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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 05 novembre 1998

Arrêt n° 98/98 du 24 septembre 1998 Numéro du rôle : 1345 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 8bis, 9 et 30, alinéa 3, de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme, posée par le juge de paix du canton de Zele. La composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerex(...)

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Arrêt n° 98/98 du 24 septembre 1998 Numéro du rôle : 1345 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 8bis, 9 et 30, alinéa 3, de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme, posée par le juge de paix du canton de Zele.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 10 juin 1998 en cause de R. Michels contre M. Peleman, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 juin 1998, le juge de paix du canton de Zele a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 8bis, 9 et 30, alinéa 3, de la loi relative au bail à ferme violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée en ce que l'exploitant visé à l'article 8bis mentionné dans le congé ne serait pas considéré comme ' preneur ' au sens de l'article 30, alinéa 3, de la loi précitée, étant donné que cette disposition confère au preneur le droit d'échanger le bien sans affecter les droits et obligations ni du preneur ni du bailleur, cependant que, si l'exploitant désigné n'est pas considéré comme ' preneur ', celui qui est désigné par le bailleur, sur la base de l'article 8bis, comme futur exploitant, dans la lettre de congé, devrait exploiter le bien personnellement, effectivement et pour au moins neuf ans de manière continue, sans avoir la possibilité de procéder à des échanges, comme le prévoit l'article 30, alinéa 3, de la loi relative au bail à ferme ? » II. Les faits et la procédure antérieure R. Michels poursuit devant le juge a quo sa réintégration dans le bien qu'il louait autrefois à M. Peleman.

Congé lui avait été donné, en application de l'article 8bis de la loi sur le bail à ferme, aux fins de permettre l'exploitation de ces parcelles par le fils de M. Peleman, mais, après un an, elles ont été utilisées par un tiers.

La partie défenderesse devant le juge de paix ne conteste pas les faits mais renvoie à l'article 30, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, qui dispose que les échanges portant sur la culture des biens loués, réalisés par les preneurs, ne sont pas considérés comme des sous-locations, et que ces échanges n'affectent pas les droits et obligations, ni des preneurs ni des bailleurs.

Etant donné que, selon le tribunal, l'exploitation sous forme d'échange ne saurait être considérée comme une exploitation personnelle et effective au sens de l'article 9 de la loi sur le bail à ferme, la partie défenderesse a demandé qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour.

Le juge de paix a dès lors décidé de poser à la Cour la question formulée par cette partie.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 15 juin 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Le 8 juillet 1998, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale précitée, les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport devant la Cour et estimé qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour de mettre fin à la procédure par un arrêt de réponse immédiate.

Les conclusions des juges-rapporteurs ont été notifiées aux parties dans l'instance principale conformément à l'article 72, alinéa 2, de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1998.

M. Peleman, Hogeweg 46, 9290 Berlare, a introduit un mémoire justificatif par lettre recommandée à la poste le 23 juillet 1998.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Objet des dispositions en cause Les articles 8bis, 9 et 30, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, tels qu'ils ont été insérés ou remplacés par les articles 7, 8 et 18 de la loi du 7 novembre 1988 modifiant la législation sur le bail à ferme et la limitation des fermages, sont libellés comme suit : «

Art. 8bis.Si le preneur ayant atteint l'âge de la pension, bénéficie d'une pension de retraite ou de survie et ne peut indiquer aucune des personnes mentionnées à l'article 34 comme pouvant éventuellement poursuivre son exploitation, le bailleur peut mettre fin au bail en vue d'exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d'en céder l'exploitation à son conjoint, à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs. Les dispositions de l'article 7, 1°, deuxième alinéa, sont d'application.

Si plusieurs preneurs louent le bien en commun, l'ensemble des conditions fixées à l'alinéa précédent doivent être réunies dans le chef de tous les preneurs.

Dans les mêmes conditions, le bailleur peut mettre fin à tout ou partie du bail en vue de louer ou d'aliéner les biens à des fins d'exploitation par une exploitation viable ou par une exploitation faisant l'objet d'un plan de développement, conformément à la législation et à la réglementation en matière de modernisation des exploitations agricoles.

La location ou l'aliénation dont il est question dans l'alinéa précédent doivent être effectuées dans un délai de six mois après que le preneur à qui le congé a été donné a quitté le bien.

L'exploitation du bien repris au preneur aux termes de ces dispositions, ainsi que la personne du futur exploitant, doivent réunir les conditions fixées à l'article 9.

Les dispositions des articles 10, 12, à l'exception du 2, du 5 et du 7, et de l'article 13 de la présente loi, s'appliquent à ce congé.

L'article 12, 1°, deuxième alinéa, ne s'applique pas en cas d'application du troisième alinéa du présent article. » «

Art. 9.L'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés.

Toutefois, le motif du congé consistant en l'exploitation personnelle ne peut être invoqué par des personnes, et s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables, qui auraient atteint, au moment de l'expiration du préavis, l'âge de 65 ans, ou de 60 ans lorsqu'il s'agit d'une personne n'ayant jamais été exploitant agricole pendant au moins trois ans; ne peut également invoquer ce motif celui qui, après la cessation de son exploitation agricole, l'a donnée à bail.

De même, le motif du congé en vue de l'exploitation personnelle ne peut pas être invoqué par le titulaire d'un usufruit constitué entre vifs par la volonté de l'homme et pour une période déterminée.

La personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables doivent : - soit être porteur d'un certificat d'études ou d'un diplôme qui lui a été délivré après avoir suivi avec fruit un cours agricole ou des études à une école d'agriculture ou d'horticulture; - Soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années; - soit avoir participé effectivement pendant au moins un an à une exploitation agricole.

Les personnes morales dont il est question au présent article doivent être constituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ou sous forme d'une société de personnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole. » «

Art. 30.[...] Ne sont pas considérés comme des sous-locations, les échanges portant sur la culture des biens loués, réalisés par les preneurs. Ces échanges n'affectent pas les droits et obligations, ni des preneurs ni des bailleurs. Il en est de même de l'exploitation en commun d'un bien rural donné à bail à un des co-exploitants, à condition que ce dernier reste seul titulaire du bail et participe activement, à titre d'occupation principale, à l'exploitation. » V. En droit - A - A.1. En application de l'article 72 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs ont rédigé des conclusions dans lesquelles ils faisaient connaître qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour de dire pour droit, dans un arrêt de réponse immédiate à la question préjudicielle, que les dispositions litigieuses, dans la comparaison qui a été faite, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.2. M. Peleman, partie défenderesse dans l'instance devant le juge a quo, a introduit un mémoire justificatif dans lequel elle explique que les juges-rapporteurs ont négligé la notion d'« échange de culture » ou d'« échange en jouissance d'immeubles ruraux » et que lorsqu'il est établi que le bien est effectivement exploité par la personne au bénéfice de laquelle le congé a été donné, conformément à l'article 8bis de la loi sur le bail à ferme, et que toute intention de fraude est dès lors exclue, l'exploitation sous la forme d'un échange de culture ne saurait être considérée comme étant fondamentalement différente de l'échange de culture visé à l'article 30 de la même loi, par un preneur « ordinaire ». - B - B.1. La question invite à comparer la situation du preneur « ordinaire » et celle d'une personne qui est désignée comme la personne qui reprendra l'exploitation du bien loué lorsque, le preneur ayant atteint l'âge de la pension, il est mis fin au bail, conformément à l'article 8bis, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme.

Conformément à l'article 30 de la loi sur le bail à ferme, le preneur « ordinaire » a la possibilité de réaliser « des échanges portant sur la culture des biens loués » (échange de culture). En cas de congé visé à l'article 8bis, alinéa 1er, la personne qui est désignée comme futur exploitant n'a pas cette possibilité, puisqu'un échange de culture, dans l'interprétation que donne le juge a quo à l'article 9 de la loi sur le bail à ferme, ne constitue pas une exploitation « personnelle et effective ».

Ces catégories de personnes ne sont pas à ce point différentes qu'elles ne puissent être comparées de manière pertinente dans le cadre du contrôle de la Cour au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.2. Il existe une justification objective et raisonnable pour la distinction établie entre le preneur « ordinaire » et la personne qui, par suite de la cessation du bail conformément à l'article 8bis de la loi sur le bail à ferme, est désignée comme futur exploitant et qui, aux termes de l'article 9 de cette loi, doit assurer « une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins ».

Certes, l'article 30 de la loi sur le bail à ferme dispose que ne sont pas considérés comme des sous-locations les échanges portant sur la culture des biens loués et que ces échanges n'affectent pas les droits et obligations, ni des preneurs ni des bailleurs, mais il existe en l'espèce une différence fondamentale dans les rapports juridiques : outre les droits et obligations réciproques du locataire et du bailleur d'un bien rural, les obligations spécifiques envers l'ancien locataire sont imposées à la personne qui poursuit l'exploitation, afin de prévenir les abus pouvant résulter de la possibilité de cessation visée à l'article 8bis ou, le cas échéant, de les sanctionner.

Eu égard aux sanctions liées à l'obligation d'exploitation dans le chef du nouvel exploitant, la mesure est dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec l'objectif poursuivi par le législateur.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En tant que la personne indiquée dans le congé comme devant assurer l'exploitation, conformément à l'article 8bis de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme, et qui, en vertu de l'article 9 de la même loi, est tenue à « une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins » ne serait pas autorisée à procéder à un échange de culture, les articles 8bis, 9 et 30 de ladite loi ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 24 septembre 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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