publié le 29 avril 1999
Arrêt n° 2/99 du 13 janvier 1999 Numéro du rôle : 1275 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, §§ 2 et 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juille La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 2/99 du 13 janvier 1999 Numéro du rôle : 1275 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, §§ 2 et 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 70.202 du 15 décembre 1997 en cause de E. De Ridder contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 janvier 1998, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 43, §§ 2 et 3, des lois coordonnées [par l'arrêté royal du 18 juillet 1966] sur l'emploi des langues en matière administrative, interprété en ce sens que, en ce qui concerne les fonctionnaires d'un rang égal ou supérieur à celui de directeur, lorsqu'une proportion numérique égale est atteinte entre le cadre unilingue français et le cadre unilingue néerlandais, mais qu'il subsiste un déséquilibre entre des fonctionnaires du rôle linguistique français et du rôle linguistique néerlandais dans le cadre bilingue, l'autorité revêtue du pouvoir de nomination doit nécessairement poursuivre en premier lieu une répartition paritaire des emplois entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et ceux du rôle linguistique néerlandais dans le cadre bilingue également, même lorsque les cadres unilingues se trouvent plus en déficit par rapport à leur occupation maximale que le cadre bilingue, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 2 et 7, c, du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ? » II. Les faits et la procédure antérieure E. De Ridder, partie requérante devant le Conseil d'Etat, attaque devant la juridiction a quo l'arrêté royal portant promotion de N. Dery au grade de commissaire général adjoint ainsi que l'arrêté ministériel affectant N. Dery au premier degré de la hiérarchie au cadre bilingue réservé aux fonctionnaires du rôle linguistique français.
Après que les mérites des candidats à l'emploi précité eurent été discutés, le conseil de direction classa en premier E. De Ridder, qui appartient au cadre linguistique néerlandais, cependant que N. Dery, ex aequo avec F. Fontinoy, tous deux francophones, partagèrent la troisième place.
Par dérogation à l'ordre proposé par le conseil de direction, N. Dery fut promue et affectée au cadre bilingue francophone. En réponse à une lettre l'interrogeant quant aux raisons de la non-nomination de E. De Ridder, le ministre de l'Emploi et du Travail déclara que « la non-nomination s'explique simplement par des impératifs en matière de respect des équilibres linguistiques ».
Dans le degré de la hiérarchie concerné, après la nomination non attaquée d'un néerlandophone, douze des quatorze emplois étaient occupés dans le cadre unilingue, tant du côté francophone que du côté néerlandophone. Dans le cadre bilingue, tous les emplois du rôle linguistique néerlandais étaient occupés (3/3), contre deux emplois sur trois dans le rôle linguistique français (2/3).
Le Conseil d'Etat constate que l'équilibre linguistique au sein des cadres linguistiques unilingues était déjà rétabli par la dernière nomination d'un néerlandophone et que l'autorité était tenue, pour rétablir également l'équilibre dans le cadre bilingue, de nommer un agent bilingue du rôle linguistique français.
Cette conception repose sur une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, selon laquelle l'article 43, § 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966 (ci-après : lois linguistiques) est interprété en ce sens, d'une part, que la parité entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et ceux du rôle linguistique néerlandais à partir du rang de directeur doit être respectée dans le cadre bilingue et, d'autre part, que l'autorité est tenue de porter d'abord au même niveau que celui de l'autre cadre (ou, dans le cadre bilingue, de l'autre rôle linguistique) le cadre linguistique dont le chiffre d'occupation est descendu le plus au-dessous du nombre fixé de droit.
La partie requérante soutient toutefois que pareille interprétation extensive de l'article 43 précité est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 7, c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en suite de quoi le Conseil d'Etat décide de poser la question précitée.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 15 janvier 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 février 1998.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 28 février 1998.
Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 31 mars 1998; - E. De Ridder, Vogelheide 26, 9052 Gand, par lettre recommandée à la poste le 6 avril 1998.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 avril 1998.
E. De Ridder a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 22 mai 1998.
Par ordonnance du 30 juin 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 15 janvier 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 21 octobre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 18 novembre 1998.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 22 octobre 1998.
A l'audience publique du 18 novembre 1998 : - ont comparu : . Me P. Devers, avocat au barreau de Gand, pour E. De Ridder; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Position de la partie requérante devant le Conseil d'Etat A.1.1. La partie requérante devant le Conseil d'Etat observe que la situation présente est celle d'une vacance d'emploi dans un service central qui présente d'une part un rapport numérique égal entre le cadre unilingue néerlandais et le cadre unilingue français (à chaque fois douze emplois occupés sur quatorze) mais d'autre part un déséquilibre dans le cadre bilingue. Les cadres unilingues sont toutefois plus éloignés de leur occupation maximale (chaque fois deux unités) que le cadre bilingue (une unité).
La question est de savoir si, dans cette hypothèse, l'article 43, §§ 2 et 3, des lois linguistiques peut être interprété en ce sens que l'autorité investie du pouvoir de nommer est tenue de poursuivre en premier lieu la parité des emplois entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et les fonctionnaires du rôle linguistique néerlandais au sein du cadre bilingue, sans que cette interprétation viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 2 et 7, c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Appliqué à la fonction publique, le principe d'égalité implique, selon la partie requérante devant le Conseil d'Etat, que l'autorité investie du pouvoir de nommer est tenue d'examiner et de comparer de manière égale et objective les titres et mérites de tous les candidats à un emploi.
L'article 7, c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantit la même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, à la catégorie supérieure appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes. La partie requérante devant le Conseil d'Etat considère que cette disposition conventionnelle a effet direct.
En tout état de cause, rien n'empêcherait la Cour d'utiliser cette disposition comme critère de contrôle. La connaissance de la seconde langue nationale est sans la moindre pertinence pour choisir le meilleur candidat : la requérante était classée première, mais n'a pas été nommée pour de prétendus motifs de législation linguistique.
A.1.2. La partie requérante devant le Conseil d'Etat observe que les cadres linguistiques et les rôles linguistiques exercent une double fonction : d'une part, assurer à l'autorité la disposition des effectifs nécessaires pour que les affaires puissent être traitées dans le respect des dispositions relatives à l'emploi des langues en matière administrative et, d'autre part, garantir aux agents de chaque groupe linguistique la quotité des emplois qui leur revient et les préserver de toute concurrence de la part de membres de l'autre groupe linguistique.
En l'espèce, cette fonctionnalité doit être nuancée : à partir du rang de directeur, c'est la règle de la parité qui prévaut, vingt pour cent des emplois étant réservés au cadre bilingue, répartis paritairement par rôle linguistique.
La partie requérante devant le Conseil d'Etat ne conteste pas que la distinction établie en ce qui concerne les promotions d'agents selon qu'ils appartiennent à un cadre linguistique ou à un rôle linguistique déterminé puisse être objective voire même pertinente, compte tenu du but poursuivi.
Mais l'interprétation que le Conseil d'Etat donne de l'article 43, §§ 2 et 3, des lois linguistiques, selon laquelle, eu égard aux circonstances spécifiques, la préférence est accordée à la notion de rôle linguistique plutôt qu'à la notion de cadre linguistique est, selon la partie requérante devant le Conseil d'Etat, disproportionnée au but poursuivi : l'on recherche en premier lieu un équilibre entre les rôles linguistiques dans le cadre bilingue, même si les cadres unilingues se trouvent plus en déficit par rapport à leur occupation normale. Pourtant, les fonctionnaires du cadre bilingue connaissent suffisamment la seconde langue pour participer au premier objectif, légitime, des lois linguistiques, à savoir traiter les affaires dans la langue imposée par la loi. Pour ces agents, le critère du rôle linguistique ne peut primer le système des cadres linguistiques, qui donne la priorité aux agents des cadres linguistiques qui se trouvent le plus en déficit par rapport à leur occupation maximale.
En décider autrement semble impliquer, selon la requérante, que le second objectif - la protection des agents d'un groupe linguistique déterminé par rapport à ceux de l'autre groupe linguistique - soit également regardé comme légitime, ce qui est inadmissible en droit.
A l'estime de la partie requérante devant le Conseil d'Etat, ce second objectif ne cherche pas à sauvegarder un intérêt public supérieur ou du moins pas suffisamment, susceptible de justifier le traitement inégal (voy. l'arrêt de la Cour n° 18/90 du 23 mai 1990). Dans l'interprétation qui est donnée de la disposition litigieuse, l'intérêt public supérieur n'est pas sauvegardé. Qui plus est : les fonctionnaires appartenant au cadre bilingue sont discriminés de manière positive par rapport aux fonctionnaires des cadres unilingues, sans qu'il soit satisfait aux conditions posées par la Cour pour un tel traitement de faveur.
Position du Conseil des ministres A.2.1. Le Conseil des ministres renvoie à l'arrêt du Conseil d'Etat n° 13.834 du 10 décembre 1969, selon lequel la répartition des agents en cadres linguistiques entend « d'une part, assurer à l'autorité, dans le service, la disposition des effectifs nécessaires pour que les affaires puissent être traitées dans le respect des dispositions relatives à l'emploi des langues en matière administrative » et « d'autre part, garantir aux agents de chaque groupe linguistique la quotité des emplois qui leur revient et les préserver de toute concurrence de la part de membres de l'autre groupe linguistique ».
A.2.2. Le Conseil des ministres cite ensuite l'arrêt de la Cour n° 18/90 du 23 mai 1990 : « Il peut être admis que les distinctions opérées par les dispositions attaquées se justifient par l'intention de sauvegarder un intérêt public supérieur, pourvu que les mesures prises puissent être raisonnablement considérées comme n'étant pas disproportionnées à l'objectif [...] poursuivi par le législateur ».
L'appartenance à un rôle linguistique constitue, selon le Conseil des ministres, une donnée objectivement contrôlable. Tous les fonctionnaires des services centraux ou des services dont l'activité s'étend à tout le pays sont inscrits sur un rôle linguistique français ou un rôle linguistique néerlandais, conformément à la procédure fixée à l'article 43, § 4, alinéas 1er et 2, des lois linguistiques.
A.2.3. A l'estime du Conseil des ministres, il est fort douteux que l'article 7, c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ait effet direct.
En tout état de cause, la connaissance de la seconde langue nationale constitue en l'espèce un critère d'aptitude qui est conforme aux articles 2 et 7, c), de ce Pacte et l'on ne saurait dès lors reprocher au législateur d'avoir considéré le critère du bilinguisme officiellement reconnu comme une preuve d'aptitude.
A.2.4. Renvoyant à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 23 juillet 1968, le Conseil des ministres observe qu'une différence de traitement peut être établie lorsque la différenciation repose sur une appréciation objective de circonstances de fait et si, s'inspirant de l'intérêt public, cette distinction ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis.
Selon le Conseil des ministres, la mesure concerne toutes les personnes qui appartiennent à une même catégorie objective, à savoir les agents du rôle linguistique néerlandais.
L'objectif du traitement distinct s'inscrit dans le cadre d'une des lignes de force de l'actuel Etat fédéral, qui cherche à harmoniser les relations des communautés linguistiques du pays.
A.2.5. Enfin, le Conseil des ministres ajoute que la Cour européenne de justice, dans son arrêt du 6 février 1996, a jugé qu'une « discrimination individuelle [lire : indirecte] » peut se justifier si elle est apte à atteindre un objectif légitime. - B - B.1. Les dispositions en cause de l'article 43, §§ 2 et 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, énoncent : « § 2. Les fonctionnaires d'un grade égal ou supérieur à celui de directeur sont répartis entre trois cadres : un cadre français, un cadre néerlandais et un cadre bilingue.
Les autres agents sont répartis entre deux cadres : un cadre français et un cadre néerlandais.
Tous les fonctionnaires et agents sont inscrits sur un rôle linguistique : le rôle français ou le rôle néerlandais. § 3. Le Roi détermine pour chaque service central le nombre des emplois à attribuer au cadre français et au cadre néerlandais, en tenant compte, à tous les degrés de la hiérarchie, de l'importance que représentent respectivement pour chaque service la région de langue française et la région de langue néerlandaise. Toutefois à partir du grade de directeur et au-dessus, les emplois sont répartis en nombre égal entre les deux cadres, à tous les degrés de la hiérarchie. [...] » Le cadre bilingue comporte 20 p.c. de l'effectif global des fonctions égales et supérieures à celles de directeur. Ces fonctions sont réservées, à tous les degrés de la hiérarchie, en nombre égal aux fonctionnaires des deux rôles linguistiques.
La modification apportée à l'article 43 par la loi du 19 octobre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/10/1998 pub. 03/12/1998 numac 1998002117 source ministere de la fonction publique Loi modifiant l'article 43 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 fermer (Moniteur belge du 3 décembre 1998) n'a pas d'incidence en l'espèce.
B.2. Devant le Conseil d'Etat, la nomination et l'affectation au cadre bilingue d'un fonctionnaire du rôle linguistique français sont attaquées par un fonctionnaire du rôle linguistique néerlandais qui était classé premier par le conseil de direction pour la fonction concernée dans un service central fédéral.
Lorsque les décisions litigieuses ont été prises, douze des quatorze emplois au degré de la hiérarchie concerné étaient occupés dans le cadre unilingue, tant du côté francophone que du côté néerlandophone.
Dans le cadre bilingue, tous les emplois du rôle linguistique néerlandais étaient occupés (3/3), contre deux des trois emplois dans le rôle linguistique français (2/3). La nomination attaquée a porté ce dernier rapport à 3/3. Pour rétablir l'équilibre dans le cadre bilingue, il a été passé outre au classement des candidats par le conseil de direction, lequel avait classé troisième la personne nommée, derrière deux candidats du rôle linguistique néerlandais.
Selon le Conseil d'Etat, l'article 43, §§ 2 et 3, des lois coordonnées doit être interprété en ce sens que, lorsqu'une égalité numérique est atteinte entre le cadre unilingue néerlandais et le cadre unilingue français (en l'espèce 12/14 N - 12/14 F), mais qu'il subsiste un déséquilibre entre les agents du rôle linguistique néerlandais et ceux du rôle linguistique français dans le cadre bilingue (3/3 N - 2/3 F), il faut nécessairement d'abord poursuivre une répartition paritaire des emplois entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et ceux du rôle linguistique néerlandais dans le cadre bilingue (3/3 F - 3/3 N), même lorsque les cadres unilingues se trouvent davantage en déficit par rapport à leur occupation maximale (2 emplois vacants) que le cadre bilingue (1 emploi vacant).
La question est de savoir si les dispositions en cause sont compatibles, dans cette interprétation, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 2 et 7, c), du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
B.3. En ce qui concerne l'option du législateur pour un cadre bilingue comportant 20 p.c. des fonctions égales ou supérieures à celle de directeur, les travaux préparatoires précisent : « Au niveau supérieur où il se situe, ce bilinguisme, limité à un fonctionnaire sur cinq, se justifie : ces fonctionnaires supérieurs ont une compétence qui s'étend normalement à tout le pays, et non à une seule région linguistique; ils dirigent des fonctionnaires des deux rôles linguistiques; de plus, ce bilinguisme de 20 % des hauts fonctionnaires facilitera l'examen des dossiers dans l'une ou l'autre langue, quel que soit le volume des affaires, puisqu'il y aura toujours 60 % des fonctionnaires capables de connaître personnellement, et sans traduction, les dossiers établis dans l'une ou l'autre langue. » (Doc. parl., Sénat, 1962-1963, n° 304, p. 28) B.4. Le législateur a réparti les emplois au sein des effectifs des services centraux entre les fonctionnaires des rôles linguistiques français et néerlandais et a prévu, à partir du rang de directeur, une égalité de principe entre les rôles linguistiques respectifs à tous les degrés de la hiérarchie ainsi que dans le cadre bilingue, qui comprend 20 p.c. de ces fonctionnaires supérieurs.
Il appartient à la Cour d'examiner s'il ne découle aucune discrimination des choix opérés par le législateur.
B.5. En l'espèce, il convient de constater, eu égard à l'existence d'une égalité de rapport numérique entre le cadre unilingue néerlandais et le cadre unilingue français (12/14 N - 12/14 F), que, par les dispositions en cause, la parité explicitement voulue par le législateur entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et ceux du rôle linguistique néerlandais au sein du cadre bilingue (3/3 F - 3/3 N) est réalisée. Le critère fondé sur l'appartenance au rôle linguistique français assortie d'une vocation pour le cadre bilingue est, en l'espèce, objectif et présente un rapport raisonnable avec le but précisé ci-dessus.
Il est vrai que les dispositions en cause peuvent avoir pour conséquence que dans certaines situations concrètes - comme celle de l'espèce - un candidat mieux classé d'un rôle linguistique déterminé doive s'effacer devant un candidat de l'autre rôle linguistique qui entre en ligne de compte pour le cadre bilingue, mais cette conséquence est proportionnée à l'objectif d'une parité au sein du cadre bilingue, qui ne pouvait d'ailleurs, dans le cas d'espèce, être réalisée qu'en complétant par priorité le cadre bilingue, même si les emplois des cadres unilingues étaient plus éloignés de leur occupation maximale que ceux du cadre bilingue.
B.6. Ces dispositions ne sauraient être en contradiction avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Sans qu'il soit nécessaire de déterminer la portée des obligations qui résultent pour l'ordre juridique belge de la lecture conjointe des articles 2 et 7, c), de ce Pacte, la Cour observe que le texte de ces dispositions conventionnelles n'exclut pas que la langue, qui constitue une donnée que l'on ne saurait ignorer en vue d'une organisation équilibrée des services publics, soit prise en compte comme condition de nomination, conjointement avec d'autres exigences sur le plan de l'aptitude.
B.7. Il résulte de ce qui précède que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 43, §§ 2 et 3, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966, interprété en ce sens que, en ce qui concerne les fonctionnaires d'un rang égal ou supérieur à celui de directeur, lorsqu'une proportion numérique égale est atteinte entre le cadre unilingue français et le cadre unilingue néerlandais, mais qu'il subsiste un déséquilibre entre des fonctionnaires du rôle linguistique français et du rôle linguistique néerlandais dans le cadre bilingue, l'autorité revêtue du pouvoir de nomination doit nécessairement poursuivre en premier lieu une répartition paritaire des emplois entre les fonctionnaires du rôle linguistique français et ceux du rôle linguistique néerlandais dans le cadre bilingue, même lorsque les cadres unilingues se trouvent davantage en déficit par rapport à leur occupation maximale que le cadre bilingue, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, considérés isolément ou combinés avec les articles 2 et 7, c), du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 13 janvier 1999.
Le président, L. De Grève.
Le greffier, L. Potoms.