Etaamb.openjustice.be
Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 29 décembre 1998

Arrêt n° 120/98 du 3 décembre 1998 Numéro du rôle : 926 En cause : le recours en annulation de l'article 4, § 2, du décret de la Communauté flamande du 5 avril 1995 modifiant le décret du 12 juin 1991 relatif aux universités dans la Comm La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

source
cour d'arbitrage
numac
1998021483
pub.
29/12/1998
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 120/98 du 3 décembre 1998 Numéro du rôle : 926 En cause : le recours en annulation de l'article 4, § 2, du décret de la Communauté flamande du 5 avril 1995 modifiant le décret du 12 juin 1991 relatif aux universités dans la Communauté flamande, portant sur l'organisation d'une formation spécifique en médecine générale et sur d'autres dispositions relatives aux universités, introduit par l'a.s.b.l. Fédération belge des chambres syndicales de médecins.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 26 janvier 1996 et parvenue au greffe le 29 janvier 1996, l'a.s.b.l.

Fédération belge des chambres syndicales de médecins, dont le siège social est établi à 1050 Bruxelles, chaussée de Boondael 6, a introduit un recours en annulation de l'article 4, § 2, du décret de la Communauté flamande du 5 avril 1995 modifiant le décret du 12 juin 1991 relatif aux universités dans la Communauté flamande, portant sur l'organisation d'une formation spécifique en médecine générale et sur d'autres dispositions relatives aux universités (publié au Moniteur belge du 29 juillet 1995).

II. La procédure Par arrêt n° 6/97 du 19 février 1997, publié au Moniteur belge du 4 mars 1997, la Cour a posé à la Cour de justice des Communautés européennes trois questions préjudicielles.

Cet arrêt a été notifié aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 21 février 1997.

Cet arrêt a également été envoyé à la Cour de justice des Communautés européennes par lettre du 27 février 1997.

Par arrêt du 16 juillet 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a répondu aux questions.

Le délai prévu à l'article 109 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage a été suspendu pendant la durée de la procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Par ordonnance du 23 septembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 21 octobre 1998 après avoir invité les parties à introduire, si elles l'estimaient utile, un mémoire complémentaire sur l'incidence que pourrait avoir sur le recours l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 16 juillet 1998, et ce le vendredi 16 octobre 1998 au plus tard.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 24 septembre 1998.

A l'audience publique du 21 octobre 1998 : - ont comparu : . Me E. Thiry, avocat au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante; . Me T. Balthazar, avocat au barreau de Gand, pour le Conseil des ministres; . Me F. Liebaut loco Me P. Devers, avocats au barreau de Gand, pour le Gouvernement flamand; . Me J. Bourtembourg, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. En droit - A - A.1. Par son arrêt n° 6/97 du 19 février 1997, la Cour a rejeté les exceptions d'irrecevabilité relatives à l'intérêt de la requérante, circonscrit l'objet du recours et posé à la Cour de justice des Communautés européennes les questions suivantes : « 1. L'article 31, paragraphe 1, a), de la Directive 93/16/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres, lu en combinaison avec les articles 3 et 23 et avec les autres dispositions du titre IV de cette directive, doit-il s'interpréter en ce sens que la formation spécifique en médecine générale ne peut débuter qu'après que l'intéressé a obtenu, après au moins six années d'études, le diplôme visé à l'article 3 ? 2. L'article 31, paragraphe 1, d), de la même directive doit-il s'interpréter en ce sens que la « participation personnelle du candidat à l'activité professionnelle et aux responsabilités des personnes avec lesquelles il travaille » implique que ce candidat exerce des activités de médecin qui sont réservées aux titulaires des diplômes requis par les articles 2 et 3 de la directive ? 3.Dans l'affirmative, cette même disposition doit-elle s'interpréter en ce sens que le candidat devrait exercer des activités de médecin dès le début de la formation spécifique en médecine générale, qu'il s'agisse de la formation à temps plein prévue par l'article 31 de la directive ou de la formation à temps partiel prévue par l'article 34 ? » A.2. Par son arrêt du 16 juillet 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a donné les réponses suivantes : « 1. L'article 31, paragraphe 1, sous a), de la Directive 93/16/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres, ne subordonne pas l'accès à la formation spécifique en médecine générale à l'obtention préalable du diplôme, certificat ou autre titre visé à l'article 3 de cette même directive. 2. La nature des activités que le candidat doit exercer au cours de la formation spécifique en médecine générale en application de l'article 31, paragraphe 1, sous d), de la Directive 93/16 ne suppose pas nécessairement qu'il ait obtenu un diplôme, certificat ou autre titre visé à l'article 3 de cette même directive avant de commencer cette formation.Il appartient aux Etats membres de déterminer si, et dans quelle mesure, la participation du candidat en médecine générale à l'activité professionnelle et aux responsabilités des personnes avec lesquelles il travaille au cours de sa formation implique qu'il soit en possession d'un diplôme, certificat ou autre titre visé à l'article 3 de ladite directive. » - B - Quant au premier moyen invoqué par le Conseil des ministres B.1.1. Par un premier moyen, le Conseil des ministres soutient qu'en exigeant que les étudiants suivant la formation spécifique en médecine générale exercent pendant deux ans la profession de médecin, le législateur décrétal dispose également que ces étudiants peuvent exercer cette profession et, partant, fixe une condition d'accès à la profession, alors que la réglementation des conditions d'accès à la profession est réservée à l'Etat fédéral par l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, modifié par la loi spéciale du 8 août 1988.

B.1.2. La disposition attaquée est contenue dans le chapitre III du décret du 12 juin 1991 relatif aux universités dans la Communauté flamande, qui règle notamment la structure de l'enseignement académique, les programmes de formation et le « volume des études », l'organisation des formations académiques et des formations académiques continuées, la durée des études et leur déroulement ainsi que l'obtention d'un grade académique à l'issue d'une formation académique, en l'espèce celle de médecin généraliste.

Elle fait partie d'une réglementation relative à l'enseignement et, spécialement, à l'enseignement universitaire.

B.1.3. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les dispositions attaquées ne règlent pas des conditions d'accès à la profession au sens de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980, modifié par la loi spéciale du 8 août 1988.

La compétence attribuée par cette disposition au législateur fédéral comprend le pouvoir de fixer des règles en matière d'accès à certaines professions, de fixer des règles générales ou des exigences de capacités propres à l'exercice de certaines professions et de protéger des titres professionnels.

Il échet d'opérer une nette distinction entre une législation en matière d'enseignement, d'une part, et une réglementation de l'accès aux professions, d'autre part. La façon dont s'acquiert un diplôme ou un grade académique constitue une matière d'enseignement. Subordonner l'accès à une profession à la détention de tel diplôme ou grade académique, c'est régler les conditions d'accès à la profession.

La disposition attaquée fixe une des conditions - à savoir une durée d'études de trois années - auxquelles le grade académique de médecin généraliste peut être obtenu. L'obtention de ce grade académique est le résultat de la réussite d'une formation académique. La disposition attaquée a donc bien pour objet une réglementation en matière d'enseignement et non en matière d'accès à la profession.

B.1.4. Le premier moyen invoqué par le Conseil des ministres manque en droit.

Quant au second moyen invoqué par le Conseil des ministres B.2.1. Par un second moyen, le Conseil des ministres soutient que la disposition attaquée viole l'article 5, § 1er, I, 1°, a), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui réserve à la compétence fédérale la législation organique en matière de « politique de dispensation de soins dans et au dehors des institutions de soins », cette législation organique incluant les conditions d'exercice de la médecine. Puisque les étudiants suivant la formation spécifique en médecine générale doivent exercer pendant deux ans la profession de médecin, ils seraient autorisés à accomplir des actes réservés aux praticiens de la médecine par l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967.

B.2.2. La disposition attaquée n'affecte en aucune manière l'ordonnancement juridique résultant de l'article 2, § 1er, de l'arrêté royal n° 78, aux termes duquel « nul ne peut exercer l'art médical s'il n'est porteur du diplôme légal de docteur en médecine, chirurgie et accouchements, obtenu conformément à la législation sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires ou, s'il n'en est légalement dispensé, et s'il ne réunit pas, en outre, les conditions imposées par l'article 7, § 1er ou § 2 ». Pour ce qui concerne la Communauté flamande, les mots « diplôme [...] de docteur en médecine, chirurgie et accouchements, obtenu conformément à la législation sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires » doivent se lire, depuis l'entrée en vigueur du décret du 12 juin 1991, « diplôme de médecin, obtenu conformément au décret du 12 juin 1991 » (Cour d'arbitrage, arrêt n° 78/92, B.5.5).

C'est en vertu de la disposition précitée de l'arrêté royal n° 78 que les titulaires des diplômes précités sont habilités à poser des actes médicaux. Pour les motifs exposés en réponse au premier moyen invoqué par le Conseil des ministres, l'article 4, § 2, attaqué du décret du 5 avril 1995 se borne à fixer un des aspects de l'organisation de la formation spécifique en médecine générale en Communauté flamande.

B.2.3. Sans doute le législateur décrétal autorise-t-il le candidat-médecin généraliste à participer personnellement à l'activité professionnelle et aux responsabilités des personnes avec lesquelles il travaille, puisqu'il entend exécuter la directive européenne précitée et que l'article 31, paragraphe 1er, sous d), de cette directive fait de cette participation personnelle une des conditions auxquelles doit satisfaire la formation.

Mais, contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, le législateur décrétal n'a pas réglé, ce faisant, une matière qui ressortit à la sphère d'application de l'arrêté royal n° 78 et, partant, à la compétence réservée au législateur fédéral.

La formation en médecine générale comporte nécessairement un stage au cours duquel le candidat doit apprendre à accomplir certains actes, sous la responsabilité d'un médecin. La participation personnelle exigée par la directive est inhérente à la notion de stage et elle fait partie de la formation que doit recevoir le candidat.

Cette organisation n'excède pas la compétence du législateur décrétal puisque, pendant la première année de la formation spécifique en médecine générale, l'étudiant n'exerce pas l'art médical : il ne pourra le faire qu'après avoir obtenu le diplôme de médecin.

Le second moyen invoqué par le Conseil des ministres ne peut être accueilli.

Quant au moyen invoqué par la requérante B.3.1. Selon le moyen unique invoqué par la requérante, la disposition attaquée déroge à la Directive 93/16/CEE du 5 avril 1993 en ce que, combinée avec l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 réservant aux seuls titulaires du diplôme de médecin le droit de poser des actes relevant de l'art de guérir, elle méconnaît l'obligation pour les candidats qui suivent la formation spécifique en médecine générale de participer personnellement à l'activité professionnelle et aux responsabilités des personnes avec lesquelles ils travaillent, obligation figurant à l'article 31, paragraphe 1er, sous d), de la directive. Il se créerait ainsi une discrimination entre les communautés, seule la Communauté flamande violant la directive.

B.3.2. Selon le Gouvernement flamand, la Cour d'arbitrage n'est pas compétente pour examiner la conformité de la disposition attaquée à l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 et à la Directive du 5 avril 1993.

En outre, toujours selon ce Gouvernement, le moyen n'indique pas en quoi consiste la prétendue inégalité. La Communauté française n'a pas encore légiféré en la matière, en manière telle que la discrimination alléguée ne constituerait qu'une hypothèse d'avenir.

B.3.3. En tant que ce moyen est interprété comme invoquant directement la violation de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 et de la directive du 5 avril 1993, il n'est pas recevable : aux termes de l'article 142 de la Constitution et de l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour d'arbitrage n'a pas la compétence de faire respecter de telles règles.

B.3.4. La circonstance que la Communauté française n'a pas encore légiféré en la matière ne peut dispenser la Cour d'examiner le moyen en tant qu'il peut s'interpréter comme reprochant à la disposition attaquée d'avoir violé de manière discriminatoire l'obligation de respecter la directive européenne, les autres communautés étant tenues à cette obligation.

B.3.5. Il ressort des réponses données par la Cour de justice des Communautés européennes aux questions que lui avait posées la Cour que, d'une part, l'accès à la formation spécifique en médecine générale n'est pas subordonné à l'obtention préalable du diplôme de médecin et que, d'autre part, la nature des activités que le candidat doit exercer au cours de sa formation ne suppose pas qu'il ait obtenu un tel diplôme. Il s'ensuit que les dispositions attaquées ne méconnaissent pas l'article 31, paragraphe 1, sous d), de la directive précitée et qu'elles ne dérogent donc pas à celle-ci.

Le moyen manque en droit.

B.4. En tant que le moyen critique l'existence de réglementations différentes dans la législation applicable en la matière dans chacune des communautés, il n'est pas fondé. Une différence de traitement dans des matières où les communautés et les régions disposent de compétences propres est en effet la conséquence possible de politiques distinctes permises par l'autonomie qui leur est accordée par la Constitution ou en vertu de celle-ci; une telle différence ne peut en soi être jugée contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Cette autonomie serait dépourvue de signification si le seul fait qu'il existe des différences de traitement entre les destinataires de règles s'appliquant à une même matière dans les diverses communautés et régions était jugé contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 3 décembre 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

^