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Extrait de l'arrêt n° 135/2018 du 11 octobre 2018 Numéro du rôle : 6744 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 851 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de commerce de Liège, division Liège. La Cour constitutionnelle composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman,(...) Extrait de l'arrêt n° 135/2018 du 11 octobre 2018 Numéro du rôle : 6744 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 851 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de commerce de Liège, division Liège. La Cour constitutionnelle composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman,(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 135/2018 du 11 octobre 2018 Extrait de l'arrêt n° 135/2018 du 11 octobre 2018
Numéro du rôle : 6744 Numéro du rôle : 6744
En cause : la question préjudicielle relative à l'article 851 du Code En cause : la question préjudicielle relative à l'article 851 du Code
judiciaire, posée par le Tribunal de commerce de Liège, division judiciaire, posée par le Tribunal de commerce de Liège, division
Liège. Liège.
La Cour constitutionnelle, La Cour constitutionnelle,
composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen,
J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P.
Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut,
présidée par le président F. Daoût, présidée par le président F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 6 octobre 2017 en cause de G.J. et M.B. contre la SNC Par jugement du 6 octobre 2017 en cause de G.J. et M.B. contre la SNC
« Groupinvest-Liège » en liquidation et autres, dont l'expédition est « Groupinvest-Liège » en liquidation et autres, dont l'expédition est
parvenue au greffe de la Cour le 16 octobre 2017, le Tribunal de parvenue au greffe de la Cour le 16 octobre 2017, le Tribunal de
commerce de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle commerce de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle
suivante : suivante :
« L'article 851 du Code judiciaire viole-t-il les principes « L'article 851 du Code judiciaire viole-t-il les principes
constitutionnels d'égalité et de non-discrimination en ce qu'il a pour constitutionnels d'égalité et de non-discrimination en ce qu'il a pour
conséquence de traiter différemment un défendeur belge opposé à un conséquence de traiter différemment un défendeur belge opposé à un
demandeur étranger et un défendeur belge opposé à un demandeur belge, demandeur étranger et un défendeur belge opposé à un demandeur belge,
établi à l'étranger, qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni établi à l'étranger, qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni
patrimoine, de sorte que le défendeur belge ne dispose d'aucune patrimoine, de sorte que le défendeur belge ne dispose d'aucune
garantie que ce demandeur pourra faire face à une condamnation garantie que ce demandeur pourra faire face à une condamnation
prononcée contre lui ? ». prononcée contre lui ? ».
(...) (...)
III. En droit III. En droit
(...) (...)
Quant à la disposition en cause et à son contexte Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L'article 851 du Code judiciaire dispose : B.1. L'article 851 du Code judiciaire dispose :
« Sauf le cas de conventions par lesquelles des Etats auraient stipulé « Sauf le cas de conventions par lesquelles des Etats auraient stipulé
pour leurs ressortissants la dispense de la caution judicatum solvi, pour leurs ressortissants la dispense de la caution judicatum solvi,
tous étrangers, demandeurs principaux ou intervenants, sont tenus, si tous étrangers, demandeurs principaux ou intervenants, sont tenus, si
le défendeur belge le requiert avant toute exception, de fournir le défendeur belge le requiert avant toute exception, de fournir
caution, de payer les frais et dommages-intérêts résultant du procès, caution, de payer les frais et dommages-intérêts résultant du procès,
auxquels ils peuvent être condamnés. Le défendeur peut requérir que auxquels ils peuvent être condamnés. Le défendeur peut requérir que
caution soit fournie, même pour la première fois, en cause d'appel, caution soit fournie, même pour la première fois, en cause d'appel,
s'il est intimé ». s'il est intimé ».
Cette disposition doit être lue conjointement avec l'article 852 du Cette disposition doit être lue conjointement avec l'article 852 du
Code judiciaire qui dispose : Code judiciaire qui dispose :
« Le jugement qui ordonne la caution fixe la somme jusqu'à concurrence « Le jugement qui ordonne la caution fixe la somme jusqu'à concurrence
de laquelle elle est fournie. Il peut aussi remplacer la caution par de laquelle elle est fournie. Il peut aussi remplacer la caution par
toute autre sûreté. Le demandeur est dispensé de fournir la sûreté toute autre sûreté. Le demandeur est dispensé de fournir la sûreté
demandée s'il consigne la somme fixée, s'il justifie que ses immeubles demandée s'il consigne la somme fixée, s'il justifie que ses immeubles
situés en Belgique sont suffisants pour en répondre ou s'il fournit un situés en Belgique sont suffisants pour en répondre ou s'il fournit un
gage conformément à l'article 2041 du Code civil. Au cours de gage conformément à l'article 2041 du Code civil. Au cours de
l'instance, à la demande d'une partie, le tribunal peut modifier l'instance, à la demande d'une partie, le tribunal peut modifier
l'importance de la somme ou la nature de la sûreté fournie ». l'importance de la somme ou la nature de la sûreté fournie ».
Ces dispositions font partie de la section première « Exception de la Ces dispositions font partie de la section première « Exception de la
caution de l'étranger demandeur » du chapitre VII du Code judiciaire « caution de l'étranger demandeur » du chapitre VII du Code judiciaire «
Les exceptions ». Les exceptions ».
B.2.1. Les travaux préparatoires du Code judiciaire mentionnent : B.2.1. Les travaux préparatoires du Code judiciaire mentionnent :
« L'exception de la caution de l'étranger demandeur (art. 851 et 852) « L'exception de la caution de l'étranger demandeur (art. 851 et 852)
a été maintenue, tout au moins à l'égard des pays avec lesquels nous a été maintenue, tout au moins à l'égard des pays avec lesquels nous
n'avons pas conclu de traité. Cette caution est d'ailleurs exigée par n'avons pas conclu de traité. Cette caution est d'ailleurs exigée par
la plupart de nos voisins immédiats et même des pays tels que le la plupart de nos voisins immédiats et même des pays tels que le
Canada l'ont maintenue. Canada l'ont maintenue.
Le texte proposé permet une application très souple : l'article 852 Le texte proposé permet une application très souple : l'article 852
prévoit que le demandeur peut être dispensé de fournir une sûreté prévoit que le demandeur peut être dispensé de fournir une sûreté
lorsqu'il justifie que ses immeubles, situés en Belgique, sont lorsqu'il justifie que ses immeubles, situés en Belgique, sont
suffisants pour répondre des frais du procès. La caution a pour but de suffisants pour répondre des frais du procès. La caution a pour but de
garantir le paiement des frais de justice que le défendeur devra garantir le paiement des frais de justice que le défendeur devra
exposer pour assurer sa défense. Elle ne peut pas être ordonnée exposer pour assurer sa défense. Elle ne peut pas être ordonnée
lorsque la procédure ne comporte pas de frais » (Exposé des motifs du lorsque la procédure ne comporte pas de frais » (Exposé des motifs du
projet de loi contenant le Code judiciaire, Doc. parl., Sénat, projet de loi contenant le Code judiciaire, Doc. parl., Sénat,
1963-1964, n° 60, p. 206, (rapport Van Reepinghen)). 1963-1964, n° 60, p. 206, (rapport Van Reepinghen)).
B.2.2. En réponse à une question parlementaire, le ministre de la B.2.2. En réponse à une question parlementaire, le ministre de la
Justice a exposé : Justice a exposé :
« La ratio legis de cette disposition est d'éviter qu'un étranger « La ratio legis de cette disposition est d'éviter qu'un étranger
condamné à des dommages-intérêts par un juge belge échappe à condamné à des dommages-intérêts par un juge belge échappe à
l'exécution du jugement parce qu'il disparaît sans que l'on puisse l'exécution du jugement parce qu'il disparaît sans que l'on puisse
suivre sa trace, parce qu'il n'a pas de biens saisissables en Belgique suivre sa trace, parce qu'il n'a pas de biens saisissables en Belgique
ou parce que la loi de son pays ne reconnaît pas les jugements rendus ou parce que la loi de son pays ne reconnaît pas les jugements rendus
en Belgique (voir Rouard, P., Traité élémentaire de droit judiciaire en Belgique (voir Rouard, P., Traité élémentaire de droit judiciaire
privé, III, Bruxelles, Bruylant, 1977, n° 513). privé, III, Bruxelles, Bruylant, 1977, n° 513).
Il ne m'appartient pas de me substituer aux cours et tribunaux pour Il ne m'appartient pas de me substituer aux cours et tribunaux pour
apprécier si la disposition précitée est ou non compatible avec la apprécier si la disposition précitée est ou non compatible avec la
Convention européenne des droits de l'homme. On peut cependant Convention européenne des droits de l'homme. On peut cependant
observer que la doctrine (L. Walleyn, note sub tribunal de Bruxelles, observer que la doctrine (L. Walleyn, note sub tribunal de Bruxelles,
25 septembre 1996, « Tijdschrift voor Vreemdelingenrecht », 1996, pp. 25 septembre 1996, « Tijdschrift voor Vreemdelingenrecht », 1996, pp.
374-375 et références citées) est d'avis que l'imposition d'une 374-375 et références citées) est d'avis que l'imposition d'une
caution est contraire aux articles 6 à 14 de la convention précitée. caution est contraire aux articles 6 à 14 de la convention précitée.
Un certain nombre d'arguments plaident par ailleurs en faveur de Un certain nombre d'arguments plaident par ailleurs en faveur de
l'abrogation des articles 851 et 852 (qui précise les modalités l'abrogation des articles 851 et 852 (qui précise les modalités
d'application de l'article 851) du Code judiciaire : d'application de l'article 851) du Code judiciaire :
1. L'article 851 précité et les nombreuses conventions internationales 1. L'article 851 précité et les nombreuses conventions internationales
auxquelles la Belgique est partie génèrent une discrimination entre, auxquelles la Belgique est partie génèrent une discrimination entre,
d'une part, les Belges et les étrangers ressortissants d'Etats avec d'une part, les Belges et les étrangers ressortissants d'Etats avec
lesquels la Belgique est liée par de telles conventions et les autres lesquels la Belgique est liée par de telles conventions et les autres
étrangers, d'autre part. étrangers, d'autre part.
Même au regard de la ratio legis de l'article 851 précité, il est Même au regard de la ratio legis de l'article 851 précité, il est
difficilement justifiable qu'un étranger résidant depuis longtemps en difficilement justifiable qu'un étranger résidant depuis longtemps en
Belgique ait un statut moins favorable qu'un Belge résidant depuis Belgique ait un statut moins favorable qu'un Belge résidant depuis
longtemps à l'étranger (voir Rouard, P., op. cit., n° 512). longtemps à l'étranger (voir Rouard, P., op. cit., n° 512).
2. La ratio legis de la disposition a perdu de sa pertinence avec la 2. La ratio legis de la disposition a perdu de sa pertinence avec la
mondialisation de l'économie ainsi qu'avec le développement des moyens mondialisation de l'économie ainsi qu'avec le développement des moyens
de communication et de la mobilité. de communication et de la mobilité.
3. Les articles 851 et 852 du Code judiciaire contiennent, par 3. Les articles 851 et 852 du Code judiciaire contiennent, par
eux-mêmes, des limites strictes à la possibilité d'invoquer eux-mêmes, des limites strictes à la possibilité d'invoquer
l'exception de cautio iudicatum solvi. Ces limites, combinées avec les l'exception de cautio iudicatum solvi. Ces limites, combinées avec les
nombreuses conventions multilatérales et bilatérales auxquelles la nombreuses conventions multilatérales et bilatérales auxquelles la
Belgique est partie, ont pour effet de restreindre le champ Belgique est partie, ont pour effet de restreindre le champ
d'application de ces dispositions dans une mesure telle que le d'application de ces dispositions dans une mesure telle que le
maintien desdites dispositions n'a plus de sens. maintien desdites dispositions n'a plus de sens.
4. L'abrogation des articles précités permet également de prévenir une 4. L'abrogation des articles précités permet également de prévenir une
éventuelle action qui serait introduite devant la Cour européenne des éventuelle action qui serait introduite devant la Cour européenne des
droits de l'homme. droits de l'homme.
Si aucune initiative parlementaire n'est prise en la matière, je Si aucune initiative parlementaire n'est prise en la matière, je
serais disposé à déposer un projet de loi portant abrogation des serais disposé à déposer un projet de loi portant abrogation des
articles 851 et 852 du Code judiciaire » (Question parlementaire n° articles 851 et 852 du Code judiciaire » (Question parlementaire n°
459 du 17 février 2000, Bull. questions et réponses, Sénat, 1999-2000, 459 du 17 février 2000, Bull. questions et réponses, Sénat, 1999-2000,
n° 2-12). n° 2-12).
B.3. Selon la Cour de cassation, « l'article 851 du Code judiciaire a B.3. Selon la Cour de cassation, « l'article 851 du Code judiciaire a
pour objet de prémunir le justiciable belge contre les pertes pour objet de prémunir le justiciable belge contre les pertes
pécuniaires que peut lui faire subir, par un procès sans fondement, un pécuniaires que peut lui faire subir, par un procès sans fondement, un
étranger n'offrant pas de garanties en Belgique pour assurer le étranger n'offrant pas de garanties en Belgique pour assurer le
payement des frais et des dommages et intérêts auxquels il serait payement des frais et des dommages et intérêts auxquels il serait
condamné » (Cass. 10 septembre 1987, Pas. 1988, I, n° 20). condamné » (Cass. 10 septembre 1987, Pas. 1988, I, n° 20).
B.4. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé : B.4. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé :
« L'article 6, premier alinéa, du traité CE doit être interprété en ce « L'article 6, premier alinéa, du traité CE doit être interprété en ce
sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre exige le versement d'une sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre exige le versement d'une
cautio judicatum solvi d'un ressortissant d'un autre Etat membre qui cautio judicatum solvi d'un ressortissant d'un autre Etat membre qui
est également ressortissant d'un pays tiers, dans lequel il a son est également ressortissant d'un pays tiers, dans lequel il a son
domicile, quand ce ressortissant, qui n'a ni domicile ni biens dans le domicile, quand ce ressortissant, qui n'a ni domicile ni biens dans le
premier Etat membre, a introduit, devant l'une de ses juridictions premier Etat membre, a introduit, devant l'une de ses juridictions
civiles, un recours en sa qualité d'actionnaire à l'encontre d'une civiles, un recours en sa qualité d'actionnaire à l'encontre d'une
société y établie, lorsqu'une telle exigence n'est pas imposée à ses société y établie, lorsqu'une telle exigence n'est pas imposée à ses
propres ressortissants qui n'y possèdent ni biens ni domicile » (CJCE, propres ressortissants qui n'y possèdent ni biens ni domicile » (CJCE,
2 octobre 1997, C-122/96, Stephen Austin Saldanha et MTS Securities 2 octobre 1997, C-122/96, Stephen Austin Saldanha et MTS Securities
Corporation et Hiross Holding AG, dispositif). Corporation et Hiross Holding AG, dispositif).
Il s'ensuit que les ressortissants des Etats membres de l'Union Il s'ensuit que les ressortissants des Etats membres de l'Union
européenne doivent être assimilés, sur la base du principe européenne doivent être assimilés, sur la base du principe
d'équivalence des modalités procédurales nationales, aux Belges, aussi d'équivalence des modalités procédurales nationales, aux Belges, aussi
bien en tant que demandeurs que défendeurs en justice. En tant que bien en tant que demandeurs que défendeurs en justice. En tant que
demandeurs, ils ne sont donc pas soumis à l'obligation de fournir demandeurs, ils ne sont donc pas soumis à l'obligation de fournir
caution; en tant que défendeurs, ils peuvent le requérir de demandeurs caution; en tant que défendeurs, ils peuvent le requérir de demandeurs
qui sont des ressortissants d'Etats qui ne sont pas membres de l'Union qui sont des ressortissants d'Etats qui ne sont pas membres de l'Union
européenne. européenne.
Quant à la question préjudicielle et à sa recevabilité Quant à la question préjudicielle et à sa recevabilité
B.5. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de B.5. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de
l'article 851 du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la l'article 851 du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la
Constitution en qu'il a pour conséquence de traiter différemment les Constitution en qu'il a pour conséquence de traiter différemment les
défendeurs belges selon qu'ils sont opposés, d'une part, à un défendeurs belges selon qu'ils sont opposés, d'une part, à un
demandeur étranger et, d'autre part, à un demandeur belge, établi à demandeur étranger et, d'autre part, à un demandeur belge, établi à
l'étranger, qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni patrimoine. l'étranger, qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni patrimoine.
B.6. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle B.6. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle
n'appelle pas de réponse dès lors que l'article 851 du Code judiciaire n'appelle pas de réponse dès lors que l'article 851 du Code judiciaire
ne s'applique pas au cas soumis à la juridiction a quo. ne s'applique pas au cas soumis à la juridiction a quo.
C'est en règle à la juridiction qui interroge la Cour qu'il appartient C'est en règle à la juridiction qui interroge la Cour qu'il appartient
d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la
solution du litige qu'elle doit trancher. C'est uniquement lorsque ce solution du litige qu'elle doit trancher. C'est uniquement lorsque ce
n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la
question n'appelle pas de réponse. question n'appelle pas de réponse.
La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la
disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution en disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution en
ce qu'elle permet à un défendeur belge de demander de fournir caution, ce qu'elle permet à un défendeur belge de demander de fournir caution,
dans les conditions qu'elle prévoit, aux demandeurs principaux ou dans les conditions qu'elle prévoit, aux demandeurs principaux ou
intervenants s'ils sont étrangers et qu'elle ne prévoit pas la même intervenants s'ils sont étrangers et qu'elle ne prévoit pas la même
possibilité si le demandeur principal ou intervenant est un Belge possibilité si le demandeur principal ou intervenant est un Belge
établi à l'étranger qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni établi à l'étranger qui ne dispose en Belgique d'aucun bien ni
patrimoine, offrant ainsi aux défendeurs belges opposés à un demandeur patrimoine, offrant ainsi aux défendeurs belges opposés à un demandeur
étranger une garantie dont ne disposent pas les défendeurs belges étranger une garantie dont ne disposent pas les défendeurs belges
opposés à un demandeur belge établi à l'étranger qui ne dispose en opposés à un demandeur belge établi à l'étranger qui ne dispose en
Belgique d'aucun bien ni patrimoine. La différence de traitement Belgique d'aucun bien ni patrimoine. La différence de traitement
dénoncée trouve donc son origine dans la disposition en cause. dénoncée trouve donc son origine dans la disposition en cause.
Dès lors qu'il apparaît que la réponse à la question préjudicielle Dès lors qu'il apparaît que la réponse à la question préjudicielle
n'est pas manifestement inutile à la solution du litige pendant devant n'est pas manifestement inutile à la solution du litige pendant devant
le juge qui interroge la Cour, cette question préjudicielle appelle le juge qui interroge la Cour, cette question préjudicielle appelle
une réponse de la Cour. une réponse de la Cour.
B.7. En prévoyant l'obligation de fournir caution, dans les conditions B.7. En prévoyant l'obligation de fournir caution, dans les conditions
qu'elle prévoit, pour les demandeurs étrangers, principaux ou qu'elle prévoit, pour les demandeurs étrangers, principaux ou
intervenants, sauf le cas de conventions par lesquelles des Etats intervenants, sauf le cas de conventions par lesquelles des Etats
auraient stipulé pour leurs ressortissants la dispense de la caution auraient stipulé pour leurs ressortissants la dispense de la caution
judicatum solvi, et en ne prévoyant pas la même obligation pour les judicatum solvi, et en ne prévoyant pas la même obligation pour les
demandeurs belges, principaux ou intervenants, établis à l'étranger demandeurs belges, principaux ou intervenants, établis à l'étranger
qui ne disposent en Belgique d'aucun bien ni patrimoine, la qui ne disposent en Belgique d'aucun bien ni patrimoine, la
disposition en cause crée une différence de traitement entre ces disposition en cause crée une différence de traitement entre ces
demandeurs et, par voie de conséquence, entre les défendeurs belges demandeurs et, par voie de conséquence, entre les défendeurs belges
qui sont opposés à ces deux catégories de demandeurs. qui sont opposés à ces deux catégories de demandeurs.
B.8. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas B.8. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas
qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de
personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et
qu'elle soit raisonnablement justifiée. qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant
compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la
nature des principes en cause; le principe d'égalité et de nature des principes en cause; le principe d'égalité et de
non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas
de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés
et le but visé. et le but visé.
B.9. La différence de traitement en cause repose sur le critère de la B.9. La différence de traitement en cause repose sur le critère de la
nationalité du demandeur. Un tel critère est objectif. La Cour doit nationalité du demandeur. Un tel critère est objectif. La Cour doit
toutefois encore examiner si cette différence de traitement est fondée toutefois encore examiner si cette différence de traitement est fondée
sur un critère pertinent et si elle n'emporte pas des effets sur un critère pertinent et si elle n'emporte pas des effets
disproportionnés. disproportionnés.
Il convient à cet égard de tenir particulièrement compte du droit Il convient à cet égard de tenir particulièrement compte du droit
d'accès au juge qui doit être garanti à chacun dans le respect des d'accès au juge qui doit être garanti à chacun dans le respect des
articles 10 et 11 de la Constitution et qui est consacré notamment par articles 10 et 11 de la Constitution et qui est consacré notamment par
l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.10.1. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 6 de B.10.1. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 6 de
la Convention européenne des droits de l'homme garantit « le ' droit à la Convention européenne des droits de l'homme garantit « le ' droit à
un tribunal ', dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir un un tribunal ', dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir un
tribunal en matière civile, constitue un aspect. Ce droit n'est pas tribunal en matière civile, constitue un aspect. Ce droit n'est pas
absolu; il se prête à des limitations implicitement admises car il absolu; il se prête à des limitations implicitement admises car il
commande de par sa nature même une réglementation de l'Etat. commande de par sa nature même une réglementation de l'Etat.
Toutefois, alors que les Etats contractants jouissent d'une certaine Toutefois, alors que les Etats contractants jouissent d'une certaine
marge d'appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer marge d'appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer
en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention
(Kreuz c. Pologne, 19 juin 2001, § 53, et V.M. c. Bulgarie, 45723/99, (Kreuz c. Pologne, 19 juin 2001, § 53, et V.M. c. Bulgarie, 45723/99,
§ 41, 8 juin 2006) » (CEDH, 15 septembre 2015, Mogielnicki c. Pologne, § 41, 8 juin 2006) » (CEDH, 15 septembre 2015, Mogielnicki c. Pologne,
§ 47). § 47).
Ce droit peut faire l'objet de limitations, y compris de nature Ce droit peut faire l'objet de limitations, y compris de nature
financière, pour autant que ces limitations ne portent pas atteinte à financière, pour autant que ces limitations ne portent pas atteinte à
son essence même. La Cour européenne des droits de l'homme vérifie son essence même. La Cour européenne des droits de l'homme vérifie
ainsi « si les limitations appliquées n'avaient pas restreint l'accès ainsi « si les limitations appliquées n'avaient pas restreint l'accès
ouvert au justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit ouvert au justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit
s'en était trouvé atteint dans sa substance même » (CEDH, 15 septembre s'en était trouvé atteint dans sa substance même » (CEDH, 15 septembre
2015, Mogielnicki c. Pologne, § 49). 2015, Mogielnicki c. Pologne, § 49).
B.10.2. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà admis qu'une B.10.2. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà admis qu'une
caution judicatum solvi poursuit un but légitime lié à une bonne caution judicatum solvi poursuit un but légitime lié à une bonne
administration de la justice. Elle a ainsi estimé que « l'ordonnance administration de la justice. Elle a ainsi estimé que « l'ordonnance
prescrivant le versement d'une caution judicatum solvi poursuivait prescrivant le versement d'une caution judicatum solvi poursuivait
clairement un but légitime : éviter que [le défendeur] ne se trouvât clairement un but légitime : éviter que [le défendeur] ne se trouvât
confronté à l'impossibilité de recouvrer ses frais de justice si le confronté à l'impossibilité de recouvrer ses frais de justice si le
requérant venait à succomber en appel. Ce point n'est pas controversé. requérant venait à succomber en appel. Ce point n'est pas controversé.
Par ailleurs, la cour d'appel ayant aussi tenu compte de l'absence de Par ailleurs, la cour d'appel ayant aussi tenu compte de l'absence de
chances de succès de l'appel du requérant, la mesure peut aussi chances de succès de l'appel du requérant, la mesure peut aussi
passer, comme le fait valoir le Gouvernement, pour avoir été imposée passer, comme le fait valoir le Gouvernement, pour avoir été imposée
dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice » (CEDH, 13 dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice » (CEDH, 13
juillet 1995, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, § 61). La Cour juillet 1995, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, § 61). La Cour
européenne ne peut donc pas « partager l'avis du requérant selon européenne ne peut donc pas « partager l'avis du requérant selon
lequel la caution judicatum solvi atteignait dans sa substance même lequel la caution judicatum solvi atteignait dans sa substance même
son droit d'accès à un tribunal et était disproportionnée aux fins de son droit d'accès à un tribunal et était disproportionnée aux fins de
l'article 6 » (ibid., § 62). l'article 6 » (ibid., § 62).
B.11. Le critère de la nationalité, sur lequel repose la différence de B.11. Le critère de la nationalité, sur lequel repose la différence de
traitement établie par la disposition en cause, n'est toutefois pas traitement établie par la disposition en cause, n'est toutefois pas
pertinent au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, à pertinent au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, à
savoir garantir au défendeur le paiement des frais de justice et des savoir garantir au défendeur le paiement des frais de justice et des
dommages et intérêts auxquels le demandeur pourrait être condamné. dommages et intérêts auxquels le demandeur pourrait être condamné.
Rien ne permet de justifier que cet objectif de protection du Rien ne permet de justifier que cet objectif de protection du
défendeur confronté aux pertes pécuniaires que peut lui faire subir, défendeur confronté aux pertes pécuniaires que peut lui faire subir,
par un procès sans fondement, un demandeur n'offrant pas les garanties par un procès sans fondement, un demandeur n'offrant pas les garanties
en Belgique pour le paiement des frais et des dommages et intérêts en Belgique pour le paiement des frais et des dommages et intérêts
auxquels il serait condamné ne soit poursuivi que lorsque le demandeur auxquels il serait condamné ne soit poursuivi que lorsque le demandeur
est étranger. En effet, ce n'est pas la nationalité du demandeur, mais est étranger. En effet, ce n'est pas la nationalité du demandeur, mais
bien la circonstance qu'il réside à l'étranger et ne possède en bien la circonstance qu'il réside à l'étranger et ne possède en
Belgique aucun bien pouvant servir de garantie qui peut faire craindre Belgique aucun bien pouvant servir de garantie qui peut faire craindre
au défendeur d'être confronté à l'impossibilité en pratique de au défendeur d'être confronté à l'impossibilité en pratique de
recouvrer les sommes exposées. En ce qu'il oblige les seuls demandeurs recouvrer les sommes exposées. En ce qu'il oblige les seuls demandeurs
étrangers, principaux ou intervenants, à fournir une caution judicatum étrangers, principaux ou intervenants, à fournir une caution judicatum
solvi, si le défendeur belge le requiert avant toute exception, solvi, si le défendeur belge le requiert avant toute exception,
l'article 851 du Code judiciaire n'est pas compatible avec les l'article 851 du Code judiciaire n'est pas compatible avec les
articles 10 et 11 de la Constitution. articles 10 et 11 de la Constitution.
B.12. La question préjudicielle appelle une réponse positive. B.12. La question préjudicielle appelle une réponse positive.
B.13. Compte tenu de la nécessité d'éviter les difficultés juridiques B.13. Compte tenu de la nécessité d'éviter les difficultés juridiques
qu'aurait l'effet de ce constat d'inconstitutionnalité pour les qu'aurait l'effet de ce constat d'inconstitutionnalité pour les
procédures judiciaires en cours, il convient de maintenir procédures judiciaires en cours, il convient de maintenir
définitivement les effets de la disposition en cause jusqu'à l'entrée définitivement les effets de la disposition en cause jusqu'à l'entrée
en vigueur d'une loi qui met fin à cette discrimination et au plus en vigueur d'une loi qui met fin à cette discrimination et au plus
tard jusqu'au 31 août 2019. tard jusqu'au 31 août 2019.
Par ces motifs, Par ces motifs,
la Cour la Cour
dit pour droit : dit pour droit :
-L'article 851 du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la -L'article 851 du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la
Constitution. Constitution.
- Les effets de cette disposition législative sont maintenus jusqu'à - Les effets de cette disposition législative sont maintenus jusqu'à
l'entrée en vigueur d'une loi qui met fin à l'inconstitutionnalité l'entrée en vigueur d'une loi qui met fin à l'inconstitutionnalité
constatée en B.11 et au plus tard jusqu'au 31 août 2019. constatée en B.11 et au plus tard jusqu'au 31 août 2019.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise,
conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur
la Cour constitutionnelle, le 11 octobre 2018. la Cour constitutionnelle, le 11 octobre 2018.
Le greffier, Le greffier,
F. Meersschaut F. Meersschaut
Le président, Le président,
F. Daoût F. Daoût
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