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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 29 avril 1999

Arrêt n° 6/99 du 20 janvier 1999 Numéro du rôle : 1280 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 3, § 1 er , de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travaille La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 6/99 du 20 janvier 1999 Numéro du rôle : 1280 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, posée par le Tribunal du travail d'Anvers La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 14 janvier 1998 en cause de L. Montre contre l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 janvier 1998, le Tribunal du travail d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants viole-t-il le principe d'égalité et l'interdiction de discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il dispose qu'une distinction doit être faite en matière d'âge de la pension entre les hommes et les femmes qui se sont forgé une carrière d'indépendant ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le Tribunal du travail d'Anvers est saisi du recours que L. Montre a introduit contre la décision de l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants du 28 juin 1996 fixant sa pension de retraite d'isolé dans le cadre du régime de pension des travailleurs indépendants et appliquant en particulier à celle-ci une réduction de 25 p.c. en raison d'une mise à la retraite anticipée de cinq ans.

Le demandeur devant la juridiction a quo considère qu'il est discriminé en tant qu'homme, puisqu'une pension de retraite n'a pu lui être accordée qu'à partir du premier mois suivant son soixante-cinquième anniversaire, alors que les femmes qui sont travailleuses indépendantes peuvent en bénéficier dès leur soixantième anniversaire. Il soutient que la circonstance qu'il ait pu prendre sa retraite anticipativement n'y change rien, d'autant qu'il est pénalisé pour cela d'une réduction de sa pension de 5 p.c. par année d'anticipation.

Le Tribunal décide de poser la question préjudicielle précitée, suggérée par le demandeur.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 22 janvier 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 4 février 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 28 février 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - L. Montre, demeurant à 2950 Kapellen, Graaf Henri Cornetlaan 9, par lettre recommandée à la poste le 19 février 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 20 mars 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 31 mars 1998.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 28 avril 1998.

Par ordonnances des 30 juin 1998 et 16 décembre 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 22 janvier 1999 et 22 juillet 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 18 novembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 16 décembre 1998, après avoir invité les parties à formuler, dans un mémoire complémentaire à introduire au plus tard le 11 décembre 1998, leurs réflexions à propos de l'arrêt n° C-154/96 du 22 octobre 1998 de la Cour de justice de Luxembourg dans l'affaire L. Wolfs contre l'Office national des pensions.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 19 novembre 1998.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire complémentaire par lettre recommandée à la poste le 11 décembre 1998.

A l'audience publique du 16 décembre 1998 : - ont comparu : . Me L. Aerts, avocat au barreau d'Anvers, pour L. Montre; . Me H. Gilliams, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Position de L. Montre A.1. Le demandeur devant la juridiction a quo considère qu'il n'existe pas de critère objectif fondant la distinction entre les hommes et les femmes en matière d'âge de la pension sur la base de l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants et que cette distinction ne peut être raisonnablement justifiée.

Il fait observer que le législateur s'est aperçu de cette discrimination et a prévu depuis lors une uniformisation progressive, mais que cette nouvelle réglementation ne s'applique qu'aux pensions des travailleurs indépendants qui ont pris cours au plus tôt le 1er juillet 1997, de sorte que, dans son cas, il ne saurait être question d'une égalité de traitement.

Position du Conseil des ministres A.2.1. On peut soutenir que durant la période pertinente en l'espèce, du moins en ce qui concerne l'application de la réglementation en matière de pensions dans le régime des travailleurs indépendants, il existait des différences substantielles entre les femmes et les hommes, ayant pour effet que les femmes et les hommes ne peuvent être considérés comme des catégories comparables en ce qui concerne la fixation de l'âge auquel on peut prétendre à une pension de retraite.

Le Conseil des ministres affirme qu'il a existé entre les hommes et les femmes, durant la période en cause - grosso modo, les quatre dernières décennies -, une forte inégalité des chances en ce qui concerne l'accès aux professions et l'exercice de celles-ci : de nombreuses activités exercées par les travailleurs indépendants sont restées fort longtemps de jure et ensuite de facto inaccessibles ou difficilement accessibles aux femmes; les femmes occupaient des fonctions moins élevées, elles avaient moins aisément accès à des professions procurant à leurs titulaires des revenus élevés (professions libérales et direction de sociétés), étaient moins bien tolérées en tant que titulaires de ces professions ou avaient beaucoup moins de chances (souvent à cause des tâches ou responsabilités familiales) d'exercer ces professions, et certainement pas durant une longue période. En outre, les femmes étaient généralement moins scolarisées.

Il n'est donc pas étonnant, selon le Conseil des ministres, que de nombreuses travailleuses indépendantes n'ont jamais obtenu le droit à une pension (minimale), parce qu'elles comptaient trop peu d'années de carrière.

Le Conseil des ministres souligne également les grandes différences sur le plan de la durée des carrières et affirme qu'il ressort de différentes études qu'il cite que la prétendue « discrimination » des travailleurs indépendants masculins n'a pas empêché qu'au cours de la période considérée, les hommes ont, bien plus que les femmes, pu prétendre à une pension de retraite et que les hommes ont pu avoir une carrière beaucoup plus longue.

On peut en conclure, selon le Conseil des ministres, qu'en ce qui concerne la fixation de l'âge du droit à la pension de retraite, pour ce qui concerne la période en cause, les hommes et les femmes ne constituent pas des catégories suffisamment comparables et que le principe constitutionnel d'égalité ne peut dès lors s'appliquer en cette matière.

A.2.2. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres déclare que la différence d'âge pour le droit à la pension au cours de cette période repose sur un critère objectif et peut raisonnablement être justifiée : le traitement de faveur auquel pouvaient prétendre les travailleurs indépendants féminins tempérait l'inégalité considérable des chances et de traitement dont elles étaient par ailleurs les victimes.

Le Conseil des ministres fait observer que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt n° 9/94 du 27 janvier 1994), de telles « inégalités correctrices », c'est-à-dire des différences de traitement qui visent à remédier à une inégalité déterminée, sont compatibles, sous certaines conditions, avec le principe d'égalité et avec l'interdiction de discrimination.

Selon le Conseil des ministres, il est satisfait à ces conditions en l'espèce : il ressort des études citées qu'il existait une inégalité manifeste; la suppression de cette inégalité constitue depuis de nombreuses années un souci des pouvoirs publics belges et a explicitement été désignée comme un objectif majeur dans le cadre des travaux de l'Union européenne; la différenciation est progressivement supprimée et n'a pas causé un préjudice sensible aux travailleurs indépendants masculins.

A.2.3. Le Conseil des ministres ajoute que, même s'il devait être considéré que le traitement inégal ne se justifiait plus en 1996, le législateur n'avait pas l'obligation de faire disparaître celui-ci totalement d'un seul coup.

En l'espèce, il peut être affirmé, selon le Conseil des ministres, tout comme la Cour l'a fait dans l'arrêt n° 56/93 du 8 juillet 1993 concernant la distinction entre les ouvriers et les employés en matière de délais de préavis, que la suppression d'une telle inégalité ne peut s'opérer que progressivement.

Le Conseil des ministres estime que le législateur n'a rien à se reprocher en ce qui concerne le moment et le rythme auxquels la distinction est supprimée : dans son arrêt n° 53/93 du 1er juillet 1993, la Cour a déclaré qu'elle ne pourrait critiquer le choix d'une date par le législateur que si celui-ci s'octroyait « un délai manifestement déraisonnable », ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Faisant toujours référence à l'arrêt n° 53/93, le Conseil des ministres fait encore observer que le droit communautaire en vigueur a autorisé le législateur belge à maintenir une différence de traitement en ce qui concerne l'âge de la pension (article 7 de la directive n° 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale).

A.2.4. Le Conseil des ministres réfute la thèse de L. Montre selon laquelle le législateur aurait admis le caractère illicite de la distinction en uniformisant l'âge de la pension par l'arrêté royal du 30 janvier 1997.

Selon le Conseil des ministres, la situation inégale des hommes et des femmes disparaît lentement et la différence des âges d'admission à la retraite doit progressivement être supprimée à l'avenir, comme le prévoit l'arrêté royal précité. La question préjudicielle ne porte, selon le Conseil des ministres, que sur le passé.

Mémoire complémentaire du Conseil des ministres A.3.1. Par ordonnance du 18 novembre 1998, la Cour a invité les parties à formuler, dans un mémoire complémentaire, leurs réflexions à propos de l'arrêt n° C-154/96 du 22 octobre 1998 de la Cour de justice de Luxembourg dans l'affaire L. Wolfs contre l'Office national des pensions.

A.3.2. Le Conseil des ministres fait observer que l'arrêt précité de la Cour de justice confirme qu'un Etat membre qui a maintenu une différence dans l'âge de la retraite est en droit, en application de l'article 7, paragraphe 1, littera a, de la directive 79/7/CEE, de calculer le montant de la pension différemment selon le sexe du travailleur.

Le Conseil des ministres n'est pas d'accord avec l'affirmation de L. Montre selon laquelle une telle dérogation, malgré le fait que les règles communautaires l'autorisent, ne serait pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Se référant aux mémoires antérieurs, le Conseil des ministres rappelle brièvement sa position : - les hommes et les femmes ne sont pas comparables en l'espèce; - même s'ils étaient comparables, il conviendrait de considérer la différence de traitement comme une « inégalité correctrice »; - même si la différence dans l'âge de la retraite était en soi incompatible avec le principe d'égalité, ce dernier n'interdirait pas que le législateur supprime de façon progressive cette inégalité, qui doit être appréciée dans une perspective historique.

Selon le Conseil des ministres, c'est aussi sur cette dernière considération que se fondent l'arrêt susmentionné de la Cour de justice et l'arrêt du 30 avril 1998 de cette Cour (affaires C-377/96 à C-384/96, De Vriendt e.a.) auquel il est fait référence dans le premier arrêt cité.

Le Conseil des ministres confirme dès lors le point de vue qu'il a développé antérieurement. - B - B.1. La question préjudicielle concerne la compatibilité de l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il résulte de cette disposition une distinction entre les hommes et les femmes en ce qui concerne leurs droits à la retraite.

B.2. L'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 dispose : « La pension de retraite peut être accordée à partir du premier du mois qui suit le 65e ou le 60e anniversaire du demandeur, selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme.

Elle peut toutefois en ce qui concerne les hommes prendre cours, au choix et à la demande de l'intéressé, dans la période de cinq années qui précède l'âge normal de la pension; dans ce cas, elle est réduite de 5 p.c. par année d'anticipation.

Pour l'application du coefficient de réduction, il est tenu compte de l'âge atteint par le demandeur à son anniversaire précédant immédiatement la date de prise de cours de la pension.

La réduction visée à l'alinéa 2 n'est pas appliquée à l'égard des hommes qui obtiennent, avant l'âge de 65 ans, la pension de retraite en qualité de travailleur salarié, conformément aux dispositions de l'article 5bis de l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés. » B.3. En vertu de l'article 142 de la Constitution et des articles 1er et 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, la Cour est compétente pour contrôler les normes adoptées par un législateur.

L'arrêté royal n° 72 a été pris sur la base de la loi du 31 mars 1967 « attribuant certains pouvoirs au Roi en vue d'assurer la relance économique, l'accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l'équilibre budgétaire ». Cette loi ne prescrivait pas que les arrêtés pris sur cette base dussent être confirmés.

En l'espèce, c'est en particulier l'alinéa 2 de l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 qui est mis en cause. L'alinéa 1er dispose que les femmes peuvent demander une pension de retraite à partir de leur soixantième anniversaire et les hommes à partir de leur soixante-cinquième anniversaire, mais, en vertu de l'alinéa 2, les hommes peuvent toutefois choisir une mise à la retraite anticipée à soixante ans, auquel cas leur pension est réduite de 25 p.c. Il ressort des faits de l'instance principale que c'est précisément cette réduction que conteste le demandeur devant la juridiction a quo.

L'alinéa 2 précité a été modifié par l'article 1er de l'arrêté royal n° 416 du 16 juillet 1986, qui a remplacé les mots « Elle peut toutefois » par les mots « Elle peut toutefois en ce qui concerne les hommes ».Dans la version originaire de la disposition litigieuse, la prise de cours anticipée dans la période de cinq années précédant l'âge de la retraite fixé à l'alinéa 1er était possible tant pour les femmes que pour les hommes, moyennant l'application, pour les deux catégories de personnes, du facteur de réduction.

Dès lors que la différence de traitement dénoncée trouve, en l'espèce, son origine dans une disposition qui a été modifiée par l'arrêté royal n° 416 précité et que celui-ci a été confirmé par l'article 13, 2°, de la loi du 15 décembre 1986, il y a lieu de considérer que le législateur s'est approprié la disposition litigieuse et qu'il appartient à la Cour d'apprécier la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de la différence de traitement confirmée par le législateur. B.4. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres en ordre principal, les hommes et les femmes ne constituent pas, en matière de pension de retraite, des catégories à ce point différentes qu'elles ne pourraient être comparées de façon pertinente.

B.5. La disposition en cause fait partie d'un ensemble de mesures qui tendent à réaliser l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de pensions.

Avec le Conseil des ministres, on peut observer que, dans une perspective historique, il existe entre les hommes et les femmes, en matière d'activité professionnelle en qualité d'indépendant, des différences qui peuvent justifier une différence de traitement de ces catégories de personnes en ce qui concerne le régime des pensions de retraite des travailleurs indépendants.

Il ressort en particulier d'un grand nombre de données fournies par le Conseil des ministres que les travailleurs indépendants féminins ont, au cours des dernières décennies, été bien moins longtemps actifs en qualité d'indépendants, alors que le montant de la pension de retraite des travailleurs indépendants est principalement déterminé par la durée de la carrière (et dans une moindre mesure par le revenu professionnel).

Les éléments dont la Cour dispose font dès lors apparaître qu'en ce qui concerne la carrière de travailleur indépendant, il existait dans les faits, durant la période de référence des dernières décennies qui doit être prise en compte, des différences entre les hommes et les femmes, qui peuvent justifier objectivement et raisonnablement qu'une distinction ait été établie entre ces catégories quant à l'âge de la retraite.

B.6. La Cour constate que la réglementation adoptée dans le cadre de l'Union européenne tient elle aussi compte des différences qui existent entre les hommes et les femmes dans les régimes de pension des Etats membres et de la nécessité de faire disparaître progressivement ces différences. S'agissant des pensions de retraite en particulier, il y a lieu d'appliquer la directive du Conseil n° 79/7/C.E.E. du 19 décembre 1978 « relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ». Son article 7, paragraphe 1, dispose que la directive « ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les Etats membres d'exclure de son champ d'application : a) la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations;... ».

Selon la Cour de justice, cette disposition doit être interprétée en ce sens que, lorsqu'une réglementation nationale a maintenu une différence dans l'âge de la retraite entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, l'Etat membre concerné est en droit de calculer le montant de la pension différemment selon le sexe du travailleur (C.J.C.E., 30 avril 1998, De Vriendt e.a. (affaires jointes C-377/96 à C-384/96, Rec. C.J.C.E. I-1247, et 22 octobre 1998, Wolfs et Office national des pensions, affaire C-154/96). Dans ces deux arrêts, qui concernaient l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, la Cour a considéré qu'il ressort de la nature des exceptions figurant à l'article 7, paragraphe 1, de la directive que le législateur communautaire a entendu autoriser les Etats membres à maintenir temporairement, en matière de retraites, les avantages reconnus aux femmes, afin de leur permettre de procéder progressivement à une modification des systèmes de pensions sur ce point sans perturber l'équilibre financier complexe de ces systèmes, dont il ne pouvait méconnaître l'importance (arrêt De Vriendt, considérant 26; arrêt Wolfs, considérant 25).

B.7. En l'espèce, la mesure a certes pour effet que les hommes qui souhaitent bénéficier anticipativement de leur pension de retraite doivent tenir compte d'une réduction de 5 p.c. par année d'anticipation. Cette mesure ne peut toutefois être considérée comme manifestement disproportionnée, compte tenu de la nécessité de préserver également la viabilité du régime des pensions de retraite des travailleurs indépendants.

Cette considération financière ne saurait justifier qu'une différence de traitement fondée sur le sexe soit maintenue en ce qui concerne l'âge de la pension, d'autant que les discriminations de fait que subissent les femmes dans la vie active sont progressivement réduites.

C'est toutefois au législateur qu'il appartient de déterminer les modalités et le délai nécessaire à la réalisation d'un traitement égal des hommes et des femmes en matière de pensions, sous réserve d'une appréciation manifestement déraisonnable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La Cour constate en effet que le législateur a prévu, avec effet au 1er juillet 1997, une adaptation progressive du régime des pensions de retraite des travailleurs indépendants, en vue d'accorder les mêmes droits aux hommes et aux femmes, l'âge de la pension étant fixé à 65 ans pour les femmes comme pour les hommes (égalité parfaite au 1er janvier 2009), cependant que, pour les deux catégories, il est prévu un même dénominateur de la fraction de carrière en 45es, avec une possibilité égale de prise de cours anticipée moyennant une réduction de 5 p.c. par année d'anticipation (arrêté royal du 30 janvier 1997 « relatif au régime de pension des travailleurs indépendants en application des articles 15 et 27 de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pensions et de l'article 3, § 1er, 4°, de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne », confirmé par l'article 6 de la loi du 26 juin 1997).

B.8. Il résulte de ce qui précède que la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, modifié par l'arrêté royal n° 416 du 16 juillet 1986 confirmé par la loi du 15 décembre 1986, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il établit une différence de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne leurs droits à la pension en tant que travailleurs indépendants.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 janvier 1999.

Le président, L. De Grève.

Le greffier, L. Potoms

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