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Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5716 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 1 er , deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de pr La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...) Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5716 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 1 er , deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de pr La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014
Numéro du rôle : 5716 Numéro du rôle : 5716
En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1er, En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1er,
alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de
première instance de Turnhout. première instance de Turnhout.
La Cour constitutionnelle, La Cour constitutionnelle,
composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P.
Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du
greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 12 septembre 2013 en cause de T.G. contre S.W. et Me Par jugement du 12 septembre 2013 en cause de T.G. contre S.W. et Me
Kim Van Tilborg, avocate, agissant en qualité de tutrice ad hoc de Kim Van Tilborg, avocate, agissant en qualité de tutrice ad hoc de
l'enfant mineur N.G., dont l'expédition est parvenue au greffe de la l'enfant mineur N.G., dont l'expédition est parvenue au greffe de la
Cour le 18 septembre 2013, le Tribunal de première instance de Cour le 18 septembre 2013, le Tribunal de première instance de
Turnhout a posé la question préjudicielle suivante : Turnhout a posé la question préjudicielle suivante :
« L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil
viole-t-il l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 viole-t-il l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8
de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action
en contestation de la reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui en contestation de la reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui
a reconnu l'enfant (c'est-à-dire l'auteur de la reconnaissance) n'est a reconnu l'enfant (c'est-à-dire l'auteur de la reconnaissance) n'est
pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de l'auteur pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de l'auteur
de la reconnaissance ? ». de la reconnaissance ? ».
(...) (...)
III. En droit III. En droit
(...) (...)
B.1. La question préjudicielle concerne la deuxième phrase de B.1. La question préjudicielle concerne la deuxième phrase de
l'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, lequel disposait l'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, lequel disposait
avant sa modification par l'article 35, 1° et 2°, de la loi du 30 avant sa modification par l'article 35, 1° et 2°, de la loi du 30
juillet 2013 portant création d'un tribunal de la famille et de la juillet 2013 portant création d'un tribunal de la famille et de la
jeunesse : jeunesse :
« A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui « A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui
l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le
père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui
revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état
à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut
être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et
l'homme qui revendique la paternité ». l'homme qui revendique la paternité ».
Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil
dispose : dispose :
« La possession d'état doit être continue. « La possession d'état doit être continue.
Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le
rapport de filiation. rapport de filiation.
Ces faits sont entre autres : Ces faits sont entre autres :
- que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu; - que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu;
- que celui-ci l'a traité comme son enfant; - que celui-ci l'a traité comme son enfant;
- qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à - qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à
son éducation; son éducation;
- que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère; - que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère;
- qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la - qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la
société; société;
- que l'autorité publique le considère comme tel ». - que l'autorité publique le considère comme tel ».
B.2.1. Le juge a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er, B.2.1. Le juge a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er,
deuxième phrase, du Code civil est compatible avec l'article 22 de la deuxième phrase, du Code civil est compatible avec l'article 22 de la
Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme, en ce que l'action en contestation de la droits de l'homme, en ce que l'action en contestation de la
reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui a reconnu l'enfant reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui a reconnu l'enfant
n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de
l'auteur de la reconnaissance. l'auteur de la reconnaissance.
B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la
décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action en décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action en
contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur
de la reconnaissance, à l'égard duquel l'enfant a la possession d'état de la reconnaissance, à l'égard duquel l'enfant a la possession d'état
et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le
père biologique. père biologique.
Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er, Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er,
alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la
reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui a reconnu reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui a reconnu
l'enfant et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il l'enfant et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il
n'était pas le père biologique. La Cour limite son examen à cette n'était pas le père biologique. La Cour limite son examen à cette
hypothèse. hypothèse.
B.3. L'article 330 du Code civil règle la contestation de la B.3. L'article 330 du Code civil règle la contestation de la
reconnaissance maternelle et de la reconnaissance paternelle. Il reconnaissance maternelle et de la reconnaissance paternelle. Il
détermine les titulaires de l'action et fixe les délais qui leur sont détermine les titulaires de l'action et fixe les délais qui leur sont
applicables. La reconnaissance paternelle peut être contestée par la applicables. La reconnaissance paternelle peut être contestée par la
mère, l'enfant, l'homme qui a reconnu l'enfant et l'homme qui mère, l'enfant, l'homme qui a reconnu l'enfant et l'homme qui
revendique la paternité de l'enfant. Pour tous les titulaires de revendique la paternité de l'enfant. Pour tous les titulaires de
l'action, cette dernière est irrecevable lorsque l'enfant a la l'action, cette dernière est irrecevable lorsque l'enfant a la
possession d'état à l'égard de celui qui a reconnu l'enfant. possession d'état à l'égard de celui qui a reconnu l'enfant.
B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de
l'action en contestation de la reconnaissance de paternité par la loi l'action en contestation de la reconnaissance de paternité par la loi
du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la
filiation. filiation.
L'article 330, § 2, du Code civil disposait : L'article 330, § 2, du Code civil disposait :
« La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies « La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies
de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère. de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère.
Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession
d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ». d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ».
A ce sujet, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330 A ce sujet, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330
(ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit : (ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit :
« Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage « Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage
d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de
la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour
l'enfant et contraire à ses intérêts. l'enfant et contraire à ses intérêts.
Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la
contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir
compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on
inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la
possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de
reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant
peuvent être gravement lésés. peuvent être gravement lésés.
D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder
une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en
viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied
que le mariage. que le mariage.
Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne
peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique. peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique.
Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout
autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de
la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc. la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc.
parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100). parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100).
B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de
la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil
relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci. relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.
La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la
mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme
qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue
comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la
reconnaissance de paternité. reconnaissance de paternité.
L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un
amendement déposé à la Chambre. amendement déposé à la Chambre.
Cet amendement a été justifié comme suit : Cet amendement a été justifié comme suit :
« L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action « L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action
en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de
présomption de paternité. présomption de paternité.
Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires
d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la
mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la
maternité de l'enfant. maternité de l'enfant.
Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la
cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession
d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous
comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne
correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant
des délais d'action. des délais d'action.
Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation
et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu
que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite
par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de
l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du
demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6). demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6).
Au terme du débat en commission de la Justice du Sénat, la ministre de Au terme du débat en commission de la Justice du Sénat, la ministre de
la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état
» en déclarant : » en déclarant :
« Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si « Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si
l'application de la notion de possession d'état présente parfois l'application de la notion de possession d'état présente parfois
certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de
modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait
choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas
toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et
la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose
pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9). pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9).
B.5. La Cour doit examiner l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième B.5. La Cour doit examiner l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième
phrase, du Code civil, au regard de l'article 22 de la Constitution, phrase, du Code civil, au regard de l'article 22 de la Constitution,
combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme. l'homme.
L'article 22 de la Constitution dispose : L'article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans
les cas et conditions fixés par la loi. les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la
protection de ce droit ». protection de ce droit ».
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose
: :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance. de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue
par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé
ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la
Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance
possible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de possible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2). l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
B.6. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est B.6. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est
garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de
protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et
familiale. familiale.
L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une
ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie
privée mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une privée mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une
disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un
besoin social impérieux et soit proportionnée à l'objectif légitime besoin social impérieux et soit proportionnée à l'objectif légitime
qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation
positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent
le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère
des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et
autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c.
Suède, § 78). Suède, § 78).
B.7. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation B.7. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation
de paternité concernent la vie privée du requérant, parce que la de paternité concernent la vie privée du requérant, parce que la
matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité
personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c.
Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier
2006, Mizzi c. Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § 2006, Mizzi c. Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § §
48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens
c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c. c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c.
Hongrie, § 28). Hongrie, § 28).
Le régime en cause de contestation de la reconnaissance de paternité Le régime en cause de contestation de la reconnaissance de paternité
relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une
ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge
d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre
les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son
ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994,
Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie,
§ 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007,
Phinikaridou c. Chypre, § § 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c. Phinikaridou c. Chypre, § § 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.
Roumanie, § 33). Roumanie, § 33).
Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas
illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible
avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si
le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et
intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur
ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de
la société dans son ensemble mais il doit également ménager un la société dans son ensemble mais il doit également ménager un
équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées
(CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013,
Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51). Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).
Cette condition doit être remplie pour qu'il puisse être question Cette condition doit être remplie pour qu'il puisse être question
d'une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis par le d'une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis par le
législateur. législateur.
B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens
familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part,
constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte
pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité
puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de
ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité
socio-affective de la paternité. socio-affective de la paternité.
B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir
absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité,
le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité
socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de
cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui a reconnu l'enfant et cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui a reconnu l'enfant et
qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le
père biologique est totalement privé de la possibilité de contester sa père biologique est totalement privé de la possibilité de contester sa
propre reconnaissance de paternité. propre reconnaissance de paternité.
Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte
des intérêts de toutes les parties concernées. des intérêts de toutes les parties concernées.
Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis
par le législateur. La disposition en cause n'est dès lors pas par le législateur. La disposition en cause n'est dès lors pas
compatible avec l'article 22 de la Constitution, combiné avec compatible avec l'article 22 de la Constitution, combiné avec
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative. B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Par ces motifs, Par ces motifs,
la Cour la Cour
dit pour droit : dit pour droit :
L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole
l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en
contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'homme contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'homme
qui a reconnu l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la possession qui a reconnu l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la possession
d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu et qui, au moment de la d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu et qui, au moment de la
reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le père biologique. reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le père biologique.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française,
conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur
la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2014. la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2014.
Le greffier, Le greffier,
P.-Y. Dutilleux P.-Y. Dutilleux
Le président, Le président,
A. Alen A. Alen
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