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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 08 août 1997

Arrêt n° 30/97 du 21 mai 1997 Numéros du rôle : 1063, 1064 et 1065 En cause : les demandes de suspension des articles 133 et 148 du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII, introduites par J. Baets et a La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 30/97 du 21 mai 1997 Numéros du rôle : 1063, 1064 et 1065 En cause : les demandes de suspension des articles 133 et 148 du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII, introduites par J. Baets et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, G. De Baets, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du référendaire faisant fonction de greffier R. Moerenhout, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des demandes Par trois requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 4 mars 1997 et parvenues au greffe le 5 mars 1997, une demande de suspension des articles 133 et 148 du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII (publié au Moniteur belge du 5 septembre 1996; errata publié au Moniteur belge du 22 novembre 1996) a été introduite par : - dans la première requête : J. Baets, demeurant à 2000 Anvers, Prinsesstraat 7, Ph. Barbé, demeurant à 8890 Dadizele, Meensesteenweg 145, Chr. Deboosere, demeurant à 9070 Destelbergen, Notaxlaan 5, N. De Buck, demeurant à 9060 Zelzate, B.J. Chalmetlaan 73, A.-M. Decock, demeurant à 9000 Gand, Sanderswal 18, R. Dehamers, demeurant à 9040 Gand, Adolf Baeyensstraat 144, J.-M. Demeyer, demeurant à 9000 Gand, Zwijnaardsesteenweg 164, L. Demeyere, demeurant à 9000 Gand, Jakob Heremansstraat 42, M. Demoor, demeurant à 9000 Gand, Sint-Pietersplein 26, L. De Smet, demeurant à 9000 Gand, Lange Steenstraat 4, E. Leerman, demeurant à 8760 Koksijde, Albert I-laan 102, G. Marchal, demeurant à 9000 Gand, Simon de Mirabellostraat 39, J.-P. Monbaliu, demeurant à 9000 Gand, IJkmeesterstraat 1, L. Monsaert, demeurant à 9000 Gand, Oude Houtlei 118, E. Muylaert, demeurant à 9000 Gand, Martelaarslaan 399, J. Pastijn, demeurant à 9040 Sint-Amandsberg, Heiveldstraat 247, H. Schepens, demeurant à 9000 Gand, Sint-Lievenslaan 140, M. Van Beeck, demeurant à 9000 Gand, Vlaamse Kaai 9, J. Vanden Abbeel, demeurant à 9000 Gand, Begijnengracht 23, N. Van Lierde, demeurant à 9000 Gand, Zwijnaardse-steenweg 225, G. Vercaemer, demeurant à 9000 Gand, Vaart Links 25, et W. Vermoere, demeurant à 9041 Oostakker, Drieselstraat 56; - dans la deuxième requête : M. Bollen, demeurant à 2020 Anvers, Dennelaan 16, J. De Maeyer, demeurant à 1800 Vilvorde, H. Consciencestraat 66, J. De Tiège, demeurant à 2960 Brecht, Ban op Sas II 47, F. Dubois, demeurant à 2970 Schilde, Prins Boudewijnlaan 25, T. Mertens, demeurant à 2650 Edegem, Boniverlei 12, L. Ouderits, demeurant à 2260 Westerlo, Hollandsedreef 2, P. Sigrist, demeurant à 1310 La Hulpe, avenue des Rossignols 20, J. Rubinstein, demeurant à 1410 Waterloo, avenue de la Rose des Vents 4, Ch. Smits, demeurant à 2900 Schoten, Listdreef 34/3, Chr. Van Ingelgem, demeurant à 9300 Alost, Arbeidsstraat 21, A. Casier, demeurant à 2610 Wilrijk, Gaston Fabrelaan 189, G. De Greeve, demeurant à 2018 Anvers, Anselmostraat 38, Y. Gauthier, demeurant à 2650 Edegem, Boniverlei 12, M. Lamoen, demeurant à 2620 Hemiksem, Antwerpsesteenweg 18, E. Lenaerts, demeurant à 2880 Bornem, R. Caluwaertsstraat 23, M. Valgaeren, demeurant à 2650 Edegem, Boniverlei 4, F. Vanattenhove, demeurant à 3171 Zichem, Mollenveldwijk 20, R. Verhaeren, demeurant à 3600 Genk, Weg naar As 113/16, J. Van Reeth, demeurant à 2550 Kontich, Hoge Akker 87, C. Willems, demeurant à 3808 Saint-Trond, Grote Vinnestraat 31, et D. Verelst, demeurant à 2640 Mortsel, Lindelei 36; - dans la troisième requête : S. Traey, demeurant à 2650 Edegem, Lentelei 32, A. Van Waeyenberghe, demeurant à 9090 Melle, Brusselsesteenweg 77, C. Verhenneman, demeurant à 8310 Sint-Kruis (Bruges), Marcus Laurinstraat 18, M. Vandenplas, demeurant à 2600 Berchem (Anvers), Potvlietlaan 10/63, G. Desle, demeurant à 1050 Bruxelles, avenue Louise 128, J. Steutelings, demeurant à 3650 Dilsen, Op de Bekker 25, et D. Christiaens, demeurant à 1030 Bruxelles, rue de la Ruche 51.

Par requêtes séparées, les parties requérantes demandent également l'annulation des mêmes articles.

II. La procédure Par ordonnances du 5 mars 1997, le président en exercice a désigné pour chacune des affaires les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application dans les affaires respectives des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Par ordonnance du 11 mars 1997, la Cour réunie en séance plénière a joint les affaires.

Par ordonnance du 25 mars 1997, la Cour a fixé l'audience au 15 avril 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux autorités mentionnées à l'article 76 de la loi organique ainsi qu'aux parties requérantes et à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 25 mars 1997.

A l'audience publique du 15 avril 1997 : - ont comparu : . Me W. Rauws et Me L. Lenaerts, avocats au barreau d'Anvers, pour les parties requérantes dans les affaires portant les numéros 1063 et 1064 du rôle; . Me D. Matthys, avocat au barreau de Gand, pour les parties requérantes dans l'affaire portant le numéro 1065 du rôle; . Me P. Devers, avocat au barreau de Gand, pour le Gouvernement flamand; - les juges-rapporteurs M. Bossuyt et R. Henneuse ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. Objet des dispositions attaquées L'article 133 attaqué du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII modifie l'article 317 du décret de la Communauté flamande du 13 juillet 1994 relatif aux instituts supérieurs en Communauté flamande.

L'article 317 précité était libellé comme suit : « Le Gouvernement flamand établit la concordance des fonctions remplacées avec les nouvelles dénominations des fonctions correspondantes, telles qu'elles sont prévues à l'article 101. » L'article 101 du décret du 13 juillet 1994 dispose que les fonctions du personnel enseignant des instituts supérieurs sont réparties en trois groupes : « 1° groupe 1 : le maître de conférences de formation pratique, le maître de conférences principal de formation pratique, le maître de conférences et le maître de conférences principal; 2° groupe 2 : le personnel assistant, qui comprend : l'assistant, le docteur-assistant et le chef de travaux;3° groupe 3 : le chargé de cours, le chargé de cours principal, le professeur et le professeur ordinaire.» La concordance visée à l'article 317 fut établie par l'arrêté du Gouvernement flamand du 12 juin 1995 portant concordance des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant des instituts supérieurs.

L'article 3 de cet arrêté établit la concordance suivante pour les membres du personnel enseignant chargés d'activités d'enseignement artistique : 2° La fonction de chargé de cours remplace : a) la fonction de recrutement de professeur de cours artistiques à des [lire : dans des] établissements d'enseignement supérieur artistique [...] pour autant que le membre du personnel concerné ait démontré de disposer [lire : ait démontré qu'il dispose] d'une grande notoriété dans le domaine artistique. La direction de l'institut supérieur apprécie ce critère. » L'arrêté prévoit par ailleurs que les membres du personnel ayant exercé au 30 juin 1995 l'une des fonctions citées à l'article 3, 2°, alinéa 1er, et auxquels, par application de l'alinéa 2 de l'article 3, 2°, la fonction de chargé de cours ne peut être attribuée obtiennent la fonction d'assistant.

L'article 133 attaqué du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII est libellé comme suit : « L'article 317 [du même décret] est complété comme suit : ' En ce qui concerne les membres du personnel enseignant, chargés d'activités d'enseignement artistique dans une formation initiale de deux cycles ou dans une formation complémentaire de professeur, appartenant aux disciplines d'art audiovisuel et plastique, de musique et d'art dramatique, de conception de produits et d'architecture, de formation d'architecte d'intérieur, le Gouvernement flamand doit réserver la concordance d'enseignant [lire : de chargé de cours] aux membres du personnel qui bénéficient d'une ample réputation artistique.

La direction de l'institut supérieur attribue la réputation artistique et en fixe les critères d'évaluation. ' » L'article 148, 8°, attaqué, du décret du 8 juillet 1996 dispose que l'article 133 entre en vigueur le 1er septembre 1996. Par l'errata publié au Moniteur belge du 22 novembre 1996, l'entrée en vigueur de l'article 133 est fixée au 1er janvier 1996.

IV. En droit - A - Requêtes A.1. Selon les parties requérantes, la modification décrétale attaquée est inspirée par la volonté d'empêcher le Conseil d'Etat de statuer sur un litige dont il est saisi. Le Conseil d'Etat avait en effet ordonné, dans différents arrêts datés de juin 1996, la suspension de diverses décisions d'instituts supérieurs n'attribuant pas « l'ample réputation artistique » à certains membres du personnel.

L'errata qui modifie la date d'entrée en vigueur de la disposition attaquée avait en outre pour but, selon les requérants, de neutraliser la critique contenue dans le rapport de l'auditorat du Conseil d'Etat.

A.2.1. Les requérants dans l'affaire portant le numéro 1063 du rôle étaient, avant le 1er janvier 1996, date de l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, professeurs de branches artistiques nommés à titre définitif, à l'exception de la partie requérante Vercaemer, qui est actuellement temporaire. Dans le cadre d'une première procédure de concordance, la « Hogeschool Gent » avait décidé, le 15 décembre 1995, de ne pas leur attribuer l'« ample réputation artistique ».

Selon les informations contenues dans la requête, il fut fait opposition à cette décision par le commissaire du gouvernement et cette opposition fut confirmée par le ministre flamand de l'Enseignement et de la Fonction publique. Sur la base d'une deuxième procédure de concordance, l'institut supérieur décida à nouveau, le 8 novembre 1996, de ne pas attribuer aux requérants l'« ample réputation artistique ». Cette décision fut notifiée aux parties le 7 janvier 1997.

A.2.2. Les requérants dans l'affaire portant le numéro 1064 du rôle sont des membres du personnel nommés à titre définitif du Conservatoire d'Anvers, intégré dans la « Vlaamse Autonome Hogeschool Antwerpen », qui se sont vu attribuer par concordance la fonction d'assistant.

A.2.3. Les requérants dans l'affaire portant le numéro 1065 du rôle sont des membres du personnel définitif de la « Vlaamse Autonome Hogeschool Gent » (requérants 1 à 4) et de la « Erasmushogeschool Brussel » (requérants 5 à 7), qui se sont vu attribuer par concordance la fonction d'assistant. Tous ont attaqué devant le Conseil d'Etat la décision leur signifiant qu'ils ne disposaient pas de la réputation artistique suffisante pour obtenir, par concordance, la fonction de chargé de cours et ont obtenu par des arrêts de dates différentes la suspension de cette décision.

A.3.1. Il est invoqué dans un premier moyen que l'article 133 attaqué viole l'article 24, 5, de la Constitution, en ce qu'il dispose que le Gouvernement flamand « doit réserver la concordance [de chargé de cours] aux membres du personnel qui bénéficient d'une ample réputation artistique ».

L'article 24, 5, de la Constitution tel que l'interprète la Cour interdit que le pouvoir législatif délègue au gouvernement de communauté le soin de régler des aspects essentiels de l'enseignement en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance ou son subventionnement. La délégation est autorisée à condition seulement que le législateur décrétal fixe lui-même soigneusement les principes et ait défini ses options de façon suffisamment détaillée.

L'article 24, 5, de la Constitution ne permet pas que, sur la base de la concordance dont il est question dans la disposition attaquée, il soit donné aux fonctions un nouveau contenu ou que le Gouvernement flamand puisse lier des conditions supplémentaires à la conversion de certaines fonctions. La fixation du statut du personnel d'un établissement d'enseignement de droit public et l'instauration de diverses catégories en son sein constituent un aspect essentiel de l'enseignement. En l'espèce, la délégation au Gouvernement flamand n'est pas admissible parce que le législateur décrétal, sans avoir fixé de critères, a instauré le principe fort imprécis de la réputation artistique et laisse au niveau exécutif le soin d'expliciter celui-ci.

A.3.2. Le deuxième moyen est pris de la violation de l'article 24, 5, de la Constitution, en ce que la disposition attaquée se borne à prévoir que la direction de l'institut supérieur fixe les critères d'évaluation de l'« ample réputation artistique », ce qui signifie que chaque institut supérieur apprécie de façon totalement autonome et discrétionnaire qui obtiendra, par concordance, la fonction de chargé de cours, sans être lié par aucun critère ni aucune limitation de sa marge d'appréciation.

Pour les motifs exposés au premier moyen, une telle délégation donnée à la direction de l'institut supérieur est inconciliable avec la disposition constitutionnelle précitée.

A.3.3. Le troisième moyen dénonce la violation des articles 10, 11 et 24, 4, de la Constitution, combinés avec le principe de la sécurité juridique, en ce que l'article 133 attaqué a eu pour but unique d'empêcher le Conseil d'Etat de statuer sur un litige dont il était saisi. Le Conseil d'Etat a constaté dans quelques arrêts de suspension l'illégalité de l'arrêté du Gouvernement flamand portant concordance.

Il est apparu de la discussion de la modification décrétale litigieuse que le législateur décrétal entendait neutraliser cette jurisprudence défavorable. Une telle façon d'agir est considérée comme inacceptable par la jurisprudence de la Cour.

A.3.4. Le quatrième moyen dénonce une violation des articles 10, 11 et 24, 4, de la Constitution, combinés avec les principes de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs, en ce que l'article 148, 8°, du décret attaqué, tel qu'il a été publié au Moniteur belge du 5 septembre 1996, impliquait que l'article 133 attaqué n'entrerait en vigueur qu'au 1er septembre 1996 et que le même article, tel qu'il a été rectifié par un errata publié au Moniteur belge du22 novembre 1996, amène à conclure que l'article 133 entre en vigueur le 1er janvier 1996.

La sécurité juridique est menacée si un errata conduit à une modification du contenu d'un texte adopté au parlement et si un décret a pour objectif d'empêcher le Conseil d'Etat de statuer sur un litige dont il est saisi. Insérer une base juridique avec effet rétroactif conduit à des discriminations illicites qui sont contraires aux exigences d'une bonne justice et qui entraînent une ingérence dans des litiges pendants, en violation du principe de la séparation des pouvoirs.

A.3.5. Le cinquième et dernier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 24, 4, de la Constitution, en ce que la disposition attaquée conduit à ce que la catégorie unique des professeurs autonomes de branches artistiques nommés à titre définitif, telle qu'elle existait avant l'entrée en vigueur du décret attaqué, est divisée en deux catégories, à savoir, d'une part, les chargés de cours et, d'autre part, les assistants, sur la base du critère de « l'ample réputation artistique » qui n'est ni pertinent ni objectif.

Cette séparation poursuit un objectif qui est contraire à la portée et au contenu des dispositions transitoires du décret relatif aux instituts supérieurs, qui visaient précisément, comme le Conseil d'Etat l'a confirmé dans quelques arrêts de suspension, à faire en sorte que les membres du personnel nommés à titre définitif accèdent plus aisément au nouveau régime et à garantir le maintien de leur statut.

Le critère de l'« ample réputation artistique » est à ce point vague qu'il conduit à l'arbitraire dans son application, tant à l'intérieur d'un même institut supérieur qu'entre les divers instituts supérieurs d'enseignement artistique comparables.

Le critère de distinction n'est pas non plus pertinent pour des membres du personnel qui sont déjà nommés à titre définitif pour une branche artistique. En outre, le critère de la « notoriété artistique » est utilisé dans le régime définitif, non pour distinguer les assistants des chargés de cours, mais en tant que condition pour une nomination à titre définitif, alors qu'en l'espèce les intéressés sont déjà nommés à titre définitif. Le critère de « l'ample réputation artistique » est discriminatoire, car il est plus sévère pour les membres du personnel de l'enseignement artistique déjà nommés à titre définitif que pour ceux restant à nommer.

A.4.1. Les requérants affirment que le régime légal du « préjudice grave difficilement réparable » est le même en ce qui concerne la demande de suspension à la Cour d'arbitrage qu'en ce qui concerne la procédure similaire devant le Conseil d'Etat. Puisque le Conseil d'Etat a estimé que la décision de refus du 18 décembre 1995 de la « Vlaamse Autonome Hogeschool Gent » de reconnaître aux requérants la « réputation artistique » constituait, dans l'état de la législation alors en vigueur, un préjudice grave difficilement réparable, les requérants considèrent que la Cour doit aboutir à une conclusion identique en ce qui concerne l'adoption par le Conseil flamand, dans le décret relatif à l'enseignement VII du 8 juillet 1996, d'un nouvel article 137 du décret relatif aux instituts supérieurs et la publication d'un errata au Moniteur belge du 22 novembre 1996.

A.4.2. Le préjudice grave difficilement réparable invoqué à l'appui de la demande de suspension est avant tout, selon les requérants dans chacune des affaires, un préjudice moral, en ce que les assistants ne pourront désormais plus exercer leur fonction de manière indépendante mais devront travailler sous la conduite de et en subordination à un chargé de cours, alors que les membres du personnel concernés étaient précédemment égaux. Le préjudice moral est encore aggravé par le fait que certains assistants se trouvent placés sous la conduite d'un chargé de cours qui ne possède qu'une aptitude insuffisante, voire nulle.

Le préjudice moral de la dégradation par rapport aux collègues se trouve renforcé aussi par le fait que la non-reconnaissance de la réputation artistique est ressentie comme un blâme pour l'avenir, avec des conséquences en ce qui concerne les étudiants qui, dans les choix d'études qu'ils ont à opérer, donneront la préférence à des enseignants disposant de l'« ample réputation artistique ». Tout ceci aura en outre encore une influence néfaste sur la mentalité régnant dans la classe des parties requérantes.

A.4.3. Selon les requérants dans l'affaire portant le numéro 1063 du rôle, le préjudice est en l'espèce également causé par le fait que la « Hogeschool Gent », après une première décision négative qui fut annulée suite à l'opposition du commissaire du gouvernement et du ministre de l'Enseignement et de la Fonction publique, a pris maintenant une deuxième décision négative.

Le préjudice provient enfin également, selon eux, de l'insécurité juridique créée par l'institut supérieur, en ce qu'il n'est pas exclu que le nombre d'heures d'enseignement et le traitement des assistants évoluera défavorablement si on les compare à ceux des chargés de cours. Compte tenu du caractère collectif des violations de la loi, il est à craindre que les fonds nécessaires ne seront plus disponibles au budget pour réparer le dommage financier.

A.4.4. Selon les requérants dans les affaires portant les numéros 1064 et 1065 du rôle, le préjudice moral est encore aggravé en l'espèce par une baisse illégale et imprévue de leurs revenus, ce qui porte atteinte à leur niveau de vie et ce qui laisse craindre, compte tenu du caractère collectif des violations de la loi, que les fonds nécessaires ne seront plus disponibles au budget pour la réparation du dommage.

Les requérants soulignent enfin qu'ils risquent d'être victimes d'une insécurité juridique pendant plusieurs années. - B - Quant à la recevabilité B.1.1. La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la recevabilité du recours en annulation, et notamment l'existence de l'intérêt requis, doit être abordée dès l'examen de la demande de suspension.

B.1.2. L'article 133 attaqué du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII modifie l'article 317 du décret du 13 juillet 1994 relatif aux instituts supérieurs en Communauté flamande. La disposition attaquée concerne le statut du personnel. L'ancien article 317 énonçait que le Gouvernement flamand établissait la concordance des fonctions remplacées avec les nouvelles dénominations des fonctions correspondantes, telles qu'elles étaient prévues à l'article 101 du même décret. L'arrêté du Gouvernement flamand du 12 juin 1995 portant concordance des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant des instituts supérieurs, pris sur la base de l'article précité et entré en vigueur le 1er janvier 1996, disposait en son article 3 que, s'agissant notamment de la fonction de recrutement de professeur de cours artistiques dans des établissements d'enseignement supérieur artistique, la fonction de chargé de cours pouvait être attribuée par concordance pour autant seulement que le membre du personnel concerné justifiât d'une ample réputation artistique, ceci devant être apprécié par la direction de l'institut supérieur. L'article 133 entrepris du décret du 8 juillet 1996 ajoute à l'article 317 précité du décret du 13 juillet 1994 qu'en ce qui concerne les membres du personnel enseignant chargés d'activités d'enseignement artistique dans des établissements d'enseignement supérieur artistique, le Gouvernement flamand doit réserver « la concordance de chargé de cours » aux membres du personnel qui bénéficient d'une ample réputation artistique.

L'appréciation de cette réputation artistique est confiée aux directions des instituts supérieurs, lesquelles fixent également les critères d'évaluation. Conformément à l'errata publié au Moniteur belge du 22 novembre 1996, la nouvelle disposition décrétale entre en vigueur le 1er janvier 1996.

B.1.3. Les requérants sont chargés d'activités d'enseignement artistique dans des établissements d'enseignement supérieur artistique.

Selon les informations fournies à la Cour, certains requérants se sont vu attribuer la fonction de chargé de cours, par concordance, sur la base de la réglementation susdite. La disposition litigieuse ne les affecte donc pas directement et défavorablement. L'allégation de ces requérants selon laquelle le décret attaqué a rendu difficiles les relations de travail au sein des différents instituts supérieurs ne suffit pas pour justifier de l'intérêt requis en droit, de sorte que la demande de suspension n'est pas recevable pour ce qui les concerne.

B.1.4. Les autres requérants sont susceptibles d'être directement et défavorablement affectés par la disposition décrétale attaquée.

L'examen limité de la recevabilité du recours en annulation auquel la Cour a pu procéder dans le cadre de la demande de suspension ne fait pas apparaître que le recours en annulation - et donc la demande de suspension - doive être considéré comme irrecevable en ce qui les concerne.

Quant à la demande de suspension B.2. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.

Quant à l'errata publié au Moniteur belge du 22 novembre 1996 B.3.1. Aux termes de l'article 148, 8°, du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII, tel qu'il a été publié au Moniteur belge du 5 septembre 1996, l'article 133 de ce même décret entrait en vigueur le 1er septembre 1996.

En vertu de l'errata, publié au Moniteur belge du 22 novembre 1996, l'entrée en vigueur de l'article 133 est fixée au 1er janvier 1996.

B.3.2. Dans le quatrième moyen, les requérants soutiennent que cet errata équivaut à une modification du contenu d'un texte adopté par le Conseil flamand et qu'il a uniquement pour but d'empêcher le Conseil d'Etat de se prononcer sur un litige dont il est saisi. Le législateur décrétal violerait de cette façon les articles 10, 11 et 24, 4, de la Constitution combinés avec le principe de la sécurité juridique et celui de la séparation des pouvoirs.

B.3.3. Un examen du contexte et des travaux préparatoires sur ce point permet de vérifier si cet errata se limite à réparer une erreur incontestable qui méconnaissait l'intention du législateur décrétal.

Il ressort des travaux préparatoires (Doc., Conseil flamand, 1995-1996, 310, n° 2, pp. 17-18) que les auteurs de la proposition de modification de l'article 317 du décret du 13 juillet 1994 avaient bien mentionné explicitement le 1er janvier 1996 comme date d'entrée en vigueur. Il est de surcroît établi que cette proposition a été adoptée sans modification par le Conseil flamand.

Il ressort par ailleurs de l'examen du contexte des dispositions dont il s'agit qu'au 5° de l'article 148 du décret du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII, tel qu'il a été publié au Moniteur belge du 5 septembre 1996, l'article 133, dont il était entendu qu'il entrait en vigueur le 1er janvier 1996, a par erreur été indiqué comme article 132, tandis qu'au 8° du même article 148, l'article 134, dont il était entendu qu'il entrait en vigueur le 1er septembre 1996, a erronément été indiqué comme article 133. De toute évidence, la numérotation a été augmentée d'une unité pour de nombreux articles, suite à l'adoption d'un amendement insérant un article supplémentaire, cependant qu'on oublia d'adapter en conséquence l'article 148, qui fixe les dates d'entrée en vigueur.

B.3.4. Il ne peut donc faire aucun doute que le législateur décrétal a décidé que la date d'entrée en vigueur de l'article 133 devait être le 1er janvier 1996. Par conséquent, l'errata n'a pas modifié la situation juridique des requérants mais a énoncé correctement la date d'entrée en vigueur telle que l'entendait le législateur décrétal. Cet errata ne saurait dès lors être considéré comme un acte créant une insécurité juridique, ou visant à empêcher le Conseil d'Etat de censurer un acte attaqué devant lui. Le quatrième moyen n'est pas sérieux et ne peut donc conduire à la suspension de l'errata contesté.

Quant à l'article 133 du décret de la Communauté flamande du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VIB.4.1. Les requérants affirment que la réglementation légale en matière de « préjudice grave difficilement réparable » concernant la demande de suspension introduite auprès de la Cour d'arbitrage est la même que pour un recours analogue introduit auprès du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat ayant considéré dans plusieurs arrêts de suspension que le refus des directions respectives des instituts supérieurs de reconnaître aux requérants la « réputation artistique » constituait, dans l'état de la législation en vigueur à l'époque, un préjudice grave difficilement réparable, les requérants estiment que la Cour d'arbitrage doit prendre la même décision pour ce qui concerne l'adoption par le Conseil flamand, dans le décret du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII, d'un ajout à l'article 317 du décret relatif aux instituts supérieurs.

B.4.2. Une demande de suspension d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance diffère fondamentalement d'une demande de suspension d'un acte administratif individuel. En cas de suspension d'un tel acte, seul est affecté un rapport de droit entre des justiciables déterminés et l'autorité. Dans le cas de la suspension d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance, il s'agit d'une règle générale dont le champ d'application concerne un nombre indéterminé de sujets de droit, les effets s'étendant dès lors erga omnes. Une éventuelle suspension pourrait causer une insécurité juridique plus grande que celle dont les justiciables se plaignent.

B.4.3. C'est à tort que les requérants considèrent qu'il y a identité de contenu entre les décisions de refus des instituts supérieurs respectifs et l'ajout à l'article 317 du décret relatif aux instituts supérieurs, inséré par l'article 133 du décret du 8 juillet 1996 relatif à l'enseignement VII. B.4.4. Un arrêt du Conseil d'Etat suspendant les décisions de refus mentionnées ne signifie nullement qu'un « préjudice grave difficilement réparable » résulterait également pour les requérants des dispositions décrétales édictées dans l'intervalle et dont ils demandent la suspension. La Cour doit donc examiner si les dispositions entreprises sont susceptibles de causer aux requérants un préjudice grave difficilement réparable.

B.5.1. Pour l'examen du préjudice déjà subi qu'invoquent les requérants, il y a lieu de distinguer selon que la direction de l'institut supérieur a pris sa décision avant ou après le 1er janvier 1996, date d'entrée en vigueur de la disposition décrétale attaquée.

B.5.2. Dans la première hypothèse, la demande de suspension doit être rejetée parce que le préjudice invoqué par les requérants ne peut en aucun cas avoir été causé par l'application immédiate de la mesure litigieuse, comme l'exige l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

B.5.3. Dans la seconde hypothèse, la disposition décrétale attaquée peut être à la base du préjudice invoqué par les requérants. Une suspension de cette disposition décrétale ne saurait toutefois, par elle-même, faire disparaître ce préjudice. En effet, cette éventuelle suspension n'invaliderait automatiquement ni les arrêtés d'exécution pris sur la base du décret attaqué ni les actes administratifs individuels pris sur la base de ce même décret ou de ses arrêtés d'exécution.

B.5.4. Une suspension par la Cour doit permettre d'éviter qu'un préjudice résulte pour les requérants de l'application immédiate de la norme entreprise, préjudice qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement être réparé après une annulation éventuelle. La demande de suspension ne peut donc pas être accueillie pour ce qui concerne le préjudice déjà causé.

B.5.5. Les requérants allèguent également qu'avant même que la Cour se prononce sur le recours en annulation, le décret peut fonder de nouvelles décisions de la direction de l'institut supérieur, décisions susceptibles d'entraîner le préjudice qu'ils décrivent.

B.5.6. Ni le préjudice moral invoqué par les requérants, qui résiderait dans le fait que l'application des règles de concordance qui leur confèrent la qualité d'assistant est ressentie comme une dégradation et comme un handicap pour leur carrière future, ni le préjudice financier allégué ne sont difficilement réparables en cas d'annulation.

B.5.7. Quant à l'argument des requérants selon lequel les dispositions décrétales attaquées contrecarrent les procédures devant le Conseil d'Etat, de sorte qu'elles entraveraient leur déroulement normal, il y a lieu d'observer que ces dispositions n'empêchent nullement le Conseil d'Etat de statuer dans ces affaires.

B.5.8. L'insécurité juridique alléguée par les requérants, qui concerne leur statut et leur traitement, et qui persiste durant la procédure devant la Cour, est l'effet de leur recours en annulation et non de l'application immédiate de la disposition attaquée; elle ne saurait donc justifier une suspension.

Par ces motifs, la Cour - déclare irrecevable la demande de suspension introduite par les requérants visés sous B.1.3; - rejette les demandes de suspension introduites par les autres requérants.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 mai 1997.

Le greffier f.f., Le président, R. Moerenhout. L. De Grève.

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