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Arrêt
publié le 19 mai 2021

Extrait de l'arrêt n° 14 du 28 janvier 2021 Numéro du rôle : 7232 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1717, § 4, du Code judiciaire, tel qu'il a été remplacé par l'article 102 de la loi du 25 décembre 2016 « modifia La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. M(...)

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Extrait de l'arrêt n° 14 du 28 janvier 2021 Numéro du rôle : 7232 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1717, § 4, du Code judiciaire, tel qu'il a été remplacé par l'article 102 de la loi du 25 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/12/2016 pub. 30/12/2016 numac 2016009669 source service public federal justice Loi modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer « modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses en matière de justice », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 19 juin 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 juillet 2019, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1717, § 4, du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant combinés à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'il instaure un délai de déchéance qui ne permet plus à une partie à une procédure arbitrale de remettre en cause la sentence lorsqu'elle découvre plus de trois mois après la communication de celle-ci qu'elle a été obtenue par fraude alors qu'en vertu des articles 1132 et suivants du Code judiciaire, une partie à une procédure judiciaire dispose d'un délai de six mois à dater de la découverte de la fraude pour introduire une requête civile ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 1717, § § 2, 3, b), iii), et 4, du Code judiciaire dispose : « § 2. La sentence arbitrale ne peut être attaquée que devant le tribunal de première instance, par voie de citation. Il statue en premier et dernier ressort conformément à l'article 1680, § 5. La sentence ne peut être annulée que dans les cas énumérés au présent article. § 3. La sentence arbitrale ne peut être annulée que si : [...] b) le tribunal de première instance constate : [...] iii) que la sentence a été obtenue par fraude. § 4. Hormis dans le cas visé à l'article 1690, § 4, alinéa 1er, une demande d'annulation ne peut être introduite après l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la sentence a été communiquée, conformément à l'article 1678, à la partie introduisant cette demande, ou, si une demande a été introduite en vertu de l'article 1715, à compter de la date à laquelle la décision du tribunal arbitral sur la demande introduite en vertu de l'article 1715 a été communiquée, conformément à l'article 1678, à la partie introduisant la demande d'annulation ».

B.1.2. Les articles 1132, 1133, 1134 et 1136 du même Code disposent : «

Art. 1132.Les décisions passées en force de chose jugée, rendues par les juridictions civiles, et par les juridictions répressives en tant que celles-ci ont statué sur les intérêts civils, peuvent être rétractées sur la requête civile formée par ceux qui y auront été parties ou dûment appelés, sans préjudice des droits appartenant au ministère public ». «

Art. 1133.La requête civile est ouverte pour les causes suivantes : 1° s'il y a eu dol personnel;2° si, depuis la décision, il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie; [...] 4° si on a jugé sur pièces, témoignages, rapports d'experts ou serments reconnus ou déclarés faux depuis la décision; [...] ». «

Art. 1134.La requête, signée par trois avocats, dont deux au moins sont inscrits depuis plus de vingt ans au barreau, contient tous les moyens à l'appui de celle-ci et est signifiée avec citation dans les formes ordinaires devant la juridiction qui a rendu la décision entreprise, le tout à peine de nullité. [...] ». «

Art. 1136.Sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, la requête civile est formée, à peine de déchéance, dans les six mois à partir de la découverte de la cause invoquée ».

B.2. La question préjudicielle concerne la compatibilité de l'article 1717, § 4, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il instaure un délai de déchéance qui ne permet plus à une partie à une procédure arbitrale de demander l'annulation de la sentence lorsqu'elle découvre, plus de trois mois après la communication de la sentence, que celle-ci a été obtenue par fraude. Le juge a quo invite la Cour à comparer la situation de cette partie avec celle d'une partie à une procédure judiciaire, qui dispose d'un délai de six mois à dater de la découverte de la fraude pour introduire une requête civile contre un jugement, sur la base des articles 1132 et suivants du Code judiciaire.

B.3.1. Il ressort du jugement de renvoi qu'en l'espèce, la demande en annulation des sentences arbitrales litigieuses a été introduite après l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la découverte de la fraude alléguée. Dans ces circonstances, le juge a quo semble considérer qu'un contrôle de la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition prévoit que le délai d'introduction de la demande d'annulation prend cours à la date à laquelle la sentence a été communiquée, ne serait pertinent que si la Cour jugeait que l'existence de délais différents pour l'introduction d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale, d'une part, et pour l'introduction d'une requête civile, d'autre part, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Le Conseil des ministres et la partie demanderesse devant le juge a quo en concluent que si tel n'est pas le cas, la Cour ne doit pas examiner la différence de traitement relative au point de départ du délai.

B.3.2. Eu égard au libellé de la question préjudicielle et au lien indissociable qui existe entre la longueur d'un délai et son point de départ, la Cour répond à la question préjudicielle telle qu'elle lui a été posée par le juge a quo, en examinant les deux aspects de la différence de traitement que celui-ci lui soumet.

B.4.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, y compris ceux qui résultent des conventions internationales liant la Belgique.

B.4.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. L'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit d'accès à un juge compétent et le droit à un procès équitable.

B.5.2. Le droit d'accès au juge n'est cependant pas absolu. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, « il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat », lequel jouit en la matière d'une certaine marge d'appréciation (CEDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c.

Suisse, § 93).

B.5.3. La Cour européenne des droits de l'homme juge que l'article 6 de la Convention ne s'oppose pas à la création de tribunaux arbitraux afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (ibid., § 94). Ainsi, lorsqu'elles souscrivent librement à une clause d'arbitrage, « les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention. Une telle renonciation ne se heurte pas à la Convention pour autant qu'elle est libre, licite et sans équivoque » (ibid., § 96). « De plus, pour entrer en ligne de compte sous l'angle de la Convention, la renonciation à certains droits garantis par la Convention doit s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité » (ibid.; décision, 1er mars 2016, Tabbane c. Suisse, §§ 24-27; décision, 15 septembre 2009, Eiffage SA et autres c. Suisse).

B.5.4. Le droit d'accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité. Ces limitations ne peuvent porter atteinte à la substance même du droit d'accès au juge (CEDH, 12 novembre 2002, Zvolsky et Zvolskß c. République tchèque, § 47; 2 juin 2016, Papaioannou c. Grèce, § 40). Elles doivent aussi poursuivre un objectif légitime et être raisonnablement proportionnées à cet objectif (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière ASBL c. Belgique, § 35; 10 mars 2009, Anakomba Yula c.

Belgique, § 31; 29 mars 2011, R.T.B.F. c. Belgique, § 69; grande chambre, 5 avril 2018, Zubac c. Croatie, § 78). Par ailleurs, l'application des conditions de recevabilité telles qu'elles sont prévues par le droit applicable est nécessaire en raison du principe de la prééminence du droit (CEDH, grande chambre, Zubac c. Croatie, précité, §§ 96 et 123). Le droit d'accès au juge se trouve atteint dans sa substance lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la « sécurité juridique » et de la « bonne administration de la justice » et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (ibid., § 98).

B.6.1. L'arbitrage est un mode de règlement des conflits qui repose sur l'autonomie des parties, qui décident de confier à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de dire le droit en vue de mettre définitivement fin au différend qui les oppose. En vertu de l'article 1681 du Code judiciaire, « une convention d'arbitrage est une convention par laquelle les parties soumettent à l'arbitrage tous les différends ou certains des différends qui sont nés ou pourraient naître entre elles au sujet d'un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel ». En application de l'article 1682, § 1er, du même Code, « le juge saisi d'un différend faisant l'objet d'une convention d'arbitrage se déclare sans juridiction à la demande d'une partie, à moins qu'en ce qui concerne ce différend la convention ne soit pas valable ou n'ait pris fin ».

B.6.2. En soumettant leur différend à l'arbitrage, les parties entendent obtenir, au terme d'une procédure rapide et, le cas échéant, selon des règles procédurales adaptées à leur situation, une décision qui mette un terme à leur différend de manière définitive et qui offre toutes les garanties nécessaires en ce qui concerne la sécurité juridique.

C'est la raison pour laquelle les voies de recours contre une sentence arbitrale sont limitées. Ainsi, une sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'un appel que si les parties ont prévu cette possibilité dans la convention d'arbitrage (article 1716 du Code judiciaire). Une sentence peut également faire l'objet d'une demande d'annulation devant le tribunal de première instance (article 1717 du même Code).

Il ne s'agit pas d'un recours de pleine juridiction. En outre, le tribunal ne peut annuler la sentence que pour des motifs limitativement énumérés, et notamment s'il constate que la sentence a été obtenue par fraude (article 1717, § 3, b), iii), du même Code). En principe, la demande d'annulation doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la sentence a été communiquée à la partie introduisant cette demande (article 1717, § 4, du même Code).

B.7. La requête civile est une voie de recours extraordinaire qui permet à une partie à une procédure judiciaire de saisir la juridiction civile qui a rendu une décision passée en force de chose jugée, pour en obtenir la rétractation (articles 1132 et 1134 du Code judiciaire). En principe, la requête civile doit, à peine de déchéance, être formée dans les six mois à partir de la découverte de la cause invoquée (article 1136 du même Code). Elle est ouverte pour des causes limitativement énumérées, dont le dol personnel (article 1133 du même Code).

B.8.1. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.8.2. Le règlement judiciaire des conflits et la voie de l'arbitrage sont des modes de règlement des litiges distincts qui obéissent à des règles de procédure différentes. En choisissant l'arbitrage, les parties acceptent de soumettre leur litige à des règles de procédure spécifiques, notamment en ce qui concerne les possibilités et les modalités de recours contre la sentence arbitrale, en pleine connaissance des avantages et des inconvénients qui découlent de ce choix. Il ne s'ensuit cependant pas que les parties, en optant pour l'arbitrage, ont renoncé à toutes les garanties relatives au droit d'accès au juge et au droit à un procès équitable. Il incombe à la Cour de vérifier si la limitation des droits de ces parties poursuit un but légitime et si elle est raisonnablement proportionnée à cet objectif.

B.9.1. Le délai de trois mois pour agir en annulation d'une sentence arbitrale a été introduit par la loi du 4 juillet 1972 « approuvant la Convention européenne portant loi uniforme en matière d'arbitrage, faite à Strasbourg le 20 janvier 1966 et introduisant dans le Code judiciaire une sixième partie concernant l'arbitrage ».

Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que « le délai de forclusion, relativement court, a été imparti pour ne pas laisser la partie qui veut se prévaloir de la sentence dans l'incertitude en ce qui concerne la validité de celle-ci » (Doc. parl., Chambre, 1970-1970, n° 988/1, p. 28). A l'origine, la demande en annulation d'une sentence obtenue par fraude devait être formée dans les trois mois à partir de la découverte de la fraude, pour autant toutefois qu'un délai de cinq ans à compter de la notification de la sentence ne se soit pas écoulé (article 1707, § 3, ancien, du Code judiciaire, avant son remplacement par l'article 39 de la loi du 24 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/06/2013 pub. 28/06/2013 numac 2013009310 source service public federal justice Loi modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage fermer « modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage »).

B.9.2. Par la loi du 24 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/06/2013 pub. 28/06/2013 numac 2013009310 source service public federal justice Loi modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage fermer précitée, le législateur a procédé à une réforme du régime de l'arbitrage, sur le modèle de la loi type de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international du 21 juin 1985 « sur l'arbitrage commercial international » (ci-après : la loi type de la CNUDCI).

En ce qui concerne l'objectif poursuivi, l'exposé des motifs de cette loi indique : « L'objet du présent projet de loi est de reprendre dans la sixième partie du Code judiciaire [la loi type du 21 juin 1985 ' sur l'arbitrage commercial international de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international '] avec les amendements adoptés le 7 juillet 2006. Il s'agit ainsi d'aligner notre législation sur les législations les plus avancées en matière d'arbitrage.

Toutefois, à l'instar d'autres pays, certaines particularités actuelles du droit belge seront conservées lorsqu'elles répondent à des préoccupations majeures. [...] En intégrant dans le Code judiciaire la majeure partie de la loi uniforme et en en reprenant souvent le libellé, la Belgique entend se présenter comme un pays ouvert à l'arbitrage et singulièrement à l'arbitrage international et comme un pays disposant d'une législation progressiste en matière d'arbitrage. Ceci devrait faire de notre pays un lieu attractif pour les arbitrages internationaux avec les retombées positives qui en résultent à la fois en termes de prestations de services de haut niveau intellectuel et d'incidences économiques et financières » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2743/001, pp. 5-6).

L'article 51 de la loi du 24 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/06/2013 pub. 28/06/2013 numac 2013009310 source service public federal justice Loi modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage fermer précitée insère un nouvel article 1717 dans le Code judiciaire. Au sujet de cette disposition, les travaux préparatoires indiquent : « Cet article insère l'article 1717 dans la nouvelle partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage.

L'article 1717 en projet transpose l'article 34 de la loi type lequel a été repris, à quelques nuances près, par les lois allemande, espagnole et autrichienne. Le texte en projet ajoute aux motifs d'annulation prévus par la loi type, l'absence de motivation conformément à notre droit actuel (art. 1704, par. 2, litt i), C. jud.). La motivation est une exigence d'ordre public interne mais n'empêche pas la reconnaissance en Belgique d'une sentence arbitrale non motivée si, selon la loi applicable à la procédure, la motivation n'est pas requise. Le texte ajoute également le cas où le tribunal a excédé ses pouvoirs » (ibid., p. 40).

Le nouvel article 1717 du Code judiciaire est donc en grande partie calqué sur l'article 34 de la loi type, précitée, de la CNUDCI. Le législateur a ajouté aux motifs d'annulation prévus par la loi type plusieurs motifs qui sont propres au droit belge, dont l'hypothèse de la sentence obtenue par fraude. Il a cependant transposé telle quelle l'exigence selon laquelle la demande d'annulation doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de la communication de la sentence à la partie concernée, sans prévoir un délai particulier lorsque l'annulation est demandée au motif que la sentence a été obtenue par fraude (article 1717, § 4, du Code judiciaire).

B.10.1. Le délai, relativement bref, de trois mois pour agir en annulation d'une sentence arbitrale est raisonnablement justifié par la volonté du législateur de fournir rapidement aux parties qui décident librement de recourir à l'arbitrage une décision définitive sur le différend qui les oppose, comme il est dit en B.9.1. Ce délai n'est pas excessivement bref, ni de nature à empêcher les intéressés d'introduire une demande en annulation.

B.10.2. La fixation du point de départ de ce délai à la date de la communication de la sentence arbitrale est en principe pertinente au regard de cet objectif. Cependant, en ce qu'elle ne permet pas à la partie qui découvre, plus de trois mois après la communication de la sentence, que celle-ci a été obtenue par fraude de demander l'annulation de la sentence litigieuse, et ce en toute hypothèse, la disposition en cause entraîne une limitation disproportionnée des droits de la partie victime de la fraude. Dès lors que l'article 1717 du Code judiciaire permet aux parties de demander l'annulation d'une sentence arbitrale au motif que celle-ci aurait été obtenue par fraude, ces parties doivent disposer d'un délai utile pour introduire une telle demande, sous peine d'être privées d'un recours auquel elles ont en principe droit.

B.11. Dans cette mesure, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.12. Lorsque le constat d'une lacune est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application de la disposition en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, la Cour indique qu'il appartient au juge de mettre fin à la violation de ces normes.

Tel n'est pas le cas dans la présente affaire. En effet, la Cour ne peut préciser davantage le constat d'une lacune, dès lors qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation équivalent à celui du législateur. C'est au législateur qu'il appartient de mettre un terme à l'inconstitutionnalité constatée.

Dans l'attente de l'intervention du législateur, il appartient au juge, en fonction des circonstances, d'apprécier si la demande en annulation d'une sentence arbitrale a été introduite dans un délai raisonnable à compter du constat de ce que la sentence a été obtenue par fraude.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1717, § 4, du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne permet pas à une partie à une procédure arbitrale de demander l'annulation d'une sentence lorsque cette partie découvre, plus de trois mois après la communication de la sentence, que celle-ci a été obtenue par fraude.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 janvier 2021.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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