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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 11 novembre 1998

Arrêt n° 99/98 du 24 septembre 1998 Numéro du rôle : 1126 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 55 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 99/98 du 24 septembre 1998 Numéro du rôle : 1126 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 55 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (actuellement l'article 53 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996), posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 66.931 du 24 juin 1997 en cause de la s.a. Carwim et autres contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 juillet 1997, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 55 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme [actuellement l'article 53 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996] viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, en ce que - outre le délai - la condition (cumulative) de recevabilité est imposée au collège des bourgmestre et échevins et au fonctionnaire délégué de notifier ' en même temps au demandeur ' (' comme l'expression du traitement sur un pied d'égalité voulu par le législateur '), le recours administratif (auprès du Roi, à présent auprès du gouvernement flamand), à savoir sa date et ses motifs, alors que cette condition de recevabilité n'est pas prévue pour le demandeur qui forme un recours administratif, alors que, selon le texte de la loi, le recours du demandeur ne doit pas être motivé, et alors que le Ministre doit adresser une copie de ce recours du demandeur au collège ' dans les cinq jours de la réception ' ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le ministre flamand des Travaux publics, de l'Aménagement du territoire et des Affaires intérieures a accueilli, le 29 mai 1995, le recours formé par le collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Audenarde contre la décision de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale délivrant à la s.a. Carwim le permis de bâtir pour la construction de « 30 résidences-services », 2 appartements et 5 lits de maison de repos à l'Abdijstraat à Audenarde.

La s.a. Carwim ainsi que trois locataires ont introduit une demande de suspension et un recours en annulation au Conseil d'Etat contre l'arrêté du ministre flamand.

Le 18 juin 1996, le Conseil d'Etat a ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre flamand, considérant que cet arrêté déclare à tort recevable le recours du collège des bourgmestre et échevins. En effet, le recours n'a pas été intégralement porté à la connaissance du demandeur du permis de bâtir et violerait par conséquent la formalité visée à l'article 55, § 2, alinéa 1er, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, actuellement l'article 53, § 2, alinéa 1er, du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996.

Avant de statuer sur le recours en annulation, le Conseil d'Etat pose la question préjudicielle mentionnée ci-avant à la demande de la partie défenderesse.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 9 juillet 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 août 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 19 août 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - la s.a. Carwim, Dries 29, 9320 Nieuwerkerken, R. De Maegd, Lindestraat 177, 9470 Denderleeuw, H. De Pelsemaeker, Heldergemstraat 35, 9450 Haaltert, et E. De Cooman, Donkerstraat 24, 9450 Haaltert, par lettre recommandée à la poste le 24 septembre 1997; - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 30 septembre 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 octobre 1997.

Le Gouvernement flamand a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 10 novembre 1997.

Par ordonnances du 18 décembre 1997 et du 30 juin 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 9 juillet 1998 et 9 janvier 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 8 juillet 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 16 septembre 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1998.

A l'audience publique du 16 septembre 1998 : - a comparu Me P. Lefranc, avocat au barreau de Gand, pour le Gouvernement flamand; - les juges-rapporteurs H. Coremans et L. François ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Gouvernement flamand A.1. Le collège des bourgmestre et échevins ainsi que le fonctionnaire délégué doivent, en vertu du paragraphe 2, alinéa 1er, de l'article en cause, informer le demandeur du permis de leur recours formé auprès du Gouvernement flamand contre la décision de la députation permanente.

Le demandeur peut ainsi en apprécier la régularité et défendre ses intérêts, notamment lors de l'audition par le ministre compétent ou son délégué. Selon les travaux préparatoires, l'audition entend offrir des chances égales au demandeur, au collège des bourgmestre et échevins et au fonctionnaire délégué lors du traitement de la demande, en degré d'appel. Le Conseil d'Etat en déduit que tant le demandeur que le ministre doivent se voir notifier la requête dans son intégralité.

Même lorsque le demandeur introduit le recours, le traitement égal des parties doit être respecté. En son paragraphe 2, alinéa 2, l'article litigieux ne prévoit toutefois pas que le recours du demandeur soit motivé. Il ne prévoit pas davantage que le demandeur porte le recours à la connaissance des autres parties. Il dispose uniquement que le ministre, dans les cinq jours de la réception du recours, envoie une copie au collège des bourgmestre et échevins.

Il s'agit de savoir si la jurisprudence du Conseil d'Etat réalise le traitement égal des parties, poursuivi par le législateur. En effet, elle conduit à un traitement inégal du collège des bourgmestre et échevins et du fonctionnaire délégué par rapport au demandeur.

Mémoire de la s.a. Carwim et autres A.2. Pour ce qui est de l'application des dispositions en cause, le fonctionnaire délégué, le collège des bourgmestre et échevins et le ministre, d'une part, et le demandeur d'un permis, d'autre part, se trouvent dans des situations objectivement différentes.

Lorsque le demandeur introduit un recours contre la décision de la députation permanente, les travaux, dans l'attente de la décision du ministre, ne peuvent pas être réalisés. En effet, le recours est dirigé contre un refus du permis de bâtir ou contre une partie de la décision. La notification du recours à d'autres parties dans un délai de cinq jours leur offre la sécurité juridique nécessaire et ne les met pas dans une situation manifestement déraisonnable.

Lorsque le fonctionnaire délégué ou le collège des bourgmestre et échevins introduit un recours contre la décision de la députation permanente, la sécurité juridique exige que le demandeur soit immédiatement informé de ce recours. En effet, ce recours est dirigé contre une décision d'accorder le permis et sur la base de laquelle les travaux en question peuvent être exécutés. A défaut de signification du recours dans le délai de trente jours, le particulier dispose d'un permis de bâtir exécutoire. Il serait manifestement déraisonnable d'empêcher le demandeur du permis d'entamer les travaux ou de passer des contrats à ce sujet en raison d'un recours qui ne lui aurait pas été signifié dans des délais stricts. Tant l'intérêt général que l'intérêt particulier exigent que le demandeur soit informé en même temps que le ministre du recours, qui suspend le permis.

La distinction entre le recours du demandeur et celui du collège des bourgmestre et échevins ou du fonctionnaire délégué a été créée par le législateur lui-même, compte tenu de la mission spécifique du fonctionnaire délégué et du collège en tant que gardiens de l'intérêt général et du bon aménagement du territoire.

A.3. Même si le fonctionnaire délégué et le collège des bourgmestre et échevins, d'une part, et le demandeur d'un permis, d'autre part, se trouvaient dans une situation comparable, leur traitement distinct, en ce qui concerne le recours introduit contre la décision de la députation permanente, est objectivement justifié. Le ministre, le fonctionnaire délégué et le collège des bourgmestre et échevins poursuivent l'intérêt général, tandis que le demandeur d'un permis poursuit un intérêt privé.

Il n'est pas porté atteinte à l'intérêt général par la disposition qui prévoit que le ministre communique le recours du demandeur dans les cinq jours de la réception au collège des bourgmestre et échevins, sans obliger le demandeur à adresser simultanément son recours au ministre et au collège. Le caractère contradictoire et objectif de la procédure demeure suffisamment garanti et le demandeur ne peut exécuter les travaux.

L'intérêt particulier, la sécurité juridique et le caractère contradictoire de la procédure seraient cependant affectés si le recours du collège des bourgmestre et échevins ou celui du fonctionnaire délégué n'étaient pas signifiés simultanément au ministre et au demandeur du permis, « eu égard à la situation inégale qui en résulterait entre le particulier et l'autorité, et eu égard aux conséquences néfastes pour l'exécution du permis ».

Mémoire en réponse du Gouvernement flamand A.4. L'autorité et le demandeur privé d'un permis de bâtir se trouvent en l'espèce dans des situations bel et bien comparables. Cela ressort du fait que tant le particulier que la commune et le fonctionnaire délégué peuvent introduire un recours administratif. Des situations comparables doivent en principe être traitées de manière égale.

A.5. La distinction n'est pas adéquate. Si la sécurité juridique est la ratio legis de l'obligation de communication simultanée du recours du collège des bourgmestre et échevins au ministre et au demandeur, cet objectif est atteint par la simple notification du fait et de la date du recours. La sécurité juridique n'est en outre pas compromise, étant donné que le demandeur du permis, entre-temps détenteur du permis, doit le communiquer au fonctionnaire délégué et au collège des bourgmestre et échevins au moins huit jours avant le commencement des travaux faisant l'objet du permis. La jurisprudence du Conseil d'Etat, selon laquelle la simple notification du fait que le fonctionnaire délégué ou le collège des bourgmestre et échevins a introduit un recours n'offre pas les mêmes garanties que la notification des motifs de ce recours, ne peut être suivie. - B - B.1. Les motifs de la décision de renvoi et les termes de la question préjudicielle font ressortir que seul est en cause l'article 55, § 2, alinéas 1er et 2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, actuellement l'article 53, § 2, alinéas 1er et 2, du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996. Ces dispositions énoncent : « Le collège des bourgmestre et échevins ainsi que le fonctionnaire délégué peuvent introduire un recours auprès du Gouvernement flamand, dans les trente jours qui suivent la réception de la décision de la députation permanente octroyant un permis. Ce recours, de même que le délai pour former recours, est suspensif. Il est adressé en même temps au demandeur et au Gouvernement flamand. Lorsque le recours est introduit par le fonctionnaire délégué, ce dernier avertit également le collège.

Le demandeur peut introduire un recours auprès du Gouvernement flamand dans les trente jours qui suivent la réception de la décision de la députation permanente ou à défaut de cette réception, l'expiration du délai dans lequel elle devait avoir lieu. Ce recours est envoyé, par lettre recommandée à la poste, au Gouvernement flamand, qui en adresse copie au collège, dans les cinq jours de la réception.

B.2. Les dispositions en cause s'inscrivent dans le cadre de la réglementation des recours administratifs en matière d'aménagement du territoire.

Le demandeur peut introduire un recours auprès de la députation permanente contre la décision du collège des bourgmestre et échevins ou du fonctionnaire délégué portant refus d=un permis de bâtir. Le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué comme le demandeur peuvent introduire un recours auprès du Gouvernement flamand contre la décision de la députation permanente octroyant ou refusant le permis.

B.3. La question préjudicielle soumise à la Cour porte sur la différence de traitement établie entre le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué, d'une part, et le demandeur d'un permis, d'autre part, lorsqu'ils introduisent un recours auprès du Gouvernement flamand.

B.4. En vertu de l'alinéa 1er de l'article 53, § 2, le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué qui introduisent un recours auprès du Gouvernement flamand contre la décision de la députation permanente doivent adresser en même temps ce recours au demandeur du permis. Cette notification implique, selon le Conseil d'Etat, que le demandeur soit également informé directement de l'intégralité du texte du recours, de sorte qu'il puisse vérifier si le recours a été introduit régulièrement et connaître les motifs qui le fondent. Le recours qui n'est pas notifié intégralement au demandeur du permis serait irrecevable pour cette raison.

B.5. En vertu de l'alinéa 2 de l'article 53, § 2, le demandeur qui introduit un recours contre la décision de la députation permanente doit uniquement envoyer ce recours au Gouvernement flamand. Ce dernier adresse copie du recours au collège des bourgmestre et échevins dans les cinq jours de la réception. Par conséquent, le recours que le demandeur du permis ne notifie pas au collège des bourgmestre et échevins ne saurait être irrecevable pour cette raison.

B.6. Bien que le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué, en raison de la mission d'intérêt général dont ils sont chargés, ne soient en principe pas suffisamment comparables à des particuliers, les travaux préparatoires révèlent que les uns et les autres sont mis sur un pied d'égalité dans la procédure dont les dispositions en cause règlent certains aspects (Doc. parl., Chambre, 1970-1971, n° 773/2, p. 30, et Sénat, 1969-1970, n° 525, p. 43).

De ce fait, le collège des bourgmestre et échevins, le fonctionnaire délégué et les particuliers se trouvent - contrairement à ce que soutiennent les demandeurs devant le juge a quo - dans des situations suffisamment proches pour que l'on puisse conclure à leur comparabilité.

B.7. La différence de traitement entre le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué, d'une part, et le demandeur d'un permis, d'autre part, peut être justifiée de manière objective et raisonnable.

A l'inverse du recours introduit par le demandeur du permis, le recours du collège des bourgmestre et échevins et celui du fonctionnaire délégué produisent des effets juridiques immédiats : leur recours suspend le permis de bâtir octroyé par la députation permanente jusqu'à ce que le Gouvernement flamand ait pris une décision relativement audit recours.

Le fait que le recours soit notifié en même temps au demandeur du permis permet à ce dernier de savoir immédiatement que le permis qui lui a été octroyé par la députation permanente n'est pas exécutoire - ce qui évite l'insécurité juridique - et de connaître les motifs qui fondent le recours - ce qui permet à ce demandeur d'apprécier s'il y a lieu de demander au Gouvernement flamand d'être entendu (article 53, § 2, alinéa 3, du décret du 22 octobre 1996) et ce qui lui permet en outre de préparer sa défense.

B.8. La différence de traitement n'est disproportionnée, ni par rapport à l'objectif de la règle, qui consiste à garantir l'égalité des parties, ni par rapport à la possibilité pour le collège des bourgmestre et échevins et pour le fonctionnaire délégué de défendre leur point de vue devant le Gouvernement flamand : lorsque le demandeur du permis introduit un recours auprès du Gouvernement flamand contre la décision de la députation permanente, le collège des bourgmestre et échevins n'est certes pas informé A en même temps , mais il reçoit une copie du recours de la part du Gouvernement flamand dans les cinq jours de la réception.

B.9. La question appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 55 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (actuellement l'article 53 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996) ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il impose au collège des bourgmestre et échevins et au fonctionnaire délégué de notifier en même temps au demandeur, dans son intégralité, le recours administratif introduit auprès du Gouvernement flamand, alors que cette obligation n'est pas imposée au demandeur qui introduit un recours administratif.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 24 septembre 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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