publié le 27 juin 2003
Extrait de l'arrêt n° 38/2003 du 3 avril 2003 Numéro du rôle : 2624 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1675/3, alinéa 3, 1675/12, §§ 1 er et 3, et 1675/13, §§ 1 er et 5, du Co La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, (...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 38/2003 du 3 avril 2003 Numéro du rôle : 2624 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1675/3, alinéa 3, 1675/12, §§ 1er et 3, et 1675/13, §§ 1er et 5, du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Liège.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 3 février 2003 en cause de l'Office national de sécurité sociale (O.N.S.S.) contre E.D. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 5 février 2003, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle : « de la constitutionnalité des articles et/ou de la constitutionnalité de l'interprétation desdits articles 1673/3 [lire : 1675/3], alinéa 3, 1675/12, §§ 1er et 3, et 1675/13, §§ 1er et 5 : en ce que la loi est interprétée comme n'autorisant le juge à accorder un plan judiciaire emportant remise de dettes en capital à une personne en état de surendettement dont les revenus disponibles sans tomber dans une pauvreté contraire à la dignité humaine sont insuffisants pour apurer le capital des dettes que si ce débiteur dispose de biens immobiliers et/ou mobiliers réalisables en ce que la loi est interprétée comme autorisant le juge à accorder un plan judiciaire emportant remise de dettes en capital à une personne en état de surendettement ne disposant pas de biens immobiliers et/ou mobiliers réalisables et dont les revenus disponibles sans tomber dans une pauvreté contraire à la dignité humaine permettent l'apurement d'une part significative du capital des dettes en ce que la loi est interprétée comme autorisant le juge à accorder un plan judiciaire emportant remise quasi totale des dettes en capital, à une personne en état de surendettement, ne disposant pas de biens immobiliers et/ou mobiliers réalisables, à revenus bas observant un plan de versements mensuels tenant compte de ses bas revenus et de la somme qui doit lui être délaissée, même si ces montants apparaissent dérisoires eu égard au montant des dettes et/ou ne réalisant pas les deux termes de l'objectif visé à l'article 1673/3 [lire : 1675/3], alinéa 3 ». (...) IV. En droit (...) B.1. L'article 1675/13 du Code judiciaire, dont les paragraphes 1er et 5 font l'objet de la question préjudicielle, dispose : « § 1er. Si les mesures prévues à l'article 1675/12, § 1er, ne permettent pas d'atteindre l'objectif visé à l'article 1675/3, alinéa 3, à la demande du débiteur, le juge peut décider toute autre remise partielle de dettes, même en capital, aux conditions suivantes : - tous les biens saisissables sont réalisés à l'initiative du médiateur de dettes, conformément aux règles des exécutions forcées.
La répartition a lieu dans le respect de l'égalité des créanciers, sans préjudice des causes légitimes de préférence; - après réalisation des biens saisissables, le solde restant dû par le débiteur fait l'objet d'un plan de règlement dans le respect de l'égalité des créanciers, sauf en ce qui concerne les obligations alimentaires en cours visées à l'article 1412, alinéa 1er.
Sans préjudice de l'article 1675/15, § 2, la remise de dettes n'est acquise que lorsque le débiteur aura respecté le plan de règlement imposé par le juge et sauf retour à meilleure fortune du débiteur avant la fin du plan de règlement judiciaire. § 2. Le jugement mentionne la durée du plan de règlement judiciaire qui est comprise entre trois et cinq ans. L'article 51 n'est pas d'application. § 3. Le juge ne peut accorder de remise pour les dettes suivantes : - les dettes alimentaires non échues au jour de la décision arrêtant le plan de règlement judiciaire; - les dettes constituées d'indemnités accordées pour la réparation d'un préjudice corporel, causé par une infraction; - les dettes d'un failli subsistant après la clôture de la faillite. § 4. Par dérogation au paragraphe précédent, le juge peut accorder la remise pour les dettes d'un failli, subsistant après une faillite dont la clôture a été prononcée en application de la loi du 18 avril 1851 sur les faillites, banqueroutes et sursis de paiement depuis plus de 10 ans au moment du dépôt de la requête visée à l'article 1675/4.
Cette remise ne peut être accordée au failli qui a été condamné pour banqueroute simple ou frauduleuse. § 5. Sans préjudice de la loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer instituant le droit à un minimum de moyens d'existence et dans le respect de l'article 1675/3, alinéa 3, le juge peut, lorsqu'il établit le plan, déroger aux articles 1409 à 1412 par décision spécialement motivée. » B.2. La procédure du règlement collectif de dettes, instaurée par la loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/07/1998 pub. 31/07/1998 numac 1998011215 source ministere des affaires economiques Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, a pour objectif principal de rétablir la situation financière d'un débiteur surendetté en lui permettant notamment, dans la mesure du possible, de payer ses dettes et en lui garantissant simultanément, ainsi qu'à sa famille, qu'ils pourront mener une vie conforme à la dignité humaine (article 1675/3, alinéa 3, du Code judiciaire inséré par l'article 2 de la loi précitée du 5 juillet 1998). La situation financière de la personne surendettée est globalisée et celle-ci est soustraite à la pression anarchique des créanciers grâce à l'intervention d'un médiateur de dettes, désigné aux termes de l'article 1675/6 nouveau du même Code par le juge qui aura, au préalable, statué sur l'admissibilité de la demande de règlement collectif de dettes. La décision d'admissibilité fait naître une situation de concours entre les créanciers et a pour effet la suspension du cours des intérêts et l'indisponibilité du patrimoine du requérant (article 1675/7 du même Code).
Le débiteur propose à ses créanciers de conclure un plan de règlement collectif amiable, sous le contrôle du juge; celui-ci peut imposer un plan de règlement judiciaire à défaut d'accord (article 1675/3). Ce défaut d'accord est constaté par le médiateur (article 1675/11). Le plan de règlement judiciaire peut comporter un certain nombre de mesures, tels le report ou le rééchelonnement du paiement des dettes ou la remise totale ou partielle des dettes d'intérêts moratoires, indemnités et frais (article 1675/12) et, si ces mesures ne permettent pas de rétablir la situation financière du débiteur, toute autre remise partielle de dettes, même en capital, moyennant le respect des conditions fixées par l'article 1675/13. Il appert des travaux préparatoires de l'article 1675/13, § 1er, du Code judiciaire que ce paragraphe a été conçu et adopté dans le but de tenir compte de la réalité du surendettement : « des débiteurs sont insolvables, et la logique économique ne peut admettre que ces personnes se cantonnent dans l'économie souterraine et restent un poids pour la société. Il faut les réintégrer dans le système économique et social en leur permettant de prendre un nouveau départ » (Doc. parl. , Chambre, 1996-1997, nos 1073/1-1074/1, p. 45).
Le critère de distinction mentionné par le juge a quo est objectif en ce qui concerne l'application de l'article 1675/13, § 1er, à savoir la possibilité de s'acquitter des dettes, fût-ce seulement de manière symbolique dans certains cas.
De même, la différence de traitement alléguée en ce qui concerne l'application de l'article 1675/13, § 5, n'est pas injustifiée : elle garantit que la mise en [009c]uvre du système permette au débiteur de mener au minimum une vie conforme à la dignité humaine et donne au juge la mesure précise de ce minimum en se référant au minimex pour fixer cette mesure.
B.3. Le juge a quo considère toutefois que cette disposition a pour effet de priver les personnes qui sont totalement et définitivement insolvables de la possibilité de bénéficier d'un plan de règlement judiciaire. Par « définitivement insolvables », l'on entend sans doute que le juge doit raisonnablement déduire des circonstances de la cause que l'état d'indigence paraît irréversible. Il en serait de même pour les personnes dont le revenu est inférieur ou égal au minimum de moyens d'existence, ou pourrait l'être si elles devaient rembourser une part significative du capital.
Dans cette interprétation, l'article 1675/13 du Code judiciaire établit une différence de traitement entre les débiteurs qui paraissent totalement et définitivement insolvables et les débiteurs qui peuvent procéder à un paiement significatif du point de vue des créanciers, de leurs dettes, seuls ces derniers pouvant bénéficier d'un plan de règlement judiciaire. Une différence de traitement est aussi établie entre les débiteurs dont le revenu est inférieur ou égal au minimum de moyens d'existence et ceux dont le revenu est supérieur à ce minimum.
B.4. La Cour doit examiner si la disposition en cause n'entraîne pas de conséquences disproportionnées à l'égard de la catégorie de personnes à qui la possibilité d'obtenir un plan de règlement judiciaire est refusée.
En vertu de l'article 1675/2 du Code judiciaire, la procédure de règlement collectif de dettes est accessible à toute personne physique qui, de manière durable, n'est pas en état de payer ses dettes exigibles ou à échoir et qui n'a pas organisé son insolvabilité.
L'objectif du règlement collectif de dettes est de « refaçonner la situation financière de l'individu pour lui permettre, à lui et à sa famille, de prendre un nouveau départ dans la vie » (Doc. parl. , Chambre, 1996-1997, nos 1073/1-1074/1, p. 12).
La circonstance que le débiteur ne dispose d'aucun bien immobilier ou mobilier réalisable, qu'il paraît totalement et définitivement insolvable ou que ses revenus sont ou pourraient être égaux ou inférieurs au minimum de moyens d'existence pourra inciter le juge à rejeter sa demande s'il estime qu'il n'existe aucune possibilité d'établir un plan de règlement. Mais cette même circonstance n'empêche pas que le débiteur puisse se réintégrer dans le système économique pour autant qu'il obtienne la remise totale, le juge pouvant lui imposer des mesures d'accompagnement qui peuvent être, notamment, une guidance budgétaire, sa prise en charge par un service social, l'obligation de suivre un traitement médical ou un accompagnement budgétaire organisé par un centre public d'aide sociale (Doc. parl. , Chambre, 1996-1997, no 1073/11, p. 72). Il est manifestement disproportionné d'interdire a priori à toute personne qui paraît totalement et définitivement insolvable de solliciter un plan de règlement judiciaire alors que la loi vise précisément à éviter qu'une personne endettée ne s'installe durablement dans une situation de marginalité et d'exclusion. Ces personnes étant celles pour lesquelles le danger de marginalisation est le plus important, il n'est pas justifié de les exclure de la possibilité d'obtenir un plan de règlement judiciaire comportant, à terme, remise de leurs dettes en capital.
B.5. Dans l'interprétation selon laquelle l'article 1675/13, §§ 1er et 5, du Code judiciaire interdit au juge d'établir un plan de règlement judiciaire pour le débiteur qui ne dispose d'aucun bien immobilier ou mobilier réalisable, qui paraît totalement et définitivement insolvable ou dont le revenu est ou pourrait être inférieur ou égal au minimum de moyens d'existence, cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6. Dans cette interprétation, la question appelle une réponse affirmative.
B.7. La Cour observe que l'article 1675/13, §§ 1er et 5, ne déroge pas à la règle exprimée à l'article 1675/2 du Code judiciaire selon laquelle toute personne physique endettée peut demander un règlement collectif de dettes, les seules personnes exclues étant celles qui ont organisé leur insolvabilité.
Rien, dans les travaux préparatoires, ne permet de déduire de la disposition en cause qu'elle aurait pour effet d'interdire en toute hypothèse à la personne qui ne dispose d'aucun bien immobilier ou mobilier réalisable, qui paraît totalement et définitivement insolvable ou dont le revenu est ou pourrait être inférieur ou égal au minimum de moyens d'existence de solliciter un règlement collectif de dettes. « Dans les situations les plus extrêmes, c'est une remise quasi totale de dettes qui devra être ordonnée par le juge. Dans ce cas, le plan ne revêtira plus qu'un caractère symbolique; seules des mesures d'accompagnement garderont leur pleine signification. [...] La remise quasi totale de dettes sera une solution ultime, lorsqu'aucune autre mesure n'est possible, lorsque seule cette disposition permet de préserver encore la dignité du débiteur » (Doc. parl. , Chambre, 1996-1997, nos 1073/1-1074/1, p. 44). « Dans certains cas, un plan de règlement collectif de dettes ne pourra s'établir qu'à condition qu'il s'accompagne d'une remise de dettes, totale ou partielle » (Doc. parl. , Chambre, 1996-1997, no 1073/11, p. 6).
La remise de dettes n'intervient qu'au terme du plan de règlement, dont la durée peut varier de trois à cinq ans, et uniquement à la condition, d'une part, que toutes les mesures imposées par le juge aient été respectées et, d'autre part, que le débiteur n'ait pas connu de retour à meilleure fortune. Les droits des créanciers sont donc garantis dans la mesure du possible, compte tenu de la situation du débiteur lors de sa demande de règlement collectif de dettes, par la mise en oeuvre du plan et par les efforts que le débiteur se voit imposer.
La Cour constate, dès lors, que la disposition en cause peut être interprétée comme n'empêchant pas le juge d'accorder un plan de règlement judiciaire à un débiteur qui ne dispose d'aucun bien immobilier ou mobilier réalisable ou qui paraît totalement et définitivement insolvable.
B.8. Dans cette interprétation, l'article 1675/13, §§ 1er et 5, n'établit pas la différence de traitement visée par la question préjudicielle.
B.9. Dans cette interprétation, la question appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 1675/13, §§ 1er et 5, du Code judiciaire, interprété comme excluant de la possibilité de bénéficier d'un plan de règlement judiciaire la personne qui paraît totalement et définitivement insolvable ou dont le revenu est égal ou inférieur au minimum de moyens d'existence, viole les articles 10 et 11, lus ou non en combinaison avec l'article 23, de la Constitution. - L'article 1675/13, §§ 1er et 5, du Code judiciaire, interprété comme n'excluant pas de la possibilité de bénéficier d'un plan de règlement judiciaire la personne qui paraît totalement et définitivement insolvable ou dont le revenu est égal ou inférieur au minimum de moyens d'existence, ne viole pas les articles 10 et 11, lus ou non en combinaison avec l'article 23, de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 3 avril 2003, par le siège précité, dans lequel les juges L. François, A. Alen et E. Derycke, légitimement empêchés, sont remplacés, pour le prononcé, respectivement par les juges P. Martens, M. Bossuyt et E. De Groot, conformément à l'article 110 de la même loi.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, M. Melchior.