publié le 05 octobre 1999
Arrêt n° 87/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1422 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 69, § 1 er , alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, posée La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 87/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1422 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 69, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, posée par le Tribunal de la jeunesse de Verviers.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 23 septembre 1998 en cause de D. Behling contre C. Vrancken, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 2 octobre 1998, le Tribunal de la jeunesse de Verviers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 69, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales [pour travailleurs salariés], est-il contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il crée des situations différentes pour le parent ayant en charge l'hébergement principal de l'enfant suivant qu'il soit un père ou une mère lorsque l'exercice de l'autorité parentale reste conjoint entre ces deux parents ? » II. Les faits et la procédure antérieure Christophe V. et Dominique B. ont eu deux enfants qui, après la rupture de l'union libre de leurs parents, ont été vivre, l'un avec sa mère, l'autre avec son père.
Saisi à la requête du père, le Tribunal de la jeunesse de Verviers décide, par un jugement du 23 septembre 1998, que l'autorité parentale restera conjointe sur les deux enfants et que ceux-ci seront hébergés à titre principal et domiciliés, l'un chez son père, l'autre chez sa mère. Le même jugement organise un droit d'hébergement secondaire, au profit du père, de l'enfant qui vit avec la mère.
Le père ayant déclaré à l'audience qu'il souhaitait obtenir les allocations familiales pour l'enfant qui est à sa charge, le Tribunal constate que les dispositions applicables attribuent invariablement les allocations familiales à la mère et décide de poser la question préjudicielle précitée.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 2 octobre 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 23 octobre 1998.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 4 novembre 1998.
Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 4 décembre 1998.
Par ordonnance du 30 mars 1999, la Cour a prorogé jusqu'au 2 octobre 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 5 mai 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 9 juin 1999.
Cette ordonnance a été notifiée au Conseil des ministres ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 6 mai 1999.
A l'audience publique du 9 juin 1999 : - a comparu Me G. Jedid, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1. Le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle est inutile en raison de l'article 69, § 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, tel qu'il a été complété par l'article 3 de la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer entré en vigueur le 13 mars 1998. Cette disposition permet au père, en cas de désaccord des parents, de demander au tribunal du travail de le désigner comme allocataire, dans l'intérêt de l'enfant.
A.2. Le Conseil des ministres fait en outre valoir que la réponse à la question préjudicielle serait inutile pour le juge a quo, seul le tribunal du travail étant compétent pour décider à qui les allocations doivent être payées.
A.3. Après avoir rappelé l'historique de la législation en cause, le Conseil des ministres fait valoir que la disposition litigieuse vise à mettre la législation sociale en concordance avec les règles de droit civil qui organisent, malgré la séparation des parents, l'exercice conjoint de l'autorité parentale et de l'administration des biens du mineur. L'article 69, § 1er, suppose qu'en cas d'exercice conjoint de cette autorité, les parents élèvent ensemble les enfants et qu'il y a lieu, comme dans un ménage parental uni, de verser les allocations familiales à la mère.
A.4. Cette présomption peut toutefois être renversée par un recours du père devant le tribunal du travail, en application de l'article 69, § 1er, alinéa 3, précité.
Le père peut également s'adresser au juge de paix, en application de l'article 69, § 3, qui renvoie à l'article 394, 8°, du Code judiciaire.
A.5. Le choix de la mère présente l'avantage d'une stabilité dans l'octroi des prestations familiales, les principes appliqués avant la séparation (article 69, § 1er, alinéa 1er) continuant à produire leurs effets après celle-ci (article 69, § 1er, alinéa 3). Participe à ce même mécanisme la présomption selon laquelle, dans un couple parental exerçant conjointement l'autorité parentale, c'est le père qui est attributaire et la mère allocataire (article 64, § 2, A, in fine).
A.6. La détermination d'un allocataire de référence va dans le sens de l'intérêt général en ce qu'elle est un outil efficace de gestion du régime des allocations familiales, les situations étant souvent instables et malaisées à prouver. La règle en cause permet de procéder à des paiements légalement justifiés sans devoir recourir à des enquêtes administratives sur la vie privée des personnes concernées.
A.7. Le choix de la mère correspond à la réalité sociologique, les mères élevant les enfants dans quatre cinquièmes des ménages unifamiliaux.
A.8. A l'audience du 9 juin 1999, le Conseil des ministres a signalé que la disposition en cause avait à nouveau été modifiée par la loi du 25 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/01/1999 pub. 06/02/1999 numac 1999021025 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer portant des dispositions sociales. - B - Quant aux exceptions soulevées par le Conseil des ministres B.1.1. Le Conseil des ministres fait observer que la Cour est interrogée sur l'article 69, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, tel qu'il a été modifié par l'article 9 de l'arrêté royal du 21 avril 1997, mais sans tenir compte de ce que cet arrêté a été complété par l'article 3 de la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer.
B.1.2. Avant la modification introduite par la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer, les trois premiers alinéas de l'article 69, § 1er, étaient ainsi libellés : « Les allocations familiales et de naissance sont payées à la mère.
Si la mère n'élève pas effectivement l'enfant, les allocations familiales sont payées à la personne physique ou morale qui remplit ce rôle.
Lorsque les deux parents qui ne cohabitent pas exercent conjointement l'autorité parentale au sens de l'article 374 du Code civil et que l'enfant n'est pas élevé effectivement par un autre allocataire, les allocations familiales sont payées intégralement à la mère. A la demande des deux parents, le versement peut être effectué sur un compte auquel ils ont l'un et l'autre accès. » B.1.3. La loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer a complété le troisième alinéa par la disposition suivante : « Lorsque les parents sont en désaccord quant à l'octroi des allocations familiales, le père peut demander au tribunal du travail de le désigner comme allocataire, et ce, dans l'intérêt de l'enfant. » B.1.4. Le Conseil des ministres estime qu'on peut douter de l'utilité de la question, compte tenu de la nouvelle disposition, entrée en vigueur le 13 mars 1998.
B.1.5. C'est au juge a quo qu'il appartient de déterminer les dispositions législatives qu'il doit appliquer au litige dont il est saisi. La Cour examinera la constitutionnalité de la disposition litigieuse dans la version qui est citée dans les motifs du jugement a quo et dans la version complétée par la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer.
B.1.6. La disposition litigieuse a encore été modifiée par l'article 19 de la loi du 25 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/01/1999 pub. 06/02/1999 numac 1999021025 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer portant des dispositions sociales, entré en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge, soit le 6 février 1999. Il n'en sera pas tenu compte dans la réponse donnée à la question préjudicielle.
B.2.1. Le Conseil des ministres soutient par ailleurs que la réponse à la question sera sans utilité pour le tribunal de la jeunesse qui l'a posée puisque, en application de la disposition ajoutée à l'article 69, § 1er, alinéa 3, de la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer, seul le tribunal du travail est compétent pour statuer en la matière.
B.2.2. Il n'appartient pas à la Cour de statuer sur la compétence du juge a quo.
B.3. Les exceptions soulevées par le Conseil des ministres ne peuvent être accueillies.
Quant au fond B.4. Le Tribunal de la jeunesse de Verviers interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 69, § 1er, alinéa 3, précité en ce qu'il traite différemment le père et la mère ayant en charge l'hébergement principal de leur enfant lorsque l'exercice de l'autorité parentale reste conjoint entre les deux parents : c'est en effet à la mère que sont payées les allocations familiales même si c'est le père qui assure l'hébergement principal de l'enfant.
B.5. Lorsque les parents vivent ensemble, c'est à la mère que les allocations familiales sont versées, en application du premier alinéa de l'article 69, § 1er, cité ci-dessus. Il peut se concevoir que cette modalité de paiement soit maintenue après la séparation des parents lorsque ceux-ci exercent conjointement l'autorité parentale, sauf s'ils ont demandé que le versement soit effectué sur un compte auquel ils ont l'un et l'autre accès (article 69, § 1er, alinéa 3, 2ème phrase). Il ne peut être exigé de l'administration que, dans des situations qui sont incertaines, instables et parfois conflictuelles, elle fasse des enquêtes répétées pour déterminer lequel des deux parents, en fait, a la garde de l'enfant.
B.6. En décidant que les allocations continueraient d'être payées à la mère sauf si les parents ont demandé conjointement qu'elles soient payées à un compte commun, le législateur a pris une mesure raisonnablement justifiée.
B.7. Cette mesure serait disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi si, comme le laisse entendre le jugement qui interroge la Cour, elle attribuait « invariablement » à la mère le paiement des allocations familiales, alors même qu'elles seraient destinées à un enfant dont le père a la charge exclusive. Mais le législateur a permis d'éviter que la disposition litigieuse n'ait cet effet injustifié.
B.8. L'article 69, § 3, dispose en effet : « Si l'intérêt de l'enfant l'exige, le père, l'adoptant, le tuteur officieux, le tuteur, le subrogé tuteur, le curateur ou l'attributaire, selon le cas, peut faire opposition au paiement à la personne visée au § 1er ou au § 2, conformément à l'article 594, 8°, du Code judiciaire. La mère a le même droit dans le cas visé au § 2. » Le législateur a ainsi permis que le père qui assume la charge de l'enfant puisse obtenir que les allocations familiales ne soient pas versées à la mère, non à la suite d'une décision unilatérale de l'administration, mais en exécution d'une décision judiciaire, prise à l'issue d'un débat contradictoire. Une telle mesure est de nature à corriger l'inégalité de traitement dénoncée par la question préjudicielle en tenant compte des intérêts de chacune des parties concernées et, en premier lieu, de l'intérêt de l'enfant.
B.9. Les droits du père ont été renforcés par la loi du 22 février 1998. Désormais, il peut demander au tribunal du travail de le désigner comme allocataire, ce qui lui donne une nouvelle possibilité d'obtenir par une décision judiciaire qu'il soit dérogé à la règle selon laquelle les allocations familiales sont versées à la mère. B.10. Il s'ensuit que, tant avant qu'après sa modification par la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer, l'article 69, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 69, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, tant avant qu'après sa modification par la loi du 22 février 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/02/1998 pub. 03/03/1998 numac 1998021087 source services du premier ministre Loi portant des dispositions sociales fermer, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 juillet 1999.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, M. Melchior.