publié le 29 septembre 1998
Arrêt n° 78/98 du 7 juillet 1998 Numéro du rôle : 1134 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 76, § 1 er , du Code de la T.V.A., posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles. La Cour d'arbit composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, H. Corem(...)
Arrêt n° 78/98 du 7 juillet 1998 Numéro du rôle : 1134 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, H. Coremans, A. Arts et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugement du 10 juillet 1997 en cause de la s.a. Ludeco contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 juillet 1997, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. compris dans ce sens qu'il permet au Roi de prescrire une retenue des crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie et dès lors que la dette d'impôt ne constitue pas - par hypothèse - une créance conforme à l'article 1415 de ce Code en faveur de l'administration, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution 1. en ce qu'il permet de déroger de manière substantielle, en matière de T.V.A., au droit commun des saisies, plus particulièrement aux articles 1413 et suivants du Code judiciaire, la compétence matérielle du juge des saisies se limitant tout au plus à un contrôle formel ? 2. dans la mesure où il établit une différence de traitement entre les différents créanciers de l'Etat belge au détriment des créanciers titulaires d'un crédit d'impôt en matière de T.V.A. ? 3. dans la mesure où il établit une différence de traitement entre les différentes catégories de personnes titulaires d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge, celles titulaires d'un crédit d'impôt en matière de T.V.A. pouvant faire l'objet d'une retenue valant saisie-arrêt conservatoire dans les conditions prérappelées ? 4. dans la mesure où il établit une différence de traitement entre différentes catégories de personnes soumises à des impôts indirects et titulaires d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge au détriment de celles titulaires d'un crédit d'impôt en matière de T.V.A. pouvant faire l'objet d'une retenue valant saisie-arrêt conservatoire dans les conditions prérappelées ? 5. dans la mesure où il établit une différence de traitement en faveur de l'Etat belge créancier du titulaire du crédit d'impôt et les créanciers de cette même personne, désignés à l'article 1628, alinéa 2, du Code judiciaire, qui ont fait procéder à une saisie conservatoire selon le droit commun ? » II.Les faits et la procédure antérieure La partie requérante demande à la chambre des saisies du Tribunal de première instance de Bruxelles de faire lever des retenues valant saisies-arrêts conservatoires auxquelles a procédé l'Etat belge et réclame en conséquence la restitution de sommes d'argent.
A la suite de divers contrôles accomplis par le défendeur, l'Administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines ou l'inspection spéciale des impôts a dressé des procès-verbaux imputant à la demanderesse diverses fraudes. Des sommes d'argent lui ont dès lors été réclamées. La demanderesse a introduit des recours contre ces prétentions.
Par ailleurs, la demanderesse s'est trouvée créancière de sommes d'argent à l'égard du défendeur par application des mécanismes de la T.V.A. Se fondant sur l'article 8.1, § 3, alinéa 4, de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969 relatif aux restitutions en matière de taxe sur la valeur ajoutée tel que modifié par l'arrêté royal du 14 avril 1993, le défendeur a opéré des retenues valant saisie-arrêt conservatoire entre les mains du contrôleur en chef du service de la T.V.A. sur les montants dont la demanderesse est créancière et pour sûreté du montant qui lui était réclamé par le défendeur.
Devant le Tribunal de première instance de Bruxelles, chambre des saisies, la demanderesse a mis en cause l'article 76 du Code de la T.V.A. en ce que, prolongé par l'article 8.1, § 3, alinéa 4, de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969, il créerait des discriminations que prohibent les articles 10 et 11 de la Constitution.
Le Tribunal a estimé opportun de faire droit à la demande de poser certaines questions préjudicielles à la Cour. Il a dès lors posé les questions préjudicielles mentionnées ci-dessus.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 18 juillet 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 septembre 1997.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 19 septembre 1997.
Des mémoires ont été introduits par : - la partie requérante devant le juge a quo, dont le siège social est établi à 1060 Bruxelles, rue Coenraets 64, par lettre recommandée à la poste le 23 octobre 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, et l'Etat belge, par lettre recommandée à la poste le 27 octobre 1997.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 novembre 1997.
La partie requérante devant le juge a quo a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 11 décembre 1997.
Par ordonnance du 18 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 10/03/1998 numac 1998031009 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant l'ordonnance du 27 avril 1995 relative à la sauvegarde et à la protection de la nature type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 24/02/1998 numac 1997031010 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance complétant l'ordonnance du 19 juillet 1990 portant création de l'Agence Régionale pour la Propreté type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 03/04/1998 numac 1998031011 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment à l'accord de coopération conclu le 4 mars 1997 entre l'Etat fédéral et les Régions relatif au programme de transition professionnelle fermer, la Cour a prorogé jusqu'au 18 juillet 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 27 mai 1998.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 30 avril 1998.
A l'audience publique du 27 mai 1998 : - ont comparu : . Me M. Marlière et Me T. Vandenput loco Me X. Leurquin, avocats au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante devant le juge a quo; . Me F. T'Kint, avocat à la Cour de cassation, pour le Conseil des ministres et pour l'Etat belge; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire de la partie requérante devant le juge a quo A.1.1. L'interprétation que le juge a quo donne ou peut sembler donner à la norme législative ne s'impose pas à la Cour, qui est libre de lui préférer une autre interprétation plus conforme à la Constitution. Une première réponse à la question posée devrait consister à dire que l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., interprété dans le sens où il n'autorise pas le Roi à porter atteinte au droit reconnu à toute personne de soumettre toute demande de paiement formulée par elle ou contre elle et toute retenue ou saisie dont elle est l'objet à un contrôle judiciaire effectif, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.1.2. La Cour n'étant cependant pas en mesure d'imposer au juge a quo l'interprétation d'une norme législative qui doit logiquement et juridiquement prévaloir, elle doit se prononcer sur la constitutionnalité, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. dans la mesure où cet article est interprété comme autorisant le Roi à apporter, en matière de T.V.A., des dérogations substantielles au droit commun des saisies ayant pour effet de porter atteinte au droit reconnu à toute personne de soumettre toute demande de paiement formulée par elle ou contre elle et toute retenue ou saisie dont elle fait l'objet à un contrôle judiciaire effectif.
Dans cette interprétation, la disposition soumise à la Cour viole les articles 10 et 11 de la Constitution pour les motifs suivants.
Tout d'abord, elle met les créanciers T.V.A. dans une situation discriminatoire. Conformément au droit commun des saisies, des personnes ne peuvent faire l'objet d'une saisie conservatoire que pour autant qu'il y ait célérité (article 1413 du Code judiciaire), qu'il existe à leur égard une créance certaine, exigible, liquide ou susceptible d'estimation provisoire (article 1415 du Code judiciaire) et qu'elles disposent en tous les cas de la possibilité de soumettre les mesures dont elles sont l'objet à un contrôle judiciaire effectif.
Le créancier T.V.A., pour sa part, peut faire l'objet d'une retenue valant saisie-arrêt conservatoire, sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'il y a célérité et alors même qu'il n'y a pas de créance certaine, exigible et liquide, le contrôle judiciaire pouvant s'exercer à l'égard d'une telle retenue étant de la sorte réduit à un contrôle purement formel.
On n'aperçoit pas quelle justification objective et raisonnable peut être donnée à la différence de traitement entre, d'une part, les créanciers T.V.A. et, d'autre part, toute personne généralement quelconque pouvant faire l'objet d'une saisie conservatoire ou d'une mesure analogue ou même plus précisément toutes les personnes qui ont la qualité de créancier de l'Etat, ou plus précisément encore toutes celles qui sont créancier fiscal de l'Etat ou encore plus précisément toutes celles qui sont créanciers fiscaux de l'Etat en matière d'impôt indirect. Les créanciers T.V.A. font l'objet d'une atteinte disproportionnée par rapport à l'objectif d'assurer le recouvrement des impôts si l'on prend en compte le droit que possède chacun à un contrôle judiciaire effectif.
On relèvera qu'alors qu'il existe des situations analogues et comparables à celles que l'on rencontre en matière de T.V.A. dans le secteur du droit fiscal direct ou indirect, des techniques analogues à celle qui est dénoncée ne sont pas mises en place.
A.1.3. Les dispositions soumises à la Cour, dans l'interprétation précisée ci-dessus, méconnaissent par ailleurs les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles confèrent à l'Etat belge une position privilégiée par rapport aux autres créanciers qui ont fait procéder à une saisie conservatoire selon le droit commun : on ne perçoit pas ce qui serait de nature à justifier objectivement et raisonnablement la position privilégiée de l'Etat belge, créancier d'une personne titulaire de crédits d'impôt en matière de T.V.A. Mémoire du Conseil des ministres et de l'Etat belge A.2.1. Telles qu'elles sont libellées, les questions préjudicielles reposent sur une interprétation inexacte du Code de la T.V.A. En effet, dans la mesure où les objections soulevées par le jugement a quo reposent sur la considération qu'en vertu de la disposition légale litigieuse, il ne peut exercer aucun contrôle, si ce n'est strictement formel, de la retenue permise par l'article 76 du Code de la T.V.A., elles se fondent sur une lecture erronée de la disposition applicable et sont sans aucun fondement.
En effet, la disposition visée n'autorise pas l'exécutif à priver l'assujetti à la T.V.A., en principe créancier de crédits d'impôt, en cas de retenue de crédits d'impôt par l'Etat belge, de tout recours effectif devant un tribunal indépendant et bénéficiant de la plénitude de juridiction, pas plus qu'elle ne soumet ces créanciers - assujettis - à l'arbitraire de l'administration.
A.2.2. La Cour peut néanmoins opérer son contrôle de constitutionnalité sur l'article 76 de la T.V.A. en prenant en considération l'article 8.1 de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969. A cet égard, il faut relever qu'il n'est pas inconstitutionnel de traiter différemment deux ou plusieurs catégories de citoyens pour autant que la distinction opérée soit justifiée par un but légitime et que les moyens mis en oeuvre soient raisonnables et proportionnés à ce but. L'arrêt n° 80/95 du 14 décembre 1995 est rappelé. Il existe toutefois entre les retenues des crédits d'impôt en matière de T.V.A. et la retenue visée par la disposition en cause dans cet arrêt des différentes fondamentales : la retenue de crédits d'impôt a pour but d'empêcher que soit remboursé, par le créancier lui-même, un crédit d'impôt sur lequel l'assujetti n'a aucun droit; la procédure de retenues des crédits d'impôt T.V.A. ne peut être poursuivie qu'aux conditions strictes prévues par l'arrêté royal n° 4 et cette procédure prévoit un recours juridictionnel et un contrôle effectif devant le juge des saisies, qui a un pouvoir d'appréciation analogue à celui dont il jouit en droit commun, même si ce contrôle doit s'exercer en tenant compte des règles spécifiques, spécialement dans le domaine de la preuve, à la matière de la T.V.A., ces conditions particulières, dérogatoires sur certains points au droit commun, étant objectivement, légitimement et raisonnablement justifiées.
Le fait que la procédure de retenue qui vaut saisie-arrêt n'est pas une saisie-arrêt mais une procédure sui generis qui déroge au Code judiciaire n'est pas en soi critiquable : le Code judiciaire n'est pas assimilable à la loi fondamentale; des lois particulières peuvent y déroger. L'objectif légitime poursuivi en l'espèce par le législateur est, dans le cadre d'une gestion responsable et efficace des moyens fiscaux de l'Etat et des deniers publics, la protection des droits de l'Etat contre l'insolvabilité de ses débiteurs, et en particulier la lutte contre les mécanismes de fraude actuels, souvent très sophistiqués. Il s'agit d'un objectif absolument essentiel et prioritaire.
L'organisation de la procédure de retenue des crédits d'impôt T.V.A repose sur une distinction opérée à l'aide de critères objectifs et ne laisse pas de place à l'arbitraire des pouvoirs publics. Elle concerne tous les assujettis T.V.A. qui sont visés à l'article 8.1, § 2, alinéas 4 et 5, de l'arrêté royal n° 4. Il s'agit de catégories d'assujettis dont l'administration a constaté qu'ils disposent en principe d'un crédit d'impôt mais auquel correspond en tout ou en partie une dette de T.V.A. résultant du non-respect des obligations imposées par le Code de la T.V.A. La mesure est pertinente et proportionnelle par rapport à l'objectif poursuivi. Il faut à cet égard tenir compte du recours juridictionnel effectif dont dispose l'assujetti en vertu de l'article 8.1, § 3, alinéa 10, de l'arrêté royal n° 4, qui permet au juge de prendre connaissance de toutes les contestations soulevées par les parties à propos de la retenue de crédit d'impôt opérée par l'administration, c'est-à -dire d'en apprécier la légitimité et la régularité et de vérifier si les conditions de fond et de forme pour l'établissement d'une retenue de crédit d'impôt sont remplies. Dès lors, même si les conditions de validité de la retenue sont différentes de celles qui régissent les saisies, le rôle du juge des saisies est effectif et, pour l'essentiel, identique à celui qu'il est appelé à jouer lorsqu'il intervient sur la base de l'article 1395 du Code judiciaire.
Les conditions de fond et de forme particulières auxquelles la retenue doit répondre et en fonction desquelles le juge des saisies va exercer son contrôle ne sont pas davantage contraires au principe d'égalité et de non-discrimination. La procédure a pour objectif et pour effet de supprimer la possibilité pour un assujetti de se faire verser un crédit d'impôt auquel il n'a pas droit et de restaurer l'équilibre et l'égalité entre les assujettis qui respectent les obligations légales et ceux qui violent la loi. Ce but ne peut être atteint que par des conditions plus souples fixées à l'article 8.1 de l'arrêté royal n° 4.
Cet article prévoit que la condition de célérité est censée remplie parce qu'il est nécessaire d'éviter immédiatement que des crédits d'impôt indus soient versés à l'assujetti. La créance ne doit pas être certaine mais en cas de contestation, le juge des saisies doit vérifier s'il existe, dans le chef de l'administration, une créance qui, prima facie, présente une apparence de fondement. Lorsqu'il intervient dans le domaine des saisies au sens du Code judiciaire, le juge des saisies opère le même contrôle.
Certes, le juge sera lié par les règles de preuve ordinaires en matière de T.V.A., c'est-à -dire plus précisément par l'article 59 du Code de la T.V.A. Il en va cependant de même dans le cadre d'une procédure de saisie conservatoire puisque le juge doit avoir égard au mode de preuve applicable à la matière particulière à propos de laquelle il est appelé à statuer. D'autre part, il n'est pas prétendu que l'article 59 du Code de la T.V.A. méconnaîtrait les articles 10 et 11 de la Constitution.
Concernant l'exigibilité de la créance, le contrôle du juge des saisies est identique à celui qu'il exercerait à propos d'une saisie conservatoire.
La différence de traitement qui résulterait d'autres modalités complémentaires prévues à l'alinéa 10 de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal n° 4 est également raisonnablement et légitimement justifié et dans un rapport de proportionnalité avec l'objectif poursuivi.
Mémoire en réponse de la partie requérante devant le juge a quo A.3.1. Le Conseil des ministres et l'Etat belge représenté par le ministre des Finances ont introduit un mémoire unique, ce qui empêche d'identifier les observations de l'un et de l'autre. La loi spéciale du 6 janvier 1989 ne prévoit pas la possibilité pour deux parties distinctes de s'exprimer au moyen d'un document de procédure unique.
La partie requérante s'en remet à la sagesse de la Cour quant à la validité de ce mémoire conjoint.
A.3.2. Le mémoire du Conseil des ministres et de l'Etat belge ne fournit aucune réponse aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions posées par le juge a quo.
A.3.3. Concernant la première question, le point de vue défendu en premier lieu par les parties adverses est inexact en droit et en fait.
La Cour n'est pas autorisée à se substituer au juge du fond qui, par le fait qu'il pose une question préjudicielle, établit que la réponse présente pour lui un intérêt compte tenu du litige porté devant lui.
Ce qui est attendu de la Cour, c'est la réponse à une question qui, se fondant sur ce que le contenu d'un arrêté royal porte atteinte à un droit fondamental, demande si ce qui a été décidé par cet arrêté peut s'autoriser de l'habilitation contenue à l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. Concernant le second point de vue défendu par les parties adverses, il faut rappeler que la Cour n'est compétente que pour se prononcer sur des normes législatives. Certes, dans certains arrêts, la Cour décide d'analyser le contenu d'un arrêté royal en se plaçant dans l'hypothèse où la loi d'habilitation doit s'interpréter comme autorisant le Roi à prendre ces mesures. Cette jurisprudence risque toutefois de faire surgir de difficiles et, à première vue, insolubles questions d'interprétation des actes de l'exécutif susceptibles d'opposer les juges judiciaires et administratifs, d'une part, et la Cour d'arbitrage, d'autre part; le débat risque de se déplacer du terrain de la constitutionnalité vers celui de l'interprétation de l'acte de l'exécutif.
L'on peut à cet égard observer que les parties adverses se prononcent dans leur mémoire essentiellement sur des questions d'interprétation de l'arrêté royal n° 4.
Il reste encore à démontrer pourquoi la procédure sui generis en matière de T.V.A. ne se justifie pas dans d'autres branches des impôts indirects, en matière de droit fiscal d'une manière plus générale, ou en faveur de créanciers autres que l'Etat.
Concernant l'absence de droit au crédit d'impôt dans le chef de l'assujetti, il faut observer que le droit au crédit d'impôt n'est ni contestable ni contesté par l'Etat, que c'est la dette de l'assujetti qui est contestée. En droit commun, pareille situation s'oppose à toute compensation. On s'interroge comment il se fait qu'en matière de T.V.A., il puisse en aller autrement. Il reste également à justifier pourquoi les crédits d'impôt sont estimés comme étant « souvent fictifs », pourquoi les créanciers T.V.A. sont nécessairement des fraudeurs, n'ayant d'autre souci que d'organiser leur insolvabilité et pourquoi les infractions en matière de T.V.A. sont plus lourdes qu'en tout autre domaine de la fiscalité. - B - Quant à la recevabilité du mémoire du Conseil des ministres et de l'Etat belge B.1.1. La partie requérante devant le juge a quo conteste la possibilité pour deux parties distinctes d'introduire un mémoire unique.
B.1.2. L'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage prévoit que, dans les quarante-cinq jours de la réception des notifications faites par le greffier en vertu des articles 76, 77 et 78, le Conseil des ministres, les gouvernements, les présidents des assemblées législatives et les personnes destinataires de ces notifications peuvent adresser un mémoire à la Cour.
Les parties en cause devant la juridiction qui a pris la décision de renvoi sont, en vertu de l'article 77 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, destinataires de ces notifications.
En tant que partie devant le juge a quo, l'Etat belge est soumis à l'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. En tant qu'autorité expressément visée, le Conseil des ministres est soumis à cette même disposition.
Rien n'empêche que deux parties visées à l'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 déposent un mémoire unique, pour autant qu'elles respectent chacune le délai qui leur est imparti, ce qui n'est pas contesté en l'espèce.
B.1.3. L'exception d'irrecevabilité est dès lors rejetée.
Quant aux questions préjudicielles B.2. Le Tribunal de première instance de Bruxelles interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. en ce qu'il permet au Roi de prévoir au profit de l'Administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines une retenue des crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie, même quand la dette fiscale n'a pas les caractères requis par l'article 1415 de ce Code.
La violation résulterait de ce que cette disposition permet de déroger de manière substantielle au droit commun des saisies, plus particulièrement aux articles 1413 et suivants du Code judiciaire, la compétence matérielle du juge des saisies se limitant tout au plus à un contrôle formel.
Il en résulterait une première différence de traitement entre, d'une part, les créanciers titulaires d'un crédit d'impôt en matière de T.V.A. et, d'autre part, les autres créanciers de l'Etat belge, les catégories de personnes titulaires d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge et les catégories de personnes soumises à des impôts indirects.
Il en résulterait une seconde différence de traitement en faveur de l'Etat belge créancier du titulaire du crédit d'impôt par rapport aux créanciers de cette même personne, désignés à l'article 1628, alinéa 2, du Code judiciaire, qui ont fait procéder à une saisie conservatoire selon le droit commun.
B.3. L'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., tel qu'il a été modifié par l'article 86 de la loi du 28 décembre 1992, dispose : « Lorsque le montant des déductions prévues par les articles 45 à 48 excède à la fin de l'année civile le montant des taxes dues par l'assujetti qui est établi en Belgique, qui a en Belgique un établissement stable ou qui, en vertu de l'article 55, a fait agréer en Belgique un représentant responsable, l'excédent est restitué, aux conditions fixées par le Roi, dans les trois mois sur demande expresse de l'assujetti.
Le Roi peut prévoir la restitution de l'excédent avant la fin de l'année civile dans les cas qu'Il détermine et aux conditions qu'Il fixe.
En ce qui concerne les conditions visées aux alinéas 1er et 2, le Roi peut prévoir, au profit de l'administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines, une retenue valant saisie-arrêt conservatoire au sens de l'article 1445 du Code judiciaire. » L'article 1445 du Code judiciaire dispose : « Tout créancier peut, en vertu de titres authentiques ou privés, saisir-arrêter par huissier de justice, à titre conservatoire, entre les mains d'un tiers, les sommes et effets que celui-ci doit à son débiteur.
En cas d'inaction de son débiteur, le créancier peut, par application de l'article 1166 du Code civil, former la même procédure.
L'acte de saisie contient le texte des articles 1451 à 1456 et l'avertissement au tiers saisi qu'il devra se conformer à ces dispositions. » Des motifs de son jugement, il ressort que le juge a quo se réfère à l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969 relatif aux restitutions en matière de taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il a été modifié par l'arrêté royal du 14 avril 1993 pris en exécution de l'article 76, § 1er, précité.
L'article 8.1, § 3, alinéa 4, de cet arrêté dispose : « Si la dette d'impôt visée à l'alinéa 1er ne constitue pas une créance certaine, liquide et exigible, en tout ou en partie, au profit de l'administration, ce qui est notamment le cas lorsqu'elle est contestée ou lorsqu'elle a donné lieu à une contrainte visée à l'article 85 du Code dont l'exécution est interrompue par l'opposition prévue à l'article 89 du Code, le crédit d'impôt est retenu à concurrence de la créance de l'administration. Cette retenue vaut saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé, soit au plan administratif, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée. Pour la mise en oeuvre de cette retenue, la condition exigée par l'article 1413 du Code judiciaire est censée être remplie. » Les créanciers titulaires d'un crédit d'impôt en matière de T.V.A., par ailleurs débiteurs d'une dette fiscale vis-à -vis de l'Etat, font l'objet d'un traitement différent puisque le crédit d'impôt peut être retenu à concurrence de leur dette, selon une procédure qui déroge aux articles 1413 et 1415 du Code judiciaire.
Ces articles disposent : «
Art. 1413.Tout créancier peut, dans les cas qui requièrent célérité, demander au juge l'autorisation de saisir conservatoirement les biens saisissables qui appartiennent à son débiteur. » «
Art. 1415.La saisie conservatoire ne peut être autorisée que pour une créance certaine et exigible, liquide ou susceptible d'une estimation provisoire.
L'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., tel qu'il est interprété par le juge a quo, établit également une différence de traitement entre l'Etat en tant que créancier du titulaire du crédit d'impôt et les autres créanciers de cette personne, désignés à l'article 1628, alinéa 2, du Code judiciaire, qui ont fait procéder à une saisie conservatoire selon le droit commun.
B.4. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d'une différence de traitement au regard des articles 10 et 11 de la Constitution que si cette différence est imputable à une norme législative. A cet égard, il y a lieu de relever que lorsqu'un législateur délègue, il faut supposer, sauf indication contraire, qu'il n'entend habiliter le délégué qu'à faire de son pouvoir un usage conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.
La Cour analysera la mesure exprimée dans l'article 8.1, § 3, alinéa 4, de l'arrêté royal précité, non afin de se prononcer sur la constitutionnalité d'un arrêté royal, ce qui n'est pas de sa compétence, mais seulement en se plaçant, conformément aux termes de la question préjudicielle, dans l'hypothèse où l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. doit s'interpréter comme autorisant le Roi à prendre cette mesure.
B.5. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6. Dès lors que le produit de l'impôt ne peut être affecté qu'à la satisfaction de l'intérêt général et à la mise en oeuvre, par les pouvoirs publics, de leurs engagements vis-à -vis de la collectivité, il doit être admis que les mesures conservatoires des intérêts de l'Etat puissent déroger à certaines règles du droit commun. Le législateur fiscal peut donc déroger à des dispositions du Code judiciaire sans pour autant méconnaître nécessairement les règles d'égalité et de non-discrimination.
B.7. La Cour doit cependant vérifier si, compte tenu de ses effets, la mesure en cause n'est pas disproportionnée à l'objectif poursuivi.
B.8. Il résulte des travaux préparatoires de l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A. que le législateur s'est soucié de protéger les intérêts du Trésor et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale « sans toutefois léser les droits de l'assujetti. A cette fin, le Gouvernement est d'avis que la meilleure solution est d'accorder à cette retenue la valeur d'une saisie conservatoire à exercer dans les limites et dans les conditions à déterminer par le Roi. Pour ce qui ne serait pas déterminé de façon spécifique par le Roi, il y aurait alors application du Code judiciaire ou des autres dispositions légales applicables vis-à -vis de l'Etat » (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 684/2, p. 10; Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 684/4, p. 54).
B.9. S'il est légitime que le législateur se soucie de prévenir la fraude fiscale et de protéger les intérêts du Trésor, par souci de justice et pour remplir au mieux les tâches d'intérêt général dont il a la charge, il convient toutefois que les mesures prises n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. Le contrôle de la Cour est plus strict si des principes fondamentaux sont en cause.
B.10. Selon le juge qui pose la question préjudicielle, l'article 76, § 1er, ne permettrait qu'un contrôle formel du juge des saisies. La Cour doit donc vérifier si les dérogations au droit commun des saisies n'ont pas pour effet de priver les contribuables concernés de la garantie essentielle que constitue le contrôle juridictionnel effectif portant sur la régularité et la validité de la retenue d'une dette d'impôt dans une procédure de saisie.
A cet égard, il faut relever que, en vertu de l'alinéa 10 de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal du 29 décembre 1969 précité, « l'assujetti peut uniquement faire opposition à la retenue visée aux alinéas 4 et 5 en faisant application de l'article 1420 du Code judiciaire.
Néanmoins, le juge des saisies ne peut pas ordonner la mainlevée de la saisie aussi longtemps que la preuve administrée par les procès-verbaux visés à l'alinéa 6 n'est pas réfutée, aussi longtemps que les données issues de l'échange de renseignements entre les Etats membres de la Communauté ne sont pas obtenues ou pendant le temps d'une information du parquet ou d'une instruction du juge d'instruction ».
Il en résulte que le juge des saisies ne peut se prononcer que sur la régularité formelle de la procédure de retenue et non sur les conditions de fond de celle-ci. Dès lors que le pouvoir d'appréciation du juge des saisies quant au caractère certain, liquide et exigible de la créance de l'administration fiscale est exclu, et qu'en outre, selon l'alinéa 4 de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté, les effets de la retenue persistent tant que n'intervient pas un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée, les personnes visées par la mesure sont atteintes de manière disproportionnée dans leur droit à un contrôle juridictionnel effectif.
L'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., modifié par la loi du 28 décembre 1992, interprété comme autorisant le Roi à prescrire une retenue des crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie même quand la dette d'impôt ne constitue pas une créance conforme à l'article 1415 de ce Code, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il aboutit à priver les personnes faisant l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif sur la régularité et la validité de la retenue.
B.11. La Cour constate cependant que l'article 76, § 1er, lui-même, en son alinéa 3, se borne à permettre au Roi de prévoir « au profit de l'administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines, une retenue valant saisie-arrêt conservatoire au sens de l'article 1445 du Code judiciaire ».
Ce texte peut aussi être interprété comme n'autorisant pas le Roi à déroger à ce point au droit commun en matière de saisie-arrêt conservatoire qu'Il puisse priver les personnes qui font l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif quant à la régularité et à la validité de cette retenue. Dans cette interprétation, l'article 76, § 1er, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A., modifié par la loi du 28 décembre 1992, interprété comme autorisant le Roi à prévoir, au profit de l'Administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines, une retenue des crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie même quand la dette fiscale n'a pas les caractères requis par l'article 1415 de ce Code, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il aboutit à priver les personnes faisant l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif sur la régularité et la validité de la retenue.
Interprété comme n'autorisant pas le Roi à priver les personnes qui font l'objet d'une retenue de crédit d'impôt, valant saisie-arrêt conservatoire, de tout contrôle juridictionnel effectif quant à la régularité et à la validité de cette retenue, l'article 76, § 1er, du Code de la T.V.A ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 7 juillet 1998.
Le président, M. Melchior.
Le greffier, L. Potoms.