publié le 14 décembre 1999
Arrêt n° 94/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1375 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage, composée après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par ar(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 94/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1375 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n° 74.711 du 29 juin 1998 en cause de H. Monstrey contre l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI), dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 15 juillet 1998, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où cette disposition vaut pareillement pour le cas où la partie requérante, dans le cadre du contentieux objectif, introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre une décision administrative et dans le cas où, dans le cadre du contentieux subjectif, la partie requérante forme devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle, émanant d'une juridiction administrative ? L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où cette disposition prévoit que la partie requérante, qui a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure, alors qu'au contraire, selon l'article 1094 du Code judiciaire, la partie requérante qui, s'étant pourvue devant la Cour de cassation contre la décision d'une juridiction administrative relative à des droits politiques subjectifs, fait tardivement usage de la faculté d'introduire un mémoire en réplique, n'est pas sanctionnée par la déchéance du pourvoi en cassation ? L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où cette disposition prévoit que la partie requérante, qui a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat contre la décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure, alors qu'au contraire, l'introduction tardive d'un mémoire en réponse par la partie défenderesse n'est pas frappée d'une sanction équivalente ? L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 144 et 145 de la Constitution et 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où l'accès au juge et le droit de la défense ne sont pas garantis par cet article dans le cadre d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat formé contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs, alors que cette entrave en matière de droit d'accès au juge et de droit de la défense est inexistante dans le cadre d'un pourvoi en cassation administrative devant la Cour de cassation ? » II. Les faits et la procédure antérieure H. Monstrey a introduit auprès du Conseil d'Etat un recours contre une décision de la commission d'appel instituée auprès du Service du contrôle médical de l'Institut national d'assurance maladie-invalidité.
Dans son rapport fait en application de l'article 14bis, § 1er, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat, l'auditeur auprès de la juridiction a quo fait observer que le mémoire en réplique de la partie requérante n'a pas été introduit dans le délai prescrit de soixante jours et que le recours doit par conséquent être déclaré irrecevable, sur la base de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, du fait de l'absence de l'intérêt requis dans le chef de la partie requérante.
Devant le Conseil d'Etat, la partie requérante soutient toutefois que l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Elle considère que la jurisprudence de la Cour relative à la disposition en cause, notamment son arrêt n° 27/97 du 6 mai 1997, ne concerne que le contentieux objectif devant le Conseil d'Etat mais non les litiges où, comme en l'espèce, le Conseil d'Etat agit en tant que juge de cassation à l'égard de décisions de juridictions administratives.
Compte tenu de l'article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le Conseil d'Etat pose à la Cour les quatre questions préjudicielles citées plus haut, telles qu'elles ont été suggérées par la partie requérante.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 15 juillet 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 18 août 1998.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 15 septembre 1998.
Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 14 septembre 1998; - H. Monstrey, Carnotstraat 125, 2060 Anvers, par lettre recommandée à la poste le 2 octobre 1998.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 20 octobre 1998.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 1998; - H. Monstrey, par lettre recommandée à la poste le 19 novembre 1998.
Par ordonnance du 16 décembre 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 15 juillet 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 31 mars 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 5 mai 1999.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 1er avril 1999.
A l'audience publique du 5 mai 1999 : - ont comparu : . Me D. D'Hooghe, avocat au barreau de Bruxelles, pour H. Monstrey; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Position générale de H. Monstrey A.1.1. H. Monstrey, partie requérante devant le Conseil d'Etat, soutient tout d'abord que l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est contraire aux articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui, dans le cadre des questions préjudicielles, doivent être lus conjointement avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
L'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme s'applique bel et bien à l'affaire présente, ainsi qu'il ressort déjà , explique H. Monstrey, de l'arrêt n° 67.605 du 29 juillet 1997 (De Saedeleer c/ INAMI), dans lequel le Conseil d'Etat a admis que la procédure d'appel contre une décision de la Commission du contrôle médical de l'Institut national d'assurance maladie-invalidité a pour objet une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil.
La partie requérante devant le Conseil d'Etat fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (notamment les arrêts Golder du 21 janvier 1975 et Airey du 9 octobre 1979) et conclut de celle-ci que la disposition présentement mise en cause viole le droit d'accès à la justice que garantit l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme : « Que le droit d'accès, dont il a été fait un usage régulier, vienne à disparaître parce qu'une partie au procès n'a pas usé dans les délais de son droit de contradiction est de toute évidence totalement disproportionné à l'objectif en vue duquel les délais de procédure sont normalement prescrits, à savoir de garantir une bonne administration de la justice. Ceci est d'autant plus vrai lorsque, comme en l'espèce, le requérant a bel et bien introduit un mémoire en réplique, mais 1 jour après l'expiration du délai. » H. Monstrey soutient ensuite que la disposition litigieuse viole ainsi également le droit de défense.
Selon lui, supprimer les garanties de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est en outre contraire à l'article 14 de cette Convention, étant donné que la mesure ne s'applique pas aux recours similaires portés devant la Cour de cassation.
Selon H. Monstrey, la sanction prévue par l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est sans rapport avec l'intérêt qui est requis d'une partie requérante devant le Conseil d'Etat mais équivaut à une « présomption quasi irréfragable d'abandon de droit ».
A.1.2. La partie requérante devant le Conseil d'Etat allègue ensuite que la disposition en cause est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution, et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
H. Monstrey fait observer que les arrêts précédents de la Cour relatifs à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat (les arrêts nos 32/95 du 4 avril 1995, 67/95 du 28 septembre 1995 et 27/97 du 6 mai 1997) concernaient des cas où le Conseil d'Etat statuait dans le cadre d'un recours objectif en annulation.
Selon lui, cette jurisprudence n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit d'apprécier la compatibilité de la disposition litigieuse avec le principe d'égalité dans le cadre d'un recours en cassation administrative.
Position générale du Conseil des ministres A.2.1. Le Conseil des ministres considère que les choses sont en fait fort simples : « s'il y a une quelconque restriction du droit d'accès à la justice (ou plus exactement : du droit de poursuivre une procédure), cette restriction est exclusivement imputable à la partie requérante originaire elle-même. En effet, elle a introduit son mémoire en retard, alors qu'elle était cependant en mesure de connaître les délais impératifs prescrits [ . ] ».
A.2.2. Le Conseil des ministres fait par ailleurs référence aux arrêts de la Cour nos 69/93 du 29 septembre 1993 (B.7.2) et 82/93 du 1er décembre 1993 (B.9.2), dans lesquels la Cour a considéré que la sanction de droit commun à l'égard de la partie défaillante était justifiée.
Certes, on n'est pas en présence ici d'une partie défaillante, mais malgré tout d'une partie « qui, suite à une application erronée des délais prescrits, s'est privée elle-même de la possibilité d'être encore entendue, ou du moins lue, au cours de la procédure ».
Le Conseil des ministres renvoie une nouvelle fois aux arrêts susdits, pour ce qui est de la distinction concernant la procédure elle-même : « C'est une option fondamentale que le législateur belge a prise et pouvait prendre que de soumettre les litiges sur lesquels statue le Conseil d'Etat à un traitement particulier en regard des litiges sur lesquels statuent les cours et tribunaux ` ordinaires ' » (cf. l'arrêt n° 69/93 du 29 septembre 1993 (B.3.2) et l'arrêt n° 82/93 du 1er décembre 1993 (B.5.2)).
Quant à la première question préjudicielle A.3.1. Selon H. Monstrey, des situations non comparables, à savoir le recours en annulation dans le contentieux objectif, d'une part, et le recours en cassation dans le contentieux subjectif, d'autre part, sont traitées de la même manière, sans aucune justification objective et raisonnable.
A.3.2. Pour le Conseil des ministres, la partie requérante devant le Conseil d'Etat semble partir du principe que c'est à tort que le législateur a rendu les mêmes règles applicables au recours objectif et au contentieux subjectif devant le Conseil d'Etat.
Le Conseil des ministres fait observer que la nature de la procédure dépend de la nature de la juridiction saisie et non de la nature de l'action mue devant cette juridiction : « Le principe d'égalité n'est pas violé par le simple fait que le législateur soumet aux mêmes règles de procédure deux procédures distinctes intentées devant la même juridiction ». La Constitution ne fait pas non plus de distinction en ce qui concerne le Conseil d'Etat, selon que celui-ci connaît du contentieux objectif ou du contentieux subjectif.
Le Conseil des ministres souligne encore qu'il existe dans la pratique fort peu de différence entre les manières dont le Conseil d'Etat apprécie et contrôle les faits dans l'un et l'autre contentieux.
A.3.3. La partie requérante devant le Conseil d'Etat convient avec le Conseil des ministres que le simple fait que le législateur soumette aux mêmes règles procédurales deux procédures distinctes intentées devant la même juridiction ne conduit pas nécessairement à une violation du principe d'égalité. Selon H. Monstrey, « ceci n'implique toutefois pas que, lorsque les procédures sont fondamentalement différentes, nonobstant le fait qu'elles sont intentées devant la même juridiction, elles ne doivent pas être traitées de manière différente ».
La partie requérante devant le Conseil d'Etat constate que le Conseil des ministres ne réagit pratiquement pas à propos de la distinction qu'elle évoque entre le recours objectif et le recours subjectif ainsi qu'entre les recours en annulation et les recours en cassation devant le Conseil d'Etat. Ceci est d'autant plus frappant, selon H. Monstrey, que la Cour, dans son arrêt n° 27/97 du 6 mai 1997 (B.8) a considéré que le recours objectif en annulation ne peut être comparé aux litiges devant les tribunaux civils, précisément parce que la nature des droits en cause est différente.
Quant à la seconde question préjudicielle A.4.1. H. Monstrey considère que des situations en l'espèce comparables, à savoir les recours en cassation contre des décisions de juridictions administratives devant le Conseil d'Etat, d'une part, et devant la Cour de cassation, d'autre part, sont traitées de manière différente sans aucune justification objective et raisonnable. La partie requérante devant le Conseil d'Etat estime que la différence entre les sanctions appliquées en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique est, au regard de l'objectif poursuivi, manifestement disproportionnée et contraire au principe d'égalité.
A.4.2. Le Conseil des ministres fait observer que l'introduction d'un mémoire en réplique par la partie requérante est une faculté exceptionnelle dans la procédure devant la Cour de cassation. Il s'agit là manifestement d'autres règles, qui ne sont pas comparables.
Selon le Conseil des ministres, la partie requérante devant le Conseil d'Etat perd de vue que, devant la Cour de cassation, des formalités plus strictes sont applicables en ce qui concerne la recevabilité.
Le degré d'autorité différent des arrêts des juridictions précitées permet également de conclure, selon le Conseil des ministres, que toute comparaison des procédures devant ces juridictions est caduque.
En outre, fait encore observer le Conseil des ministres, le Conseil d'Etat statue en un certain sens également sur les éléments de fait de la cause.
A.4.3. Selon H. Monstrey, la question ne vise pas les exigences distinctes des deux procédures mais la sanction qui est liée au non-respect du délai d'introduction d'un mémoire en réplique. Cette sanction consiste en une présomption quasiment irréfragable d'abandon de droit, ce que la Cour a du reste confirmé dans son arrêt n° 88/98 du 15 juillet 1998.
Le fait qu'il existe des différences entre la « procédure de cassation ordinaire » et la « procédure de cassation administrative » est ici sans importance, selon la partie requérante devant le Conseil d'Etat.
S'agissant des droits politiques subjectifs en cause, la situation est bien comparable et c'est précisément à l'égard de ces droits que s'applique la sanction que prévoit l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et qui n'apparaît pas dans l'article 1094 du Code judiciaire.
La différence d'appréciation des faits par le Conseil d'Etat n'a pas, selon H. Monstrey, la portée que semble lui attribuer le Conseil des ministres. La Cour de cassation peut vérifier si les faits qui apparaissent des pièces du dossier pouvaient conduire à telle ou telle conclusion. H. Monstrey estime que la distinction relevée par le Conseil des ministres n'est d'ailleurs pas pertinente.
Quant à la troisième question préjudicielle A.5.1. H. Monstrey affirme que, dans le cadre d'un recours en cassation contre une décision d'une juridiction administrative devant le Conseil d'Etat, la partie requérante est discriminée, étant donné que le simple fait qu'elle n'introduise pas son mémoire en réplique dans les délais conduit au rejet du recours, alors que le dépassement de ce délai par la partie défenderesse n'a pas pour effet qu'il sera accédé à la demande mais seulement que le mémoire en réplique sera écarté des débats.
A.5.2. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement entre la partie requérante et la partie défenderesse devant le Conseil d'Etat était déjà en cause dans les arrêts de la Cour nos 27/97 du 6 mai 1997 et 32/95 du 4 avril 1995. Il infère de ces arrêts que les obligations objectivement distinctes de la partie requérante et de la partie défenderesse justifient raisonnablement que des mesures distinctes soient prises en cas de non-respect de leurs obligations respectives. Le Conseil des ministres retient encore de l'arrêt n° 49/97 du 14 juillet 1997 que le principe de « l'égalité des armes » entre les parties n'empêche pas une différence de traitement.
Le Conseil des ministres souligne également une différence entre la procédure d'annulation et le recours en cassation administrative devant le Conseil d'Etat : ce n'est pas la juridiction administrative qui a prononcé la décision litigieuse mais bien l'autorité à laquelle ressortit cette juridiction qui est la partie adverse devant le Conseil d'Etat.
A.5.3. La partie requérante devant le Conseil d'Etat répète que la jurisprudence de la Cour à laquelle se réfère le Conseil des ministres concerne le contentieux objectif et non la procédure de cassation administrative dans laquelle le Conseil d'Etat doit statuer sur un litige concernant des droits politiques subjectifs.
H. Monstrey considère que la thèse du Conseil des ministres ne se trouve pas étayée par la constatation que la partie défenderesse dans le cadre d'une procédure de cassation administrative devant le Conseil d'Etat n'est pas la juridiction administrative mais l'autorité à laquelle celle-ci ressortit. Au contraire, il convient de considérer cette autorité comme une partie adverse ordinaire, certainement lorsqu'il s'agit de litiges relatifs à des droits subjectifs.
Quant à la quatrième question préjudicielle A.6.1. La partie requérante devant le Conseil d'Etat aperçoit encore une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant que l'accès à la justice et le droit de défense ne sont pas garantis dans le cadre d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat contre une décision d'une juridiction administrative concernant des droits subjectifs, alors que ces garanties existent dans le cadre d'un pourvoi devant la Cour de cassation.
A.6.2. En ce qui concerne cette question également, il peut être fait référence, selon le Conseil des ministres, aux arrêts de la Cour nos 27/97 du 6 mai 1997 et 32/95 du 4 avril 1995, dans lesquels il est dit que la réglementation visée ne viole ni les droits de la défense ni le droit d'accès à la justice.
Le Conseil des ministres fait par ailleurs observer qu'il n'existe pas de principe de double degré de juridiction et pas davantage un quelconque principe selon lequel les décisions juridictionnelles rendues en dernier ressort doivent pouvoir faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
Selon le Conseil des ministres, la partie requérante devant le Conseil d'Etat veut tirer de l'arrêt n° 27/97 précité plus qu'il ne contient.
Le considérant de la Cour qui mentionne la distinction entre le contentieux subjectif devant les tribunaux ordinaires et le contentieux objectif devant le Conseil d'Etat concernait les aspects concrets de la question préjudicielle, qui était en effet posée dans le cadre d'un recours objectif devant le Conseil d'Etat, mais ceci ne signifie pas, selon le Conseil des ministres, que les règles de procédure ordinaires devraient s'appliquer lorsque des droits subjectifs sont en cause devant le Conseil d'Etat.
A.6.3. Pour H. Monstrey, la référence à la jurisprudence précitée de la Cour n'est pas pertinente. La question est précisément de savoir si les règles de procédure ordinaires doivent être appliquées lorsque des droits subjectifs sont en cause devant le Conseil d'Etat.
La partie requérante devant le Conseil d'Etat estime encore que la constatation qu'il n'existe pas de principe de double degré de juridiction n'a pas sa place ici. La question est seulement de savoir si la mesure litigieuse, qui instaure une présomption irréfragable de désistement, se justifie dans le cadre d'une contestation relative à des droits subjectifs, question qui, selon H. Monstrey, appelle une réponse négative, compte tenu du « principe général du droit en vertu duquel l'abandon d'un droit doit s'interpréter de manière stricte et ne peut être inféré que de circonstances qui ne sont susceptibles d'aucune interprétation ».
Il ne conteste pas la présence, dans la procédure devant la Cour de cassation, de certaines entraves au droit d'accès à la justice, mais celles-ci n'existent que pour l'intentement de l'action et non pas dans la suite de la procédure. - B - B.1. L'article 21, alinéas 1er et 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, tel qu'il était en vigueur à la date à laquelle les questions préjudicielles ont été posées, dispose : « Les délais dans lesquels les parties doivent transmettre leurs mémoires, leurs dossiers administratifs ou les documents ou renseignements demandés par la section d'administration sont fixés par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.
Lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi du mémoire en réplique ou du mémoire ampliatif, la section statue sans délai, les parties entendues, sur l'avis du membre de l'auditorat désigné en l'affaire, en constatant l'absence de l'intérêt requis. » B.2. Le Conseil d'Etat pose quatre questions préjudicielles concernant la compatibilité de l'alinéa 2 de l'article 21 avec les articles 10 et 11 de la Constitution lus séparément ou conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La disposition en cause prévoit que lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi des mémoires qui y sont visés, la section d'administration du Conseil d'Etat statue sans délai sur l'avis de l'auditorat, les parties entendues, en constatant l'absence de l'intérêt requis.
B.3.1. La disposition en cause a été insérée dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat par l'article 1er de la loi du 17 octobre 1990.
Elle fait partie d'une série de mesures par lesquelles le législateur entendait réduire la durée de la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et en résorber l'arriéré (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 1, et n° 984-2, p. 2, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2640 et s.).
Les travaux préparatoires de cette disposition précisaient que « l'intention [...] est de remédier à la longueur voulue ou non par les parties en cause dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat.
Le non-respect des délais pour l'envoi des mémoires sera assimilé, d'office, à l'absence de justification de l'intérêt requis à l'article 19 » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).
Dans l'arrêt n° 48.624 du 13 juillet 1994, le Conseil d'Etat, après une analyse des travaux préparatoires et en particulier après constatation du rejet d'un amendement prévoyant un traitement plus souple (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-5, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2646, 2648, 2650 et 2651), a abouti à la conclusion que « le législateur a entendu qu'il ne soit, à aucune condition, accepté d'excuse pour la non-transmission ou la transmission tardive d'un mémoire; en définissant la sanction qu'il inflige comme ` l'absence de l'intérêt requis ', il a indiqué qu'il regardait le dépôt d'un mémoire comme la manifestation formelle de la persistance de l'intérêt. Par conséquent, il se justifie de même à l'évidence que la partie requérante marque ainsi formellement la persistance de son intérêt lorsqu'elle estime n'avoir rien à ajouter à sa requête, par exemple parce que la partie défenderesse n'a pas déposé de mémoire en réponse, voire de dossier administratif. » B.3.2. L'article 21, alinéa 2, fait ainsi du dépôt d'un mémoire une obligation pour la partie requérante si elle veut éviter que l'absence de l'intérêt requis soit constatée.
Dès lors que cette obligation résulte de la loi, les articles 7 et 8 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat doivent être lus en ce sens que le greffier, à défaut du dépôt du dossier administratif ou d'un mémoire en réponse dans le délai prescrit, est tenu d'en aviser la partie requérante en faisant mention, conformément à l'article 14bis, § 2, de cet arrêté, de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.
En outre, il ressort des travaux préparatoires que le législateur avait l'intention d'attacher des conséquences sévères au non-respect des délais et qu'il entendait que le Conseil d'Etat, dans les notifications du greffier, rappelle à la partie requérante les effets légaux de son absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, pp. 4 et 43).
Quant à la première question préjudicielle B.4.1. La première question requiert un contrôle de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, « dans la mesure où cette disposition vaut pareillement pour le cas où la partie requérante, dans le cadre du contentieux objectif, introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre une décision administrative et dans le cas où, dans le cadre du contentieux subjectif, la partie requérante forme devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle, émanant d'une juridiction administrative ».
B.4.2. Le législateur a raisonnablement pu considérer que, tant en ce qui concerne les recours en cassation administrative qu'en ce qui concerne le « contentieux objectif », la durée de la procédure devait être raccourcie et que toutes les parties requérantes devant le Conseil d'Etat devaient démontrer la persistance de leur intérêt par l'introduction d'un mémoire dans les délais requis.
Il existe assurément des différences entre le contentieux « objectif » des recours pour excès de pouvoir et le recours « subjectif » en cassation administrative, mais ces différences ne sont pas telles qu'elles obligent le législateur à opérer aussi une distinction à cet égard en ce qui concerne la durée de la procédure et, en particulier, les délais d'introduction d'un mémoire par la partie requérante sous peine, pour celle-ci, de ne pas voir son recours pris en considération.
B.4.3. Eu égard à l'objectif poursuivi, à savoir le raccourcissement de la procédure, la mesure n'est pas manifestement déraisonnable, même en ce qui concerne les recours en cassation administrative, compte tenu aussi bien de l'avertissement préalable adressé par le greffe, concernant les effets de l'absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci, et de la nature de cette exigence de forme à laquelle il peut être satisfait par l'introduction d'un mémoire confirmant simplement qu'il est persisté dans le recours que de la possibilité pour la partie requérante d'invoquer le cas échéant devant le Conseil d'Etat la force majeure.
B.4.4. Il résulte de ce qui précède que la première question préjudicielle appelle une réponse négative.
Quant à la deuxième question préjudicielle B.5.1. La deuxième question nécessite un contrôle de la distinction en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où cette disposition prévoit que la partie requérante, qui a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure, alors qu'au contraire, selon l'article 1094 du Code judiciaire, la partie requérante qui, s'étant pourvue devant la Cour de cassation contre la décision d'une juridiction administrative relative à des droits politiques subjectifs, fait tardivement usage de la faculté d'introduire un mémoire en réplique, n'est pas sanctionnée par la déchéance du pourvoi en cassation ».
B.5.2. Entre les procédures de cassation devant le Conseil d'Etat d'une part et la Cour de cassation d'autre part, il existe des similitudes, bien que les deux juridictions n'aient pas la même compétence.
Toutefois, compte tenu de l'accroissement exponentiel des affaires auquel se trouve confronté le Conseil d'Etat et de l'arriéré croissant dans le traitement des affaires pendantes, il était raisonnablement justifié que le législateur prît des mesures plus rigoureuses en ce qui concerne spécifiquement cette juridiction, notamment l'obligation pour la partie requérante de faire connaître la persistance de son intérêt en introduisant dans les délais un mémoire en réplique ou un mémoire ampliatif.
B.5.3. La lecture conjointe des articles 10 et 11 de la Constitution et des articles 144 et 145 de celle-ci ne permet pas d'aboutir à une autre conclusion. En effet, la distinction constitutionnelle entre les droits civils et les droits politiques n'est pas pertinente au regard de la différence de traitement en matière de procédure qui est contestée en l'espèce.
B.5.4. A supposer que les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme s'appliquent à l'affaire pendante devant le Conseil d'Etat, il échet de constater que l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne porte pas atteinte aux garanties offertes par ces dispositions conventionnelles, d'autant que le greffier du Conseil d'Etat attire expressément l'attention de la partie requérante sur les effets du non-respect de cette obligation.
B.5.5. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.
Quant à la troisième question préjudicielle B.6.1. La question invite à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où cette disposition prévoit que la partie requérante, qui a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat contre la décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure, alors qu'au contraire, l'introduction tardive d'un mémoire en réponse par la partie défenderesse n'est pas frappée d'une sanction équivalente ».
B.6.2. La distinction entre la mesure applicable à la partie requérante qui ne respecte pas les délais fixés pour l'introduction d'un mémoire en réplique et celle applicable à la partie défenderesse qui s'abstient de transmettre un mémoire en réponse dans les délais fixés est objective et raisonnablement justifiée compte tenu des principes différents qui fondent ces mesures distinctes.
L'article 21, alinéa 2, contient une règle subordonnant la poursuite de l'examen d'un recours à la manifestation, par la partie requérante, de la persistance de son intérêt. Cette mesure contribue à la résorption recherchée de l'arriéré, en ce qu'elle dispense de poursuivre l'examen d'affaires dans lesquelles la partie requérante est réputée ne plus avoir d'intérêt.
En vertu de l'article 21, alinéa 5, le mémoire tardif de la partie défenderesse est d'office écarté des débats.
Les situations objectivement distinctes de la partie requérante, qui doit justifier d'un intérêt persistant, et de la partie défenderesse, pour laquelle l'exigence d'un intérêt n'existe pas, justifient raisonnablement que des mesures distinctes soient prises en cas de non-respect des obligations respectives.
B.6.3. Pour les motifs exprimés en B.5.3 et B.5.4, la disposition en cause ne porte pas atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec les articles 144 et 145 de celle-ci ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.6.4. La troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.
En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle B.7.1. La question invite à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où l'accès au juge et le droit de la défense ne sont pas garantis par cet article dans le cadre d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat formé contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs, alors que cette entrave en matière de droit d'accès au juge et de droit de la défense est inexistante dans le cadre d'un pourvoi en cassation administrative devant la Cour de cassation ».
B.7.2. Pour les motifs exprimés en B.5.3 et B.5.4, la disposition en cause ne porte pas atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec les articles 144 et 145 de celle-ci ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.7.3. La quatrième question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus séparément ou conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 juillet 1999.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, L. De Grève.