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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 29 janvier 1998

Arrêt n° 72/97 du 25 novembre 1997 Numéro du rôle : 1003 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, posée par le juge de paix du premier canton de Charleroi. La Cour d' composée du juge faisant fonction de président L. François, du président L. De Grève, et des juges (...)

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29/01/1998
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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 72/97 du 25 novembre 1997 Numéro du rôle : 1003 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, posée par le juge de paix du premier canton de Charleroi.

La Cour d'arbitrage, composée du juge faisant fonction de président L. François, du président L. De Grève, et des juges H. Boel, P. Martens, G. De Baets, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le juge L. François, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 29 octobre 1996 en cause de A. Van de Vyver et autres contre la s.a. Interbrew Belgium, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 novembre 1996, le juge de paix du premier canton de Charleroi a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14 de la loi sur les baux commerciaux du 30 avril 1951, telle que modifiée par la loi du 29 juin 1955 en tant qu'il impose au preneur un formalisme strict sous peine de déchéance du droit au renouvellement et de nullité de la demande de renouvellement, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? » II. Les faits et la procédure antérieure A l'occasion d'un litige portant sur la validité du renouvellement d'un bail commercial, au regard des règles imposées en la matière par l'article 14 de la loi du 30 avril 1951, les locataires posent la question du caractère discriminatoire de cette disposition, en ce qu'elle imposerait aux seuls locataires un formalisme disproportionné.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 18 novembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 4 décembre 1996.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 6 décembre 1996.

Des mémoires ont été introduits par : - Alphonse Van de Vyver, S. Rousselle et Alain Van de Vyver, demeurant ensemble à 5060 Tamines, rue du Tergnia 13, par lettre recommandée à la poste le 14 janvier 1997; - la s.a. Interbrew Belgium, dont le siège social est établi à 1170 Bruxelles, boulevard Industriel 21, par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 17 janvier 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 28 janvier 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 25 février 1997; - la s.a. Interbrew Belgium, par lettre recommandée à la poste le 26 février 1997; - Alphonse Van de Vyver, S. Rousselle et Alain Van de Vyver, par lettre recommandée à la poste le 27 février 1997.

Par ordonnances du 29 avril 1997 et du 28 octobre 1997, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 18 novembre 1997 et 18 mai 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 30 septembre 1997, le juge L. François, remplaçant le président en exercice légitimement empêché de siéger en cette affaire, a complété le siège par le juge P. Martens.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 28 octobre 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 30 septembre 1997.

A l'audience publique du 28 octobre 1997 : - ont comparu : . Me C. Dailliet, avocat au barreau de Namur, pour Alphonse Van de Vyver, S. Rousselle et Alain Van de Vyver; . Me M. Tassin, avocat au barreau de Namur, pour la s.a. Interbrew Belgium; . Me D. Van Heuven, avocat au barreau de Courtrai, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs R. Henneuse et M. Bossuyt ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire déposé par Alain et Alphonse Van de Vyver et S. Rousselle A.1.1. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 que l'objectif était de réintégrer, en cas de demande de renouvellement, le montant du nouveau loyer dans le marché des loyers communément pratiqués à l'époque dudit renouvellement plutôt que de s'en référer au loyer originaire. Il s'agissait d'assurer ainsi une meilleure protection du droit de propriété du bailleur par rapport à celle assurée par la loi antérieure de 1931, ce qui a effectivement abouti à un système favorisant nettement le bailleur. Cependant, il n'apparaît nullement pourquoi le législateur, en contraignant le preneur à émettre une offre, a refusé que les modalités de notification de celle-ci puissent être soumises au juge de paix, alors que celui-ci est amené à intervenir en ce qui concerne l'existence de conditions différentes mises par le bailleur au renouvellement du bail.

Contrairement à la jurisprudence ayant suivi l'adoption de l'article 14, tendant à limiter la portée de la nullité prévue par cet article, la jurisprudence actuelle considère que cette nullité est établie pour la protection des intérêts du bailleur, qu'elle peut dès lors être couverte par lui mais que, s'il en invoque le bénéfice, elle conduit irrévocablement à la nullité de la demande de renouvellement.

A.1.2. S'agissant de la réponse à apporter à la question préjudicielle, l'article 14 constitue une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi - à savoir restaurer l'importance de la propriété foncière par rapport à la propriété commerciale - comme par rapport à ses effets en ce que cette disposition, à défaut du respect de certaines des formalités qu'elle prévoit, est de nature à conduire le preneur à la perte de son commerce et de son emploi. En outre, le contexte conjoncturel en considération duquel cette disposition a été adoptée a été totalement infirmé par la suite.

Mémoire de la s.a. Interbrew Belgium A.2.1. Conformément à la jurisprudence de la Cour (arrêts n° 56/93 du 8 juillet 1993 et n° 90/94 du 22 décembre 1994), il n'y a pas lieu, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de l'article 14 en cause, d'isoler cette disposition des autres dispositions de la loi sur les baux commerciaux, cette loi cherchant en effet à réaliser un équilibre global entre les intérêts du bailleur et ceux du preneur.

A.2.2. Pour sauvegarder les intérêts du preneur et son fonds de commerce, la loi du 30 avril 1951 déroge à la pleine et entière liberté contractuelle organisée par l'article 1134 du Code civil; elle impose une durée minimale du bail de neuf années, le respect de formes particulières en cas de résiliation anticipée et le renouvellement du bail pour une durée qui ne peut être inférieure à neuf ans que moyennant le respect de certaines formalités.

A.2.3. Afin de rétablir l'équilibre avec la sauvegarde des intérêts du bailleur, le législateur a voulu éviter, d'une part, que le renouvellement puisse être obtenu par surprise, et, d'autre part, que soient imposés au bailleur un prix ou des conditions locatives moindres que ceux pouvant être obtenus d'un tiers ou sur le marché locatif.

Les formalités imposées au preneur sont dès lors à considérer comme le pendant de la protection exorbitante dont il bénéficie par rapport au droit commun.

A.2.4. Afin d'éviter un renouvellement obtenu par surprise, il convenait, d'une part, que la demande doive être présentée au bailleur, et ce suffisamment tôt afin que, notamment en cas de désaccord, chacune des parties puisse apprécier, avant l'expiration du bail originaire, si les conditions du renouvellement de celui-ci l'agréaient. D'autre part, il convenait que le propriétaire sache qu'il devait faire face à une demande de renouvellement et quelles conséquences résulteraient d'un manque de réaction de sa part, dès lors que ce manque de réaction, par dérogation au droit commun, est présumé signifier le consentement du bailleur à la demande de renouvellement.

A.2.5. Quant à l'objectif d'assurer la mise à niveau du nouveau loyer par rapport au marché locatif, il imposait nécessairement au preneur de faire connaître au bailleur, dans sa demande de renouvellement, le montant du loyer proposé dans le cadre de cette demande.

A.2.6. Par ailleurs, en ce que la demande s'analyse en réalité comme une offre de conclure un nouveau contrat, l'obligation d'indiquer dans la demande les conditions de cette offre est conforme au droit commun de la matière des contrats comme à la jurisprudence et à la doctrine y afférentes. La nullité de la notification est plus une conséquence de son caractère incomplet qu'une véritable sanction, cette offre incomplète ne pouvant en réalité produire d'effets de droit. Ce rappel du droit commun ne peut constituer une violation du principe d'égalité et de non-discrimination; il en est d'autant plus ainsi que l'accord du bailleur est présumé en cas d'absence de réaction de sa part.

A.2.7. A titre subsidiaire, au cas où la Cour considérerait que le formalisme imposé au preneur viole les articles 10 et 11 de la Constitution, elle devrait nécessairement examiner la présomption de consentement prévue pour le bailleur qui ne réagit pas. Celle-ci étant indissolublement liée et ayant pour objet les conditions de renouvellement du bail, la déclaration d'inconstitutionnalité de la mention de ces conditions de renouvellement devrait également impliquer celle de la présomption de consentement du bailleur, à défaut de quoi elle serait instaurée.

Mémoire du Conseil des ministres A.3.1. Outre le fait que la question préjudicielle doit être interprétée comme ne portant que sur le seul alinéa 1er de l'article 14 de la loi sur les baux commerciaux, il est relevé, avec référence faite à la jurisprudence de la Cour, qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de savoir si le formalisme en cause est opportun ou souhaitable, ce à quoi pourtant le juge a quo invite la Cour. Pour cette raison, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

A.3.2. La question préjudicielle n'indique pas par rapport à quelles catégories le preneur, du fait du formalisme dénoncé, serait discriminé.

A supposer que, sur la base d'un passage de l'arrêt, ce soit par rapport au bailleur, il est relevé que l'alinéa 1er de l'article 14 de la loi sur les baux commerciaux n'introduit aucune distinction entre le bailleur et le preneur.

A supposer que tel soit même le cas, le preneur et le bailleur ne constituent pas des catégories comparables, l'un s'engageant à procurer à l'autre la jouissance d'un bien et ce dernier à payer un prix pour la location; la seule qualité de cocontractant ne suffit pas à en faire des catégories comparables; le preneur bénéficie d'un droit au renouvellement du bail, à l'inverse du bailleur.

Enfin, à supposer même que le bailleur et le preneur constituent des catégories comparables, il existe également un formalisme très fort pour le bailleur, puisqu'il doit notifier par exploit d'huissier ou par lettre recommandée au preneur les raisons de sa décision de refuser le renouvellement du bail ou les offres de tiers; il n'y a donc pas de différence de traitement. Il ressort précisément des travaux préparatoires que l'objectif du législateur a été de trouver un équilibre entre la « propriété commerciale » du preneur, d'une part, et la « propriété foncière » du bailleur, d'autre part.

A.3.3. A titre subsidiaire, est abordé le fond de la question posée par le juge. Seule est posée par le juge la question de la proportionnalité du formalisme imposé au preneur.

Le formalisme imposé au preneur, avec la sanction de nullité attachée à son non respect, est destiné à garantir la sécurité juridique du bailleur, dont les droits de propriété sont sérieusement affectés par le droit au renouvellement du bail, institué au seul bénéfice du preneur, à l'exclusion de celui du bailleur. Le recours au recommandé ou à l'exploit d'huissier permet d'éviter les difficultés de preuve.

La mention des conditions de renouvellement dans la demande permet au bailleur de réagir en connaissance de cause. Le délai d'introduction de la demande permet de clôturer la procédure potentielle avant le début du nouveau bail. L'obligation pour le preneur d'informer le bailleur de ses droits trouve sa contrepartie dans l'obligation pour le bailleur de motiver son refus, à défaut du respect de laquelle le renouvellement du bail sera opéré. Il est relevé enfin que la sanction de nullité n'est pas absolue mais seulement relative, le bailleur pouvant en effet renoncer à son bénéfice.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4.1. La Cour étant liée par la question préjudicielle posée par le juge a quo, elle ne peut aborder la question posée à titre subsidiaire par la partie Interbrew.

A.4.2. La question de savoir si le législateur « a oui ou non réussi à trouver un équilibre équitable entre la propriété foncière et celle qui est qualifiée de ' propriété commerciale ' » concerne l'opportunité de la mesure contestée, opportunité dont l'appréciation échappe à la compétence de la Cour.

A.4.3. En ce qui concerne les personnes à l'égard desquelles les consorts Van de Vyver comparent le preneur d'un bail commercial, il est relevé que « les autres Belges dans le cadre d'une négociation précontractuelle » n'ont pas, comme le preneur, le droit au renouvellement d'un contrat dont la durée prend fin; par ailleurs, s'agissant de la comparaison faite avec la situation du bailleur, celui-ci est également sanctionné, en ce qu'il est présumé consentir aux conditions proposées par le preneur s'il ne les refuse pas par écrit ou le fait de façon non motivée.

A.4.4. Quant au fond, il est relevé que les consorts Van de Vyver ne contestent pas les différentes formalités imposées au preneur, hormis celle relative à l'obligation d'informer le bailleur de ses devoirs; outre le fait que l'adage « nul n'est censé ignorer la loi » n'exclut nullement d'imposer à une partie contractante un devoir d'information approfondi, celui-ci apparaît justifié au regard de la nécessité d'assurer la sécurité juridique du bailleur, pour les motifs indiqués sous A.3.2; le fait que son non-respect puisse, dans certains cas concrets, avoir des conséquences qui paraissent inéquitables, n'implique pas en soi le non-respect du principe de proportionnalité.

Mémoire en réponse de la s.a. Interbrew Belgium A.5.1. Au vu des conséquences attachées au non-respect, par le bailleur, des formes et délais de réponse à la demande de renouvellement formée par le preneur - à savoir le renouvellement aux conditions proposées par ce dernier -, cette demande ne peut être analysée comme l'amorce d'une négociation précontractuelle. C'est dans ce renouvellement aux conditions proposées par le preneur que réside précisément la sanction applicable au bailleur qui ne répond pas ou répond de manière irrégulière; il est relevé que le juge de paix n'intervient que dans l'hypothèse de réponse valable du bailleur contenant d'autres conditions que celles que le preneur a proposées, si un accord ne se réalise pas ou éventuellement en cas de refus.

A.5.2. La protection accordée au bailleur par l'article 14 est une contrepartie de la limitation à la liberté contractuelle accordée, imposée par la loi en faveur du preneur en vue de protéger son fonds de commerce; le législateur a voulu éviter le renouvellement par surprise au préjudice du bailleur ainsi que, en cas de refus pur et simple de renouvellement, l'obligation, obtenue par surprise, de payer une lourde indemnité dérogatoire au droit commun.

A.5.3. Par ailleurs, la loi garantit à plusieurs titres les intérêts du preneur. Le refus de renouvellement doit être motivé par le bailleur, sous peine de devoir payer de lourdes indemnités; il doit faire connaître au locataire les conditions différentes qui sont les siennes et, en cas de désaccord, c'est le juge de paix qui fixe le loyer, le locataire pouvant, à l'inverse du bailleur, se désister si cette décision ne l'agrée pas; le bailleur doit faire connaître au locataire les offres de tiers, pouvant notamment conduire à son bénéfice à une indemnité d'éviction. Ces différents avantages contrebalancent largement le formalisme et la sanction de nullité institués au bénéfice du bailleur.

Mémoire en réponse d'Alain et Alphonse Van de Vyver et S. Rousselle A.6. L'équilibre entre les intérêts du bailleur et ceux du preneur, recherché par la disposition en cause, affecte de façon discriminatoire les intérêts du second; le bailleur, même lorsque ses intérêts ne sont manifestement pas lésés par le non-respect du formalisme en cause, peut, du fait de l'automatisme de la sanction, mettre à néant le savoir-faire et l'investissement personnel du preneur qui, avec le bail, constituent « l'universalité » du fonds de commerce.

A.7. S'agissant de la comparabilité des personnes en cause, ce n'est pas tant la qualité de propriétaire d'un bien, dans un cas, et d'un fonds, dans l'autre, qui doit être prise en considération, mais plutôt l'équilibre qu'opérerait l'article 14 en cause. Alors que le bailleur, dans le cadre d'un renouvellement, ne met en cause qu'une rentrée financière complémentaire, le preneur met en jeu, quant à lui, son emploi et sa situation sociale. - B - B.1. La question préjudicielle est libellée comme suit : « L'article 14 de la loi sur les baux commerciaux du 30 avril 1951 telle que modifiée par la loi du 29 juin 1955, en tant qu'il impose au preneur un formalisme strict sous peine de déchéance du droit au renouvellement et de nullité de la demande de renouvellement, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? » B.2. La formulation de la question préjudicielle ne fait pas apparaître à quelle autre catégorie de justiciables le preneur est comparé. La Cour déduit des motifs de la décision de renvoi que la différence de traitement soumise à son appréciation tient, dans les rapports entre preneur et bailleur - comparables en tant que parties à un même contrat -, au formalisme strict qui consiste à imposer au preneur certaines formalités expresses, à peine de déchéance du droit au renouvellement ou à peine de nullité de la demande de renouvellement. Il apparaît ainsi que la question préjudicielle porte sur l'alinéa 1er de l'article 14 de la loi du 30 avril 1951, qui est libellé comme suit : « Le preneur désireux d'exercer le droit au renouvellement doit, à peine de déchéance, le notifier au bailleur par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandée dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avant l'expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine de nullité, les conditions auxquelles le preneur lui-même est disposé à conclure le nouveau bail et contenir la mention qu'à défaut de notification par le bailleur, suivant les mêmes voies et dans les trois mois, de son refus motivé de renouvellement, de la stipulation de conditions différentes ou d'offres d'un tiers, le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux conditions proposées. » B.3. Parmi les mesures destinées à garantir au preneur une certaine stabilité de son fonds de commerce, le chapitre 7 de la loi du 30 avril 1951 (articles 13 à 24) organise un droit au renouvellement du bail commercial. L'article 13 lui donne en effet le droit d'obtenir le renouvellement de son bail, par préférence à toute autre personne, pour la continuation du même commerce. L'article 14 précise les formalités à respecter par les deux parties lorsque le preneur entend solliciter ce renouvellement. L'article 16 précise les motifs pour lesquels le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Les articles 18 à 20 règlent l'hypothèse dans laquelle le bailleur subordonne le renouvellement du bail à des conditions différentes de celles proposées par le preneur. Les articles 21 à 23 réglementent enfin le droit du bailleur d'opposer à la demande de renouvellement une offre de loyer plus intéressante formulée par un tiers.

B.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 avril 1951 que le législateur entendait à la fois assurer une certaine stabilité au fonds de commerce au bénéfice du preneur d'un bail commercial et trouver un point d'équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur.

Il a été exposé que le but de la loi répondait « au souci de garantir les intérêts économiques et sociaux légitimes des Classes moyennes contre l'instabilité et les sources d'abus que comporte le régime de la liberté absolue des conventions de bail » et que « [le] but [était] triple : 1° donner au preneur commerçant des garanties de durée et d'initiative; 2° lui assurer le renouvellement du bail quand le propriétaire n'a pas de raisons fondées de disposer autrement des lieux et, à offre égale, la préférence à tout tiers enchérisseur; 3° établir à son profit diverses indemnités sanctionnant soit la fraude à la loi, soit la concurrence illicite ou l'appropriation de la clientèle à l'occasion d'une fin de bail, soit enfin l'enrichissement sans cause » (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, pp. 2, 4 et 5).

Il a été souligné qu'un « point d'équilibre [était] à trouver entre la protection du fonds de commerce, au sens large, et le respect des intérêts légitimes des propriétaires d'immeubles » et qu'il convenait « de concilier les intérêts en présence » (Doc. parl., Sénat, 1948-1949, n° 384, pp. 2 et 3).

En ce qui concerne la mention imposée par la dernière phrase de l'article 14, alinéa 1er, au preneur souhaitant obtenir le renouvellement de son bail, il ressort des travaux préparatoires que le souci du législateur a été d'éviter que le renouvellement du bail ne soit imposé au bailleur de façon inopinée. En effet, selon l'auteur de l'amendement qui est à l'origine de cette disposition, « il s'agit d'attirer l'attention du bailleur sur la nécessité pour lui de signifier dans les trois mois son refus de renouvellement » (Ann., Chambre, 11 décembre 1947, p. 20).

En ce que la question préjudicielle vise les délais et procédés de notification de la demande de renouvellement, sanctionnés de déchéance (article 14, alinéa 1er, première phrase) B.5.1. La Cour constate que le bailleur, tout comme le preneur, est astreint, dans le cadre d'une demande de renouvellement, à des formes et délais dont le non-respect est sanctionné de façon radicale.

Il résulte en effet de l'article 14, alinéa 1er, deuxième phrase, que la réponse du bailleur à l'offre de renouvellement qui lui est faite par le preneur doit être notifiée à ce dernier dans les trois mois, par exploit d'huissier ou par lettre recommandée. Le non-respect par le bailleur de ces formes et délais implique le renouvellement du bail aux conditions proposées par le preneur, c'est-à-dire la déchéance, pour le bailleur, du droit d'opposer au preneur un motif légitime de refus (article 16), des conditions différentes (article 18) ou l'offre d'un tiers (article 21).

B.5.2. Il s'ensuit que, en ce qu'il prescrit aux parties à un bail commercial, dans le cadre d'une demande de renouvellement de celui-ci, des délais et des procédés de notification et sanctionne leur non-respect, l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 ne traite pas de façon discriminatoire le preneur et le bailleur.

En ce que la question préjudicielle vise les mentions obligatoires que doit contenir la demande de renouvellement, sanctionnées par la nullité de celle-ci (article 14, alinéa 1er, deuxième phrase) B.6.1. L'article 14, alinéa 1er, deuxième phrase, impose au preneur de mentionner, de manière expresse, le délai de trois mois dans lequel le bailleur doit répondre, la forme dans laquelle il doit le faire, les trois options qui lui sont offertes ainsi que les conséquences, à son égard, de l'absence de réponse dans les délais requis, à savoir son consentement présumé aux conditions proposées par le preneur.

B.6.2. En considération de l'objectif général d'équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur comme de l'objectif spécifique poursuivi par l'article 14, il n'apparaît pas que ce formalisme soit disproportionné.

B.6.3. L'article 13 de la loi du 30 avril 1951 octroie au preneur d'un bail commercial le droit d'obtenir, par préférence à toute autre personne, le renouvellement de son bail pour la continuation du même commerce. Le preneur désireux d'exercer ce droit doit, en vertu de l'article 14, faire une offre au bailleur, précisant les conditions auxquelles il propose de renouveler son bail.

La disposition soumise à la Cour s'inscrit dans le cadre d'une réglementation globale du bail commercial dont résultent des droits et des obligations pour les deux parties contractantes. Bien que ces dispositions ne soient pas mentionnées dans la question préjudicielle, il convient que la Cour les inclue dans son contrôle afin de comparer, à la situation du preneur, celle du bailleur.

Le bailleur est tenu de répondre à cette offre dans les trois mois, faute de quoi il est présumé y consentir; en outre, en vertu des articles 14 à 24 de la loi, il ne peut opposer à l'offre qui lui est faite par le preneur, sauf dédommagement de ce dernier (article 16, IV), que l'un des motifs légitimes de refus repris à l'article 16, des conditions différentes ou l'existence d'une offre d'un tiers, sous le contrôle, en cas de contestation, du juge de paix.

Il s'ensuit que le droit au renouvellement, organisé par la loi du 30 avril 1951, implique dans le chef du bailleur, par rapport au droit commun des contrats, une limitation substantielle de sa liberté contractuelle, en ce qui concerne tant l'effet de son silence que les motifs qu'il peut avancer pour écarter l'offre. Compte tenu de ces conséquences, il se conçoit que le législateur ait souhaité garantir au bailleur une information certaine sur les obligations qui sont les siennes en matière de renouvellement. La nullité qui sanctionne l'omission des mentions imposées par l'article 14, alinéa 1er, n'apparaît pas comme déraisonnable.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 14, alinéa 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, modifiée par la loi du 29 juin 1955, en tant qu'il impose un formalisme strict sous peine, pour le preneur, de déchéance de son droit au renouvellement et de nullité de sa demande de renouvellement, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 25 novembre 1997.

Le greffier, L. Potoms.

Le président f.f., L. François.

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