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Arrêt
publié le 21 mars 2002

Extrait de l'arrêt n° 21/2002 du 23 janvier 2002 Numéro du rôle : 2051 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrag composée du président M. Melchior, des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen et A(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 21/2002 du 23 janvier 2002 Numéro du rôle : 2051 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée du président M. Melchior, des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen et A. Alen, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, du président émérite H. Boel, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n° 89.734 du 20 septembre 2000 en cause de P. Beelen contre l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI), dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 10 octobre 2000, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat n'est-il pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'il prévoit que lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi des mémoires, le Conseil d'Etat constate l'absence d'intérêt requis, et ce alors même que - contrairement à ce qui est prévu dans la procédure devant les juridictions de l'ordre judiciaire - l'avocat, conseil du requérant, n'a pas été informé de la notification à son client du mémoire en réponse, point de départ du délai pour déposer un mémoire en réplique ? 2. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat n'est-il pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que sa sanction s'applique indifféremment à la partie qui a fait élection de domicile au cabinet de son conseil (et dont le conseil reçoit donc une copie du mémoire en réponse) et à celle qui n'a pas procédé à une telle élection de domicile (et dont le conseil ne reçoit pas copie du mémoire, ni même n'est informé par le greffe du dépôt) ? 3.L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat n'est-il pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que sa sanction s'applique indifféremment à la partie qui bénéficie d'un arrêt prononçant la suspension de l'acte administratif dont l'annulation est poursuivie, et à celle qui ne bénéficierait pas d'un tel arrêt ? » (...) IV. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, tel qu'il était en vigueur à la date à laquelle les questions préjudicielles ont été posées, disposait : « Lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi du mémoire en réplique ou du mémoire ampliatif, la section statue sans délai, les parties entendues à leur demande, en constatant l'absence de l'intérêt requis. » B.2.1. La règle en cause a été insérée dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat par l'article 1er de la loi du 17 octobre 1990. Elle fait partie d'une série de mesures par lesquelles le législateur entendait réduire la durée de la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et en résorber l'arriéré (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 1, et n° 984-2, p. 2, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2640 et s.).

Les travaux préparatoires de cette disposition précisaient que « l'intention [...] est de remédier à la longueur voulue ou non par les parties en cause dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat.

Le non-respect des délais pour l'envoi des mémoires sera assimilé, d'office, à l'absence de justification de l'intérêt requis à l'article 19 » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).

Dans l'arrêt n° 48.624 du 13 juillet 1994, le Conseil d'Etat, après une analyse des travaux préparatoires et en particulier après constatation du rejet d'un amendement prévoyant un traitement plus souple (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-5, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2646, 2648, 2650 et 2651), a abouti à la conclusion que « le législateur a entendu qu'il ne soit, à aucune condition, accepté d'excuse pour la non-transmission ou la transmission tardive d'un mémoire; en définissant la sanction qu'il inflige comme 'l'absence de l'intérêt requis ', il a indiqué qu'il regardait le dépôt d'un mémoire comme la manifestation formelle de la persistance de l'intérêt ».

B.2.2. L'article 21, alinéa 2, fait ainsi du dépôt d'un mémoire en réplique ou d'un mémoire ampliatif une obligation pour la partie requérante si elle veut éviter que l'absence de l'intérêt requis soit constatée.

Dès lors que cette obligation résulte de la loi, les articles 7 et 8 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat doivent être lus en ce sens que le greffier, à défaut du dépôt du dossier administratif ou d'un mémoire en réponse dans le délai prescrit, est tenu d'en aviser la partie requérante en faisant mention, conformément à l'article 14bis, § 2, de cet arrêté, de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

En outre, il ressort des travaux préparatoires que le législateur avait l'intention d'attacher des conséquences sévères au non-respect des délais et qu'il entendait que le Conseil d'Etat, dans les notifications du greffier, rappelle à la partie requérante les effets légaux de son absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, pp. 4 et 43).

Quant à la première question préjudicielle B.3. La première question préjudicielle invite la Cour à comparer la situation du requérant qui, n'ayant pas respecté les délais d'introduction pour l'envoi des mémoires parce que son conseil n'a pas été informé de la notification qui lui a été faite du mémoire en réponse, se voit appliquer la sanction de l'article 21, alinéa 2, et celle de la partie à une procédure devant une juridiction de l'ordre judiciaire, qui ne se voit pas appliquer la même sanction.

B.4. Le Conseil d'Etat connaît de recours ayant la spécificité d'être des procès faits à des actes administratifs qui peuvent être, soit des actes individuels, soit des actes réglementaires intéressant un nombre indéterminé de personnes. La procédure qu'il applique doit tenir compte de l'exigence de stabilité qui est particulièrement importante en droit public pour les rapports entre l'autorité et les particuliers ainsi qu'entre les diverses autorités. Cette procédure est de type inquisitoire et elle échappe à la volonté des parties : la fixation d'une affaire y est décidée d'autorité par le Conseil, tandis que les règles du Code judiciaire supposent qu'au moins l'une des parties à la cause l'ait demandée, manifestant ainsi la persistance de son intérêt à l'action. Enfin, les arrêts par lesquels le Conseil prononce une annulation ont une autorité absolue de chose jugée.

Ces caractéristiques, propres au contentieux de l'annulation confié au Conseil d'Etat, indiquent qu'en prenant des mesures qui dispensent cette juridiction d'examiner des affaires pour lesquelles le requérant ne manifeste plus d'intérêt, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et pertinent puisqu'elles permettront au Conseil, d'une part, de mettre fin sans retard à l'incertitude sur la légalité d'un acte administratif attaqué devant lui, d'autre part, de se consacrer à l'examen des recours qui présentent encore un intérêt actuel et certain pour le requérant.

B.5. Il reste à examiner si, en créant une cause d'irrecevabilité applicable aux seuls requérants devant le Conseil d'Etat et en la rendant applicable alors même qu'ils auraient obtenu la suspension de l'acte qu'ils attaquent, le législateur ne prive pas de manière injustifiée cette catégorie de justiciables du droit, qui doit être offert à toute personne, de pouvoir s'adresser à un juge.

B.6. Quelque lourde que soit pour la partie requérante la conséquence du non-respect des délais fixés pour l'introduction des mémoires, une telle mesure n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur. En effet, la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure, principe duquel le législateur n'a pas entendu s'écarter, bien qu'il ait envisagé de le faire, puisqu'il impose d'entendre les parties qui le demandent.

L'obligation de transmettre dans les délais un mémoire, dont le contenu peut se limiter à la simple confirmation de ce que la partie requérante persiste dans sa requête, est une exigence de forme qui n'entraîne pas une charge disproportionnée au regard dudit objectif.

B.7. Pour le surplus, la circonstance que l'avocat de la partie requérante chez qui celle-ci n'a pas élu domicile n'est pas informé par le greffe de la notification du mémoire en réponse qui a été faite à son client - alors que ce serait le cas, ainsi que le soutient la partie requérante devant le Conseil d'Etat, dans une procédure judiciaire - ne résulte pas de l'application de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, mais bien de l'application de l'article 7 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat, qui, fixant la procédure de transmission du mémoire en réponse au requérant et le délai d'introduction du mémoire en réplique, ne prévoit pas que l'avocat de celui-ci en soit informé par le greffe.

C'est au Conseil d'Etat qu'il appartient d'apprécier la constitutionnalité de cette disposition, ainsi que le suggère le Conseil des ministres, en vertu de l'article 159 de la Constitution.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.8. La discrimination dénoncée par la deuxième question préjudicielle proviendrait de ce que la sanction portée par l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat s'applique de la même manière à la partie requérante qui a fait élection de domicile chez son avocat et à la partie requérante qui ne l'a pas fait, alors qu'elles se trouveraient dans des situations essentiellement différentes.

B.9. La différence entre ces deux situations provient, non de la loi, mais de la décision qu'ont prise le requérant et son avocat de permettre au greffier du Conseil d'Etat de faire les notifications chez l'un ou chez l'autre. C'est à celui qui reçoit la notification qu'il appartient d'informer celui qui ne la reçoit pas. Les deux catégories de requérants ne se trouvent pas dans une situation essentiellement différente quant à l'appréciation de leur intérêt au recours : dans les deux cas, l'absence du mémoire exigé par la disposition en cause peut faire présumer une perte d'intérêt au recours.

Quant à la troisième question préjudicielle B.10. La troisième question préjudicielle invite la Cour à comparer la situation du requérant qui bénéficie d'un arrêt de suspension de l'acte dont il poursuit l'annulation et celle du requérant qui ne bénéficie pas d'un tel arrêt. Le requérant devant le Conseil d'Etat soutient que le traitement identique de ces deux catégories de requérants serait discriminatoire, étant donné qu'ils se trouveraient dans des situations essentiellement différentes.

B.11. Si les deux situations sont différentes, l'obtention d'un arrêt de suspension n'implique pas nécessairement le maintien de l'intérêt au recours. La suspension peut inciter l'autorité à retirer l'acte attaqué, à le modifier ou à prendre une mesure qui donne satisfaction au requérant. Le requérant lui-même peut s'être trouvé, entre-temps, dans une situation qui n'est plus affectée par la norme qu'il a fait suspendre. Le législateur a pu présumer que l'inaction du requérant s'expliquait par l'une ou l'autre de ces circonstances.

La mesure serait excessive si elle surprenait le requérant en donnant à son inaction une interprétation qu'il n'a pu prévoir. Tel n'est pas le cas de la disposition en cause : elle lui est rappelée par le greffier lorsqu'il lui notifie le mémoire en réponse ou lorsqu'il l'avertit que la partie adverse n'en a pas déposé, attirant ainsi son attention sur la perte d'intérêt qui sera déduite de son inaction.

Compte tenu des objectifs qu'il poursuivait, le législateur pouvait dès lors raisonnablement prévoir que la sanction de l'article 21, alinéa 2, s'appliquerait à tous les requérants, qu'ils aient ou non préalablement obtenu la suspension de l'acte qu'ils attaquent.

B.12. Les trois questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prévoit que l'absence de l'intérêt requis est constatée dans le chef de la partie requérante qui ne respecte pas le délai prévu pour introduire un mémoire en réplique ou un mémoire ampliatif, même si cette partie n'a pas fait élection de domicile chez son avocat, et même lorsqu'elle a obtenu la suspension de l'acte dont elle poursuit l'annulation.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 23 janvier 2002.

Le greffier, Le président, L. Potoms. M. Melchior.

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