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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 10 juin 1997

Arrêt n° 27/97 du 6 mai 1997 Numéro du rôle : 995 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage, composée des préside après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arr(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 27/97 du 6 mai 1997 Numéro du rôle : 995 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 62.485 du 10 octobre 1996 en cause de L. Quartier contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 octobre 1996, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « En ce qu'il prévoit que même si, comme en l'espèce, l'autorité, en tant que partie défenderesse, n'a introduit aucun mémoire en réponse et la partie requérante n'a déposé aucun mémoire ampliatif dans le délai prévu, l'absence de l'intérêt requis est constatée, l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, est-il contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et aux articles 10 et 11 de la Constitution, au motif que la partie requérante est privée d'un examen équitable de sa demande et qu'une discrimination est opérée entre les Belges, selon qu'ils portent une demande devant une juridiction civile ou administrative ? » II. Les faits et la procédure antérieure Par requête du 15 mai 1995, L. Quartier avait demandé au Conseil d'Etat l'annulation de l'arrêté du Gouvernement flamand du 20 janvier 1995 modifiant partiellement le plan de secteur « Ieper-Poperinge » (Moniteur belge, 25 mars 1995), en tant qu'il affecte en zone industrielle les terrains sis à Wervik que le requérant a pris à ferme et qui, en vertu du plan de secteur initial, étaient situés en zone agricole.

La partie défenderesse devant le Conseil d'Etat, la Région flamande, s'était abstenue d'introduire un mémoire en réponse.

La partie requérante en fut avisée par une lettre du 12 octobre 1995 envoyée par le greffe du Conseil d'Etat, l'informant qu'elle disposait d'un délai unique de soixante jours, qui ne pouvait être prolongé, pour adresser un mémoire ampliatif au greffe.

La partie requérante n'introduisit un « mémoire complémentaire » que le 18 décembre 1995, donc après l'expiration du délai précité.

Dans son rapport du 20 mars 1996 adressé au président de la chambre compétente, le premier auditeur proposa de citer les parties à l'audience, par application de l'article 14bis, § 1er, alinéa 2, du règlement général de procédure, afin de constater l'absence de l'intérêt requis dans le chef de la partie requérante et de rejeter en conséquence la demande.

A l'audience, la partie requérante déclara qu'en l'espèce, il ne peut être constaté en vertu de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat que l'intérêt requis pour obtenir l'annulation demandée fait défaut. Une autre appréciation serait contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Elle demanda que la question précitée fût posée à la Cour.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 28 octobre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 novembre 1996.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 15 novembre 1996.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 10 décembre 1996; - L. Quartier, Waterstraat 2, 8940 Wervik, par lettre recommandée à la poste le 27 décembre 1996.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 9 janvier 1997.

L. Quartier a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 7 février 1997.

Par ordonnance du 5 mars 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 25 mars 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 6 mars 1997.

A l'audience publique du 25 mars 1997 : - ont comparu : . Me P. Flamey et Me E. Empereur, avocats au barreau de Bruxelles, pour L. Quartier; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1. Le Conseil des ministres renvoie à l'arrêt n° 32/95, par lequel la Cour a répondu à une question préjudicielle analogue, et il en cite des considérants.

En ce qui concerne le moyen invoqué devant le Conseil d'Etat, pris de la violation de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, il convient d'observer que la Cour n'est pas compétente pour connaître de moyens inférés directement de la violation de dispositions de droit international (arrêts nos 5/95, 49/95 et 24/96).

Mémoire de L. Quartier A.2.1. Conformément à la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, la perte d'intérêt visée à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est considérée comme une présomption juris et de jure. La question est toutefois de savoir si cette disposition peut être lue de la sorte, dès lors que semblable présomption devrait figurer explicitement dans la loi et que l'audition des parties n'a de sens que si cette présomption est réfragable.

La présomption de perte d'intérêt est manifestement déraisonnable, étant donné que ceux qui n'ont rien à ajouter à ce qui a déjà été dit sont ainsi traités de la même façon que ceux qui ne manifestent plus d'intérêt à la cause.

Il convient de faire une distinction entre un requérant qui ne réagit pas à un mémoire en réponse de la partie adverse et un requérant qui ne reçoit pas de réponse de la partie adverse. L'article 21 des lois coordonnées prévoit d'ailleurs explicitement que lorsque la partie défenderesse ne transmet pas le dossier administratif dans le délai fixé, les faits cités par la partie requérante sont réputés prouvés, à moins que ces faits soient manifestement inexacts. Les mémoires introduits tardivement par la partie requérante sont d'office écartés des débats. Sauf fait nouveau survenu dans l'intervalle, le requérant n'aura rien à ajouter et il peut tout au plus faire savoir qu'il persiste en sa demande.

Plus la situation d'une partie requérante dans un litige l'opposant à l'autorité est favorable, plus les obstacles auxquels elle est confrontée pour mener à bien le recours en annulation sont considérables et formalistes. Il est imposé à celui qui n'a rien à ajouter qu'il introduise, sous peine de perte de l'intérêt, un mémoire ne comportant aucun élément neuf. Il en résulte que l'intéressé est distrait du Conseil d'Etat en violation de l'article 13 de la Constitution. Il est ainsi établi une différence de traitement entre les parties requérantes qui introduisent un mémoire dans les délais et celles qui s'abstiennent de le faire, pour quelque raison que ce soit.

Cette distinction n'est pas susceptible de justification raisonnable ayant trait au but de la disposition, à savoir l'accélération de la procédure et la résorption de l'arriéré au Conseil d'Etat. Cet objectif peut être atteint sans priver de l'intérêt au procès la partie requérante qui, pour l'une ou l'autre raison, n'introduit pas de mémoire dans les délais. Ainsi, le rejet d'office de mémoires tardifs, tel qu'il est prévu à l'égard de la partie défenderesse, peut-il tout aussi bien contribuer à cet objectif.

L'article 21, alinéa 2, précité ne précise d'ailleurs nullement sur quoi porte l'intérêt que l'on est censé perdre : l'intérêt à la cause ou l'intérêt à introduire un mémoire ? Il est dès lors excessif de traiter une partie qui n'a pas intérêt à introduire un mémoire comme si elle n'avait plus intérêt à la cause. Semblable interprétation comporte une inégalité injustifiable et n'est donc pas conforme à la Constitution.

A.2.2. Dans l'arrêt n° 32/95, la Cour s'est prononcée sur la constitutionnalité du traitement différencié d'une partie requérante qui n'introduit pas le dossier administratif dans les délais et sur la constitutionnalité du traitement identique de parties requérantes qui étaient ou non en possession de toutes les pièces de procédure. Dans l'affaire susvisée, la Cour n'était pas saisie de la question de la constitutionnalité de la différence de traitement entre ceux qui introduisent un mémoire dans les délais et ceux qui s'abstiennent de le faire.

Il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si l'article 21, alinéa 2, précité contient une présomption juris et de jure, cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 13 et 160 de la Constitution et avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Mémoire en réponse de L. Quartier A.3.1. La question centrale est de savoir si l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 13 et 160 de la Constitution et avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que deux catégories différentes de personnes - d'une part, la partie requérante qui n'introduit aucun mémoire au motif qu'elle n'a plus intérêt à la cause et, d'autre part, la partie requérante qui n'introduit aucun mémoire parce qu'elle n'a pas intérêt au mémoire, du fait que, en l'absence d'une réponse de la partie défenderesse, elle n'a plus rien à ajouter à la requête - sont traitées de manière égale. La demande des deux parties, jugée irrecevable, est rejetée prétendument pour absence d'intérêt au procès. Il n'existe cependant pas de justification raisonnable ayant trait à l'objectif de la disposition pour ce traitement égal de catégories de personnes clairement différentes.

Inversement, il est permis de se demander si l'article 21, alinéa 2, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 13 et 160 de la Constitution et avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il établit une différence de traitement entre des catégories égales de personnes, à savoir, d'une part, la partie requérante qui introduit un mémoire purement formel dans les délais, déclarant ne plus rien avoir à ajouter à sa requête, parce que la partie adverse n'a pas introduit de mémoire en réponse, et qui conserve de la sorte son intérêt au procès, et, d'autre part, la partie requérante qui n'introduit pas de mémoire formel, puisque la partie défenderesse n'a introduit aucun mémoire, et qui perd ainsi son intérêt au procès. Il n'existe pas de justification raisonnable ayant trait à l'objectif de la disposition pour cette différence de traitement.

La Cour est priée de reformuler la question préjudicielle dans le sens précité.

A.3.2. Le mémoire du Conseil des ministres est complètement à côté de la question en ce qu'il se limite, abstraction faite du seul paragraphe figurant en page 9 de ce mémoire, à simplement citer l'arrêt n° 32/95 de la Cour. Le mémoire ne fait pas apparaître à quelle question préjudicielle la présente question préjudicielle serait analogue, dès lors que l'arrêt précité répond à trois questions préjudicielles.

La Cour ne s'est nullement prononcée dans l'arrêt précité sur la présente question préjudicielle, telle qu'elle a été reformulée par la partie requérante dans ses mémoire et mémoire en réponse.

A.3.3. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 21, alinéa 2, précité que la présomption juris et de jure de la perte de l'intérêt au procès de la partie requérante dans l'hypothèse de la non-introduction ou de l'introduction tardive de mémoires n'est pas raisonnablement justifiable en vue de l'accélération des procédures et de la résorption de l'arriéré au Conseil d'Etat. Les mesures concernent exclusivement la phase préparatoire dans laquelle le dossier est composé et qui dure environ huit mois. La raison de l'énorme retard constaté, pouvant atteindre cinquante-cinq mois du côté néerlandophone, doit être recherchée dans les étapes suivantes de la procédure, à savoir le traitement de l'affaire par l'auditorat et la rédaction de l'arrêt définitif (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984/2, p. 7; Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2640 et 2646), ce que confirme aussi le projet d'étude « Protection juridique et contentieux administratif ».

Si l'objectif de l'article 21, alinéa 2, consiste à résorber l'arriéré et à accélérer la procédure devant le Conseil d'Etat, il n'est nullement raisonnable de priver de tout intérêt au procès la partie requérante qui n'introduit pas de mémoire parce qu'elle n'a rien à ajouter à sa requête originaire à défaut de réponse de la partie défenderesse. On ne voit pas pourquoi le Conseil d'Etat, après avoir constaté que la partie adverse ne défend pas sa décision, ne pourrait pas poursuivre la procédure. En l'occurrence, l'on n'obtient pas une accélération, mais une élimination de la procédure. La résorption de l'arriéré par l'élimination de certaines affaires est contraire à l'article 13 de la Constitution.

Il existe des mesures de rechange dont le résultat est exactement le même. L'on peut écarter les mémoires tardifs des débats, ce qui signifie que la partie requérante perd son intérêt au mémoire, mais non à l'affaire en tant que telle (Ann., Sénat, 12 juillet 1990, p. 2646). En outre, l'article 93 de l'arrêté du 23 août 1948 portant règlement de procédure prévoit une procédure accélérée lorsque la demande semble manifestement non fondée.

A.3.4. Il peut être renvoyé a contrario à la jurisprudence de la Cour (arrêt n° 67/95) concernant l'article 21, alinéa 6, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. La Cour a considéré que cette disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle n'applique pas la présomption de désistement d'instance pour non-introduction d'une demande de poursuite d'instance à une partie requérante n'ayant pas reçu de mémoire de la part de la partie défenderesse, dès lors que cette partie requérante pouvait partir du principe « qu'il n'y a pas lieu pour elle d'introduire de nouvelles pièces de procédure » compte tenu de l'absence d'une défense quelconque dans le chef de la partie défenderesse.

A.3.5. Telle qu'elle a été reformulée par la partie requérante, la question préjudicielle n'implique pas de contrôle direct de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat au regard de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il est par contre demandé de contrôler cette disposition au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui signifie donc uniquement un contrôle indirect au regard d'une norme de droit international. La Cour est compétente pour exercer un tel contrôle (arrêts nos 18/90, 25/90, 57/93 et 62/93). Parmi les droits et libertés garantis aux Belges par l'article 11 de la Constitution figurent les droits et libertés résultant de dispositions des conventions internationales liant la Belgique, rendues applicables dans l'ordre juridique interne par un acte d'assentiment et ayant effet direct (arrêt n° 26/90). - B - Quant à la demande de reformulation de la question préjudicielle B.1. La partie requérante devant le Conseil d'Etat demande dans son mémoire en réponse que la question préjudicielle soit reformulée dans le sens proposé par elle.

La demande vise en réalité à soumettre à la Cour deux questions divergeant fondamentalement de la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat. Non seulement la Cour est invitée à faire intervenir dans son examen des dispositions constitutionnelles autres que celles désignées dans la question préjudicielle, mais, en outre, il lui est demandé de comparer la situation de catégories de personnes autres que celles visées dans la question préjudicielle avec la situation de catégories de personnes qui ne sont pas davantage désignées dans la question préjudicielle.

Il ne peut être accédé à cette demande. En effet, les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou faire modifier le contenu de la question posée.

Quant à la question préjudicielle B.2. Le Conseil d'Etat demande à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, modifié par la loi du 17 octobre 1990, viole ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant que la partie requérante est réputée perdre son intérêt lorsqu'elle n'a pas introduit de mémoire ampliatif dans le délai prescrit, même si la partie défenderesse n'a introduit aucun mémoire en réponse. Il s'agit donc plus précisément de savoir si, de la sorte, la partie requérante devant le Conseil d'Etat est, d'une part, privée d'un traitement équitable de sa demande et, d'autre part, discriminée par rapport aux parties qui agissent devant une juridiction civile.

B.3. L'article 21, alinéas 1er et 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées par arrêté royal du 12 janvier 1973, inséré par la loi du 17 octobre 1990, est libellé comme suit : « Les délais dans lesquels les parties doivent transmettre leurs mémoires, leurs dossiers administratifs ou les documents ou renseignements demandés par la section d'administration sont fixés par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.

Lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi des mémoires, la section statue sans délai, les parties entendues, sur l'avis du membre de l'auditorat désigné en l'affaire, en constatant l'absence de l'intérêt requis. » B.4. La question préjudicielle concerne la compatibilité de l'alinéa 2 de l'article précité avec les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La disposition litigieuse prévoit que lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi des mémoires, la section d'administration du Conseil d'Etat statue sans délai sur l'avis de l'auditorat, les parties entendues, en constatant l'absence de l'intérêt requis.

B.5. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6.1. La disposition contestée a été insérée dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat par l'article 1er de la loi du 17 octobre 1990. Elle fait partie d'une série de mesures par lesquelles le législateur entendait réduire la durée de la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et résorber l'arriéré juridictionnel (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, (Exposé des motifs), p. 1, et n° 984-2, (Rapport), p. 2, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2640 et s.).

S'agissant en particulier du projet de l'actuel article 21, les travaux préparatoires précisent que « l'intention [...] est de remédier à la longueur voulue ou non par les parties en cause dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat. Le non-respect des délais pour l'envoi des mémoires sera assimilé, d'office, à l'absence de justification de l'intérêt requis à l'article 19 » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).

Dans l'arrêt n° 48.624 du 13 juillet 1994, le Conseil d'Etat, après une analyse des travaux préparatoires et en particulier après constatation du rejet d'un amendement prévoyant un traitement plus souple (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-5, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2646, 2648, 2650 et 2651), a abouti à la conclusion que « le législateur a entendu qu'il ne soit, à aucune condition, accepté d'excuse pour la non-transmission ou la transmission tardive d'un mémoire; en définissant la sanction qu'il inflige comme ' l'absence de l'intérêt requis ', il a indiqué qu'il regardait le dépôt d'un mémoire comme la manifestation formelle de la persistance de l'intérêt. Par conséquent, il se justifie de même à l'évidence que la partie requérante marque ainsi formellement la persistance de son intérêt lorsqu'elle estime n'avoir rien à ajouter à sa requête, par exemple parce que la partie défenderesse n'a pas déposé de mémoire en réponse, voire de dossier administratif. » B.6.2. Si la partie défenderesse introduit un mémoire en réponse, accompagné ou non du dossier administratif, la partie requérante peut introduire un mémoire en réplique.

Si la partie défenderesse s'abstient de déposer un mémoire en réponse, la partie requérante peut, que le dossier administratif soit ou non déposé, se limiter à introduire un mémoire ampliatif dans lequel la requête peut être exposée de façon plus approfondie.

Comme il est dit dans l'arrêt du Conseil d'Etat mentionné au B.6.1, l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat fait du dépôt d'un mémoire une obligation pour la partie requérante si elle veut éviter que l'absence de l'intérêt requis soit constatée.

Dès lors que cette obligation résulte de la loi, les articles 7 et 8 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat doivent être lus en ce sens que le greffier, à défaut du dépôt du dossier administratif ou d'un mémoire en réponse dans le délai prescrit, est tenu d'en aviser la partie requérante en faisant mention, conformément à l'article 14bis, § 2, de cet arrêté, de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

Il ressort du reste des travaux préparatoires de ce dernier article que le législateur avait bien l'intention d'attacher des conséquences sévères au non-respect des délais et qu'il entendait que le Conseil d'Etat, dans les notifications du greffier, rappelle à la partie requérante les effets légaux de son absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, pp. 4 et 43).

B.7.1. Quelque lourde que soit pour la partie requérante la conséquence du non-respect des délais fixés pour l'introduction des mémoires - il conduit en effet à l'irrecevabilité de la demande -, une telle mesure n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, à savoir réduire la durée de la procédure, compte tenu du principe général de droit selon lequel la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure, principe auquel il a été envisagé de déroger, mais auquel la loi en cause ne déroge pas elle-même. L'obligation de transmettre dans les délais un mémoire, dont le contenu peut se limiter à la simple confirmation de ce que la partie requérante persiste dans sa requête, est une exigence de forme qui n'entraîne pas une charge disproportionnée au regard dudit objectif, même en prenant en considération la suggestion faite par la partie requérante devant le juge a quo, selon laquelle d'autres mesures auraient dû être prises pour atteindre le même but.

B.7.2. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat oblige les parties requérantes à respecter les délais fixés pour l'introduction des mémoires - qu'il s'agisse d'un mémoire en réplique ou d'un mémoire ampliatif - et à manifester ainsi la persistance de leur intérêt. Au regard de la mesure ainsi considérée, il n'existe pas de différence à ce point importante entre les situations des parties requérantes, selon que celles-ci disposent ou non des pièces de procédure de la partie défenderesse, qu'il en résulterait pour le législateur l'obligation de prévoir à ce propos des traitements différents.

B.8. La discrimination qui pourrait, selon les termes de la question préjudicielle, résulter de la différence entre la procédure devant le Conseil d'Etat et celle devant les tribunaux civils est tirée d'une comparaison entre des procédures qui ne sont pas comparables du point de vue de l'intérêt au recours. En effet, les litiges devant les juridictions civiles portent sur des droits subjectifs des parties au litige tandis que le recours en annulation devant le Conseil d'Etat est un recours objectif pour lequel la partie requérante ne doit justifier que d'un simple intérêt. La différence de traitement dénoncée ne peut être critiquée sur la base des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9. Les règles de procédure inscrites à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat n'empêchent nullement que la partie requérante qui souhaite maintenir sa demande lorsque la partie défenderesse s'abstient de réagir dans les délais ait effectivement accès au juge administratif. Il lui suffit d'introduire, dans le délai prescrit, un mémoire ampliatif dans lequel elle peut se limiter à communiquer qu'elle maintient son recours.

Dans les cas où l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme est applicable aux litiges portés devant le Conseil d'Etat, les règles de procédure prévues à l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne peuvent nullement être considérées comme une entrave à l'accès au juge prohibée par cette disposition, {2line2}d'autant que la partie requérante est explicitement avisée par le greffier du Conseil d'Etat des conséquences du non-respect de cette formalité.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il prévoit que l'absence de l'intérêt requis de la partie requérante qui n'a déposé aucun mémoire ampliatif est constatée, même si la partie défenderesse n'a pas introduit de mémoire en réponse.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 mai 1997.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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