publié le 15 décembre 2000
Arrêt n° 124/2000 du 29 novembre 2000 Numéro du rôle : 1804 En cause : le recours en annulation de l'article 9 du décret de la Communauté flamande du 30 mars 1999 modifiant les articles 78 et 79 des décrets relatifs à la radiodiffusion et à l La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 124/2000 du 29 novembre 2000 Numéro du rôle : 1804 En cause : le recours en annulation de l'article 9 du décret de la Communauté flamande du 30 mars 1999 modifiant les articles 78 et 79 des décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision, coordonnés le 25 janvier 1995, introduit par la s.a. Vlaamse Mediamaatschappij.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 novembre 1999 et parvenue au greffe le 15 novembre 1999, un recours en annulation de l'article 9 du décret de la Communauté flamande du 30 mars 1999 modifiant les articles 78 et 79 des décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision, coordonnés le 25 janvier 1995 (publié au Moniteur belge du 11 mai 1999) a été introduit par la s.a.
Vlaamse Mediamaatschappij, dont le siège social est établi à 1800 Vilvorde, Medialaan 1.
II. La procédure Par ordonnance du 15 novembre 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 2 décembre 1999.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 15 décembre 1999.
Des mémoires ont été introduits par : - le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 2000; - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 17 janvier 2000.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandée à la poste le 13 juin 2000.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Gouvernement de la Communauté française, par lettre recommandée à la poste le 28 juin 2000; - la partie requérante, par lettre recommandée à la poste le 13 juillet 2000.
Par ordonnances des 27 avril 2000 et 26 octobre 2000, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 10 novembre 2000 et 10 mai 2001 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 12 juillet 2000, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 4 octobre 2000.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 19 juillet 2000.
A l'audience publique du 4 octobre 2000 : - ont comparu : . Me F. Van Elsen, avocat au barreau d'Anvers, loco Me G. Glas, avocat au barreau de Bruxelles, et loco Me C. Lesaffer, avocat au barreau d'Anvers, pour la partie requérante; . Me M. Bauwens, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; - les juges-rapporteurs M. Bossuyt et R. Henneuse ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
III. En droit - A Quant à la disposition entreprise A.1. La s.a. Vlaamse Mediamaatschappij demande l'annulation de l'article 9 du décret de la Communauté flamande du 30 mars 1999 modifiant les articles 78 et 79 des décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision, coordonnés le 25 janvier 1995 (ci-après : les « décrets coordonnés relatifs aux médias »). La disposition entreprise insère un titre Vquinquies, qui consiste en un article unique 116nonies decies, lequel règle la création et le fonctionnement du Conseil flamand de la radio et de la télévision.
Ce Conseil, saisi d'une plainte émanant d'une personne physique ou morale, ou d'initiative, statue sur l'application de l'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias.
Cet article dispose que les radiodiffuseurs qui relèvent de la Communauté flamande ne peuvent diffuser des programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes pornographiques ou de violence gratuite. L'interdiction vaut également pour les programmes ne répondant pas à cette définition mais qui sont néanmoins susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sauf s'il est assuré notamment par le choix de l'heure de diffusion du programme ou par des mesures techniques que les mineurs ne voient normalement pas ces programmes. Si de tels programmes sont diffusés en clair, ils doivent être précédés d'un « avertissement auditif ».
La disposition entreprise règle la création du Conseil, sa composition et ses compétences, ainsi que son fonctionnement et ses possibilités d'infliger des sanctions.
Quant à la recevabilité du recours en annulation A.2.1. En tant que radiodiffuseur privé agréé par la Communauté flamande couvrant l'ensemble de celle-ci, la requérante entre dans le champ d'application du décret entrepris, si bien qu'elle estime justifier d'un intérêt à attaquer cette réglementation. La création et, partant, l'existence du Conseil flamand de la radio et de la télévision découlent indéniablement de la disposition entreprise.
A.2.2. Pour ce qui est de la recevabilité du recours en annulation, le Gouvernement flamand observe que la requérante n'attaque pas le paragraphe 3, également inséré par le décret du 30 mars 1999, de l'article 78 des décrets coordonnés relatifs aux médias, lequel prévoit que le Gouvernement flamand ne peut désormais suspendre la retransmission d'un programme qui enfreint l'interdiction contenue à l'article 78 que sur proposition du Conseil flamand de la radio et de la télévision. Le Gouvernement en déduit que la requérante ne conteste pas l'existence de ce Conseil en tant que telle mais uniquement la façon dont est organisé le contrôle exercé par le Conseil. La question est également de savoir si la requérante est affectée défavorablement par la disposition entreprise, dès lors qu'il ressort de son argumentation qu'elle ne s'oppose pas à l'intervention d'un organe de contrôle en tant que telle, mais bien à la façon dont intervient le Conseil qui a été institué spécifiquement pour ce faire.
A.2.3. A titre principal, le Gouvernement de la Communauté française estime que le recours en annulation est irrecevable en ce que la partie requérante ne justifie pas d'un intérêt légitime. Il ne saurait être admis qu'elle puisse valablement solliciter l'annulation de la norme qui instaure un organe appelé à contrôler le contenu des programmes en vue de protéger les mineurs, et ce à peine de donner à la liberté d'expression un caractère débridé.
Sur le fond Quant au premier moyen A.3.1. Dans un premier moyen, la partie requérante fait valoir que le régime entrepris viole les règles répartitrices de compétences.
L'article 1er du décret dispose qu'il règle une matière communautaire, à savoir la compétence en matière de radiodiffusion et de télévision, définie à l'article 4, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. L'article litigieux a toutefois des implications profondes pour l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de presse des radiodiffuseurs, dès lors que la création du Conseil litigieux s'accompagne de l'instauration d'un système de limitation répressif et préventif. Le décret règle ainsi les modalités d'exercice de certains droits fondamentaux, ce que la communauté ne peut faire que sur la base de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
En l'espèce, il n'est cependant pas satisfait aux conditions d'application de cette disposition. Le législateur décrétal ne justifie pas valablement pourquoi le contrôle exercé sur l'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias, qui porte, à ses yeux, spécifiquement sur le contenu et qui n'est pas d'ordre juridique, doit être confié à un organe distinct et pourquoi il ne pouvait être confié au Conseil des litiges, qui existe déjà , ou au Commissariat flamand aux médias. En ce qu'il est en outre institué un mécanisme hautement répressif et préventif, qui porte sur toute la programmation du radiodiffuseur, l'on peut malaisément soutenir que l'impact sur la liberté d'expression et la liberté de presse ne serait que marginal.
A.3.2. Selon le Gouvernement flamand, le premier moyen repose sur une prémisse inexacte lorsqu'il postule que le règlement de l'exercice de droits fondamentaux, sauf application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, relève de la compétence du seul législateur fédéral. En vertu de l'article 11 de la Constitution, tous les législateurs doivent assurer tous les droits et libertés fondamentaux et ils peuvent également les soumettre à des restrictions.
Les considérations de la partie requérante relatives à l'application de l'article 10 de la loi spéciale ne sont pas pertinentes en l'espèce. La disposition décrétale entreprise trouve son titre de compétence à l'article 4, 6°, et à l'article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980, aux termes desquels les communautés sont compétentes en matière de radiodiffusion et de télévision et peuvent, dans ce cadre, créer des établissements. Surabondamment, l'on peut encore invoquer l'article 5, § 1er, II, 6°, de cette loi, en vertu duquel la protection de la jeunesse est également une compétence communautaire.
A.3.3. Le Gouvernement de la Communauté française estime que la norme entreprise relève de la compétence de la Communauté flamande et ne limite nullement la liberté d'expression ou la liberté de presse de la partie requérante. Le décret a pour seul objet de créer un organe de contrôle qui doit vérifier si le prescrit de l'article 78 des décrets coordonnés relatifs aux médias est respecté. Dans la mesure où la partie requérante estime que le Conseil litigieux ne répond à aucune nécessité, sa critique ne porte pas sur la répartition des compétences entre l'autorité fédérale et la Communauté, mais uniquement sur l'opportunité d'une telle création.
Quant au deuxième moyen A.4.1. Dans un second moyen, la partie requérante dénonce la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Renvoyant à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage et à la doctrine, elle affirme qu'une limitation d'un droit fondamental doit également être considérée comme un traitement inégal illicite.
Il ne fait aucun doute que le Conseil flamand de la radio et de la télévision doit être considéré comme une juridiction administrative.
C'est ce qui ressort tant des travaux préparatoires que de la composition et du fonctionnement de ce Conseil ainsi que des critères définis en la matière par la jurisprudence et la doctrine et analysés dans le détail par la partie requérante. Le Conseil ne satisfait cependant pas aux conditions de procédure émises par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. La composition du Conseil ne satisfait pas aux exigences d'impartialité et d'indépendance, qui sont essentielles pour une juridiction. L'absence d'impartialité objective ressort également du fait que le Conseil cumule les compétences de poursuivre, d'enquêter et de dire droit.
La disposition entreprise ne prévoit nullement que les décisions du Conseil doivent être motivées, ce qui constitue également une violation manifeste de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il n'est pas davantage satisfait à la condition que les décisions judiciaires doivent être rendues publiquement. Enfin, tout régime devant offrir une protection minimale et des garanties en vue d'un procès équitable fait défaut, dès lors que le Conseil doit lui-même élaborer les modalités relatives à la procédure et à son fonctionnement. Il va sans dire qu'un organe investi d'une compétence juridictionnelle et d'un pouvoir de sanction qui est en même temps juge, partie et autorité chargée d'établir ses propres règles ne peut être réputé en mesure d'assurer une administration de la justice qui soit compatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La partie requérante critique encore sommairement les différentes procédures devant le Conseil flamand de la radio et de la télévision et d'autres instances ainsi que le fait que la compétence de ce Conseil soit limitée aux radiodiffuseurs de la Communauté flamande ou agréés par celle-ci.
A.4.2. Selon le Gouvernement flamand, le moyen n'est pas recevable, au motif qu'il dénonce la violation directe de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, violation dont la Cour ne peut connaître. Subsidiairement, le moyen n'est pas fondé lorsqu'il fait valoir que le droit fondamental à une procédure correcte serait violé, dès lors que, par la création du Conseil flamand de la radio et de la télévision, ce n'est pas une juridiction qui est instituée, mais simplement un organe administratif. Dans cette fonction, le Conseil est soumis aux principes de bonne administration, telles l'obligation d'impartialité et l'obligation d'audition, et il est également soumis à la loi du 29 juillet 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/07/1991 pub. 18/12/2007 numac 2007001008 source service public federal interieur Loi relative à la motivation formelle des actes administratifs. - Traduction allemande fermer relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Pour ce qui est du grief relatif aux procédures distinctes devant le Conseil litigieux et devant d'autres organes, le Gouvernement observe qu'il s'agit de la conséquence normale de la mission spéciale du Conseil. Le grief selon lequel la compétence du Conseil serait limitée aux radiodiffuseurs de la Communauté flamande ou agréés par elle manque en grande partie en fait.
A.4.3. Le Gouvernement de la Communauté française conteste également la recevabilité du moyen au motif qu'il est inféré de la violation du droit conventionnel.
Le Gouvernement observe encore que contrairement à ce que semble suggérer la partie requérante, l'ensemble des radiodiffuseurs de la Communauté flamande, en ce compris les opérateurs qui émettent sur le câble, sont soumis au régime de contrôle entrepris.
Pour ce qui est de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, il est fort peu probable, selon le Gouvernement, que cette disposition soit applicable au Conseil litigieux, dès lors que celui-ci n'est pas appelé à statuer sur des contestations portant sur des droits ou des obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale. Cette critique, émise par la partie requérante au sujet de l'impartialité du Conseil et du défaut de garanties procédurales, est un pur et simple procès d'intention et ne trouve pas appui dans la disposition entreprise.
Quant au troisième moyen A.5.1. Dans le troisième moyen, la partie requérante soutient que l'article 9 du décret du 30 mars 1999 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il est instauré un régime contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
De par la création du Conseil flamand de la radio et de la télévision, il est institué un mécanisme répressif et préventif de limitation de la liberté d'expression. Le système est en premier lieu répressif en ce qu'il peut être infligé une peine après l'expression de la liberté de presse; le Conseil peut également agir de manière préventive en ce qu'il peut proposer au Gouvernement flamand de suspendre un programme télévisé.
De telles limitations à la liberté d'expression doivent satisfaire aux conditions prévues par l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Tout d'abord, le décret entrepris ne contient pas la moindre indication ou précision quant à la façon dont certaines restrictions peuvent être imposées ni en vertu de quels critères, en sorte qu'il n'est pas satisfait à la condition selon laquelle les restrictions doivent être prévues par la loi.
Ensuite, la partie requérante estime que le but poursuivi par le décret n'est pas légitime, puisqu'il est institué un organe appelé à juger sur la base de critères éthiques quelle opinion est valable ou non, ce qui ne peut en aucun cas procurer un fondement légitime aux restrictions.
Enfin, il n'est pas satisfait non plus à la condition selon laquelle les restrictions apportées à la liberté d'expression doivent répondre à un besoin social impérieux, et les moyens employés sont disproportionnés à l'objectif poursuivi.
A.5.2. Le Gouvernement flamand estime en ordre principal que la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la violation directe d'une disposition conventionnelle.
Dans la mesure où le moyen serait recevable, le Gouvernement estime que la liberté d'expression n'est pas illimitée et qu'il est satisfait, en l'espèce, aux trois exigences permettant une limitation contenues à l'article 10 de la Convention européenne. Comme l'impose cette disposition, la limitation est prévue par une loi. L'objection de la requérante selon laquelle la compétence du Conseil flamand de la radio et de la télévision serait discrétionnaire, n'est pas pertinente à cet égard. Le Conseil ne peut pas exercer sa compétence de façon arbitraire et ses décisions doivent reposer sur des motifs connus et pertinents.
La circonstance que la disposition entreprise poursuit un objectif légitime ressort incontestablement de sa finalité.
Le Gouvernement flamand souligne expressément à cet égard que l'article 78 des décrets coordonnés relatifs aux médias transpose quasi littéralement en droit interne les articles 22 et 22bis de la directive européenne 89/552/CEE du Conseil du 3 octobre 1989 « visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle », modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997. L'application de cette disposition et le contrôle de son respect sont toutefois demeurés lettre morte à défaut d'un organe approprié, raison pour laquelle a été créé le Conseil flamand de la radio et de la télévision. Enfin, à la lumière de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, le Gouvernement flamand estime que la mesure n'est pas disproportionnée, ce qui ressort du fait que le Conseil peut moduler les sanctions. La genèse du décret entrepris révèle que l'on a recherché un équilibre entre, d'une part, la liberté d'expression des radiodiffuseurs et la volonté d'éviter au maximum la censure et, d'autre part, dans un souci d'efficacité, le maintien de l'indispensable interdiction, modulée, de diffuser des programmes qui nuisent gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.
A.5.3. Le Gouvernement de la Communauté française soutient à titre principal que le moyen est irrecevable au motif que la violation directe d'une disposition conventionnelle est invoquée.
Subsidiairement, le Gouvernement précité fait valoir que la liberté d'expression, en matière d'audiovisuel, n'est pas absolue. Il souligne également que la restriction trouve, en l'espèce, son fondement légal dans l'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias, disposition qui n'est d'ailleurs pas elle-même en cause. Le Gouvernement estime ensuite que la compétence de contrôle et de sanction du Conseil flamand de la radio et de la télévision répond à une nécessité dans une société démocratique, puisqu'il s'agit de protéger les mineurs. Enfin, il est possible d'introduire un recours en cassation administrative auprès du Conseil d'Etat contre les décisions du Conseil litigieux.
Quant au quatrième moyen A.6.1. Dans un quatrième moyen, la partie requérante fait valoir que les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés en ce que les radiodiffuseurs sont soumis au contrôle et aux sanctions d'un organe qui est créé en violation des articles 13 et 146 de la Constitution.
Le décret litigieux conduit à soustraire l'affaire au juge naturel, en ce que les litiges relatifs aux abus de la liberté de presse qui portent atteinte à l'intégrité physique et mentale des mineurs sont soumis à un tribunal d'exception.
En outre, l'on ne voit pas clairement quelle est la position du Conseil flamand de la radio et de la télévision par rapport au Conseil des litiges.
A.6.2. Selon le Gouvernement flamand, ce moyen n'est pas davantage recevable, dès lors que la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la violation directe des articles 13 et 146 de la Constitution.
Subsidiairement, le Gouvernement flamand estime que le moyen manque en fait, puisque le Conseil qui est créé est une instance purement administrative et n'est donc nullement un tribunal d'exception, comme le suggère la requérante. Les décisions de ce Conseil sont soumises au pouvoir d'annulation du Conseil d'Etat et au contrôle des autres juridictions en vertu de l'article 159 de la Constitution.
A.6.3. Le Gouvernement de la Communauté française estime que, indépendamment du fait que la Cour n'est pas compétente pour connaître d'un moyen inféré directement de la violation de l'article 146 de la Constitution, il ne s'agit nullement d'un tribunal d'exception, au sens de cette disposition constitutionnelle.
Quant au cinquième moyen A.7.1. Dans le cinquième moyen, enfin, il est soutenu que le décret litigieux viole les articles 146 et 161 de la Constitution en ce qu'il est institué un tribunal administratif sans que le législateur décrétal soit compétent pour ce faire. Aux termes de l'article 161 de la Constitution, la création de tribunaux administratifs ne peut se faire qu'en vertu d'une loi. Le législateur décrétal ne peut agir en la matière que sur la base de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
En l'espèce, il n'est toutefois pas satisfait aux conditions d'application de cette disposition. Il est clair que le législateur décrétal disposait d'autres possibilités pour garantir le respect de l'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias, si bien que la nécessité de l'intervention législative entreprise n'est pas démontrée. L'atteinte disproportionnée à la liberté de presse et à la liberté d'expression ne peut pas davantage être considérée comme marginale. De surcroît, la création du Conseil a pour effet que la fonction constitutionnelle du Conseil d'Etat est vidée de sa substance, en ce que celui-ci pourra uniquement intervenir en tant que juge de cassation administrative et ne pourra procéder à un examen qu'en droit et non en fait, de sorte qu'un recours semble a priori vain.
A.7.2. Le Gouvernement flamand rappelle la position qu'il avait déjà adoptée, à savoir que la disposition entreprise ne crée qu'un organe administratif et non une juridiction.
Le Gouvernement soutient également que les décisions du Conseil litigieux peuvent faire l'objet d'un recours auprès du Conseil d'Etat et auprès des juridictions ordinaires, en sorte qu'il ne saurait être question de soustraire une affaire au juge désigné par la loi.
A.7.3. Le Gouvernement de la Communauté française confirme sa position développée au sujet du premier moyen et rappelle que la disposition entreprise relève de la compétence du législateur décrétal et constitue le complément nécessaire du prescrit de l'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias. Il n'est, de surcroît, pas porté atteinte à la compétence du Conseil d'Etat, qui peut statuer en tant que juge de cassation administrative. - B Sur la compétence du législateur décrétal B.1.1. Dans le premier moyen, la partie requérante fait valoir qu'en créant le Conseil flamand de la radio et de la télévision, le législateur décrétal s'immisce dans l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de la presse et réglerait ainsi une matière réservée au législateur fédéral. Selon la partie requérante, ce n'est que dans l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles que la Communauté pourrait puiser sa compétence, mais il n'est pas satisfait aux conditions d'application de cette disposition.
Dans le cinquième moyen, la partie requérante allègue que la disposition attaquée viole les articles 146 et 161 combinés de la Constitution, en ce qu'elle institue un tribunal administratif, sans que le législateur décrétal soit compétent à cette fin.
B.1.2. La vérification de la compétence de la Communauté flamande pour édicter la réglementation attaquée exige que soit examinée au préalable la nature juridique du Conseil créé par le décret attaqué.
B.2.1. L'article 78, § 1er, des décrets coordonnés relatifs aux médias dispose que les organismes de radio et de télédiffusion qui relèvent de la Communauté flamande ne peuvent diffuser des programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite.
Cette interdiction vaut également pour les programmes qui ne répondent pas à la définition susvisée mais qui sont néanmoins susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sauf s'il est assuré notamment par le choix de l'heure de diffusion du programme ou par des mesures techniques que les mineurs se trouvant dans le champ de diffusion ne voient ou n'écoutent normalement pas ces programmes. Lorsque de tels programmes sont diffusés non codés, ils doivent être précédés d'un « avertissement auditif ».
B.2.2. Avant l'adoption de la disposition attaquée, le Gouvernement flamand pouvait suspendre la retransmission d'un programme lorsque celle-ci constituait une infraction évidente, importante et grave à la disposition précitée et lorsque l'organisme de radiodiffusion avait déjà enfreint à deux reprises au moins les mêmes dispositions au cours des douze mois précédents (article 78, § 1er).
La disposition attaquée a créé un nouvel organe de contrôle, qui peut aussi infliger des sanctions moins lourdes.
B.2.3. Le Conseil flamand de la radio et de la télévision se prononce à propos de l'application de l'article 78, § 1er, soit d'initiative, soit à la suite d'une plainte dont il peut être saisi par toute personne physique ou morale. Le Conseil est composé de neuf membres désignés par le Parlement flamand : trois experts justifiant d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans dans les domaines de la psychologie de l'enfant, de la pédopsychiatrie ou de la pédagogie; trois experts en matière de défense des intérêts des familles et des enfants; deux magistrats spécialisés de préférence dans le droit des médias ou le droit de la jeunesse et une personne ayant une expérience académique ou scientifique dans le domaine des sciences de la presse et de la communication.
Le Conseil statue les parties entendues. La décision est communiquée sans délai au Parlement et au Gouvernement flamands. Lorsqu'il constate une infraction aux dispositions de l'article 78, § 1er, le Conseil peut imposer les sanctions suivantes : l'avertissement accompagné d'une demande de mettre fin à l'infraction; l'obligation de diffuser la décision sous la forme et au moment que le Conseil détermine; la publication obligatoire de la décision dans les journaux ou hebdomadaires, aux frais du contrevenant mis en demeure; une amende administrative allant de 50.000 à 5.000.000 de francs.
S'il constate une infraction évidente, importante et grave aux dispositions de l'article 78, § 1er, le Conseil flamand de la radio et de la télévision peut proposer, à l'égard de tous les organismes de radio ou de télévision, la suspension de la retransmission d'un programme conformément aux dispositions de l'article 78, § 3.
B.3.1. Il ressort de ce qui précède que le Conseil flamand de la radio et de la télévision a pour mission de contrôler le contenu des programmes de télévision pour vérifier si ceux-ci constituent un danger pour l'épanouissement physique ou psychique des mineurs, ce qui relève d'une appréciation basée principalement sur des critères éthiques et moraux. Une telle mission peut difficilement être comprise comme une mission juridictionnelle, dans le cadre de laquelle un litige est tranché sur la base du droit, mais doit être considérée comme une mission d'administration discrétionnaire. Le Conseil exerce du reste sa mission en concertation avec le Gouvernement flamand. Si le Conseil estime qu'il y a une infraction, il peut adresser un avertissement à l'organe de diffusion concerné, accompagné d'une demande de mettre fin à l'infraction; le Conseil peut également infliger des amendes administratives ou demander au Gouvernement flamand d'intervenir. Le pouvoir de décision du Conseil diffère en cela du pouvoir d'une juridiction, qui prend une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée. Contrairement à une juridiction, qui ne peut pas se saisir d'initiative d'un litige, le Conseil peut aussi intervenir d'office. La composition du Conseil, dans lequel siègent, au côté de deux magistrats, sept experts en matière de pédopsychiatrie, de psychologie de l'enfant et de science de la presse et de la communication, n'indique pas non plus qu'il s'agirait d'une juridiction.
B.3.2. De l'ensemble de ces éléments, il ressort que le Conseil flamand de la radio et de la télévision doit être considéré comme un organe administratif et non comme une juridiction administrative.
B.4.1. L'article 4, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 et l'article 4, § 1er, de la loi du 31 décembre 1983Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/12/1983 pub. 11/12/2007 numac 2007000934 source service public federal interieur Loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone. - Coordination officieuse en langue allemande fermer ont transféré aux communautés l'ensemble de la matière de la radiodiffusion et de la télévision, à l'exception de l'émission des communications du Gouvernement fédéral.
Les communautés sont compétentes pour déterminer le statut des services de radiodiffusion et de télévision et pour édicter des règles en matière de programmation et de diffusion des émissions.
L'article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 autorise les communautés à créer des institutions dans les matières qui relèvent de leur compétence.
B.4.2. En vertu de ces dispositions, la Communauté flamande est compétente pour créer une institution chargée de contrôler le contenu des programmes de télévision en vue de la protection des jeunes téléspectateurs.
Le fait que la Communauté réglerait ainsi l'exercice de certains droits fondamentaux n'ôte rien à sa compétence. La consécration de droits et libertés fondamentaux par la Constitution et les traités internationaux ne signifie en aucune manière qu'en tant que telle, la réglementation de ces droits et libertés n'appartiendrait qu'à l'autorité fédérale. C'est à chaque autorité qu'il appartient d'en assurer le respect en les concrétisant lorsqu'elle exerce les compétences qui sont les siennes.
Il résulte de ce qui précède que la Communauté flamande n'a donc pas excédé sa compétence en édictant la disposition attaquée. Les premier et cinquième moyens doivent être rejetés.
Quant à la violation alléguée des articles 10 et 11 de la Constitution B.5. Dans les deuxième et quatrième moyens, la partie requérante soutient que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 13 et 146 de la Constitution, en ce qu'elle instituerait, en violation des dispositions précitées, un tribunal d'exception qui n'offre pas les garanties juridictionnelles exigées par la disposition conventionnelle susvisée.
Ainsi qu'il a été exposé au B.3, le Conseil flamand de la radio et de la télévision est un organe administratif et non une juridiction. Les moyens ne peuvent être accueillis.
B.6.1. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. La partie requérante affirme que la disposition attaquée, qui comporte une limitation de la liberté d'expression, ne satisfait pas aux conditions de limitation du paragraphe 2 de la disposition conventionnelle susvisée.
B.6.2. La liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne n'est pas absolue. Ce droit peut être soumis à certaines formalités, conditions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection des objectifs énumérés dans cette disposition conventionnelle.
B.6.3. La limitation de la liberté d'expression qui peut résulter de l'intervention du Conseil flamand de la radio et de la télévision découle d'une règle générale et claire.
Le législateur n'a voulu limiter ces manifestations de la liberté d'expression qu'en considération de leur influence néfaste sur les jeunes téléspectateurs. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, la mesure litigieuse est la transposition, dans le droit interne, de la directive européenne 89/552/CEE du Conseil du 3 octobre 1989 « visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle », modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 (Ann., Parlement flamand, 16 mars 1999, pp. 24 et s.).
Dans le chapitre « Protection des mineurs et ordre public », l'article 22 de cette directive oblige les Etats membres à prendre les mesures appropriées pour que les émissions des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence ne comportent aucun programme susceptible de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite.
Conformément à cette directive, la création du Conseil flamand de la radio et de la télévision vise à la protection particulière des mineurs en raison de leur fragilité et de leur réceptivité aux influences nuisibles de certains programmes de télévision.
La composition du Conseil, dans lequel siègent des experts de différentes disciplines, garantit une appréciation nuancée. Les sanctions n'interviennent en principe qu'a posteriori et peuvent être adaptées à la gravité de l'infraction.
La seule possibilité d'intervention préventive est exceptionnelle et limitée au cas où une infraction évidente, importante et grave à l'interdiction de diffuser des programmes nuisibles aux mineurs est commise. Le Conseil ne peut du reste pas infliger lui-même cette sanction, mais peut seulement demander au Gouvernement flamand de suspendre la retransmission du programme en cause, ce qui n'est possible que lorsque l'organisme de diffusion a déjà enfreint à deux reprises au moins la disposition en cause au cours des douze mois précédents. Les limitations imposées ne sont par conséquent pas disproportionnées aux objectifs poursuivis par le législateur.
B.6.4. Il résulte de ce qui précède que la disposition attaquée est conforme aux limitations de la liberté d'expression qu'autorise l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme : elle est inspirée par le souci de protéger une catégorie fragile de la société et elle ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à la liberté d'expression des organismes de diffusion concernés.
La disposition attaquée n'est dès lors pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le troisième moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 29 novembre 2000.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, G. De Baets.