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Arrêt
publié le 12 février 2002

Extrait de l'arrêt n° 153/2001 du 28 novembre 2001 Numéros du rôle : 2037 et 2040 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 23, 24 et 37 de la loi du 21 décembre 1998 relative à la sécurité lors des matches de football, La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)

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Extrait de l'arrêt n° 153/2001 du 28 novembre 2001 Numéros du rôle : 2037 et 2040 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 23, 24 et 37 de la loi du 21 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1998 pub. 03/02/1999 numac 1999000028 source ministere de l'interieur Loi relative à la sécurité lors des matches de football fermer relative à la sécurité lors des matches de football, posées par le Tribunal de police de Tongres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugements du 25 septembre 2000 en cause de M. Naim et de R. Santoro contre le ministère de l'Intérieur, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage les 2 et 3 octobre 2000, le Tribunal de police de Tongres a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 23, 24 et 37 de la loi du 21 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1998 pub. 03/02/1999 numac 1999000028 source ministere de l'interieur Loi relative à la sécurité lors des matches de football fermer [relative à la sécurité lors des matches de football] violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'avec les principes généraux de droit, en tant que celui qui comparaît devant le tribunal de police pour cause d'infraction à l'article 23 ne peut se voir infliger une amende qui soit inférieure au minimum légal prévu par les articles 24 et 37, cependant que celui qui comparaît devant le juge pénal peut bénéficier de l'application de l'article 85 du Code pénal ou d'une autre mesure de faveur pénale découlant des lois particulières ? » (...) IV. En droit (...) B.1. Le juge a quo demande à la Cour s'il n'est pas discriminatoire qu'un juge de police, saisi par l'appel interjeté contre une amende administrative et une interdiction administrative de stade encourues pour certains comportements troublant le déroulement d'un match de football (article 23 de la loi du 21 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1998 pub. 03/02/1999 numac 1999000028 source ministere de l'interieur Loi relative à la sécurité lors des matches de football fermer relative à la sécurité lors des matches de football, dénommée ci-après « loi sur le football »), ne peut infliger une amende administrative inférieure au minimum fixé dans les articles 24 et 37 de cette même loi, alors que le juge pénal peut appliquer l'article 85 du Code pénal ou « une autre mesure de faveur pénale découlant des lois particulières ».

Les dispositions en cause de la loi sur le football sont libellées comme suit : «

Art. 23.Pourra encourir une ou plusieurs sanctions prévues à l'article 24 quiconque, seul ou en groupe, trouble par son comportement le déroulement d'un match national de football ou d'un match international de football, en incitant à porter des coups et blessures, à la haine ou à l'emportement à l'égard d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans le stade. » «

Art. 24.Conformément à la procédure prévue au Titre IV, une amende administrative de dix mille francs à deux cent mille francs et une interdiction de stade administrative d'une durée de trois mois à cinq ans ou une de ces deux sanctions peuvent être infligées en cas de contravention aux articles 20, 21, 22 et 23. » «

Art. 37.S'il y a des circonstances atténuantes, les amendes administratives prévues aux articles 18 et 24 peuvent être diminuées jusqu'en-deçà de leur minimum, sans qu'elles ne puissent être inférieures à dix mille francs pour une sanction basée sur l'article 18, ou inférieures à cinq mille francs pour une sanction basée sur l'article 24. » B.2. L'article 37 de la loi sur le football - article unique du chapitre VIII « Circonstances atténuantes » du titre IV de cette loi - prévoit expressément que s'il y a des circonstances atténuantes, les amendes administratives, prévues notamment à l'article 24, peuvent être diminuées au-dessous de leur minimum. Les questions préjudicielles doivent par conséquent être interprétées en ce sens qu'elles visent, non pas la possibilité de diminuer l'amende administrative au-dessous du minimum légal en cas de circonstances atténuantes, mais seulement l'impossibilité de réduire l'amende administrative, en pareil cas, à un montant « inférieur à cinq mille francs pour une sanction basée sur l'article 24 », alors que le juge pénal peut imposer, en application de l'article 85 du Code pénal, une amende encore inférieure ou faire application de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation.

B.3.1. Dans leur mémoire, les appelants dans l'instance principale font valoir qu'il résulte de l'application de la loi sur le football que celui qui se rend coupable de faits punissables en troublant le déroulement d'un match de football peut être sanctionné autrement que celui qui assiste à une autre rencontre sportive. De plus, selon ces parties, un justiciable est jugé différemment pour les mêmes faits, selon qu'il assiste, d'une part, à un match de football national - une rencontre à laquelle participe au moins un club de première ou de deuxième division nationale - ou à un match de football international ou, d'autre part, à un autre match « officiel » de football. Les parties susdites estiment que ces distinctions ne sont pas raisonnablement justifiées.

B.3.2. Les parties devant la Cour ne peuvent pas modifier ou faire modifier le contenu des questions préjudicielles. La Cour ne peut étendre son contrôle à des différences de traitement au sujet desquelles le juge a quo ne l'a pas interrogée.

La Cour limite par conséquent son examen à la différence de traitement mentionnée dans les questions préjudicielles, telle qu'elle est décrite au B.2.

B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. Lorsque le législateur estime que certains manquements à des obligations légales doivent faire l'objet d'une répression, il relève de son pouvoir d'appréciation de décider s'il est opportun d'opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives. Le choix de l'une ou l'autre catégorie de sanctions ne peut être considéré comme établissant, en soi, une discrimination.

Néanmoins, la différence de traitement qui pourrait en résulter est discriminatoire si elle n'est pas raisonnablement justifiée.

B.6. La possibilité de recourir à des sanctions administratives pour réprimer certaines « infractions » à la loi sur le football répond aux objectifs préventifs et répressifs poursuivis par le législateur.

Il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi sur le football que : « En ce qui concerne les sanctions à l'égard des [...] personnes présentes dans le stade, il a été opté pour un système administratif afin de traiter les affaires de manière rapide et aussi parce qu'un tel système est moins pénalisant pour les personnes concernées qu'une approche pénale (aucune mesure privative de liberté n'est prévue - or de telles mesures, visées à l'article 7 du Code pénal, sont plus graves qu'une amende -, les sanctions administratives ne seront pas reprises au casier judiciaire de l'intéressé, ...).

Ce faisant, les dispositions de la loi veillent au respect des exigences posées par les articles 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en matière de droits de la défense, d'égalité, de légalité et de proportionnalité. Il est particulièrement tenu compte des droits de la défense (voir la procédure administrative dans le chapitre III), du principe de la légalité (tel que l'indique la jurisprudence de la Cour européenne [...] des droits de l'homme), du principe d'égalité (tel que l'indique la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, plus spécifiquement pour ce qui concerne les sanctions administratives, voir article 37) et [du] principe de proportionnalité (article 29, alinéa 2). » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1572/1, pp. 1-2) L'application de sanctions administratives en vue de combattre la violence liée au football a été justifiée comme suit par le ministre de l'Intérieur : « [Les sanctions administratives] parachèvent le droit pénal sans le remplacer en introduisant un système régissant le concours des poursuites pénales et administratives [...]. Elles simplifient le système en ce qui concerne la charge de la preuve, ce qui constitue un avantage considérable en comparaison des dispositions pénales existantes. [...] Elles assurent une réaction sociale efficace, rapide et pertinente, étant donné que les sanctions administratives prévues sont propres aux faits visés. [...] Elles constituent la réponse à l'absence de réaction sociale en raison de l'encombrement des tribunaux et du classement sans suite par les parquets, étant donné que la procédure administrative sera menée par des fonctionnaires ` spécialisés ' en football. [...] Enfin, elles ont un effet préventif dû à la ` menace ' de sanctions lourdes. [...] On peut donc partir de l'hypothèse qu'elles auront un effet préventif général beaucoup plus important que ce n'est le cas dans l'état actuel de la législation. » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1060/3, pp. 5-7) B.7. Il reste cependant à examiner si le choix du législateur n'a pas d'effets discriminatoires en ce qu'il conduit aux différences de traitement dénoncées dans les questions préjudicielles concernant l'individualisation des peines.

Le législateur a opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, en laissant au juge un choix quant à la sévérité de la peine, en lui permettant de tenir compte de circonstances atténuantes et en l'autorisant à accorder des mesures de sursis et de suspension du prononcé.

Cependant, l'individualisation des peines est une politique répressive choisie parmi plusieurs concevables, plutôt qu'un principe général de droit s'imposant au législateur. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et exclure ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.

B.8.1. L'article 37 de la loi sur le football permet, lorsqu'il existe des circonstances atténuantes, de diminuer les amendes administratives prévues à l'article 24 au-dessous de leur minimum, mais limite cette diminution à un montant qui ne peut être inférieur à cinq mille francs pour une sanction basée sur l'article 24.

B.8.2. Selon les travaux préparatoires, le régime des circonstances atténuantes a été introduit dans l'article 37 de la loi sur le football pour les motifs suivants : « Afin de prévenir toute violation du principe d'égalité par comparaison au droit pénal (article 85 du Code pénal), [l']article [37 de la loi sur le football] prévoit la réglementation des ` circonstances atténuantes administratives ', dont le fonctionnaire visé à l'article 26 ou le tribunal de police en cas d'appel peuvent tenir compte pour adapter le cas échéant la hauteur de l'amende à imposer à la situation concrète » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1572/1, pp. 24-25).

B.8.3. Le seuil de cinq mille francs sous lequel il n'est pas possible de descendre, même en cas de circonstances atténuantes, a été instauré afin de conserver aux amendes administratives un caractère suffisamment dissuasif.

Lors des travaux préparatoires, le ministre de l'Intérieur a souligné que « les dispositions [citées] du Code pénal [...] n'ont pratiquement aucun effet dissuasif, étant donné que la peine maximale prévue ne dépasse pas 25 francs x 200 = 5 000 francs et ce, sans tenir compte de l'application éventuelle de circonstances atténuantes, qui peut ramener l'amende à 200 francs (1 franc x 200) » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1572/5, p. 8).

En outre, ce seuil minimal n'atteint pas un montant tel qu'il puisse être considéré comme disproportionné par rapport à la gravité des faits et par rapport aux buts répressif et préventif poursuivis par le législateur.

B.9. Le fait que le juge de police saisi d'un recours contre une amende administrative fixée à l'article 24 de la loi sur le football ne puisse appliquer « aucune autre mesure de faveur pénale découlant des lois particulières » - sont manifestement visées ici les mesures prévues par la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation - résulte de la circonstance que ces mesures sont étroitement liées aux sanctions pénales. Il s'agit de « permettre au juge de mettre l'auteur d'une infraction à l'épreuve pendant un certain temps, à la suite duquel, si son comportement est satisfaisant, aucune condamnation n'est prononcée, ni aucune peine d'emprisonnement subie » (Ann., Sénat, 1963-1964, n° 5, séance du 26 novembre 1963, p. 80). Ces mesures ont été prévues dans le but d'éliminer ou d'atténuer les effets infamants qui s'attachent à une condamnation pénale.

Le législateur peut, sans méconnaître le principe d'égalité, estimer qu'une mesure de suspension, de sursis ou de probation n'est pas applicable aux amendes administratives. Celles-ci sont des mesures exclusivement pécuniaires, n'ont pas le caractère infamant qui s'attache aux condamnations pénales sensu stricto, ne sont pas inscrites au casier judiciaire et ne sont pas de nature à compromettre la réintégration de celui auquel elles sont infligées.

B.10. L'article 37 de la loi sur le football n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition ne permet pas que le justiciable comparaissant devant le tribunal de police en raison de l'appel interjeté contre une amende administrative infligée pour infraction à l'article 23 de la loi sur le football, d'une part, se voie imposer une amende administrative inférieure à cinq mille francs pour une sanction basée sur l'article 24 de cette même loi et, d'autre part, puisse bénéficier d'une mesure de suspension, de sursis ou de probation.

B.11. Le juge a quo demande à la Cour d'examiner la violation prétendue des articles 10 et 11 de la Constitution en combinaison avec, d'une part, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et, d'autre part, les principes généraux de droit.

En tant qu'est invoquée cette combinaison avec la disposition conventionnelle précitée, il y a lieu de relever qu'elle ne conduit pas à une autre conclusion, le juge disposant à l'égard de l'amende administrative de la compétence de pleine juridiction inhérente au procès équitable en matière pénale (voy. notamment Cour eur. D.H., 23 octobre 1995, Gradinger c. Autriche).

En tant qu'est invoquée la combinaison avec « les principes généraux de droit », la Cour constate que le juge a quo n'indique pas quel principe général de droit serait en cause.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 37 de la loi du 21 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1998 pub. 03/02/1999 numac 1999000028 source ministere de l'interieur Loi relative à la sécurité lors des matches de football fermer relative à la sécurité lors des matches de football ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 28 novembre 2001.

Le greffier, Le président, L. Potoms. A. Arts.

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