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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 14 janvier 1998

Arrêt n° 67/97 du 6 novembre 1997 Numéro du rôle : 1041 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 370, § 1 er , alinéa 2, du Code civil, posée par le Tribunal de la jeunesse de Liège. La Cour d'arbitrage, c après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ju(...)

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14/01/1998
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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 67/97 du 6 novembre 1997 Numéro du rôle : 1041 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 370, § 1er, alinéa 2, du Code civil, posée par le Tribunal de la jeunesse de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée du juge faisant fonction de président L. François, du président L. De Grève, et des juges H. Boel, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le juge L. François, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 23 janvier 1997 en cause de C. Maréchal, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 janvier 1997, le Tribunal de la jeunesse de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 370 du Code civil, en ne permettant pas de maintenir un lien juridique entre l'enfant et son parent d'origine en cas d'adoption plénière, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il crée une différence de traitement entre, d'une part, les enfants qui vivent avec un de leurs parents, qui gardent un lien juridique avec lui et sont ainsi privés du droit de bénéficier d'une adoption plénière et donc d'avoir une famille bi-parentale, et, d'autre part, les enfants qui, ne vivant avec aucun de leurs parents d'origine, peuvent être adoptés par un couple ? » II. Les faits et la procédure antérieure C. Maréchal a déclaré vouloir faire adoption plénière de la fille née du mariage entre-temps dissous par divorce de son épouse.

Le Tribunal, saisi d'une requête en homologation de cette adoption, constate que l'article 370 du Code civil rompt clairement le lien entre l'enfant et sa famille d'origine; une interprétation stricte conduisant à dire que l'enfant n'a plus de lien juridique avec sa mère, situation qui n'est certes pas voulue par les parties et ne rencontre absolument pas l'intérêt de l'enfant, le Tribunal a invité la mère à passer également un acte d'adoption de son propre enfant, afin de maintenir le statut d'enfant des deux parents, mais l'utilité de ce nouvel acte fut notamment contestée par le ministère public.

Constatant que la jurisprudence était partagée et souhaitant garantir la sécurité juridique, le Tribunal adresse à la Cour la question reproduite ci-dessus.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 29 janvier 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 5 février 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 20 février 1997.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 21 mars 1997.

Par ordonnance du 25 juin 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 29 janvier 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 9 juillet 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 14 octobre 1997.

Cette ordonnance a été notifiée au Conseil des ministres ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1997.

Par ordonnance du 14 octobre 1997, le juge François remplaçant le président M. Melchior, légitimement empêché, a complété le siège par le juge E. Cerexhe.

A l'audience publique du 14 octobre 1997 : - a comparu Me D. Van Heuven, avocat au barreau de Courtrai, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Objet de la disposition en cause L'article 370 du Code civil dispose : « § 1er. L'adoption plénière confère à l'enfant et à ses descendants le même statut et les mêmes droits et obligations qu'ils auraient si l'enfant était né de ceux qui ont fait l'adoption plénière.

Sous réserve des prohibitions au mariage prévues aux articles 161 à 164, les enfants ayant fait l'objet d'une adoption plénière cessent d'appartenir à leur famille d'origine. § 2. Les articles 357 et 360 sont applicables à l'adoption plénière. § 3. L'adoption plénière confère à l'enfant, en le substituant au sien, le nom de l'adoptant ou, en cas d'adoption plénière par deux époux, celui du mari.

Toutefois, l'adoption plénière, par une femme, de l'enfant ou de l'enfant adoptif de son mari, n'entraîne aucune modification du nom de l'enfant. § 4. L'établissement de la filiation d'un enfant après le jugement ou l'arrêt homologuant ou prononçant l'adoption plénière, ne produit d'autre effet que les prohibitions au mariage prévues aux articles 161 à 164. § 5. L'adoption plénière est irrévocable. » V. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1.1. La Cour est invitée, eu égard à la formulation de la question, à limiter sa réponse à l'article 370, § 1er, du Code civil.

A.1.2. Les lois des 22 mars 1940 et 21 mars 1969 ont fait apparaître des questions semblables à celle qui résulte de la loi actuelle; alors que la doctrine et la jurisprudence étaient auparavant unanimes à considérer que la légitimation par adoption par le beau-parent était sans effet sur le lien de filiation entre l'adopté et son parent d'origine, époux de l'adoptant, elles sont aujourd'hui partagées sur la question du maintien dudit lien de filiation et sur l'utilité d'une adoption plénière par le parent d'origine.

Le juge a quo adopte l'interprétation stricte de l'article 370, § 1er, du Code civil.

A.1.3. Il n'y a pas lieu de se prononcer ici sur l'interprétation à donner à l'article 370, § 1er, du Code civil; cela étant, si une discrimination résultait - quod non - de l'interprétation stricte, une autre interprétation serait possible.

A.1.4. Selon le juge a quo, la discrimination résiderait dans le fait qu'une situation égale est traitée de manière inégale et non dans le fait qu'une situation inégale est traitée de manière égale, puisque l'adopté qui vit avec un de ses parents et qui désirerait garder un lien juridique avec lui se verrait privé du droit de bénéficier d'une adoption plénière et donc d'avoir une famille « bi-parentale », alors que l'enfant qui ne vit avec aucun de ses parents peut être adopté par un couple.

A.1.5. La Cour doit se restreindre à la question préjudicielle; or, l'article 370 précité n'empêche : - ni qu'un enfant qui vit avec un de ses parents fasse l'objet d'une adoption plénière ni qu'il obtienne une famille « bi-parentale » après l'adoption plénière; dans l'interprétation stricte de la disposition en cause, une adoption plénière additionnelle par le parent légal d'origine (époux de l'adoptant) sera toutefois nécessaire. Le lien juridique avec le parent légal ne sera pas définitivement et irrévocablement rompu. Ceci ne constitue pas une discrimination par rapport à un enfant qui ne vit avec aucun de ses parents; cet enfant devra lui aussi être adopté par deux personnes avant qu'il ne se trouve dans une famille « bi-parentale »; - ni qu'un enfant soit adopté par un couple.

La question doit dès lors recevoir une réponse négative. - B - Quant à la question préjudicielle B.1. Il apparaît de la décision de renvoi, et de l'espèce qui en est l'objet, qu'en visant la « différence de traitement entre d'une part, les enfants qui vivent avec un de leurs parents, qui gardent un lien juridique avec lui et sont ainsi privés du droit de bénéficier d'une adoption plénière et donc d'avoir une famille bi-parentale, et d'autre part, les enfants qui, ne vivant avec aucun de leurs parents d'origine, peuvent être adoptés par un couple », le juge interroge la Cour sur la différence de traitement entre enfants, suivant qu'ils sont adoptés par le conjoint de leur parent d'origine ou par des époux, le lien de filiation étant unique pour ceux qui se trouvent dans la première hypothèse et double pour ceux qui se trouvent dans la seconde.

Quant au fond B.2. Aux termes de l'article 370, § 1er, alinéa 2, du Code civil, les adoptés par adoption plénière « cessent d'appartenir à leur famille d'origine ». En l'absence de texte légal prévoyant une exception, cette disposition s'appliquerait aussi à l'adopté, selon l'interprétation qui en est donnée par le juge a quo, à l'égard de son auteur conjoint de l'adoptant. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre enfants adoptés plénièrement selon qu'ils le sont par le conjoint de leur parent d'origine ou par des époux, puisque le lien de filiation sera unique pour les uns et double pour les autres.

B.3. La loi du 27 avril 1987 a remplacé par l'adoption plénière l'institution de la légitimation par adoption introduite dans le Code civil par la loi du 21 mars 1969. Tout comme la précédente institution, il s'agissait notamment de donner à l'enfant adopté le bénéfice d'une double filiation réalisée dans le cadre d'une famille constituée autour de deux époux. Contrairement, cependant, à la légitimation par adoption, réservée aux seuls époux ou au conjoint du père ou de la mère légitime de l'enfant, l'adoption plénière peut dorénavant également être faite par une personne isolée (article 368, §§ 1er et 3, du Code civil).

B.4. La loi du 21 mars 1969 prévoyait expressément, par dérogation au principe général de la légitimation par adoption par deux époux, la possibilité d'une telle légitimation par le seul conjoint de l'un des auteurs (ancien article 368, § 1er, alinéa 2, du Code civil). Cette dérogation supposait qu'était maintenu le lien de filiation entre l'adopté et le conjoint de l'adoptant. Par ailleurs, l'article 370, § 1er, (ancien) du Code civil accordait les mêmes droits au légitimé par adoption que s'il était né du mariage.

B.5. La loi du 27 avril 1987 a modifié diverses dispositions législatives relatives à l'adoption en vue notamment d'améliorer la condition juridique des enfants nés hors mariage et ce, dans la perspective de la réforme du droit de la filiation opérée par la loi du 31 mars 1987 (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 256-2, pp. 4 et 6).

En remplaçant l'institution de la légitimation par adoption par celle de l'adoption plénière, les notions d'enfant légitime et d'enfant naturel ayant disparu (Doc. parl., Chambre, 1985-1986, n° 489/3, p. 2), le législateur n'avait pas l'intention de revenir sur les principes du maintien du lien de filiation de l'adopté avec l'auteur conjoint de l'adoptant et de l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Il ne pourrait d'ailleurs, sans incohérence, avoir voulu évincer dans ce cas le lien de filiation de l'auteur avec l'enfant adopté puisque c'est ce lien qui a motivé l'adoption de cet enfant par le conjoint.

B.6. Il résulte de ce qui précède que l'article 370, § 1er, alinéa 2, du Code civil ne peut s'appliquer au cas de l'adoption plénière par le conjoint de l'auteur de l'adopté. Dans cette hypothèse, la logique de l'institution veut que l'enfant adopté bénéficie juridiquement de deux liens de filiation de nature différente : le lien de filiation d'origine maintenu à l'égard de son auteur et le lien de filiation adoptive à l'égard du conjoint adoptant. Si la disposition en cause est interprétée de la manière indiquée par le juge a quo, elle est injustifiable en tant qu'elle s'applique au cas de l'adoption plénière par le conjoint de l'auteur de l'adopté.

La solution qui consiste à faire adopter l'enfant par son auteur, conjoint de l'adoptant, n'est possible que si cet auteur remplit toutes les conditions de l'adoption plénière et est, même alors, un artifice inutile.

B.7. Etant entendu que l'article 370, § 1er, alinéa 2, du Code civil n'est pas applicable au cas de l'adoption plénière par le conjoint de l'auteur de l'adopté, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

En revanche, elle appellerait une réponse positive si cette disposition était interprétée de la manière indiquée par le juge a quo.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 370, § 1er, alinéa 2, du Code civil, interprété de la manière indiquée par le juge a quo, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Cette même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution si elle est interprétée comme ne s'appliquant pas au cas de l'adoption plénière par le conjoint de l'auteur de l'adopté.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 novembre 1997, par le siège précité, dans lequel le juge E. Cerexhe est remplacé, pour le prononcé, par le juge R. Henneuse, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, L. Potoms.

Le président f.f., L. François.

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