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Arrêt
publié le 28 juillet 2022

Conseil d'Etat, section du contentieux administratif, XV e chambre Arrêt n o 254.168 du 30 juin 2022, A. 232.860/XV-4669 En cause : 1. l'association sans but lucratif Fédération des Cafés de Belgique 2. LONNEUX Magdaleine, 3. CHARLIER Frédéric, ayant élu domicile chez M e Olivier BE(...)

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Conseil d'Etat, section du contentieux administratif, XVe chambre Arrêt no 254.168 du 30 juin 2022, A. 232.860/XV-4669 En cause : 1. l'association sans but lucratif Fédération des Cafés de Belgique (en abrégé FEDCAF BELGIUM), 2. LONNEUX Magdaleine, 3.CHARLIER Frédéric, ayant élu domicile chez Me Olivier BERTIN, avocat, avenue Louise, 81 1050 Bruxelles, contre . l'Etat belge, représenté par le ministre des Finances.

I. Objet de la requête Par une requête introduite, par la voie électronique, le 8 février 2021, l'association sans but lucratif Fédération des Cafés de Belgique (Fedcaf Belgium), Magdaleine Lonneux et Frédéric Charlier demandent l'annulation de la « réglementation forfaitaire en matière de TVA pour les cafetiers - année 2021 (F 2021/4-24) », adoptée par le SPF Finances le 21 janvier 2021 et publiée sur le site internet « Fisconet Plus » le même jour.

II. Procédure Le dossier administratif a été déposé.

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

M. Constantin Nikis, premier auditeur au Conseil d'Etat, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport concluant à l'annulation a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Dans son dernier mémoire, la partie adverse sollicite le maintien des effets de l'acte attaqué.

M. Constantin Nikis, premier auditeur, a rédigé un rapport complémentaire sur la base de l'article 14, alinéa 3, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat.

Par une ordonnance du 28 février 2022 et en l'absence d'objection de l'auditeur rapporteur, la chambre a proposé aux parties que l'affaire ne soit pas appelée à l'audience, conformément à l'article 26, 2, du règlement général de procédure. Le rapport sur la demande de maintien des effets était joint à cette ordonnance.

Aucune partie n'a sollicité la tenue d'une audience.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, III. Rétroactes 1. La partie adverse indique que le régime forfaitaire en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour les petites entreprises est un régime simplifié de taxation qui trouve son fondement dans l'article 281 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.Cette disposition prévoit ce qui suit : « Article 281 Les Etats membres qui rencontreraient des difficultés pour l'assujettissement des petites entreprises au régime normal de la TVA, en raison de leur activité ou de leur structure, peuvent, dans les limites et les conditions qu'ils fixent, et après consultation du comité de la TVA, appliquer des modalités simplifiées d'imposition et de perception de la taxe, notamment des régimes de forfait, sans qu'il puisse en résulter un allégement de l'impôt ».

Ce régime forfaitaire a été mis en oeuvre par l'article 56 du Code de la TVA qui dispose comme suit : « § 1er. Selon les modalités que le Roi détermine, des bases forfaitaires de taxation peuvent, après consultation des groupements professionnels intéressés et par secteur d'activité, être appliquées pour les assujettis qui satisfont aux conditions suivantes . 1° être une personne physique ; 2° exercer des activités professionnelles comportant, pour au moins 75 p.c. du chiffre d'affaires, des opérations pour lesquelles il n'y a pas d'obligation d'émettre des factures pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée ; 3° avoir un chiffre d'affaires annuel qui n'excède pas 750.000 euros, non compris la taxe sur la valeur ajoutée ; 4° ne pas effectuer des livraisons de biens et des prestations de services pour lesquelles ils sont tenus de délivrer au client le ticket de caisse visé à l'arrêté royal du 30 décembre 2009 fixant la définition et les conditions auxquelles doit répondre un système de caisse enregistreuse dans le secteur horeca. L'alinéa 1er est applicable aux sociétés en nom collectif, aux sociétés en commandite et aux sociétés à responsabilité limitée jusqu'au 31 décembre 2019.

Par dérogation à l'alinéa 1er les bases forfaitaires de taxation peuvent être appliquées aux assujettis qui ne remplissent pas la condition prévue à l'alinéa 1er, 2°, lorsque les opérations pour lesquelles l'émission d'une facture est obligatoire sont conclues avec un petit nombre de personnes ou portent sur des quantités de biens qui ne sont pas sensiblement supérieures à celles qui sont habituellement livrées à des particuliers. En aucun cas, les opérations pour lesquelles l'émission d'une facture est obligatoire ne peuvent dépasser 40 p.c. du chiffre d'affaires.

Selon les modalités que le Roi détermine, des bases forfaitaires de taxation spéciales peuvent, après consultation des groupements professionnels intéressés et par secteur d'activité, également être appliquées pour les assujettis qui exercent leur activité dans des conditions particulières similaires, notamment en raison de la nature ou de la qualité des biens qu'ils livrent ou de la nature des services qu'ils fournissent ou en raison de leur mode d'approvisionnement ou de leurs marges bénéficiaires.

A l'égard des assujettis qui exercent leur activité dans des conditions ne permettant pas d'appliquer les bases forfaitaires de taxation, même spéciales, qui ont été établies, ces bases forfaitaires de taxation peuvent, à leur demande, être adaptées à l'activité de ces assujettis. § 2. Le chiffre d'affaires qui sert de référence pour bénéficier de l'application des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er alinéa 1er, est constitué par le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée : a) du chiffre d'affaires total des différentes activités professionnelles exercées par un même assujetti ;b) du chiffre d'affaires total des activités professionnelles qui sont exercées par plusieurs assujettis, en indivision ou en association. Lorsque des époux exercent séparément une activité professionnelle, il y a lieu de considérer distinctement le chiffre d'affaires réalisé par chacun d'entre eux, quel que soit leur régime matrimonial. § 3. L'assujetti soumis à l'application des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er est censé, jusqu'à preuve du contraire, avoir livré, tels quels ou après transformation, ou avoir utilisé dans l'exécution des services, dans les conditions qui rendent la taxe exigible, tous les biens qui lui ont été livrés, qui ont fait l'objet, dans son chef, d'acquisitions intracommunautaires ou qu'il a importés. Cette présomption s'applique, en règle, à chaque période de déclaration.

Lorsque l'assujetti ne dresse pas chaque année un inventaire de son stock, ce stock est présumé être resté constant.

Lorsque l'assujetti dresse chaque année un inventaire de son stock, le montant des achats, des acquisitions intracommunautaires et des importations est, pour la détermination du chiffre d'affaires de la période au cours de laquelle l'inventaire est dressé, augmenté ou diminué, selon le cas, de la différence de valeur, exprimée en prix d'achat, des biens repris dans les inventaires annuels successifs de son stock.

Lorsque l'assujetti soumis à l'application des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er effectue des opérations qui sont exemptées de la taxe ou pour lesquelles des bases forfaitaires de taxation n'ont pas été établies, il n'est pas tenu compte, pour la détermination forfaitaire du chiffre d'affaires des biens qui lui ont été livrés, qui ont fait l'objet, dans son chef, d'acquisitions intracommunautaires ou qu'il a importés et qui ont été affectés à l'exécution des opérations susvisées. Il appartient à l'assujetti de faire la preuve de cette affectation. § 4. L'assujetti soumis à l'application des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er peut opter pour le régime normal de la taxe.

Il peut toutefois opter pour le régime de la franchise de taxe établi par l'article 56bis, lorsqu'il répond aux conditions imposées pour l'application de ce régime.

Lors du passage au régime normal de la taxe ou au régime de la franchise de taxe, l'assujetti peut obtenir la restitution de la taxe qu'il a acquittée en raison des biens, qui, pour l'application du régime du forfait, sont censés avoir été livrés mais qu'il a encore en stock.

L'assujetti soumis au régime normal de la taxe ou au régime de la franchise de taxe visé à l'article 56bis peut bénéficier de l'application des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er pour autant qu'il remplisse les conditions prévues pour l'application de ce régime et qu'il dresse, au moment du passage, un inventaire de son stock. § 5. Le Roi fixe les conditions d'application pratiques et les formalités à observer en ce qui concerne notamment le commencement, le changement ou la cessation de l'activité, le régime de taxation et les modalités d'exercice des options visées au paragraphe 4, Il fixe en outre les modalités de détermination des bases forfaitaires visées au paragraphe 1er par l'administration ».

Comme l'explique la partie adverse, ce régime, qui est dérogatoire et optionnel, permet de prévoir des modalités simplifiées d'imposition et de perception de la TVA pour les entreprises qui, en raison de leur petite taille, ne disposent pas d'une organisation comptable suffisante pour permettre l'application du régime général de la TVA. 2. L'article 56 du Code de la TVA est mis en oeuvre par l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018 relatif au régime du forfait en matière de taxe sur la valeur ajoutée, dont les articles 7, 8 et 9 sont rédigés comme suit : « Art.7. Dans le courant de chaque année, des bases forfaitaires provisoires sont établies conformément à l'article 56, § 1er, alinéa 1er, du Code, pour le calcul de la taxe à payer au cours de l'année suivante.

Ces bases peuvent être modifiées, selon la même procédure, dans le courant de cette dernière année pour tenir compte des changements sensibles qui seraient intervenus entre-temps dans les éléments constitutifs du forfait.

Les bases forfaitaires établies conformément aux alinéas 1er et 2 sont définitives pour autant que les modifications qui seraient intervenues après leur établissement, dans les éléments constitutifs du forfait, ne fassent pas varier d'au moins 2 p.c. le chiffre d'affaires calculé forfaitairement.

Art. 8.Les groupements professionnels qui désirent être consultés pour l'établissement des bases forfaitaires de taxation, doivent, chaque année, avant le 1er février, fournir à l'administration les éléments détaillés et chiffrés nécessaires pour l'établissement de ces bases forfaitaires.

Art. 9.Le ministre des Finances ou son délégué détermine les modalités pratiques d'application du présent arrêté en ce qui concerne le paiement de la taxe et le changement du régime de taxation. Il prévoit également la forme et le contenu des documents propres à ce régime ».

L'annexe de l'arrêté royal précité contient la liste des secteurs d'activité - dont les cafetiers - pour lesquels des bases forfaitaires de taxation sont établies.

L'acte attaqué, qui a été adopté par le SPF Finances le 21 janvier 2021, fixe les modes de calcul des bases forfaitaires de taxation des cafetiers pour l'année 2021. Cet acte a été publié, selon la partie adverse, sur son site Internet « Fisconet Plus », le même jour. 3. Par un arrêt no 251.520 du 17 septembre 2021, mettant en cause des mêmes parties, le Conseil d'Etat a annulé la règlementation forfaitaire en matière de TVA pour les cafetiers - année 2020 (F 2020/4-24).

IV. Compétence du Conseil d'Etat IV. l. Thèses des parties Les parties requérantes soutiennent que l'acte attaqué revêt une portée réglementaire, en ce qu'il prévoit des bases forfaitaires de taxation qui se substituent aux règles ordinaires du Code de la TVA. Il établit, selon elles, un régime de taxation distinct portant au moins sur deux éléments essentiels de l'impôt, à savoir le fait imposable et la base d'imposition.

Pour le fait imposable, elles soulignent ce qui suit : « Le fait imposable : le fait imposable, c'est-à-dire l'événement qui est soumis à l'impôt est, dans le forfait, l'achat (des fûts) de boissons et/ou de denrées. Il se substitue à la règle de droit commun en matière de TVA, qui, en l'espèce, aurait dû être la livraison de biens (article 4 CTVA, qui énonce les différentes opérations soumises à la TVA) ».

Quant à la base d'imposition, elles font valoir ce qui suit : « La base d'imposition : dans le régime particulier pour les petits cafetiers (page F 2021/4-24/2 de l'acte attaqué), il s'agit du prix d'achat des boissons, multiplié par un coefficient qui varie selon la boisson (p. ex. 2,25 pour la bière). Cette règle se substitue à la règle de droit commun en matière de TVA, selon laquelle la taxe est établie sur tout ce qui constitue la contrepartie à obtenir par le fournisseur du bien (article 26 CTVA). Le prix de vente effectif des boissons est donc négligé dans ce régime particulier.

Dans le régime forfaitaire ordinaire des cafetiers (page F 2021/4-24/5 de l'acte attaqué), le prix de vente par verre est pris en considération, mais en partie seulement : la base imposable est le résultat d'un calcul forfaitaire : nombre de litres achetés multiplié par un coefficient indiqué dans le forfait et par le prix unitaire du verre. La taxe n'est donc pas établie sur le nombre de verres effectivement vendus ou livrés. Sur ce point également, le forfait s'écarte des règles ordinaires la base d'imposition n'est pas établie sur la contrepartie réellement portée en compte par le cafetier à ses clients ».

Elles estiment que la portée réglementaire de l'acte attaqué n'est pas démentie par le caractère optionnel du régime forfaitaire de taxation.

Elles font valoir que le forfait contient un ensemble de règles obligatoires, dont l'effet est de déterminer une dette de TVA. Elles relèvent ainsi que si l'assujetti répond aux conditions, il a le droit d'être taxé selon le forfait, mais il doit suivre un certain nombre de règles et de formalités, tandis qu'à l'inverse, l'administration est tenue de déterminer la dette sur la base du forfait. Elles en déduisent que l'acte attaqué ajoute des règles nouvelles aux règles existantes et qu'il n'a le caractère ni d'une circulaire interprétative ni d'une circulaire établissant de simples règles de conduite.

Dans son mémoire en réponse, la partie adverse soutient que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître du recours car l'acte attaqué ne revêt pas de caractère réglementaire.

Elle relève, tout d'abord, que la Cour constitutionnelle a décidé, dans un arrêt no 131/2007 du 17 octobre 2007, qu'il n'était pas contraire au principe de légalité de l'impôt d'attribuer au Roi le pouvoir de régler les modalités selon lesquelles l'administration détermine la base de la taxation forfaitaire. Elle en déduit que l'acte attaqué ne détermine aucun élément essentiel de l'impôt.

Elle fait valoir, ensuite, que l'acte attaqué n'a pas de portée réglementaire puisqu'il s'agit d'un régime optionnel, qui ne possède de caractère contraignant « que pour qui accepte de s'y soumettre ».

Elle expose que le régime du forfait n'oblige ni les assujettis qui sont dans les conditions pour en bénéficier, qui peuvent soit déclarer leurs recettes réelles, soit « marquer leur accord avec les chiffres arrêtés dans le régime du forfait », ni l'administration, qui peut soit accepter des recettes inférieures au montant forfaitaire, soit imposer sur des recettes supérieures si le chiffre d'affaires réel excède sensiblement le chiffre d'affaires forfaitaire.

Elle ajoute que l'assujetti qui estime que le calcul forfaitaire de taxation ne peut lui être appliqué en raison des circonstances particulières liées à l'exercice de son activité, peut demander que la base forfaitaire de taxation soit adaptée. Elle se réfère, à cet égard, à l'article 56, § 1er, alinéa 5, du Code de la TVA et au « Manuel TVA 2015 ». Elle en déduit que le caractère contraignant du forfait est loin d'être absolu.

Enfin, elle considère que si les parties requérantes ne sont pas d'accord avec l'application qui est faite par l'administration de la règle fiscale à leur égard, elles doivent porter ce type de contestation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire qui sont seuls compétents au regard de l'article 569, 32°, du Code judiciaire.

En réplique, à l'appui de leur argument selon lequel l'acte attaqué présente une portée réglementaire, les parties requérantes répètent que les bases forfaitaires de taxation se substituent aux règles ordinaires du Code de la TVA et établissent un régime d'imposition distinct portant sur au moins deux éléments essentiels de l'impôt, à savoir le fait imposable et la base d'imposition.

Elles sont d'avis que l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 17 octobre 2007, précité, vanté par la partie adverse, confirme que le législateur a bien délégué au Roi et à l'administration fiscale le pouvoir d'adopter la « base de taxation » (considérant B.5.2), c'est-à-dire un élément essentiel de l'impôt, mais elles attirent l'attention sur le fait que cet arrêt se prononce sur l'ancien arrêté royal no 2 de 1969 et que la Cour a également précisé ce qui suit : « B.5.4. Il appartient, pour le surplus, au juge compétent d'apprécier si le Roi et l'administration fiscale ont mis en oeuvre, dans le respect notamment des articles 10 et 11 de la Constitution, l'habilitation qui leur a été conférée ».

Quant au caractère optionnel de ce régime, elles exposent que cette possibilité de choisir, sous certaines conditions, le régime ordinaire ou le régime forfaitaire, n'enlève pas à l'acte attaqué son caractère réglementaire dès lors que « le régime du forfait contient, comme le régime ordinaire, un ensemble de règles obligatoires dont l'effet est de déterminer une dette de TVA ».

Au vu de l'ensemble de ces éléments, elles maintiennent que l'acte attaqué n'est pas une simple circulaire interprétative, qu'il ajoute des règles nouvelles obligatoires pour ceux qui optent pour le régime forfaitaire et qu'en conséquence, il revêt bien un caractère réglementaire.

Elles se réfèrent au rapport de l'auditeur dans l'affaire A. 230.930/XV4448, qui conclut que l'acte attaqué est un acte réglementaire et que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître du recours.

Enfin, elles font valoir que l'article 569, 32°, du Code judiciaire attribue une compétence exclusive au tribunal de première instance pour connaître des litiges portant sur « des actes juridiques fiscaux à portée individuelle », tandis que les litiges portant sur des « actes juridiques fiscaux normatifs » restent de la compétence du Conseil d'Etat ou de la Cour constitutionnelle.

Dans son dernier mémoire, la partie adverse se réfère à son mémoire en réponse.

Dans leur dernier mémoire, les parties requérantes se réfèrent également à leurs écrits de procédure, ainsi qu'à l'arrêt no 251.520 du 17 septembre 2021, auquel elles se rallient.

IV.2. Appréciation Une circulaire ministérielle n'est pas destinée à modifier les règles de droit et ne revêt dès lors pas, en principe, le caractère réglementaire qui pourrait justifier son annulation par le Conseil d'Etat. Il en est ainsi lorsqu'elle se borne à énoncer de simples règles de conduite, des renseignements ou des explications concernant, notamment, la législation ou la réglementation existante, voire lorsqu'elle propose une interprétation non contraignante de celles-ci.

Cependant, ont un caractère réglementaire, les circulaires, instructions ou prescriptions générales qui ajoutent à la réglementation existante des règles nouvelles, présentant un certain degré de généralité, dès lors que leur auteur a l'intention de les rendre obligatoires et qu'il dispose des moyens pour forcer au respect de ces directives. De tels actes sont susceptibles de recours en annulation devant le Conseil d'Etat.

Pour qu'une circulaire puisse faire l'objet d'un recours en annulation, trois critères cumulatifs doivent donc être réunis : - elle doit contenir des règles nouvelles et pas seulement informer son destinataire ou lui proposer une interprétation non contraignante de règles en vigueur ; - elle doit rendre ces nouvelles règles obligatoires et celles-ci doivent être rédigées à cet effet en termes impératifs ; - son auteur doit disposer du pouvoir d'imposer sa volonté au destinataire de son texte et de le sanctionner, le cas échéant.

En l'espèce, l'acte attaqué établit des régimes forfaitaires de taxation distincts pour les « petits cafetiers », dont il définit la notion, et les autres cafetiers visés à l'annexe de l'arrêté royal no 2, précité. Il exclut du bénéfice du forfait, d'une part, certaines opérations effectuées dans le cadre de l'activité de cafetier pour lesquelles la délivrance d'une facture n'est pas obligatoire comme, par exemple, la fourniture de repas légers et, d'autre part, certaines catégories de bars, tels que ceux qui accueillent des orchestres et où les consommations sont majorées durant les prestations de ceux-ci.

L'acte attaqué fixe aussi la méthode de calcul du produit imposable de la fourniture de boissons et de menues denrées alimentaires par les petits cafetiers et les cafetiers, c'est-à-dire les bases forfaitaires d'imposition. Il définit encore les modalités d'application du régime forfaitaire et les obligations comptables des cafetiers soumis à ce régime.

Il n'est pas contestable que, ce faisant, l'acte attaqué définit des règles nouvelles, qui s'ajoutent à celles prescrites par l'article 56 du Code de la TVA et par l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018.

Par ailleurs, la lecture de l'acte attaqué fait apparaître, à de nombreuses reprises, que son auteur entend bien imposer les principes qu'il contient.

Même si l'application du régime forfaitaire en matière de TVA est optionnelle (article 56, § 4, du Code de la TVA), l'auteur de l'acte attaqué dispose néanmoins du pouvoir d'imposer sa volonté et de sanctionner celui qui, ayant fait le choix du régime forfaitaire, tenterait de ne pas respecter les conditions de celui-ci.

Le fait que, selon le Commentaire administratif cité par la partie adverse, certains assujettis, « expressément exclus du régime forfaitaire par les réglementations établissant les forfaits » parce que ces forfaits ne sont pas adaptés aux conditions très particulières dans lesquelles ils exercent leur activité, « peuvent L...] demander individuellement, dans une lettre au chef de l'office de contrôle de la TVA (centre de contrôle) compétent, que les bases forfaitaires de taxation générales ou spéciales soient adaptées à leur activité », ne contredit pas le caractère réglementaire de l'acte attaqué. L'article 56, § 1er, alinéa 5, du Code de la TVA ne consacre la possibilité de demander l'application d'un forfait individuel que pour les « assujettis qui exercent leur activité dans des conditions ne permettant pas d'appliquer les bases forfaitaires de taxation ». En dehors de la situation particulière dans laquelle ces bases forfaitaires ne peuvent pas être appliquées -- dont la partie adverse ne précise pas dans quelle mesure elle pourrait concerner les cafetiers - les assujettis qui optent pour le régime forfaitaire se voient appliquer l'acte attaqué et non un forfait individuel.

Dans son arrêt no 131/2007, précité, la Cour constitutionnelle s'est prononcée sur la question de savoir si l'article 56 du Code de la TVA pouvait attribuer au Roi, sans violer le principe de la légalité de l'impôt et, partant, les articles 10 et 11 de la Constitution, le pouvoir de régler les modalités selon lesquelles l'administration détermine la base de taxation conformément au principe du forfait inscrit dans la loi. La Cour a répondu à cette question de la manière suivante : « Compte tenu de ce que le législateur a lui-même inscrit dans la loi le principe de l'imposition forfaitaire et de ce qu'un forfait vise, par hypothèse, des situations qui se prêtent mal à un règlement par la voie de dispositions générales constituant l'objet d'une loi, le législateur pouvait, dans une matière où domine la diversité des situations et où l'article 24, paragraphe 1er, de la sixième directive du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 cité au B. 1.4 prévoit lui-même la possibilité d'un régime de forfait, attribuer au Roi sans violer le principe de légalité de l'impôt, le pouvoir de régler les modalités selon lesquelles l'administration détermine la base de taxation conformément au principe du forfait inscrit dans la loi ».

Il ressort de l'enseignement de cet arrêt que le législateur peut, dans les circonstances particulières précisées par la Cour, déléguer au Roi le pouvoir de régler les modalités selon lesquelles l'administration détermine la base de taxation dans le cadre de ce régime forfaitaire. Le constat que l'article 56 du Code de la TVA, dans une version antérieure à celle qui fonde l'acte attaqué, ne viole ni le principe constitutionnel de la légalité de l'impôt ni les articles 10 et 11 de la Constitution, ne confère pas pour autant d'office un caractère non réglementaire à la circulaire attaquée adoptée par l'administration fiscale et qu'elle qualifie d'ailleurs elle-même de « Réglementation forfaitaire en matière de TVA pour les cafetiers ».

Dans l'avis no 64.629/3 du 10 décembre 2018, donné sur une version légèrement différente de l'article 7 de l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018, la section de législation du Conseil d'Etat qualifiait d'ailleurs d'« attribution d'un pouvoir réglementaire » l'habilitation donnée à l'administration d'« établir chaque année les bases forfaitaires pour le calcul de la taxe à payer au cours de l'année suivante ».

Au vu de ce qui précède, l'acte attaqué constitue un acte réglementaire à l'égard duquel le Conseil d'Etat est compétent pour contrôler sa légalité.

La compétence que l'article 569, 32°, du Code judiciaire confie au tribunal de première instance, en ce qui concerne les « contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt » n'exclut pas la compétence du Conseil d'Etat pour connaître d'un recours en annulation dirigé contre un règlement en matière fiscale.

V. Recevabilité V.I. Thèses des parties La première partie requérante justifie son intérêt à demander l'annulation de l'acte attaqué par sa mission de représentante de l'intérêt collectif des cafetiers. Les deuxième et troisième parties requérantes justifient leur intérêt par la circonstance qu'elles sont cafetiers et qu'elles sont assujetties à la réglementation forfaitaire en matière de TVA. Elles estiment être en droit de bénéficier de bases forfaitaires de taxation qui ne sont pas manifestement erronées.

Dans son mémoire en réponse, la partie adverse fait, tout d'abord, valoir que l'acte attaqué est provisoire et qu'il ne fait pas grief.

Elle expose que « l'acte entrepris détermine le mode de calcul des bases forfaitaires provisoires en matière de TVA pour les cafetiers, conformément au prescrit de l'article 7, alinéa 1er, de l'arrêté royal no 2 » et qu'« en vertu des alinéas 2 et 3 du même article, ces bases forfaitaires provisoires peuvent être modifiées en cours d'année pour tenir compte des changements sensibles intervenus entretemps dans les éléments constitutifs du forfait et, en tous cas, elles ne deviendront définitives que si les modifications intervenues après leur établissement, dans les éléments constitutifs du forfait, ne font pas varier d'au moins 2 % le chiffre d'affaires calculé forfaitairement ».

Elle soutient ensuite que les parties requérantes n'ont pas d'intérêt au recours : - la première, parce qu'elle « a négligé de présenter à l'administration, avant le 1er février, les éléments détaillés et chiffrés nécessaires pour l'établissement de ces bases forfaitaires, contrairement au prescrit de l'article 8 de l'arrêté royal no 2, précité »; - les deuxième et troisième, parce qu'en tant que cafetiers, elles « peuvent aisément se libérer du régime de taxation forfaitaire dont [elles] se plaignent » en y renonçant.

Elle précise qu'elle n'a aucune obligation d'organiser un régime de taxation forfaitaire, que ce soit pour les cafetiers ou pour les autres activités visées en annexe à l'arrêté royal no 2.

Dans leur mémoire en réplique, les parties requérantes font valoir que le caractère provisoire du forfait ne lui ôte pas son caractère réglementaire et n'empêche pas qu'il fasse grief.

Elles précisent que la première partie requérante n'a jamais reçu d'invitation à la concertation préalable et estiment qu'elle n'a donc pas été en mesure de déposer les éléments détaillés et chiffrés nécessaires pour l'établissement des bases forfaitaires. Elles exposent les motifs pour lesquels elles doutent que l'avis de la première partie requérante eût été pris en compte dans le cadre d'une consultation qui, selon elles, est « purement formelle ». Elles ajoutent que les deuxième et troisième parties requérantes « n'ont pas voix au chapitre lors de la détermination des bases d'imposition forfaitaires » et estiment qu'étant soumises au régime forfaitaire, elles sont en droit de bénéficier de bases forfaitaires qui ne sont pas manifestement erronées.

Dans son dernier mémoire, la partie adverse se réfère à son mémoire en réponse.

Dans leur dernier mémoire, les parties requérantes indiquent que la première partie requérante a demandé, en temps utile, conformément à l'article 8 de l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018, précité, de fournir des éléments détaillés et chiffrés en vue de l'établissement des bases forfaitaires pour l'année 2021. Elles affirment que la partie adverse n'a réservé aucune suite à cette demande.

V. 2. Appréciation a) L'intérêt à agir Aux termes de l'article 19, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, un recours en annulation au sens de l'article 14, 1er, de ces lois peut être porté devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat par toute partie justifiant d'une lésion ou d'un intérêt.Une partie requérante dispose de cet intérêt requis en droit si deux conditions sont remplies tout d'abord, l'acte administratif attaqué doit lui causer un préjudice personnel, direct, certain, actuel et léser un intérêt légitime ; ensuite, l'annulation de cet acte qui interviendra éventuellement, doit lui procurer un avantage direct et personnel, si minime soit-il. Il appartient au Conseil d'Etat d'apprécier si chaque partie requérante qui le saisit justifie d'un intérêt à son recours. Sous réserve des dispositions de droit international directement applicables, l'article 19 précité fait ainsi obstacle à l'action populaire qui serait introduite par n'importe quelle personne, qu'elle soit physique ou morale.

S'agissant plus particulièrement des actes réglementaires qui sont attaqués devant le Conseil d'Etat, il n'est pas exigé qu'ils soient immédiatement appliqués à la partie requérante, mais qu'ils soient susceptibles de lui être applicable, c'est-à-dire qu'ils aient vocation à régler sa situation. Ainsi, selon une jurisprudence bien établie, les actes réglementaires sont susceptibles d'être attaqués par toutes les personnes auxquelles ils ont vocation à s'appliquer ainsi que par celles qui, sans y être soumises, en subissent directement des effets qui leur font grief.

En ce qui concerne la première partie requérantes l'exception soulevée par la partie adverse pose la question de la légitimité de son intérêt au recours. Un intérêt n'est pas légitime s'il s'assimile au maintien d'une situation illégale, autrement dit contraire aux lois impératives, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Si, au regard de l'article 8 de l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018, précité, la première partie requérante a la possibilité de fournir à l'administration les éléments détaillés et chiffrés nécessaires pour l'établissement des bases forfaitaires, en tant que groupement professionnel, il ne s'agit cependant pas d'une collaboration obligatoire au vu des termes de cette disposition. En outre, cette partie requérante a pour objet « la défense des intérêts des exploitants des cafés belges » au regard de l'article 3 de ses statuts. Elle justifie ainsi d'un intérêt suffisant à introduire le présent recours.

En ce qui concerne les deuxième et troisième parties requérantes, il n'est pas contesté qu'elles ont choisi d'être assujetties à la taxation forfaitaire en matière de TVA, de sorte que l'acte attaqué a bien vocation à régler leur situation. En outre, les parties requérantes exposent, dans leur deuxième moyen, que les bases forfaitaires établies dans l'acte attaqué ne correspondraient manifestement pas à la réalité, de sorte qu'elles en subiraient un préjudice justifiant leur intérêt au recours.

En conclusion, les parties requérantes disposent bien de l'intérêt à demander l'annulation de la décision réglementaire attaquée. b) Le caractère provisoire des bases forfaitaires L'article 7 de l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018 dispose comme il suit : « Dans le courant de chaque année, des bases forfaitaires provisoires sont établies conformément à l'article 56, § 1er, alinéa 1er, du Code, pour le calcul de la taxe à payer au cours de l'année suivante. Ces bases peuvent être modifiées, selon la même procédure, dans le courant de cette dernière année pour tenir compte des changements sensibles qui seraient intervenus entre-temps dans les éléments constitutifs du forfait.

Les bases forfaitaires établies conformément aux alinéas 1er et 2 sont définitives pour autant que les modifications qui seraient intervenues après leur établissement, dans les éléments constitutifs du forfait, ne fassent pas varier d'au moins 2 p.c. le chiffre d'affaires calculé forfaitairement ».

La circonstance que les bases forfaitaires sont définies de manière provisoire pour le calcul de la taxe de l'année à venir et qu'elles peuvent être modifiées (suivant la même procédure) en cas de changements sensibles intervenus dans les éléments constitutifs du forfait, n'empêche pas que l'acte attaqué fasse grief. Celui-ci définit des bases forfaitaires a priori, en fonction des données connues avant le début de l'année d'imposition, étant entendu que ces bases peuvent être révisées a posteriori, en cas de modification sensible de ces données. L'acte attaqué ne revêt pas, pour autant, le caractère d'un acte préparatoire.

Il résulte de ce qui précède que la requête est recevable.

VI. Premier moyen VI. 1. Thèses des parties Le premier moyen est pris de la violation de l'article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Les parties requérantes exposent que l'acte attaqué ayant une portée réglementaire, il devait être soumis à l'avis préalable de la section de législation du Conseil d'Etat. Elles avancent que la section de législation du Conseil d'Etat aurait probablement soulevé l'incompétence de l'auteur de l'acte, A cet égard, elles reproduisent un extrait de l'avis donné sur le projet qui a donné lieu à l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018, précité, qui recommandait de donner délégation au ministre qui a les Finances dans ses attributions, plutôt qu'à l'administration. Elles font valoir que la version finalement adoptée de l'article 7 de cet arrêté royal no 2 « omet toute allusion au rôle de l'administration dans l'établissement des bases forfaitaires de taxation ».

La partie adverse répond que, l'acte attaqué n'ayant pas une portée réglementaire, il ne devait pas être soumis, préalablement à son adoption, à l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat.

Dans son dernier mémoire, elle ne formule plus d'observations concernant les moyens de la requête.

VI. 2. Appréciation L'article 3, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, dispose comme suit : « Hors les cas d'urgence spécialement motivés et les projets relatifs aux budgets, aux comptes, aux emprunts, aux opérations domaniales et au contingent de l'armée exceptés, les Ministres, les membres des gouvernements communautaires ou régionaux, les membres du Collège de la Commission communautaire française et les membres du Collège réuni visés respectivement aux alinéas 2 et 4 de l'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, chacun pour ce qui le concerne, soumettent à l'avis motivé de la section de législation, le texte de tous avant-projets de loi, de décret, d'ordonnance ou de projets d'arrêtés réglementaires. ] ».

Cette disposition est méconnue lorsqu'une circulaire, dont il a été établi qu'elle revêt un caractère réglementaire et qui n'invoque pas l'urgence, n'a pas été soumise à l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat. Par ailleurs, ce moyen est d'ordre public.

En l'espèce, comme il a été jugé à propos de la compétence du Conseil d'Etat, l'acte attaqué revêt bien une portée réglementaire. Il n'a cependant pas été soumis pour avis à la section de législation du Conseil d'Etat et ne contient, en outre, aucune justification de l'urgence qui aurait éventuellement pu dispenser la partie adverse de solliciter cet avis.

Le premier moyen est ainsi fondé.

VII. Demande de maintien des effets VII. l. Thèses des parties Dans son dernier mémoire, la partie adverse sollicite la mise en oeuvre de l'article 14ter des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat en faisant valoir ce qui suit : « Pour l'année 2021, il s'avère que de nombreux cafetiers ont opté pour le régime de taxation forfaitaire, ce qui les a dispensés de tenir la comptabilité requise pour permettre l'application du régime général de la TVA. En cas d'annulation des bases forfaitaires établies, la base imposable réelle de ces cafetiers devrait être reconstituée et dûment étayée de documents probants, comme pour toute entreprise qui ne bénéficie pas de l'application d'un forfait TVA. Les obligations qui leur incomberaient ainsi a posteriori ne manqueraient pas de mettre l'ensemble de ces contribuables dans une position particulièrement délicate.

En conséquence, pour le cas où le Conseil d'Etat estimerait devoir annuler l'acte entrepris, la partie adverse sollicite, à tout le moins, le maintien de ses effets jusqu'à la date de l'arrêt[é] à intervenir, L...] ».

Dans leur dernier mémoire, les parties requérantes estiment qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande de maintien des effets et exposent ce qui suit : « Ce raisonnement repose sur une prémisse inexacte. L'acte attaqué est le régime forfaitaire pour l'année 2021. Tant l'article 56, § 1er, du Code de la TVA, qui constitue la base légale du régime forfaitaire, que l'arrêté royal no 2 du 19 décembre 2018 relatif au régime du forfait en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui précise les modalités du forfait et notamment les modalités pour opter pour le forfait subsisteront donc si le Conseil d'Etat devait prononcer un arrêt d'annulation dans le cas d'espèce.

Les cafetiers qui ont valablement opté pour un régime forfaitaire en 2021 ont donc droit à un régime forfaitaire, qu'il appartient à la partie adverse d'organiser en remplacement du régime annulé, en tenant compte des règles visées à l'arrêté royal précité et, bien entendu, des effets de l'arrêt d'annulation. [Les parties requérantes n'ont] formé aucun grief contre le principe de la taxation forfaitaire. [. ] ».

Elles constatent que, dans l'arrêt n° 251.520 du 17 septembre 2021, le Conseil d'Etat a rejeté une demande semblable et estiment qu'aucune particularité de l'espèce ne justifie une solution différente.

VII. 2. Appréciation L'article 14ter des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dispose comme suit : « A la demande d'une partie adverse ou intervenante, et si la section du contentieux administratif l'estime nécessaire, elle indique ceux des effets des actes individuels annulés ou, par voie de disposition générale, ceux des effets des règlements annulés, qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu'elle détermine.

La mesure visée à l'alinéa 1er ne peut être ordonnée que pour des raisons exceptionnelles justifiant de porter atteinte au principe de la légalité, par une décision spécialement motivée sur ce point et après un débat contradictoire. Cette décision peut tenir compte des intérêts des tiers ».

L'article 14, alinéas 3 et 5, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 énonce ce qui suit : La demande visant au maintien des effets de l'acte ou du règlement attaqué, en application de l'article 14ter des lois coordonnées, est formulée au plus tard dans le dernier mémoire. Cette demande doit être motivée. Lorsqu'elle est introduite pour la première fois dans un dernier mémoire, les autres parties peuvent faire valoir leurs observations écrites dans un délai de trente jours à dater de la notification de ce dernier mémoire. Le membre de l'auditorat désigné rédige dans les quinze jours un rapport complémentaire limité à cet objet. Ce rapport est joint à la convocation.

A l'expiration des délais visés aux alinéas 2 et 3, le président de la chambre fixe la date à laquelle l'affaire sera appelée ».

En application de l'article 14ter des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, la mesure décidant le maintien de tout ou partie des effets de l'acte annulé ne peut être ordonnée que pour des raisons exceptionnelles justifiant de porter atteinte au principe de la légalité, la décision pouvant tenir compte des intérêts des tiers. Une telle formulation montre, de toute évidence, que l'intention du législateur a été de ne permettre le recours à cette mesure qu'avec sagesse et circonspection dans le chef du Conseil d'Etat. Il a ainsi été précisé, au cours des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 20 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/01/2014 pub. 03/02/2014 numac 2014000082 source service public federal interieur Loi portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat fermer portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat, que le recours à cette mesure exceptionnelle peut être envisagé lorsque le caractère rétroactif d'un arrêt d'annulation pourrait avoir des conséquences disproportionnées ou mettre en péril, notamment, la sécurité juridique, dans certaines circonstances (Projet de loi portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat, Doc. parl., Sénat, 2012-2013, no 5-2277/1, p. 5).

La Cour constitutionnelle a, de même, insisté sur le juste équilibre qui doit être respecté entre « l'importance de remédier à chaque situation contraire au droit et le souci de ne plus mettre en péril, après un certain temps, des situations existantes et des attentes suscitées » (C.C., arrêt no 18/2012 du 9 février 2012, B.9.4; C.C., arrêt no 154/2012 du 20 décembre 2012, B.3 et B.4. Dans le même sens : C.C., arrêt no 14/2013 du 21 février 2013, B.3; C.C., arrêt no 73/2013 du 30 mai 2013, B.8). De même, comme l'a observé l'assemblée générale de la section de législation du Conseil d'Etat sur l'avant-projet de loi devenu la loi du 20 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/01/2014 pub. 03/02/2014 numac 2014000082 source service public federal interieur Loi portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat fermer, précitée, « la mesure, déjà fort peu mise en oeuvre à l'égard des règlements, le sera plus rarement encore lorsque c'est un acte individuel qui est annulé, compte tenu du caractère indéterminé des effets des premiers par rapport à la portée individuelle des seconds » (Ibidem, no 5-2277/1, p. 98). A cet égard, il a été précisé que la circonstance que le Conseil d'Etat puisse désormais apprécier s'il y a lieu de moduler cette rétroactivité en fonction des circonstances propres à la cause se justifie par le fait qu'une annulation avec effet rétroactif peut avoir parfois des « effets insurmontables et disproportionnés » (Ibidem, no 5-2277/3, p. 23).

En l'espèce, l'acte attaqué détermine la méthode de calcul du produit imposable de la fourniture de boissons et de menues denrées alimentaires par les cafetiers et les petits cafetiers, de sorte que son annulation ne remet pas en question la situation fiscale des cafetiers qui ont opté pour le régime de la taxation forfaitaire en 2021, dès lors que ce régime reste consacré par l'article 56 du Code de la TVA et par son arrêté royal d'exécution n°2, précité, même dans l'attente de la réfection de la décision annulée. Par ailleurs, du fait de cette annulation, ces cafetiers ne se retrouveront pas soumis d'office au régime ordinaire de taxation.

En conséquence, il n'existe pas de raisons exceptionnelles qui pourraient justifier qu'il soit porté atteinte au principe de la légalité.

Il s'ensuit que la demande de maintien des effets de l'acte attaqué formulée par la partie adverse n'est pas fondée.

VIII. Indemnité de procédure Dans leur requête, les parties requérantes sollicitent une indemnité de procédure de 700 euros, à la charge de la partie adverse. Il y a lieu de faire droit à leur demande.

PAR CES MOTIFS, LE CONSEIL D'ETAT DECIDE :

Article 1er.La « réglementation forfaitaire en matière de TVA pour les cafetiers - année 2021 (F 2021/4-24) », prise par le SPF Finances le 21 janvier 2021 et publiée sur le site internet « Fisconet Plus », le même jour, est annulée.

Art. 2.Le présent arrêt sera publié par extrait au Moniteur belge.

Art. 3.La partie adverse supporte les dépens, à savoir le droit de rôle de 600 euros, la contribution de 20 euros et l'indemnité de procédure de 700 euros, accordée aux parties requérantes, à concurrence d'un tiers chacune.

Ainsi prononcé à Bruxelles, en audience publique de la XVechambre, le 30 juin 2022, par : Pascale Vandernacht, président de chambre, Marc Joassart, conseiller d'Etat, Elisabeth Willemart, conseiller d'Etat, Frédéric Quintin, greffier.

Le Greffier, Le Président, Frédéric Quintin Pascale Vandernacht

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