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Extrait de l'arrêt n° 8/2023 du 19 janvier 2023 Numéros du rôle : 7736 et 7740 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au bien-être des travailleurs lors de l'exéc La Cour constitutionnelle, composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président(...) Extrait de l'arrêt n° 8/2023 du 19 janvier 2023 Numéros du rôle : 7736 et 7740 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au bien-être des travailleurs lors de l'exéc La Cour constitutionnelle, composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 8/2023 du 19 janvier 2023 Extrait de l'arrêt n° 8/2023 du 19 janvier 2023
Numéros du rôle : 7736 et 7740 Numéros du rôle : 7736 et 7740
En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 32decies, En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 32decies,
§ 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au bien-être des § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au bien-être des
travailleurs lors de l'exécution de leur travail », posées par la Cour travailleurs lors de l'exécution de leur travail », posées par la Cour
d'appel de Liège. d'appel de Liège.
La Cour constitutionnelle, La Cour constitutionnelle,
composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président
L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, E. L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, E.
Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée
par le juge T. Giet, par le juge T. Giet,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure I. Objet des questions préjudicielles et procédure
a. Par arrêt du 22 avril 2021, dont l'expédition est parvenue au a. Par arrêt du 22 avril 2021, dont l'expédition est parvenue au
greffe de la Cour le 24 janvier 2022, la Cour d'appel de Liège a posé greffe de la Cour le 24 janvier 2022, la Cour d'appel de Liège a posé
la question préjudicielle suivante : la question préjudicielle suivante :
« L'article 32decies paragraphe 1/1 de la loi du 4 août 1996 relative « L'article 32decies paragraphe 1/1 de la loi du 4 août 1996 relative
au bien-être des travailleurs viole-t-il les articles 10 et 11 de la au bien-être des travailleurs viole-t-il les articles 10 et 11 de la
Constitution lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Constitution lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la
Convention européenne des droits l'homme s'il était interprété comme Convention européenne des droits l'homme s'il était interprété comme
permettant à la victime d'un acte de violence au travail d'opérer permettant à la victime d'un acte de violence au travail d'opérer
devant les seules juridictions du travail un choix entre la réparation devant les seules juridictions du travail un choix entre la réparation
intégrale de son préjudice ou la réparation forfaitaire de ce même intégrale de son préjudice ou la réparation forfaitaire de ce même
préjudice alors que cette même victime de faits identiques ne préjudice alors que cette même victime de faits identiques ne
disposerait plus de ce choix si des poursuites sont engagées, devant disposerait plus de ce choix si des poursuites sont engagées, devant
une juridiction répressive, contre l'auteur de cette prévention ? ». une juridiction répressive, contre l'auteur de cette prévention ? ».
b. Par arrêt du 25 novembre 2021, dont l'expédition est parvenue au b. Par arrêt du 25 novembre 2021, dont l'expédition est parvenue au
greffe de la Cour le 25 janvier 2022, la Cour d'appel de Liège a posé greffe de la Cour le 25 janvier 2022, la Cour d'appel de Liège a posé
la question préjudicielle suivante : la question préjudicielle suivante :
« L'article 32decies paragraphe 1/1 de la loi du 4 août 1996 relative « L'article 32decies paragraphe 1/1 de la loi du 4 août 1996 relative
au bien-être des travailleurs viole-t-il les articles 10 et 11 de la au bien-être des travailleurs viole-t-il les articles 10 et 11 de la
Constitution lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Constitution lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la
Convention européenne des droits l'homme s'il était interprété comme Convention européenne des droits l'homme s'il était interprété comme
permettant à la victime d'un acte de violence au travail d'opérer permettant à la victime d'un acte de violence au travail d'opérer
devant les seules juridictions du travail un choix entre la réparation devant les seules juridictions du travail un choix entre la réparation
intégrale de son préjudice ou la réparation forfaitaire de ce même intégrale de son préjudice ou la réparation forfaitaire de ce même
préjudice alors que cette même victime de faits identiques, qui se préjudice alors que cette même victime de faits identiques, qui se
constitue partie civile à l`occasion de poursuite engagée devant une constitue partie civile à l`occasion de poursuite engagée devant une
juridiction répressive, ne disposerait plus de ce choix contre juridiction répressive, ne disposerait plus de ce choix contre
l'auteur reconnu coupable de cette prévention ? ». l'auteur reconnu coupable de cette prévention ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7736 et 7740 du rôle de la Ces affaires, inscrites sous les numéros 7736 et 7740 du rôle de la
Cour, ont été jointes. Cour, ont été jointes.
(...) (...)
III. En droit III. En droit
(...) (...)
Quant à la disposition en cause et à son contexte Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1.1. L'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative B.1.1. L'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative
au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail » au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail »
(ci-après : la loi du 4 août 1996) dispose : (ci-après : la loi du 4 août 1996) dispose :
« Toute personne qui justifie d'un intérêt peut intenter une procédure « Toute personne qui justifie d'un intérêt peut intenter une procédure
devant le tribunal du travail pour demander des dommages et intérêts. devant le tribunal du travail pour demander des dommages et intérêts.
En réparation du préjudice matériel et moral causé par la violence ou En réparation du préjudice matériel et moral causé par la violence ou
le harcèlement moral ou sexuel au travail, l'auteur des faits est le harcèlement moral ou sexuel au travail, l'auteur des faits est
redevable de dommages et intérêts correspondant, au choix de la redevable de dommages et intérêts correspondant, au choix de la
victime : victime :
1° soit au dommage réellement subi par elle, à charge pour elle de 1° soit au dommage réellement subi par elle, à charge pour elle de
prouver l'étendue de ce dommage; prouver l'étendue de ce dommage;
2° soit à un montant forfaitaire correspondant à trois mois de 2° soit à un montant forfaitaire correspondant à trois mois de
rémunération brute. rémunération brute.
Le montant s'élève à six mois de rémunération brute dans l'une des Le montant s'élève à six mois de rémunération brute dans l'une des
trois hypothèses suivantes : trois hypothèses suivantes :
a) les conduites sont liées à un critère de discrimination visé dans a) les conduites sont liées à un critère de discrimination visé dans
les lois tendant à lutter contre les discriminations; les lois tendant à lutter contre les discriminations;
b) l'auteur se trouve dans une relation d'autorité vis-à-vis de la b) l'auteur se trouve dans une relation d'autorité vis-à-vis de la
victime; victime;
c) en raison de la gravité des faits. c) en raison de la gravité des faits.
Le montant forfaitaire visé à l'alinéa 2, 2°, ne peut être accordé aux Le montant forfaitaire visé à l'alinéa 2, 2°, ne peut être accordé aux
personnes autres que celles visées à l'article 2, § 1er, qui entrent personnes autres que celles visées à l'article 2, § 1er, qui entrent
en contact avec les travailleurs lors de l'exécution de leur travail en contact avec les travailleurs lors de l'exécution de leur travail
lorsqu'elles agissent en dehors du cadre de leur activité lorsqu'elles agissent en dehors du cadre de leur activité
professionnelle. professionnelle.
La rémunération mensuelle brute de l'indépendant est calculée en La rémunération mensuelle brute de l'indépendant est calculée en
tenant compte des revenus professionnels bruts imposables indiqués tenant compte des revenus professionnels bruts imposables indiqués
dans la feuille de revenus la plus récente de l'impôt des personnes dans la feuille de revenus la plus récente de l'impôt des personnes
divisé par douze. divisé par douze.
La rémunération mensuelle brute servant de base à la fixation du La rémunération mensuelle brute servant de base à la fixation du
montant forfaitaire visé à l'alinéa 2, 2°, ne peut pas dépasser le montant forfaitaire visé à l'alinéa 2, 2°, ne peut pas dépasser le
montant des salaires mentionné à l'article 39 de la loi du 10 avril montant des salaires mentionné à l'article 39 de la loi du 10 avril
1971 sur les accidents du travail, divisé par douze ». 1971 sur les accidents du travail, divisé par douze ».
Cette disposition figure dans la sous-section 3 (« La protection des Cette disposition figure dans la sous-section 3 (« La protection des
travailleurs, des employeurs et des autres personnes qui se trouvent travailleurs, des employeurs et des autres personnes qui se trouvent
sur le lieu de travail contre la violence et le harcèlement moral ou sur le lieu de travail contre la violence et le harcèlement moral ou
sexuel au travail »), de la section 2 (« Dispositions spécifiques sexuel au travail »), de la section 2 (« Dispositions spécifiques
concernant la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail ») concernant la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail »)
du chapitre Vbis (« Dispositions spécifiques concernant la prévention du chapitre Vbis (« Dispositions spécifiques concernant la prévention
des risques psychosociaux au travail dont le stress, la violence et le des risques psychosociaux au travail dont le stress, la violence et le
harcèlement moral ou sexuel au travail ») de la loi du 4 août 1996. harcèlement moral ou sexuel au travail ») de la loi du 4 août 1996.
B.1.2. La violence au travail est définie comme visant chaque B.1.2. La violence au travail est définie comme visant chaque
situation de fait dans laquelle un travailleur ou une autre personne à situation de fait dans laquelle un travailleur ou une autre personne à
laquelle la section 2 (« Dispositions spécifiques concernant la laquelle la section 2 (« Dispositions spécifiques concernant la
violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail ») est violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail ») est
applicable, est menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors applicable, est menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors
de l'exécution du travail (article 32ter, alinéa 1er, 1°, de la loi du de l'exécution du travail (article 32ter, alinéa 1er, 1°, de la loi du
4 août 1996). 4 août 1996).
B.1.3. Le paragraphe 1/1 de l'article 32decies de la loi du 4 août B.1.3. Le paragraphe 1/1 de l'article 32decies de la loi du 4 août
1996 a été inséré dans cette disposition par la loi du 28 mars 2014 « 1996 a été inséré dans cette disposition par la loi du 28 mars 2014 «
modifiant le Code judiciaire et la loi du 4 août 1996 relative au modifiant le Code judiciaire et la loi du 4 août 1996 relative au
bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail en ce bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail en ce
qui concerne les procédures judiciaires » (ci-après : la loi du 28 qui concerne les procédures judiciaires » (ci-après : la loi du 28
mars 2014). mars 2014).
La loi du 28 mars 2014 a également modifié l'article 578, 11°, du Code La loi du 28 mars 2014 a également modifié l'article 578, 11°, du Code
judiciaire, qui dispose : judiciaire, qui dispose :
« Le tribunal du travail connaît : « Le tribunal du travail connaît :
[...] [...]
11° des contestations relatives aux risques psychosociaux au travail, 11° des contestations relatives aux risques psychosociaux au travail,
dont la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, qui dont la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, qui
sont fondées sur le chapitre Vbis de la loi du 4 août 1996 relative au sont fondées sur le chapitre Vbis de la loi du 4 août 1996 relative au
bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail ». bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail ».
Toutefois, la loi précitée n'a pas modifié l'article 578, 7°, du Code Toutefois, la loi précitée n'a pas modifié l'article 578, 7°, du Code
judiciaire. En vertu de cette disposition, qui n'est pas en cause, le judiciaire. En vertu de cette disposition, qui n'est pas en cause, le
tribunal du travail connaît « des contestations civiles résultant tribunal du travail connaît « des contestations civiles résultant
d'une infraction aux lois et arrêtés relatifs à la réglementation du d'une infraction aux lois et arrêtés relatifs à la réglementation du
travail et aux matières qui relèvent de la compétence du tribunal du travail et aux matières qui relèvent de la compétence du tribunal du
travail, sans préjudice de l'application des dispositions qui travail, sans préjudice de l'application des dispositions qui
attribuent cette compétence aux juridictions répressives lorsqu'elles attribuent cette compétence aux juridictions répressives lorsqu'elles
sont saisies de l'action publique ». sont saisies de l'action publique ».
B.1.4. Par la modification de l'article 32decies, le législateur a B.1.4. Par la modification de l'article 32decies, le législateur a
posé, à l'alinéa 1er du paragraphe 1/1, le principe de la compétence posé, à l'alinéa 1er du paragraphe 1/1, le principe de la compétence
du tribunal du travail pour connaître des demandes en réparation du du tribunal du travail pour connaître des demandes en réparation du
dommage matériel et moral résultant d'un acte de violence ou de dommage matériel et moral résultant d'un acte de violence ou de
harcèlement moral ou sexuel au travail. L'alinéa 2 du paragraphe 1/1 harcèlement moral ou sexuel au travail. L'alinéa 2 du paragraphe 1/1
porte sur la réparation du dommage que la victime a subi à la suite porte sur la réparation du dommage que la victime a subi à la suite
des comportements abusifs. Dans cet alinéa 2, le législateur a plus des comportements abusifs. Dans cet alinéa 2, le législateur a plus
précisément introduit la possibilité pour la victime d'un acte de précisément introduit la possibilité pour la victime d'un acte de
violence ou de harcèlement au travail de choisir entre, d'une part, violence ou de harcèlement au travail de choisir entre, d'une part,
une réparation du dommage réel, ce qui implique qu'elle doit apporter une réparation du dommage réel, ce qui implique qu'elle doit apporter
la preuve du dommage réellement subi par elle, et, d'autre part, une la preuve du dommage réellement subi par elle, et, d'autre part, une
indemnisation forfaitaire de son dommage (Doc. parl., Chambre, indemnisation forfaitaire de son dommage (Doc. parl., Chambre,
2013-2014, DOC 53-3101/001 et DOC 53-3102/001, pp. 7 et 71). 2013-2014, DOC 53-3101/001 et DOC 53-3102/001, pp. 7 et 71).
B.2.1. A propos de ce choix entre une réparation forfaitaire et une B.2.1. A propos de ce choix entre une réparation forfaitaire et une
réparation intégrale du dommage subi par la victime d'un acte de réparation intégrale du dommage subi par la victime d'un acte de
violence, de harcèlement moral ou sexuel au travail, les travaux violence, de harcèlement moral ou sexuel au travail, les travaux
préparatoires mentionnent : préparatoires mentionnent :
« [...] Il n'était pas prévu d'indemnité forfaitaire dans la loi pour « [...] Il n'était pas prévu d'indemnité forfaitaire dans la loi pour
réparer les dommages découlant de la violence ou du harcèlement. La réparer les dommages découlant de la violence ou du harcèlement. La
victime devait dès lors en vertu du droit commun apporter la preuve du victime devait dès lors en vertu du droit commun apporter la preuve du
dommage qu'elle avait réellement subi et du lien de causalité entre dommage qu'elle avait réellement subi et du lien de causalité entre
les comportements et le dommage. Or, il est généralement très les comportements et le dommage. Or, il est généralement très
difficile d'obtenir une réparation effective du dommage subi (surtout difficile d'obtenir une réparation effective du dommage subi (surtout
le dommage moral) en raison des problèmes de preuve inhérents à de le dommage moral) en raison des problèmes de preuve inhérents à de
telles actions. Le système du forfait résout ce problème de preuve et telles actions. Le système du forfait résout ce problème de preuve et
permet une économie substantielle de débats sur le montant de permet une économie substantielle de débats sur le montant de
l'indemnisation. l'indemnisation.
Introduire cette indemnisation forfaitaire a également pour avantage Introduire cette indemnisation forfaitaire a également pour avantage
de clarifier le montant auquel [lire : que] l'auteur de faits de de clarifier le montant auquel [lire : que] l'auteur de faits de
harcèlement serait condamné à payer, avec l'espoir que cela ait un harcèlement serait condamné à payer, avec l'espoir que cela ait un
effet dissuasif sur cet auteur. Jusqu'ici, les juges décidaient du effet dissuasif sur cet auteur. Jusqu'ici, les juges décidaient du
montant de l'indemnisation ex aequo et bono. Certains d'ailleurs ont montant de l'indemnisation ex aequo et bono. Certains d'ailleurs ont
utilisé erronément le forfait prévu dans le cadre de l'article utilisé erronément le forfait prévu dans le cadre de l'article
32tredecies précité (c.-à-d. le dédommagement en cas de violation de 32tredecies précité (c.-à-d. le dédommagement en cas de violation de
la protection contre le licenciement) pour réparer les dommages la protection contre le licenciement) pour réparer les dommages
découlant de la violence ou du harcèlement » (ibid., p. 72). découlant de la violence ou du harcèlement » (ibid., p. 72).
B.2.2. En commission, la ministre a précisé : B.2.2. En commission, la ministre a précisé :
« En ce qui concerne le but visé par le forfait, [...] : « En ce qui concerne le but visé par le forfait, [...] :
- il doit être suffisamment dissuasif; - il doit être suffisamment dissuasif;
- il doit faciliter l'administration de la charge de la preuve - il doit faciliter l'administration de la charge de la preuve
relative au préjudice, lorsque les faits sont établis. Si aucun relative au préjudice, lorsque les faits sont établis. Si aucun
forfait n'était prévu, la victime devrait prouver de manière très forfait n'était prévu, la victime devrait prouver de manière très
circonstanciée le préjudice subi et démontrer l'existence d'un lien de circonstanciée le préjudice subi et démontrer l'existence d'un lien de
cause à effet entre les faits et le préjudice » (Doc. parl., Sénat, cause à effet entre les faits et le préjudice » (Doc. parl., Sénat,
2013-2014, n° 5-2468/2, p. 5). 2013-2014, n° 5-2468/2, p. 5).
B.2.3. Il ressort également des travaux préparatoires qu'en permettant B.2.3. Il ressort également des travaux préparatoires qu'en permettant
un dédommagement forfaitaire de la victime d'un acte de violence ou de un dédommagement forfaitaire de la victime d'un acte de violence ou de
harcèlement moral ou sexuel au travail, le législateur a souhaité harcèlement moral ou sexuel au travail, le législateur a souhaité
harmoniser la législation sur le bien-être au travail avec la harmoniser la législation sur le bien-être au travail avec la
législation relative à la lutte contre les discriminations, qui législation relative à la lutte contre les discriminations, qui
prévoit des cas de dédommagement forfaitaire de la victime (Doc. prévoit des cas de dédommagement forfaitaire de la victime (Doc.
parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3101/001 et DOC 53-3102/001, p. 12). parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3101/001 et DOC 53-3102/001, p. 12).
Quant aux questions préjudicielles Quant aux questions préjudicielles
B.3. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité de la B.3. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité de la
disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution,
combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des
droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle la victime droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle la victime
d'un acte de violence au travail peut opérer un choix entre une d'un acte de violence au travail peut opérer un choix entre une
réparation intégrale et une réparation forfaitaire de son dommage réparation intégrale et une réparation forfaitaire de son dommage
uniquement devant les juridictions du travail, à l'exclusion des uniquement devant les juridictions du travail, à l'exclusion des
juridictions pénales, devant lesquelles des poursuites pénales peuvent juridictions pénales, devant lesquelles des poursuites pénales peuvent
être engagées pour les mêmes faits et devant lesquelles la victime être engagées pour les mêmes faits et devant lesquelles la victime
peut se constituer partie civile. peut se constituer partie civile.
B.4 Il ressort des décisions de renvoi que la juridiction a quo déduit B.4 Il ressort des décisions de renvoi que la juridiction a quo déduit
de l'article 3 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle de l'article 3 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle
et de l'article 578, 7°, du Code judiciaire que les juridictions et de l'article 578, 7°, du Code judiciaire que les juridictions
répressives sont compétentes pour connaître de faits de violence au répressives sont compétentes pour connaître de faits de violence au
travail commis en infraction à la loi du 4 août 1996, et pour statuer travail commis en infraction à la loi du 4 août 1996, et pour statuer
sur l'action civile y relative. sur l'action civile y relative.
Par ailleurs, la juridiction a quo interprète la disposition en cause Par ailleurs, la juridiction a quo interprète la disposition en cause
comme s'appliquant uniquement aux tribunaux du travail, de sorte que comme s'appliquant uniquement aux tribunaux du travail, de sorte que
les juridictions répressives ne peuvent pas, dans cette les juridictions répressives ne peuvent pas, dans cette
interprétation, accorder une indemnisation forfaitaire à la victime interprétation, accorder une indemnisation forfaitaire à la victime
d'un acte de violence au travail sur la base de la disposition en d'un acte de violence au travail sur la base de la disposition en
cause. cause.
B.5. C'est dans cette interprétation que la Cour examine si la B.5. C'est dans cette interprétation que la Cour examine si la
disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la
Constitution. Constitution.
B.6. Dans l'interprétation retenue par la juridiction a quo, la B.6. Dans l'interprétation retenue par la juridiction a quo, la
disposition en cause fait naître une différence de traitement entre, disposition en cause fait naître une différence de traitement entre,
d'une part, la personne qui demande la réparation de son dommage d'une part, la personne qui demande la réparation de son dommage
résultant d'un acte de violence au travail devant une juridiction du résultant d'un acte de violence au travail devant une juridiction du
travail et, d'autre part, la personne qui demande la réparation du travail et, d'autre part, la personne qui demande la réparation du
même dommage devant une juridiction répressive dans le cadre d'une même dommage devant une juridiction répressive dans le cadre d'une
constitution de partie civile. constitution de partie civile.
Tandis que la première peut solliciter une réparation forfaitaire de Tandis que la première peut solliciter une réparation forfaitaire de
son dommage sur la base de la disposition en cause, ce qui la dispense son dommage sur la base de la disposition en cause, ce qui la dispense
de prouver l'étendue de son dommage, la seconde doit démontrer de prouver l'étendue de son dommage, la seconde doit démontrer
l'étendue de son dommage réel pour obtenir une réparation. Or, comme l'étendue de son dommage réel pour obtenir une réparation. Or, comme
il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.1, il est très il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.1, il est très
difficile pour une victime d'un acte de violence au travail de prouver difficile pour une victime d'un acte de violence au travail de prouver
l'étendue de son dommage, surtout lorsqu'il s'agit d'un dommage moral. l'étendue de son dommage, surtout lorsqu'il s'agit d'un dommage moral.
B.7. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas B.7. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas
qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de
personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et
qu'elle soit raisonnablement justifiée. qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant
compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la
nature des principes en cause; le principe d'égalité et de nature des principes en cause; le principe d'égalité et de
non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas
de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés
et le but visé. et le but visé.
B.8.1. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.1 à B.2.3 B.8.1. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.1 à B.2.3
qu'en offrant à la victime d'un acte de violence au travail la qu'en offrant à la victime d'un acte de violence au travail la
possibilité d'opter pour une réparation forfaitaire de son dommage possibilité d'opter pour une réparation forfaitaire de son dommage
plutôt que pour une réparation intégrale qui requiert qu'elle démontre plutôt que pour une réparation intégrale qui requiert qu'elle démontre
au préalable l'étendue du dommage qu'elle a réellement subi, le au préalable l'étendue du dommage qu'elle a réellement subi, le
législateur a voulu alléger la charge de la preuve de la victime, législateur a voulu alléger la charge de la preuve de la victime,
réduire le nombre de contestations relatives au montant de réduire le nombre de contestations relatives au montant de
l'indemnisation et créer un effet dissuasif sur l'auteur des faits. l'indemnisation et créer un effet dissuasif sur l'auteur des faits.
Enfin, il a également voulu harmoniser la législation sur le bien-être Enfin, il a également voulu harmoniser la législation sur le bien-être
au travail avec la législation relative à la lutte contre les au travail avec la législation relative à la lutte contre les
discriminations. discriminations.
B.8.2. Dans son mémoire, le Conseil des ministres indique que la B.8.2. Dans son mémoire, le Conseil des ministres indique que la
modification de la disposition en cause par la loi du 28 mars 2014 n'a modification de la disposition en cause par la loi du 28 mars 2014 n'a
pas eu pour objet de modifier les compétences respectives des pas eu pour objet de modifier les compétences respectives des
juridictions du travail et des juridictions pénales pour connaître juridictions du travail et des juridictions pénales pour connaître
d'une demande d'indemnisation d'une victime d'un acte de violence au d'une demande d'indemnisation d'une victime d'un acte de violence au
travail. travail.
B.8.3. En conséquence, puisque le législateur a voulu laisser intacte B.8.3. En conséquence, puisque le législateur a voulu laisser intacte
la possibilité pour la victime d'un acte de violence au travail de la possibilité pour la victime d'un acte de violence au travail de
demander la réparation de son dommage devant les juridictions pénales, demander la réparation de son dommage devant les juridictions pénales,
il est dénué de pertinence, eu égard aux objectifs poursuivis par la il est dénué de pertinence, eu égard aux objectifs poursuivis par la
disposition en cause, d'accorder à cette victime la possibilité disposition en cause, d'accorder à cette victime la possibilité
d'opter pour une réparation forfaitaire uniquement devant les d'opter pour une réparation forfaitaire uniquement devant les
juridictions du travail et non également devant les juridictions juridictions du travail et non également devant les juridictions
pénales. Les motifs mentionnés en B.8.1 sont en effet tout aussi pénales. Les motifs mentionnés en B.8.1 sont en effet tout aussi
valables pour l'introduction d'une demande d'indemnisation devant une valables pour l'introduction d'une demande d'indemnisation devant une
juridiction pénale que devant une juridiction du travail. juridiction pénale que devant une juridiction du travail.
B.9. Dans cette interprétation, la disposition en cause n'est pas B.9. Dans cette interprétation, la disposition en cause n'est pas
compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.10.1. A l'instar du Conseil des ministres, la Cour constate qu'une B.10.1. A l'instar du Conseil des ministres, la Cour constate qu'une
autre interprétation de la disposition en cause est possible. Celle-ci autre interprétation de la disposition en cause est possible. Celle-ci
peut en effet être interprétée comme permettant à la victime d'un acte peut en effet être interprétée comme permettant à la victime d'un acte
de violence au travail de demander également devant le juge pénal une de violence au travail de demander également devant le juge pénal une
indemnité forfaitaire sur la base de la disposition en cause. indemnité forfaitaire sur la base de la disposition en cause.
B.10.2. Dans cette interprétation, la disposition en cause est B.10.2. Dans cette interprétation, la disposition en cause est
compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.11. Le contrôle au regard de l'article 6 de la Convention européenne B.11. Le contrôle au regard de l'article 6 de la Convention européenne
des droits de l'homme, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de des droits de l'homme, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de
la Constitution, ne conduit pas à une autre conclusion. la Constitution, ne conduit pas à une autre conclusion.
Par ces motifs, Par ces motifs,
la Cour la Cour
dit pour droit : dit pour droit :
- L'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au - L'article 32decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 « relative au
bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail » viole bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail » viole
les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non
avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme,
dans l'interprétation selon laquelle il ne permet pas aux juridictions dans l'interprétation selon laquelle il ne permet pas aux juridictions
répressives d'accorder aux victimes d'un acte de violence au travail répressives d'accorder aux victimes d'un acte de violence au travail
l'indemnité forfaitaire qu'il prévoit. l'indemnité forfaitaire qu'il prévoit.
- La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la - La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la
Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la
Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation
selon laquelle elle permet aux juridictions répressives d'accorder aux selon laquelle elle permet aux juridictions répressives d'accorder aux
victimes d'un acte de violence au travail l'indemnité forfaitaire victimes d'un acte de violence au travail l'indemnité forfaitaire
qu'elle prévoit. qu'elle prévoit.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise,
conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur
la Cour constitutionnelle, le 19 janvier 2023. la Cour constitutionnelle, le 19 janvier 2023.
Le greffier, Le greffier,
P.-Y. Dutilleux P.-Y. Dutilleux
Le président f.f., Le président f.f.,
T. Giet T. Giet
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