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Arrêt
publié le 13 novembre 2023

Extrait de l'arrêt n° 118/2023 du 14 septembre 2023 Numéro du rôle : 7843 En cause : le recours en annulation des articles 79 et 81 de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses », introduit par la SA « Société d'E La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 118/2023 du 14 septembre 2023 Numéro du rôle : 7843 En cause : le recours en annulation des articles 79 et 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer « portant des dispositions fiscales diverses », introduit par la SA « Société d'Exploitation du Pioneering Spirit ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 26 juillet 2022 et parvenue au greffe le 27 juillet 2022, la SA « Société d'Exploitation du Pioneering Spirit », assistée et représentée par Me A. Visschers et Me S. Vanthienen, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 79 et 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer « portant des dispositions fiscales diverses » (publiée au Moniteur belge du 28 janvier 2022). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1. La partie requérante demande l'annulation des articles 79 et 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer « portant des dispositions fiscales diverses » (ci-après : la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer).

B.2.1. Les dispositions attaquées modifient le régime de taxation sur la base du tonnage qui a été établi par la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer.

B.2.2. La taxation sur la base du tonnage est un régime dérogeant à l'impôt sur les revenus pour la navigation maritime, ainsi que pour les bénéfices provenant de la gestion de navires pour le compte de tiers, dans le cadre duquel les bénéfices sont déterminés forfaitairement sur la base du tonnage des navires qui ont généré ces bénéfices (article 116, alinéa 1er) ou pour lesquels la gestion est exercée (article 124, § 1er). Le champ d'application de ce régime dépend de la définition légale de notions telles que « les bénéfices provenant de la navigation maritime » et « la gestion d'un navire pour le compte de tiers » (article 115). Le contribuable doit introduire lui-même auprès de l'administration fiscale la demande d'application de la taxation sur la base du tonnage (article 117). Si la demande est acceptée par l'administration fiscale, le régime de taxation sur la base du tonnage produit ses effets à partir de la période imposable qui suit celle pendant laquelle la demande a été introduite, et ce pendant dix ans, avec tacite reconduction pour une même période de dix ans, sauf si le contribuable y renonce en temps utile (article 118).

Les bénéfices qui proviennent de la navigation maritime sont déterminés forfaitairement par navire, par jour et par 100 tonnes nettes sur la base d'un tableau précisant les tranches pour le tonnage et les montants forfaitaires par tranche (article 119, § 1er), les plus-values et les moins-values sur ce navire étant censées être comprises dans les bénéfices déterminés forfaitairement. Tant que le contribuable relève de l'application de la taxation sur la base du tonnage, il ne peut pas déduire de ses bénéfices les pertes professionnelles subies (article 120) et ne peut pas recourir à la déduction pour investissement (article 123, §§ 2 à 4).

B.2.3.1. L'article 79, attaqué, de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer insère un alinéa 2 et un alinéa 3 dans l'article 116 de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer.

Ainsi modifié, l'article 116 de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer dispose : « En ce qui concerne les sociétés résidentes et les établissements belges de sociétés non résidentes, les bénéfices imposables en Belgique provenant de la navigation maritime sont, par dérogation aux articles 183, 185, 189 à 207, 233, alinéa 1er, et 235 à 240 du Code des impôts sur les revenus 1992, à la demande du contribuable, déterminés de manière forfaitaire sur base du tonnage des navires qui ont généré ces bénéfices.

Aucun crédit d'impôt pour recherche et développement conformément aux articles 289quater à 289novies, 292bis et 530 du même Code n'est applicable pendant la période au cours de laquelle les bénéfices provenant de la navigation maritime sont déterminés en fonction du tonnage. La partie éventuellement non imputée du crédit d'impôt pour recherche et développement qui subsiste à la fin de la période imposable qui se clôture au plus tard le 31 décembre 2020 ou qui précède la période imposable au cours de laquelle les bénéfices provenant de la navigation maritime sont déterminés pour la première fois en fonction du tonnage, peut à nouveau être imputée après l'expiration de la période durant laquelle les bénéfices sont ainsi déterminés.

Le report du crédit d'impôt pour recherche et développement non imputé visé à l'article 292bis, § 1er, alinéa 2, du même Code, est suspendu à partir de l'exercice d'imposition se rattachant à la période imposable qui suit la période visée à l'alinéa 1er [lire : l'alinéa 2] et reprend son cours après l'expiration de la période durant laquelle les bénéfices sont déterminés en fonction du tonnage. [...] ».

Le législateur a ainsi, d'une part, exclu de façon générale que l'application du régime de taxation sur la base du tonnage soit cumulée avec l'application du crédit d'impôt pour recherche et développement (ci-après : le crédit d'impôt R&D) et, d'autre part, suspendu l'imputation du crédit d'impôt existant et le versement de la partie non imputée du crédit d'impôt tant que le contribuable est assujetti à la taxation sur la base du tonnage.

B.2.3.2. Il ressort des travaux préparatoires de la mesure attaquée (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/001, p. 29) que la mesure est une version remise à jour d'une mesure identique, qui avait été initialement introduite par le projet de loi du 26 novembre 2019 « portant des dispositions fiscales diverses, portant création d'une commission pour la reconnaissance des formations spécialisées relatives à la réglementation douanière et d'accises en Belgique et relative au Théâtre royal de la Monnaie et à l'Orchestre national de Belgique » (Doc. parl., Chambre, 2019-2020, DOC 55-0792/001).

Invité par la section de législation du Conseil d'Etat à fournir des précisions quant à la mesure visée par le projet de loi précité, le délégué a fait le commentaire suivant : « Le régime de taxation forfaitaire sur la base du tonnage pour les entreprises de navigation maritime ou pour la gestion de navires pour le compte de tiers repose sur le principe suivant : le bénéfice réel provenant de la navigation maritime ou de la gestion de navires pour le compte de tiers est soustrait de la base imposable à l'impôt des sociétés et, après application de toutes les déductions, un bénéfice fixé forfaitairement est ajouté à la base imposable. En rédigeant les articles 115 à 120 ou 124 de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer, le législateur avait pour objectif de taxer également, de manière effective, ce bénéfice forfaitaire et de ne pas accorder de déductions sur celui-ci.

Pour les pertes reportées, les articles 120, § 2, et 124, § 5, de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer prévoient la règle suivante : ` La partie éventuelle non imputée des pertes provenant de la gestion de navires pour le compte de tiers, qui subsiste au moment où les bénéfices sont déterminés pour la première fois en fonction du tonnage, peut être portée à nouveau en déduction des bénéfices après l'expiration de la période durant laquelle les bénéfices sont ainsi déterminés. ' Il a toutefois été constaté que certaines sociétés qui avaient constitué d'importants crédits d'impôt pour la recherche et le développement optaient (en tout ou en partie) pour le régime de la taxation forfaitaire sur la base du tonnage, et qu'elles pouvaient ainsi obtenir d'importantes restitutions. Le Gouvernement estime qu'accorder le bénéfice du régime de la taxation forfaitaire sur la base du tonnage avec celui de l'imputation du crédit d'impôt ne correspond pas à la philosophie de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer. En s'inspirant du régime existant pour les pertes reportées, le Gouvernement a choisi de ` geler ' le crédit d'impôt pendant l'application de la taxation forfaitaire sur la base du tonnage et de réaccorder les droits y afférents au moment de la sortie du régime de taxation forfaitaire sur la base du tonnage » (traduction libre) (ibid., pp. 108-109).

Le délégué a encore ajouté le commentaire suivant : « Les sociétés ne perdent aucun droit. Elles peuvent opter librement soit pour la taxation du bénéfice réel issu de la navigation maritime et obtenir dans ce cas l'imputation du crédit d'impôt pour recherche et développement, soit pour l'application de la taxation forfaitaire sur la base du tonnage, avec pour conséquence l'impossibilité d'opérer des déductions sur ce bénéfice fixé forfaitairement, ni d'imputer un crédit d'impôt pour recherche et développement. Le crédit d'impôt n'est alors pas perdu, mais gelé jusqu'à ce que la société soit de nouveau assujettie à un régime normal en matière d'impôt des sociétés.

La période durant laquelle ce crédit d'impôt doit être exercé (5 ans) ne compte plus non plus, puisqu'elle est également suspendue. Le Gouvernement considère que la possibilité actuelle de cumuler le régime de la taxation forfaitaire sur la base du tonnage avec l'imputation du crédit d'impôt constitue une forme d'abus et qu'elle n'est pas conforme à l'objectif de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer » (traduction libre) (ibid., p. 109).

Le projet de loi précité a ensuite été retiré de l'ordre du jour, mais la mesure a été reprise par le projet de loi qui est devenu la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/001, p. 29).

Les travaux préparatoires de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer commentent en ces termes la mesure attaquée : « Les modifications apportées aux articles 116 et 124 de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer par, respectivement, les articles 49 et 50 ont pour but de ne plus permettre l'application du crédit d'impôt pour recherche et développement (articles 289quater à 289novies, 292bis et 530, CIR 92) durant l'application du régime de taxation forfaitaire en fonction du tonnage en ce qui concerne le profit qui est taxé de la manière précitée. L'imputation du crédit d'impôt pour recherche et développement qui subsisterait à la fin de la période imposable qui se clôture au plus tard le 31 décembre 2020 (soit que le contribuable serait déjà dans le régime de taxation forfaitaire en fonction du tonnage, soit qu'il en bénéficierait pour la première fois à partir de l'exercice d'imposition se rattachant à la période imposable qui se clôture au plus tard le 30 décembre 2020), ou ultérieurement (pour les contribuables qui bénéficieront pour la première fois du régime de taxation forfaitaire en fonction du tonnage à partir de l'exercice d'imposition 2022 se rattachant à une période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2021), pourra à nouveau se poursuivre à la sortie dudit régime.

Il est également précisé que le report de crédit d'impôt pour recherche et développement aux quatre exercices d'imposition successifs visé à l'article 292bis, § 1er, alinéa 2, du même Code, sera désormais suspendu pendant l'application du régime de taxation forfaitaire en fonction du tonnage et pourra reprendre son cours à sa sortie.

L'article 51 en projet rend ces dispositions applicables à partir de l'exercice d'imposition 2022 se rattachant à une période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2021.

Suite à l'avis du Conseil d'Etat n° 66.608/3-4 du 14 novembre 2019, le vocabulaire de l'article 124, § 1er, alinéas 2 et 3 a été adapté en réponse à la remarque relative à l'article 3 en projet.

En outre, en réponse à la remarque reprise sous le point 2.3 de l'avis du Conseil d'Etat n° 66.608/3-4 du 14 novembre 2019 précité, nous ajoutons ci-dessous un exemple chiffré.

Enfin, l'occasion est mise à profit pour apporter quelques corrections techniques » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/001, pp. 29 et 30).

B.2.4. L'article 81, attaqué, de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer règle l'effet dans le temps de l'article 79 de cette même loi. Il dispose ainsi que l'article 116, alinéas 2 et 3, de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer s'applique à partir de l'exercice d'imposition 2022 se rattachant à une période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2021.

Quant au fond En ce qui concerne les premier, deuxième et troisième moyens (absence de mesures transitoires) B.3.1. La partie requérante conteste dans trois de ses moyens l'article 79 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer. Elle prend ces moyens de la violation, d'une part, des articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison soit avec le principe de la sécurité juridique et avec celui de la confiance légitime (premier moyen), soit avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 16 de la Constitution (deuxième moyen), et, d'autre part, de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution (troisième moyen).

Elle critique l'absence de toute mesure transitoire concernant le crédit d'impôt R&D déjà constitué préalablement à la période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2021.

B.3.2. Dès lors que les premier, deuxième et troisième moyens critiquent la même disposition et que les trois moyens sont pris en substance de normes de référence invoquées en combinaison avec le principe de la sécurité juridique ou de normes de référence qui garantissent implicitement la sécurité juridique, la Cour les examine conjointement.

B.4. Si le législateur estime qu'un changement de politique s'impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et il n'est pas tenu, en principe, de prévoir un régime transitoire. Les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution ne sont violés que si l'absence d'une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n'est pas susceptible de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l'intérêt que possèdent les sujets de droit d'être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.

Le législateur doit toutefois, lorsqu'il instaure un nouveau régime légal, examiner au cas par cas si des mesures transitoires sont nécessaires, compte tenu de l'impact des nouvelles règles et des attentes légitimes des justiciables concernés.

B.5. Le crédit d'impôt, par exemple pour recherche et développement (article 289quater du Code des impôts sur les revenus 1992, ci-après : le CIR 1992), est une mesure fiscale qui vise à permettre aux contribuables qui investissent dans de nouveaux brevets ou dans la recherche et le développement de nouveaux produits et technologies avancées respectueux de l'environnement de déduire une certaine partie de cet investissement des impôts dont ils sont redevables.

Contrairement à d'autres avantages fiscaux, le crédit d'impôt profite toujours intégralement au contribuable, même lorsqu'il n'a pas de revenus imposables ou des revenus imposables de façon limitée, et donc y compris dans le cas où il n'a pas d'impôts à payer ou seulement des impôts très limités. Le crédit d'impôt R&D peut ainsi être imputé sur l'impôt des sociétés dû lors des cinq exercices d'imposition suivants, et le solde du crédit peut finalement être versé au contribuable (article 292bis du CIR 1992).

B.6. L'article 116, alinéa 2, de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer, inséré par l'article 79, attaqué, de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer, exclut qu'un contribuable qui relève du régime de la taxation sur la base du tonnage puisse recourir au crédit d'impôt R&D. Il résulte en outre de l'article 116 précité que, pour les contribuables qui relèvent du régime de la taxation sur la base du tonnage, l'imputation (alinéa 2) et le report (alinéa 3) de la partie non encore imputée du crédit d'impôt R&D précédemment constitué sont suspendus jusqu'à ce qu'ils ne relèvent plus du régime de la taxation sur la base du tonnage.

B.7. Le législateur a pu raisonnablement considérer que les contribuables qui relèvent du régime avantageux de la taxation sur la base du tonnage sont effectivement tenus de payer des impôts sur les bénéfices fixés forfaitairement et qu'ils ne peuvent dès lors pas bénéficier d'autres avantages fiscaux.

B.8. A la lumière de ce qui est dit en B.7, le législateur pouvait prévoir que le crédit d'impôt R&D ne peut pas ou plus être appliqué par des contribuables soumis au régime de la taxation sur la base du tonnage.

B.9.1. La situation des contribuables qui relèvent du régime de la taxation sur la base du tonnage et qui ont déjà eu recours au crédit d'impôt R&D, et qui ont donc constitué un tel crédit dont l'imputation, le report ou le paiement est toujours pendant, est affectée défavorablement par l'incompatibilité instaurée par la disposition attaquée entre le régime de la taxation sur la base du tonnage et l'application du crédit d'impôt R&D. B.9.2. Les contribuables qui recourent au régime de la taxation sur la base du tonnage bénéficient déjà d'un traitement fiscal très favorable de leurs revenus, de sorte qu'ils ne pouvaient pas considérer purement et simplement qu'ils pourraient continuer à bénéficier, sans aucun changement de politique du législateur, d'autres avantages fiscaux, certes déjà existants. Il y a d'ailleurs lieu de constater à cet égard que le législateur a aligné la mesure attaquée sur les incompatibilités existantes entre le régime de la taxation sur la base du tonnage et l'application d'autres avantages fiscaux. Lorsque le législateur constate l'usage cumulé de régimes fiscaux avantageux et qu'il souhaite y mettre fin, il peut estimer raisonnablement que ce changement de politique doit être réalisé immédiatement et il n'est donc pas obligé de prévoir une réglementation transitoire. Si le législateur avait dû prévoir un régime transitoire en ce qui concerne le crédit d'impôt constitué durant les exercices d'imposition antérieurs à l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, cela aurait eu pour conséquence que le cumul de l'application du régime de la taxation sur la base du tonnage et de l'application du crédit d'impôt R&D aurait continué d'exister, de sorte que la réalisation de l'objectif poursuivi par les dispositions attaquées, à savoir de taxer également, de manière effective, le bénéfice forfaitaire, aurait pris plusieurs années de retard.

B.9.3. L'absence de régime transitoire repose d'autant plus sur une justification raisonnable que le législateur a prévu que l'imputation, le report et le paiement du crédit d'impôt R&D déjà constitué sont suspendus.

La mesure attaquée n'empêche donc pas la récupération du crédit d'impôt constitué lors d'investissements précédemment effectués. Comme la mesure attaquée ne prévoit en l'espèce qu'une suspension temporaire de l'imputation, du report et du paiement du crédit d'impôt R&D, elle ne supprime pas en effet l'aide financière des autorités publiques aux investissements déjà engagés, mais les modalités de cette mesure fiscale sont soumises, à l'instar de mesures fiscales similaires, à une condition supplémentaire, qui prévoit que le contribuable ne recoure pas à l'application du régime de la taxation sur la base du tonnage, ce qui relève du libre choix du contribuable à la fin de chaque période décennale.

Dès que le contribuable choisit de ne plus recourir au régime de taxation sur la base du tonnage, il peut de nouveau imputer sur sa dette fiscale le crédit d'impôt R&D précédemment constitué, reporter le solde de ce crédit d'impôt sur un exercice suivant et, le cas échéant, obtenir finalement le versement du solde du crédit d'impôt R&D non encore imputé.

La mesure attaquée prévoit dès lors que le contribuable qui recourt au régime de taxation sur la base du tonnage devra le cas échéant patienter durant un laps de temps supplémentaire pour bénéficier, par rapport à des investissements précédemment engagés, de l'aide apportée par l'application du crédit d'impôt R&D. Bien que cette suspension temporaire du crédit d'impôt R&D puisse perturber la gestion des activités du contribuable, elle ne semble pas être d'une gravité telle que l'absence de mesures transitoires mettrait en péril la survie du contribuable. La partie requérante ne démontre pas le contraire en l'espèce.

L'absence de mesures transitoires ne porte donc pas une atteinte disproportionnée à la confiance légitime ou aux droits acquis du contribuable.

B.10. Les premier, deuxième et troisième moyens ne sont pas fondés.

En ce qui concerne le quatrième moyen (effet rétroactif) B.11. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation, par l'article 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer, des articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité, avec le principe de la sécurité juridique et avec l'article 1er de l'ancien Code civil.

Elle critique cette disposition parce qu'elle conférerait un effet rétroactif à l'article 79 de la même loi et rend donc la nouvelle mesure relative à l'incompatibilité entre la taxation sur la base du tonnage et un recours au régime du crédit d'impôt R&D applicable rétroactivement à partir de l'exercice d'imposition se rattachant à une période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2021.

B.12. La non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l'insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que le justiciable puisse prévoir, dans une mesure raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte est accompli. La rétroactivité ne se justifie que si elle est indispensable à la réalisation d'un objectif d'intérêt général.

B.13. La Cour doit d'abord examiner si la disposition attaquée confère un effet rétroactif à l'article 79 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer.

B.14. Une règle de droit fiscal n'est rétroactive que si elle s'applique à des faits, actes et situations qui étaient définitivement accomplis au moment où elle est entrée en vigueur.

B.15.1. En matière d'impôts sur les revenus, la dette d'impôt naît définitivement à la date de clôture de la période au cours de laquelle les revenus qui constituent la base d'imposition ont été acquis.

Par conséquent, toutes les modifications qui ont été apportées aux impôts sur les revenus avant la fin de la période imposable peuvent être appliquées sans qu'elles puissent être réputées avoir un effet rétroactif.

B.15.2. Il découle de l'article 79 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer que l'application du régime de taxation sur la base du tonnage est incompatible avec l'application du crédit d'impôt R&D. Cet article prend effet à partir de l'exercice d'imposition 2022, lequel se rattache à une période imposable qui a débuté au plus tôt le 1er janvier 2021.

B.15.3. A l'égard des sociétés, la période imposable dans le cadre de l'impôt sur les revenus coïncide soit avec l'année qui précède celle dont le millésime désigne l'exercice d'imposition, lorsqu'il n'existe pas de comptabilité ou que la comptabilité est tenue par année civile, soit avec l'exercice comptable - quelle qu'en soit la durée - clôturé pendant l'année dont le millésime désigne l'exercice d'imposition, si la comptabilité n'est pas clôturée le 31 décembre, soit avec l'exercice comptable qui précède l'année dont le millésime désigne l'exercice d'imposition, lorsque cet exercice comptable - inférieur ou supérieur à douze mois - est clôturé le 31 décembre.

B.15.4. Cependant, l'article 79, attaqué, de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer n'a été publié que le 28 janvier 2022 au Moniteur belge et est entré en vigueur le 7 février 2022.

B.15.5. Il résulte de ce qui précède que l'article 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer confère un effet rétroactif à l'article 79 de cette même loi en ce qu'il s'applique aux contribuables dont les revenus sont déterminés sur la base d'une période imposable qui se clôture le 31 décembre 2021. Dès lors qu'il s'avère que la dette fiscale résulte non seulement des revenus recueillis, mais aussi du crédit d'impôt constitué pendant la période imposable, la disposition attaquée a pour effet de porter rétroactivement atteinte à la situation fiscale du contribuable déjà établie de manière définitive.

B.16. Comme le Conseil des ministres le reconnaît lui-même, l'effet rétroactif résulte simplement de l'adoption tardive des dispositions attaquées, ce qui explique l'absence de justification dans les travaux préparatoires.

Dans son mémoire, le Conseil des ministres renvoie cependant à l'objectif de protéger les intérêts du Trésor et à la nécessité, eu égard au principe d'égalité et aux règles relatives aux aides d'Etat, de mettre un terme au recours, non souhaité par le législateur, au crédit d'impôt R&D par des contribuables bénéficiant déjà du régime avantageux de la taxation sur la base du tonnage.

B.17. Les objectifs d'intérêt général ainsi invoqués peuvent certes justifier que des contribuables qui recourent à la taxation sur la base du tonnage ne puissent pas bénéficier simultanément du crédit d'impôt R&D, mais ils ne peuvent pas justifier l'effet rétroactif de la mesure. Il n'est pas davantage avéré que l'effet rétroactif serait nécessaire pour mettre le régime de taxation sur la base du tonnage en conformité avec les exigences en matière d'aides d'Etat.

L'article 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique, et doit être annulé.

B.18. Le quatrième moyen est fondé.

Par ces motifs, la Cour - annule l'article 81 de la loi du 21 janvier 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/01/2022 pub. 28/01/2022 numac 2022040046 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses fermer « portant des dispositions fiscales diverses »; - rejette le recours pour le surplus.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 septembre 2023.

Le greffier, Le président, N. Dupont L. Lavrysen

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