vérifier si le contribuable négligent a agi de bonne foi.

B.3.3. Le contribuable qui est en litige avec l'Administration concernant la qualification fiscale de certaines rétributions peut porter sa cause devant le juge, lequel soumettra le différend à un nouvel examen.

Si le juge admet le point de vue du contribuable et considère que les dépenses non justifiées n'appartiennent pas aux catégories de revenus professionnels énumérées dans les articles 47, § 1er, et 101 du Code des impôts sur les revenus 1964, l'obligation spéciale d'identification ne naît pas et la cotisation spéciale n'est pas due.

En revanche, si le juge n'admet pas ou n'admet que partiellement le point de vue du contribuable, la cotisation spéciale restera totalement ou partiellement due. Cette conséquence peut se justifier par le souci légitime du législateur de combattre la fraude en décourageant la pratique des commissions secrètes.

B.4. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 132 du Code des impôts sur les revenus 1964, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1984 à 1989, et l'article 33, § 1er, de la loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1990 et 1991, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 février 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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