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: la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 1 er ,
deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de pr La Cour
constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...)"
Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5716 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 1 er , deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de pr La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...) | Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5716 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 1 er , deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de pr La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...) |
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COUR CONSTITUTIONNELLE | COUR CONSTITUTIONNELLE |
Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 | Extrait de l'arrêt n° 127/2014 du 19 septembre 2014 |
Numéro du rôle : 5716 | Numéro du rôle : 5716 |
En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1er, | En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1er, |
alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de | alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil, posée par le Tribunal de |
première instance de Turnhout. | première instance de Turnhout. |
La Cour constitutionnelle, | La Cour constitutionnelle, |
composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. | composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. |
Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du | Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du |
greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, | greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, |
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : | après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : |
I. Objet de la question préjudicielle et procédure | I. Objet de la question préjudicielle et procédure |
Par jugement du 12 septembre 2013 en cause de T.G. contre S.W. et Me | Par jugement du 12 septembre 2013 en cause de T.G. contre S.W. et Me |
Kim Van Tilborg, avocate, agissant en qualité de tutrice ad hoc de | Kim Van Tilborg, avocate, agissant en qualité de tutrice ad hoc de |
l'enfant mineur N.G., dont l'expédition est parvenue au greffe de la | l'enfant mineur N.G., dont l'expédition est parvenue au greffe de la |
Cour le 18 septembre 2013, le Tribunal de première instance de | Cour le 18 septembre 2013, le Tribunal de première instance de |
Turnhout a posé la question préjudicielle suivante : | Turnhout a posé la question préjudicielle suivante : |
« L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil | « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil |
viole-t-il l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 | viole-t-il l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 |
de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action | de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action |
en contestation de la reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui | en contestation de la reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui |
a reconnu l'enfant (c'est-à-dire l'auteur de la reconnaissance) n'est | a reconnu l'enfant (c'est-à-dire l'auteur de la reconnaissance) n'est |
pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de l'auteur | pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de l'auteur |
de la reconnaissance ? ». | de la reconnaissance ? ». |
(...) | (...) |
III. En droit | III. En droit |
(...) | (...) |
B.1. La question préjudicielle concerne la deuxième phrase de | B.1. La question préjudicielle concerne la deuxième phrase de |
l'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, lequel disposait | l'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, lequel disposait |
avant sa modification par l'article 35, 1° et 2°, de la loi du 30 | avant sa modification par l'article 35, 1° et 2°, de la loi du 30 |
juillet 2013 portant création d'un tribunal de la famille et de la | juillet 2013 portant création d'un tribunal de la famille et de la |
jeunesse : | jeunesse : |
« A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui | « A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui |
l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le | l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le |
père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui | père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui |
revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état | revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état |
à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut | à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut |
être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et | être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et |
l'homme qui revendique la paternité ». | l'homme qui revendique la paternité ». |
Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil | Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil |
dispose : | dispose : |
« La possession d'état doit être continue. | « La possession d'état doit être continue. |
Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le | Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le |
rapport de filiation. | rapport de filiation. |
Ces faits sont entre autres : | Ces faits sont entre autres : |
- que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu; | - que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu; |
- que celui-ci l'a traité comme son enfant; | - que celui-ci l'a traité comme son enfant; |
- qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à | - qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à |
son éducation; | son éducation; |
- que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère; | - que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère; |
- qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la | - qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la |
société; | société; |
- que l'autorité publique le considère comme tel ». | - que l'autorité publique le considère comme tel ». |
B.2.1. Le juge a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er, | B.2.1. Le juge a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er, |
deuxième phrase, du Code civil est compatible avec l'article 22 de la | deuxième phrase, du Code civil est compatible avec l'article 22 de la |
Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des | Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des |
droits de l'homme, en ce que l'action en contestation de la | droits de l'homme, en ce que l'action en contestation de la |
reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui a reconnu l'enfant | reconnaissance paternelle émanant de l'homme qui a reconnu l'enfant |
n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de | n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état vis-à-vis de |
l'auteur de la reconnaissance. | l'auteur de la reconnaissance. |
B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la | B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la |
décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action en | décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action en |
contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur | contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur |
de la reconnaissance, à l'égard duquel l'enfant a la possession d'état | de la reconnaissance, à l'égard duquel l'enfant a la possession d'état |
et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le | et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le |
père biologique. | père biologique. |
Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er, | Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er, |
alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la | alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la |
reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui a reconnu | reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui a reconnu |
l'enfant et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il | l'enfant et qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il |
n'était pas le père biologique. La Cour limite son examen à cette | n'était pas le père biologique. La Cour limite son examen à cette |
hypothèse. | hypothèse. |
B.3. L'article 330 du Code civil règle la contestation de la | B.3. L'article 330 du Code civil règle la contestation de la |
reconnaissance maternelle et de la reconnaissance paternelle. Il | reconnaissance maternelle et de la reconnaissance paternelle. Il |
détermine les titulaires de l'action et fixe les délais qui leur sont | détermine les titulaires de l'action et fixe les délais qui leur sont |
applicables. La reconnaissance paternelle peut être contestée par la | applicables. La reconnaissance paternelle peut être contestée par la |
mère, l'enfant, l'homme qui a reconnu l'enfant et l'homme qui | mère, l'enfant, l'homme qui a reconnu l'enfant et l'homme qui |
revendique la paternité de l'enfant. Pour tous les titulaires de | revendique la paternité de l'enfant. Pour tous les titulaires de |
l'action, cette dernière est irrecevable lorsque l'enfant a la | l'action, cette dernière est irrecevable lorsque l'enfant a la |
possession d'état à l'égard de celui qui a reconnu l'enfant. | possession d'état à l'égard de celui qui a reconnu l'enfant. |
B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de | B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de |
l'action en contestation de la reconnaissance de paternité par la loi | l'action en contestation de la reconnaissance de paternité par la loi |
du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la | du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la |
filiation. | filiation. |
L'article 330, § 2, du Code civil disposait : | L'article 330, § 2, du Code civil disposait : |
« La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies | « La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies |
de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère. | de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère. |
Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession | Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession |
d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ». | d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ». |
A ce sujet, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330 | A ce sujet, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330 |
(ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit : | (ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit : |
« Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage | « Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage |
d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de | d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de |
la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour | la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour |
l'enfant et contraire à ses intérêts. | l'enfant et contraire à ses intérêts. |
Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la | Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la |
contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir | contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir |
compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on | compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on |
inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la | inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la |
possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de | possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de |
reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant | reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant |
peuvent être gravement lésés. | peuvent être gravement lésés. |
D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder | D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder |
une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en | une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en |
viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied | viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied |
que le mariage. | que le mariage. |
Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne | Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne |
peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique. | peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique. |
Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout | Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout |
autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de | autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de |
la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc. | la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc. |
parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100). | parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100). |
B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de | B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de |
la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil | la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil |
relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci. | relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci. |
La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la | La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la |
mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme | mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme |
qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue | qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue |
comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la | comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la |
reconnaissance de paternité. | reconnaissance de paternité. |
L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un | L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un |
amendement déposé à la Chambre. | amendement déposé à la Chambre. |
Cet amendement a été justifié comme suit : | Cet amendement a été justifié comme suit : |
« L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action | « L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action |
en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de | en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de |
présomption de paternité. | présomption de paternité. |
Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires | Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires |
d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la | d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la |
mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la | mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la |
maternité de l'enfant. | maternité de l'enfant. |
Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la | Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la |
cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession | cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession |
d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous | d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous |
comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne | comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne |
correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant | correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant |
des délais d'action. | des délais d'action. |
Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation | Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation |
et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu | et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu |
que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite | que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite |
par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de | par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de |
l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du | l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du |
demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6). | demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6). |
Au terme du débat en commission de la Justice du Sénat, la ministre de | Au terme du débat en commission de la Justice du Sénat, la ministre de |
la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état | la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état |
» en déclarant : | » en déclarant : |
« Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si | « Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si |
l'application de la notion de possession d'état présente parfois | l'application de la notion de possession d'état présente parfois |
certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de | certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de |
modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait | modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait |
choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas | choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas |
toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et | toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et |
la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose | la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose |
pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9). | pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9). |
B.5. La Cour doit examiner l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième | B.5. La Cour doit examiner l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième |
phrase, du Code civil, au regard de l'article 22 de la Constitution, | phrase, du Code civil, au regard de l'article 22 de la Constitution, |
combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de | combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de |
l'homme. | l'homme. |
L'article 22 de la Constitution dispose : | L'article 22 de la Constitution dispose : |
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans | « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans |
les cas et conditions fixés par la loi. | les cas et conditions fixés par la loi. |
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la | La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la |
protection de ce droit ». | protection de ce droit ». |
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose | L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose |
: | : |
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, | « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, |
de son domicile et de sa correspondance. | de son domicile et de sa correspondance. |
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans | 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans |
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue | l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue |
par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société | par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société |
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté | démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté |
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et | publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et |
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé | à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé |
ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». | ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». |
Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la | Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la |
Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance | Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance |
possible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de | possible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de |
l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2). | l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2). |
B.6. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est | B.6. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est |
garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de | garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de |
protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et | protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et |
familiale. | familiale. |
L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la | L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la |
Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une | Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une |
ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie | ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie |
privée mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une | privée mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une |
disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un | disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un |
besoin social impérieux et soit proportionnée à l'objectif légitime | besoin social impérieux et soit proportionnée à l'objectif légitime |
qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation | qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation |
positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent | positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent |
le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère | le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère |
des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et | des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et |
autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. | autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. |
Suède, § 78). | Suède, § 78). |
B.7. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation | B.7. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation |
de paternité concernent la vie privée du requérant, parce que la | de paternité concernent la vie privée du requérant, parce que la |
matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité | matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité |
personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. | personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. |
Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier | Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier |
2006, Mizzi c. Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § | 2006, Mizzi c. Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § |
48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens | 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens |
c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c. | c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c. |
Hongrie, § 28). | Hongrie, § 28). |
Le régime en cause de contestation de la reconnaissance de paternité | Le régime en cause de contestation de la reconnaissance de paternité |
relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de | relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de |
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. | l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. |
B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une | B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une |
ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge | ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge |
d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre | d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre |
les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son | les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son |
ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, | ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, |
Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, | Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, |
§ 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, | § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, |
Phinikaridou c. Chypre, § § 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c. | Phinikaridou c. Chypre, § § 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c. |
Roumanie, § 33). | Roumanie, § 33). |
Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas | Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas |
illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible | illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible |
avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si | avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si |
le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et | le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et |
intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur | intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur |
ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de | ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de |
la société dans son ensemble mais il doit également ménager un | la société dans son ensemble mais il doit également ménager un |
équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées | équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées |
(CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, | (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, |
Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51). | Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51). |
Cette condition doit être remplie pour qu'il puisse être question | Cette condition doit être remplie pour qu'il puisse être question |
d'une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis par le | d'une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis par le |
législateur. | législateur. |
B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens | B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens |
familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, | familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, |
constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte | constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte |
pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité | pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité |
puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de | puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de |
ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité | ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité |
socio-affective de la paternité. | socio-affective de la paternité. |
B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir | B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir |
absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, | absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, |
le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité | le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité |
socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de | socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de |
cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui a reconnu l'enfant et | cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui a reconnu l'enfant et |
qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le | qui, au moment de la reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le |
père biologique est totalement privé de la possibilité de contester sa | père biologique est totalement privé de la possibilité de contester sa |
propre reconnaissance de paternité. | propre reconnaissance de paternité. |
Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte | Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte |
des intérêts de toutes les parties concernées. | des intérêts de toutes les parties concernées. |
Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis | Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis |
par le législateur. La disposition en cause n'est dès lors pas | par le législateur. La disposition en cause n'est dès lors pas |
compatible avec l'article 22 de la Constitution, combiné avec | compatible avec l'article 22 de la Constitution, combiné avec |
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. | l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. |
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative. | B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative. |
Par ces motifs, | Par ces motifs, |
la Cour | la Cour |
dit pour droit : | dit pour droit : |
L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole | L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole |
l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la | l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la |
Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en | Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en |
contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'homme | contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'homme |
qui a reconnu l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la possession | qui a reconnu l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la possession |
d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu et qui, au moment de la | d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu et qui, au moment de la |
reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le père biologique. | reconnaissance, ignorait qu'il n'était pas le père biologique. |
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, | Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, |
conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur | conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur |
la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2014. | la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2014. |
Le greffier, | Le greffier, |
P.-Y. Dutilleux | P.-Y. Dutilleux |
Le président, | Le président, |
A. Alen | A. Alen |