publié le 05 octobre 2000
Arrêt n° 88/2000 du 13 juillet 2000 Numéro du rôle : 1965 En cause : la demande de suspension des articles 27, 39 et 71 de la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, introdu La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges P. Martens(...)
Arrêt n° 88/2000 du 13 juillet 2000 Numéro du rôle : 1965 En cause : la demande de suspension des articles 27, 39 et 71 de la loi du 7 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/05/1999 pub. 30/12/1999 numac 1999010222 source ministere de la justice Loi sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs fermer sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, introduite par la s.a.
Eurautomat et autres.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges P. Martens, E Cerexhe, A. Arts, R. Henneuse et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la demande Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 mai 2000 et parvenue au greffe le 10 mai 2000, une demande de suspension des articles 27, 39 et 71 de la loi du 7 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/05/1999 pub. 30/12/1999 numac 1999010222 source ministere de la justice Loi sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs fermer sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs (publiée au Moniteur belge du 30 décembre 1999) a été introduite par la s.a. Eurautomat, dont le siège social est établi à 9320 Erembodegem, Industrielaan 31, la s.a. B.B.F. Automaten, dont le siège social est établi à 2930 Brasschaat, Donksesteenweg 23, la s.a.
Elaut, dont le siège social est établi à 9100 Saint-Nicolas, Europark Oost 6, et la s.a. Automatic Equipment, dont le siège social est établi à 2000 Anvers, Kipdorpvest 48B. Par la même requête, les parties requérantes demandent également l'annulation des dispositions légales précitées.
II. La procédure Par ordonnance du 10 mai 2000, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Par ordonnance du 30 mai 2000, la Cour a fixé l'audience au 21 juin 2000.
Cette ordonnance a été notifiée aux autorités mentionnées à l'article 76 de la loi organique ainsi qu'aux parties requérantes et à leur avocat, par lettres recommandées à la poste le 30 mai 2000.
Par ordonnance du 20 juin 2000, le président en exercice a désigné le juge A. Arts en remplacement du juge-rapporteur H. Coremans, légitimement empêché.
A l'audience publique du 21 juin 2000 : - ont comparu : . Me P. Bax loco Me P. Van den Broecke, avocats au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes; . Me P. Hofströssler, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et E. Cerexhe ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
III. En droit - A - Quant à l'intérêt A.1. Les parties requérantes estiment qu'elles justifient de l'intérêt requis étant donné que les dispositions entreprises limitent sérieusement la réalisation de leur objet social, qui consiste en « l'exploitation de jeux automatiques et de jeux d'adresse, la commercialisation en général, en ce compris l'achat et la vente, l'importation et l'exportation, la fabrication et l'exploitation de tous appareils de divertissement et de musique, appareils automatiques et électroniques » (première requérante), « l'achat, la vente, l'importation, l'exportation, le transit, la location, le louage, l'exploitation, l'entretien et la réparation de jeux de café, jeux de divertissement, machines ` horeca ' et installations ` horeca ', en gros comme au détail » (deuxième requérante), « toute la production, l'assemblage et l'installation de tous appareils et appareillages, de nature électrique ou automatique, ainsi que l'achat, l'importation et l'exportation, la vente et la distribution, aussi bien directement qu'en tant qu'intermédiaire, ainsi que la fourniture de tous services connexes » (troisième requérante), « l'achat, la vente, le commerce, l'organisation et l'exploitation de jeux automatiques et de jeux d'adresse, l'organisation de spectacles divers, l'exploitation de débits de boissons et de buffets » (quatrième requérante).
Quant au moyen A.2. Les parties requérantes prennent leur moyen de la violation des articles 10, 11, 12 et 23 de la Constitution, de l'article 52 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, du principe de proportionnalité et du principe de la liberté de commerce et d'industrie.
A.3. En tant que le moyen vise l'article 27 de la loi du 7 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/05/1999 pub. 30/12/1999 numac 1999010222 source ministere de la justice Loi sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs fermer, les parties requérantes soutiennent que l'interdiction de cumuler une licence de classe B (exploitation d'une salle de jeux automatiques) ou une licence de classe C (exploitation d'un débit de boissons) avec une licence de classe E (vente, location, importation, exportation et entretien de jeux de hasard) porte atteinte à leurs droits économiques acquis.
Selon les parties requérantes, cette interdiction de cumul n'est pas objectivement justifiable et viole le principe de la liberté de commerce et d'industrie ainsi que les principes d'égalité et de non-discrimination. En outre, le caractère général de l'interdiction porterait atteinte, de manière disproportionnée, à la liberté d'association. Les parties requérantes craignent que l'interdiction provoque un changement brusque et injustifié dans le secteur des jeux de hasard et entraîne des conséquences incalculables pour l'emploi et les investissements. Elles soulignent que la disposition entreprise rend illégal leur objet social, comme celui de sociétés analogues.
Enfin, les parties requérantes font valoir que l'article 27 est également contraire au principe de la liberté individuelle (article 12 de la Constitution), à la liberté du travail (article 23 de la Constitution) et à la liberté de commerce et des biens dans l'Union européenne (article 52 du Traité C.E., actuellement l'article 43).
A.4. Selon les parties requérantes, l'article 39 porte atteinte aux droits économiques déjà acquis et n'est pas objectivement justifiable.
A leur estime, les liens économiques étroits entre l'industrie de l' »horeca » et l'industrie des jeux de hasard doivent être considérés comme des acquis économiques. Du fait de la limitation du nombre de jeux automatiques dans un débit de boissons, le chiffre d'affaires des parties requérantes est réduit et celles-ci craignent qu'une série d'entreprises ne soient plus rentables d'un point de vue économique.
A.5. A l'estime des parties requérantes, l'article 71 viole les principes de proportionnalité et de la liberté de commerce, de biens et de services. Elles font valoir que la disposition rend impossibles d'un point de vue économique la vente, la location, le leasing, la livraison, la mise à disposition, l'importation, l'exportation et la production de jeux de hasard, tandis que la production de tels appareils constitue l'essentiel de leurs activités. Selon leurs dires, elles ne pourront payer la garantie parce que le montant de celle-ci n'est pas plafonné (500.000 francs par tranche de 50 appareils) et elles perdront par conséquent leur licence ou ne pourront exploiter qu'un nombre limité d'appareils.
Quant au préjudice A.6. A l'appui de leur demande de suspension, les parties requérantes font valoir que l'article 27 porte atteinte, de manière disproportionnée, à leurs droits économiques acquis et les privera d'une partie de leurs activités commerciales, lesquelles ne consistent pas seulement en l'exploitation de salles de jeux automatiques, mais également en la vente, la location, l'importation et l'exportation ainsi que l'entretien de jeux automatiques. Elles seront forcées de choisir entre l'exploitation de salles de jeux automatiques et la commercialisation de jeux automatiques, activités qu'elles cumulent depuis longtemps. Ce choix aurait également une répercussion sur l'emploi, étant donné que le personnel lié à l'activité supprimée ne peut être maintenu.
Les dispositions attaquées, et en particulier l'article 27, compromettraient, au dire des parties requérantes, leur entreprise.
L'article 39 réduirait, du fait de la diminution du nombre d'appareils vendus, le chiffre d'affaires des parties requérantes et l'article 71 entraînerait, eu égard à l'obligation de verser une garantie élevée, « un résultat d'exploitation fort négatif et peut-être la fermeture de l'entreprise ». - B - Quant à l'étendue du recours et de la demande de suspension B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation et la suspension des articles 27, 39 et 71 de la loi du 7 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/05/1999 pub. 30/12/1999 numac 1999010222 source ministere de la justice Loi sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs fermer sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs. Les griefs sont en réalité dirigés contre les articles 27, alinéa 1er, 39 et 71, alinéa 4, 4., alinéa 2. Ces dispositions énoncent : «
Art. 27.Il est interdit de cumuler les licences des classes A, B, C et D, d'une part, et la licence de classe E, d'autre part, dans le chef de la même personne physique ou morale, que ce soit directement ou indirectement, personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne physique ou morale. [...] » «
Art. 39.Les établissements de jeux de hasard de classe III sont des établissements où sont vendues des boissons qui, quelle qu'en soit la nature, doivent être consommées sur place et dans lesquels sont exploités au maximum deux jeux de hasard. » «
Art. 71.[...] La garantie réelle est fixée à : [...] 4. la somme de 1 million de francs pour les détenteurs d'une licence de classe E qui prestent exclusivement des services d'entretien, de réparation ou d'équipement de jeux de hasard; la somme de 500 000 francs belge par tranche, entamée, de 50 appareils, pour tous les autres détenteurs de la licence de classe E. [...] » Quant à la demande de suspension B.2. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
En ce qui concerne le caractère sérieux du moyen B.3.1. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11, 12 et 23 de la Constitution et de l'article 43 du Traité instituant la Communauté européenne (ancien article 52 du Traité C.E.), du principe de proportionnalité et du principe de la liberté de commerce et d'industrie.
B.3.2. En tant qu'il invoque directement les articles 12 et 23 de la Constitution, l'article 43 du Traité instituant la Communauté européenne (ancien article 52 du Traité C.E.), le principe de proportionnalité et le principe de la liberté de commerce et d'industrie, le moyen n'est pas recevable, en ce qu'il se réfère à des normes dont la Cour n'est pas habilitée à assurer le respect.
Ces articles ne peuvent faire l'objet d'un examen que s'ils sont liés à la violation alléguée des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. Les parties requérantes soutiennent que la loi entreprise porte atteinte de manière discriminatoire à leurs libertés économiques en ce que l'article 27, alinéa 1er, interdit de cumuler une licence de classe B (exploitation d'une salle de jeux automatiques) ou une licence de classe C (exploitation d'un débit de boissons) avec une licence de classe E (vente, location, importation, exportation et entretien de jeux de hasard), en ce que l'article 39 autorise au maximum deux jeux de hasard dans un débit de boissons et en ce que l'article 71, alinéa 4, 4., alinéa 2, ne prévoit aucun plafonnement pour le montant de la garantie.
B.4.2. La liberté de commerce et d'industrie ne peut pas être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que la loi règle l'activité économique des personnes et des entreprises. Le législateur ne violerait la liberté de commerce et d'industrie que s'il limitait celle-ci sans qu'existe une quelconque nécessité pour ce faire ou si cette limitation était manifestement disproportionnée au but poursuivi.
Les jeux de hasard qui aboutissent à un gain ou à une perte pécuniaire étant l'exploitation d'une faiblesse humaine pouvant entraîner des conséquences très graves pour certaines personnes et leur famille, ils constituent un danger social tel qu'en cette matière, ce sont les mesures restrictives et non les permissives qui sont les plus aisées à justifier.
B.4.3. L'article 43 (ancien article 52) du Traité C.E. ne s'oppose pas à ce que, pour des motifs d'intérêt général, des règles soient fixées concernant l'organisation, la compétence, l'éthique professionnelle et le contrôle, pour autant que ces règles professionnelles soient applicables à tous ceux qui sont établis sur le territoire de l'Etat où le service est institué.
B.4.4. Certes, l'article 23 de la Constitution dispose, d'une part, que « la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice » et, d'autre part, que ces droits comprennent « le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible ». Mais il ne peut se déduire de ces dispositions que le législateur, lorsqu'il entend réglementer une activité représentant un danger pour la société si elle n'est pas soumise à des conditions, ne pourrait imposer des limites à ceux qui l'exercent.
B.4.5. La loi en cause vise à permettre d'endiguer le danger social que peuvent représenter les établissements de jeux de hasard. Etant entendu qu'une prohibition pure et simple lui paraît excessive, le législateur a assorti l'interdiction de principe qu'il maintenait (l'article 305 du Code pénal punissait la tenue d'une maison de jeux de hasard et l'article 1er de la loi du 24 octobre 1902 interdisait l'exploitation des jeux de hasard) d'une exception, fondée sur un régime de licences, tout en veillant à ne pas permettre à l'avenir un développement inconsidéré de ce type d'établissements. Outre cet objectif de protection sociale, le législateur a souhaité, par la voie d'un contrôle efficace, identifier, éviter et combattre « [les] possibles effets secondaires indésirables [des jeux de hasard] (dépendance, blanchiment d'argent, criminalité, fraude fiscale et financière) » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-419/4, pp. 25, 26 et 36; idem, n° 1-419/7, pp. 5 et 6; Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1795/8, p. 4).
B.4.6. A la lumière de tels objectifs, l'interdiction litigieuse de cumuler certaines licences ne paraît pas déraisonnable. Elle procède du souci de soumettre l'octroi des licences à des conditions très sévères, de manière que les établissements de jeux de hasard et les activités qui s'y rapportent puissent être distingués les uns des autres avec précision (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 419/4, p. 34).
La limitation litigieuse du nombre de jeux de hasard dans un débit de boissons semble aussi pouvoir se justifier par les mêmes objectifs.
Elle entend empêcher le foisonnement des jeux de hasard.
B.4.7.1. Les parties requérantes ajoutent que la garantie exigée par l'article 71 pourrait s'élever à des dizaines de millions de francs et que cette mesure est dès lors disproportionnée quant à ses effets.
Le Conseil des ministres conteste l'exactitude des montants avancés par les parties requérantes à l'audience.
B.4.7.2. Il ne semble pas déraisonnable que le montant de la garantie soit déterminé en fonction du nombre de jeux de hasard et de la nature des prestations, dès lors que l'on peut raisonnablement partir du principe que la contribution visée à l'article 19 de la loi en cause sera elle aussi fixée en fonction du nombre de jeux de hasard et de la nature des prestations.
La garantie s'élève, pour les parties requérantes, à 500.000 francs par tranche entamée de 50 appareils. Les parties requérantes n'ont pas démontré que le montant de la garantie par appareil serait disproportionné par rapport aux recettes, ni que le montant de la garantie totale ne serait pas proportionné à leur chiffre d'affaires global.
B.4.7.3. La disposition en cause contient une mesure qui ne paraît pas disproportionnée à l'objectif poursuivi.
B.5. Il résulte de ce qui précède que le moyen n'est pas sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Par ces motifs, la Cour rejette la demande de suspension.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 13 juillet 2000.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, G. De Baets