publié le 08 avril 2024
Extrait de l'arrêt n° 144/2023 du 9 novembre 2023 Numéro du rôle : 7831 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, posées par l La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Gi(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 144/2023 du 9 novembre 2023 Numéro du rôle : 7831 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 254.186 du 30 juin 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 2022, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1) L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, viole-t-il les articles 10, 11 et 30 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique lors de la séance du conseil communal s'applique également aux membres du conseil communal et pas exclusivement au bourgmestre et aux autres membres du collège des bourgmestre et échevins ? 2) L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, viole-t-il les articles 10, 11 et 30 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique lors de la séance du conseil communal s'applique également au membre du conseil communal, autre qu'un membre du collège des bourgmestre et échevins, qui prend la parole pour introduire ou commenter un point à l'ordre du jour ? 3) L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 4 et 30 de celle-ci, dans l'interprétation selon laquelle il permet à un membre du conseil communal d'utiliser une autre langue que le néerlandais lors du conseil communal, en ce qu'il peut en résulter, le cas échéant, que d'autres membres du conseil communal et des habitants qui ne connaissent pas cette langue ne puissent pas suivre le débat mené lors du conseil communal ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur les règles relatives à l'emploi des langues lors des séances du conseil communal dans les communes périphériques dans la région de langue néerlandaise.
B.1.2. L'article 7 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 (ci-après : les lois sur l'emploi des langues en matière administrative), qualifie plusieurs communes de la région de langue néerlandaise, dont la commune de Linkebeek, de communes périphériques auxquelles s'applique un régime spécial : « Sont dotées d'un statut propre, les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem.
En vue de l'application des dispositions suivantes et notamment celles du chapitre IV, ces communes sont considérées comme des communes à régime spécial. Elles sont dénommées ci-après ` communes périphériques ' ».
B.1.3. L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, à savoir la disposition en cause, dispose que tout service local établi dans une des communes périphériques utilise exclusivement la langue néerlandaise dans les services intérieurs : « Tout service local établi dans les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezenbeek-Oppem utilise exclusivement la langue néerlandaise dans les services intérieurs, dans ses rapports avec les services dont il relève ainsi que dans ses rapports avec les services de la région de langue néerlandaise et de Bruxelles-Capitale ».
B.1.4. L'article 58 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative dispose que tous les actes administratifs et règlements contraires aux dispositions des lois sur l'emploi des langues en matière administrative quant à la forme ou quant au fond sont nuls : « Sont nuls tous actes et règlements administratifs contraires, quant à la forme ou quant au fond, aux dispositions des présentes lois coordonnées.
Sans préjudice de l'application de l'article 61, § 4, alinéa 3, la nullité de ces actes ou règlements est constatée à la requête de toute personne intéressée, soit par l'autorité dont ces actes ou règlements émanent, soit, selon le cas et l'ordre de leurs compétences respectives, par l'autorité de tutelle, les cours et tribunaux ou le Conseil d'Etat.
Les actes ou règlements dont la nullité est ainsi constatée en raison d'irrégularités quant à la forme sont remplacés en forme régulière par l'autorité dont ils émanent : ce remplacement sortit ses effets à la date de l'acte ou du règlement remplacé.
Ceux dont la nullité est constatée en raison d'irrégularités quant au fond interrompent la prescription ainsi que les délais de procédure contentieuse et administrative impartis à peine de déchéance.
Le constat de nullité des actes et règlements, visés par le présent article, se prescrit après cinq ans ».
B.2. La juridiction a quo pose à la Cour trois questions préjudicielles dans lesquelles la disposition en cause fait l'objet d'interprétations divergentes.
Dans les première et deuxième questions préjudicielles, la disposition en cause est soumise à la Cour dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique durant la séance du conseil communal s'applique également aux membres du conseil communal qui ne sont pas membres du collège des bourgmestre et échevins. En revanche, la troisième question préjudicielle repose sur l'interprétation selon laquelle la disposition en cause permet aux membres du conseil communal qui ne sont pas membres du collège des bourgmestre et échevins d'utiliser une autre langue que la langue de la région linguistique lors de la séance du conseil communal.
Quant aux première et deuxième questions préjudicielles B.3. Par les première et deuxième questions préjudicielles, la juridiction a quo demande à la Cour si l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative est compatible avec les articles 10, 11 et 30 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique durant la séance du conseil communal s'applique également aux membres du conseil communal et pas exclusivement au bourgmestre et aux autres membres du collège des bourgmestre et échevins (première question préjudicielle) et, en particulier, au membre du conseil communal qui n'est pas un membre du collège des bourgmestre et échevins et qui prend la parole pour introduire ou commenter un point à l'ordre du jour (deuxième question préjudicielle).
Vu leur connexité, la Cour examine les deux questions préjudicielles conjointement.
B.4. Il ressort de la décision de renvoi que le litige au fond porte sur des membres du conseil communal qui ont également été choisis pour représenter la commune à l'assemblée générale d'une association communale, conformément à l'ancien article 246 du décret communal flamand du 15 juillet 2005.
La Cour limite son examen à une telle situation.
B.5.1. L'article 30 de la Constitution dispose : « L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires ».
B.5.2. Lorsqu'il règle l'emploi des langues pour les actes de l'autorité publique en exécution de l'article 30 de la Constitution, le législateur doit respecter le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6.1. L'obligation d'utiliser le néerlandais dans les services locaux des communes périphériques visées à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative s'applique indépendamment du fait que les intéressés pourraient être qualifiés de néerlandophones ou de francophones. Cette disposition n'instaure dès lors aucune différence de traitement, mais applique les mêmes règles à tous les intéressés.
B.6.2. La critique formulée par la commune de Linkebeek doit toutefois être interprétée en ce sens que la disposition en cause ne réserve pas, à tort, une différence de traitement selon que les intéressés peuvent être considérés comme néerlandophones ou comme francophones, étant donné qu'il s'agit de communes périphériques dans lesquelles des « facilités », au sens des articles 24 à 31 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, sont accordées aux francophones.
B.7. Bien que les lois sur l'emploi des langues en matière administrative prévoient à l'intention des habitants francophones des communes périphériques une réglementation spéciale qui les autorise à utiliser la langue française dans leurs relations avec les services locaux et qui impose à ces services l'obligation d'utiliser la langue française dans certaines circonstances précisées dans les lois sur l'emploi des langues en matière administrative, cette réglementation ne porte pas atteinte au caractère en principe unilingue de la région de langue néerlandaise à laquelle ces communes appartiennent. Il s'ensuit que la langue qui doit y être employée en matière administrative est en principe la langue néerlandaise et que des dispositions qui autorisent l'emploi d'une autre langue ne peuvent avoir pour effet de porter atteinte à la primauté de la langue néerlandaise, garantie par l'article 4 de la Constitution.
B.8. Par son arrêt n° 17/86 du 26 mars 1986 (ECLI:BE:GHCC:1986:ARR.017), la Cour a jugé : « Les lois coordonnées [sur l'emploi des langues en matière administrative] ne visent pas les mandataires appelés à siéger dans un organe collégial et ne considèrent pas ceux-ci comme des ` services ' au sens de [leur] article 1er, sauf dans la mesure où de tels mandataires agissent en tant qu'autorités administratives individuelles » (considérant 3.B.4.c, alinéa 4; voy. aussi arrêt n° 70/88 du 14 décembre 1988 (ECLI:BE:GHCC:1988:ARR.070), B.5.b, alinéa 4).
Par son arrêt n° 26/98 du 10 mars 1998 (ECLI:BE:GHCC:1998:ARR.026), la Cour a jugé : « Il convient tout d'abord d'observer que l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région au cours des séances du conseil communal s'applique exclusivement au bourgmestre et aux autres membres du collège des bourgmestre et échevins et ne s'applique donc pas aux autres membres du conseil communal. Les griefs de la commune de Linkebeek manquent donc en fait en tant qu'ils concernent les conseillers communaux francophones qui ne sont ni bourgmestre ni échevin » (considérant B.3.4).
B.9. Comme il est dit en B.4, le litige au fond porte en l'espèce sur des membres du conseil communal également choisis pour représenter la commune à l'assemblée générale d'une association communale, conformément à l'ancien article 246 du décret communal.
Ces membres du conseil communal sont tenus d'agir « conformément aux instructions du conseil communal » (voyez l'article 246, § 2, entre-temps abrogé, du décret communal et l'article 246, § 2, du décret du 22 décembre 2017 « sur l'administration locale »). Ils exercent dès lors une mission définie par décret au sein d'une personne morale créée par la commune, au nom de la commune et conformément aux décisions du conseil communal. Lorsqu'ils prennent la parole en cette qualité au sein du conseil communal afin d'introduire le point à l'ordre du jour concernant l'assemblée générale de l'association communale et de le soumettre au vote du conseil communal, il n'est pas déraisonnable qu'ils doivent le faire, eu égard aux principes énoncés en B.7, dans la langue de la région linguistique unilingue à laquelle appartiennent les communes périphériques, en l'occurrence le néerlandais. L'exposé que fournissent de tels membres du conseil communal, en tant que représentants de la commune, est d'une importance essentielle pour que le conseil communal puisse contrôler le fonctionnement de l'association communale et pour qu'il puisse lui donner les instructions nécessaires à ce sujet.
B.10. L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative est dès lors compatible avec les articles 10, 11 et 30 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'employer, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique lors de la séance du conseil communal s'applique également à un membre du conseil communal qui est également un représentant de la commune à l'assemblée générale d'une association communale, et qui prend la parole en cette qualité afin d'introduire le point à l'ordre du jour concernant l'assemblée générale de l'association communale et de le soumettre au vote du conseil communal.
Quant à la troisième question préjudicielle B.11. Par la troisième question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec ses articles 4 et 30, dans l'interprétation selon laquelle il permet à un membre du conseil communal d'utiliser une autre langue que le néerlandais lors du conseil communal, en ce qu'il peut en résulter, le cas échéant, que d'autres membres du conseil communal et des habitants qui ne connaissent pas cette langue ne puissent pas suivre le débat mené lors du conseil communal.
B.12. Compte tenu de la réponse donnée aux première et deuxième questions préjudicielles, la troisième question préjudicielle n'appelle pas de réponse.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, ne viole pas les articles 10, 11 et 30 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région linguistique lors de la séance du conseil communal s'applique également à un membre du conseil communal qui est également un représentant de la commune à l'assemblée générale d'une association communale, et qui prend la parole en cette qualité afin d'introduire le point à l'ordre du jour concernant l'assemblée générale de l'association communale et de le soumettre au vote du conseil communal. - La troisième question préjudicielle n'appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 novembre 2023.
Le greffier, N. Dupont Le président, L. Lavrysen