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Arrêt
publié le 06 mars 2023

Extrait de l'arrêt n° 111/2022 du 22 septembre 2022 Numéro du rôle : 7561 En cause : le recours en annulation de l'article 34, § 3, du décret de la Région wallonne du 1(...)

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06/03/2023
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 111/2022 du 22 septembre 2022 Numéro du rôle : 7561 En cause : le recours en annulation de l'article 34, § 3, du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité », tel que cet article a été complété par l'article 4 du décret de la Région wallonne du 1er octobre 2020 « relatif à la fin de la compensation entre les quantités d'électricité prélevées et injectées sur le réseau et à l'octroi de primes pour promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie et la production d'électricité au moyen de sources d'énergie renouvelable », et des articles 5 et 6 du décret du 1er octobre 2020 précité, introduit par Antoine Thoreau.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 15 avril 2021 et parvenue au greffe le 19 avril 2021, Antoine Thoreau a introduit un recours en annulation de l'article 34, § 3, du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité », tel que cet article a été complété par l'article 4 du décret de la Région wallonne du 1er octobre 2020 « relatif à la fin de la compensation entre les quantités d'électricité prélevées et injectées sur le réseau et à l'octroi de primes pour promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie et la production d'électricité au moyen de sources d'énergie renouvelable », et des articles 5 et 6 du décret du 1er octobre 2020 précité (publié au Moniteur belge du 19 octobre 2020). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. Le recours en annulation vise les articles 4 (partiellement), 5 et 6 du décret de la Région wallonne du 1er octobre 2020 « relatif à la fin de la compensation entre les quantités d'électricité prélevées et injectées sur le réseau et à l'octroi de primes pour promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie et la production d'électricité au moyen de sources d'énergie renouvelable » (ci-après : le décret du 1er octobre 2020).

B.1.2. L'article 4 du décret du 1er octobre 2020 insère de nouveaux paragraphes 2 et 3 dans l'article 34 du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité » (ci-après : le décret du 12 avril 2001). Le recours vise le nouveau paragraphe 3 inséré, qui dispose : « Du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2023, à titre d'obligation de service public, les gestionnaires de réseau de distribution octroient annuellement, pour le compte de la Région wallonne, une prime au client résidentiel auto-producteur qui dispose d'une installation de production d'électricité renouvelable d'une puissance nette développable inférieure ou égale à 10 kW, qui ne bénéficie pas du tarif social.

Du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021, le montant de la prime pour les clients visés à l'alinéa 1er ne disposant pas d'un compteur double flux, est de 100 pourcents du terme capacitaire et de 54,27 pourcents de celui-ci pour les années 2022 et 2023.

Du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021, le montant de la prime pour les clients visés à l'alinéa 1er équipés d'un compteur double flux, est de 100 pourcents de la différence entre la facture des coûts de réseaux et le montant total des coûts de réseaux qui aurait été facturé en prélèvement net sans le terme capacitaire et de 54,27 pourcents de celle-ci pour les années 2022 et 2023.

Chaque gestionnaire de réseau de distribution est tenu d'octroyer la prime dans le mois de l'envoi de la facture de décompte au fournisseur.

L'administration met à disposition du gestionnaire de réseau de distribution une avance budgétaire permettant de financer le versement des primes visées à l'alinéa 1er.

Chaque gestionnaire de réseau est tenu de communiquer à l'administration, pour le dixième jour de chaque mois, un fichier électronique transmis par courriel avec demande d'accusé de réception.

Ce fichier comporte, la liste des primes liquidées le mois précédent ainsi que leurs données détaillées.

Trimestriellement, le gestionnaire de réseau adresse à l'administration, en trois exemplaires, une déclaration de créance accompagnée d'un relevé des dépenses ainsi que des pièces justificatives relatives aux primes effectivement payées.

A la réception du relevé des dépenses, l'administration vérifie celui-ci et les pièces justificatives qui l'accompagnent. Après avoir déterminé le montant des dépenses admissibles, l'administration approuve la dépense en déduction de l'avance visée à l'alinéa 1er ou, le cas échéant, met ce montant en liquidation.

Le gestionnaire de réseau mentionne sur sa déclaration de créance le numéro du compte financier dont il est titulaire et insère la mention ' montant certifié sincère et véritable '.

Le Gouvernement ou son délégué peut préciser les modalités d'application du présent paragraphe ».

B.1.3. L'article 5 du décret du 1er octobre 2020 insère dans l'article 34bis du décret du 12 avril 2001 un nouveau paragraphe 2 qui dispose : « Le fournisseur mentionne dans la facture de régularisation des bénéficiaires de la prime visée à l'article 34, § 3, alinéa 1er, tout à la fois, le montant de la prime octroyée et sa prise en charge finale par le Gouvernement ».

B.1.4. L'article 6 du décret du 1er octobre 2020 dispose : « Le Gouvernement verse aux gestionnaires de réseau de distribution le montant qui correspond au tarif pour l'utilisation du réseau de distribution applicable à l'auto-producteur qui dispose d'une installation de production d'électricité renouvelable d'une puissance nette développable inférieure ou égale à 10 kW qui n'a pas été perçue entre le 1er janvier 2020 et le 30 septembre 2020 ».

B.2.1. Les développements de la proposition à l'origine de l'article 4 du décret du 1er octobre 2020 indiquent : « Le nouveau paragraphe 3 de l'article 34 du décret dit ' électricité ' instaure un soutien aux clients résidentiels auto-producteurs qui disposent d'une installation de production d'électricité renouvelable d'une puissance nette développable inférieure ou égale à 10 kW. Le montant du soutien correspond au tarif pour l'utilisation du réseau de distribution applicable à l'auto-producteur qui dispose d'une installation de production d'électricité renouvelable d'une puissance nette inférieure ou égale à 10 kW, du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021. Ensuite, du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023, le montant du soutien correspond à 54,2 % de ce tarif. Le Gouvernement rembourse les gestionnaires de réseau sur la base de déclarations de créance. [...] » (Doc. parl., Parlement wallon, 2020-2021, n° 260/1, p. 4).

B.2.2. En commission du Parlement wallon, l'un des auteurs de la proposition de décret a expliqué : « Il est instauré, par cette proposition, différents mécanismes qui, soyons très clairs, permettent à la Région de respecter ses engagements et de compenser l'entrée en vigueur de ce tarif telle que voulue par la CWaPE. [...] Il y a ensuite la mise en oeuvre d'un soutien financier aux prosumers en vue d'accorder un soutien dégressif pour la quantité d'électricité non autoconsommée par un prosumer pour une installation de production ESR d'une puissance de moins de 10 kilowatts pour les années 2020 à 2023. Ce mécanisme de soutien qui sera mis en oeuvre par les GRD avec remboursement de la Région entrera en vigueur de manière concomitante à l'application du tarif prosumer.Ce soutien correspond à 100 % de la redevance prosumer pour les années 2020 et 2021, à 54,27 % de cette redevance en 2022 et à 54,27 % de la redevance en 2023. Il s'agit d'un budget estimé à 224 000 000 euros.

En d'autres mots, il s'agit d'un remboursement automatique du tarif prosumer. Ce remboursement s'effectuera dans les 30 jours de la réception par le citoyen de sa facture » (Doc. parl., Parlement wallon, 2020-2021, 28 septembre 2020, C.R.I.C, n° 15, p. 56).

B.2.3. Le texte de la proposition de décret initial comportait d'autres dispositions prévoyant la mise en oeuvre d'un soutien financier au bénéfice de tous les consommateurs, y compris les clients ne disposant pas de panneaux photovoltaïques, pour le placement de compteurs à double flux ou pour le placement d'équipements de mesures et de pilotage destinés à permettre à chaque citoyen de mieux analyser, et donc maîtriser, sa consommation d'énergie. Ces dispositions ont été retirées de la proposition d'origine pour des raisons de procédure et ont été inscrites dans le décret du 17 décembre 2020 de la Région wallonne « relatif à l'octroi d'une prime pour l'installation d'équipements de mesurage et de pilotage ».

Quant à la recevabilité du recours B.3.1. Le Gouvernement wallon fait valoir que le recours est irrecevable, à défaut pour la partie requérante de justifier d'un intérêt direct et personnel à l'annulation des dispositions qu'elle attaque.

B.3.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.

B.3.3. La partie requérante établit son intérêt à agir en annulation sous deux angles. Premièrement, en tant que consommateur d'électricité en Région wallonne ne disposant pas d'une installation de production d'électricité, cette partie s'estime discriminée par rapport aux consommateurs qui disposent d'une installation de production d'électricité en ce qu'elle doit, contrairement à ces derniers, contribuer aux coûts du réseau de distribution d'électricité.

Deuxièmement, en tant que contribuable domicilié en Région wallonne, cette partie considère avoir un intérêt à contester la prime qui est financée par le budget wallon.

B.4.1. Dès lors qu'elle ne dispose pas d'une installation de production d'électricité, la partie requérante n'est pas concernée par les dispositions qu'elle attaque puisqu'elles ne s'appliquent pas à elle. Leur annulation ne saurait dès lors avoir de conséquence directe sur sa situation.

Pour que la partie requérante justifie de l'intérêt requis, il est vrai cependant qu'il n'est pas nécessaire qu'une éventuelle annulation lui procure un avantage direct. La circonstance que la partie requérante obtienne à nouveau une chance que sa situation soit réglée plus favorablement à la suite de l'annulation de la disposition litigieuse suffit à justifier son intérêt à attaquer cette disposition.

B.4.2. Toutefois, en l'espèce, il convient de relever que le soutien financier institué par les dispositions attaquées sous forme d'une prime s'inscrit dans le contexte de la politique régionale en matière de développement des énergies renouvelables et qu'il est conçu pour « rétablir la confiance avec les prosumers qui ont joué le jeu de la transition, qui ont contribué à remplir les obligations de la Région en énergies renouvelables » (Doc. parl., Parlement wallon, 2020-2021, 28 septembre 2020, C.R.I.C, n° 15, p. 58). Comme il est dit en B.2.3, d'autres mesures de soutien visant à favoriser les économies d'énergie ont été concomitamment adoptées au bénéfice de l'ensemble des consommateurs.

Il en résulte que l'éventuelle annulation des dispositions attaquées ne saurait avoir pour effet que le législateur décrétal adopte de nouvelles dispositions octroyant la même prime aux consommateurs non « prosumers » qui ne participent pas à la production d'électricité au moyen de sources d'énergie renouvelable. Dès lors, l'avantage que la partie requérante espère pouvoir retirer d'une annulation éventuelle des dispositions attaquées est à ce point hypothétique qu'il ne saurait fonder à son égard un intérêt à agir en annulation.

B.5. L'annulation éventuelle des dispositions attaquées n'est pas non plus susceptible d'avoir une incidence directe sur la situation de la partie requérante en tant que contribuable domicilié en Région wallonne. S'il est exact que la prime visée par les dispositions attaquées est financée par le budget wallon, son octroi par le législateur décrétal aux « prosumers » résidentiels n'a eu aucun effet sur la façon dont la partie requérante est imposée et son annulation ne modifierait en rien sa situation fiscale.

B.6. La circonstance qu'en neutralisant l'incitant tarifaire mis en place par le régulateur wallon pour que les « prosumers » consomment davantage leur propre production, les dispositions attaquées entraîneraient la nécessité de renforcer le réseau de distribution, ce qui causerait une hausse des tarifs de distribution pour l'ensemble des consommateurs, outre qu'elle est hypothétique, ne suffit pas non plus pour démontrer un lien suffisamment individualisé entre la situation de la partie requérante et les dispositions qu'elle attaque.

B.7. Enfin, contrairement à ce qu'elle soutient, la partie requérante ne démontre pas que le décret attaqué risque de porter atteinte à un aspect de l'Etat de droit démocratique qui est à ce point essentiel que sa protection intéresse tous les citoyens. L'intérêt, invoqué par la partie requérante, à ce que l'indépendance décisionnelle et les compétences exclusives de l'autorité de régulation du marché wallon de l'électricité soient respectées ne se distingue pas de l'intérêt qu'a toute personne au respect de la légalité en toute matière. Admettre un tel intérêt pour agir devant la Cour reviendrait à admettre l'action populaire, ce que le Constituant n'a pas voulu.

B.8. L'exception d'irrecevabilité est fondée. Le recours en annulation est irrecevable à défaut de l'intérêt requis.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 septembre 2022.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, P. Nihoul

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