publié le 02 avril 2021
Extrait de l'arrêt n° 124/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7315 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 127, 479 ,(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)
Extrait de l'arrêt n° 124/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7315 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 127, 479 (également junctis les articles 480 et 482bis, lus en combinaison avec les articles 127 et 130), 482bis et 483 du Code d'instruction criminelle, posées par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 26 novembre 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 décembre 2019, la Cour de cassation a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 479, 482bis et 483 du Code d'instruction criminelle violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution s'ils sont interprétés en ce sens que, lorsqu'une instruction judiciaire a été menée sur réquisition du procureur général à charge d'un titulaire du privilège de juridiction et à charge d'autres personnes pour des infractions connexes aux infractions dont le fonctionnaire est soupçonné et que l'action publique menée à charge du titulaire du privilège de juridiction s'est éteinte, avant la saisine du juge de jugement, à la suite d'un règlement amiable et/ou d'un non-lieu prononcé par le procureur général, le procureur du Roi est seul compétent pour décider si l'affaire menée à charge des autres personnes doit être ou non renvoyée devant la juridiction de jugement par citation directe, sans qu'il y ait une intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière, alors qu'une telle procédure de filtrage après instruction est garantie dans le cadre de la procédure de droit commun, conformément à l'article 127 du Code d'instruction criminelle, même lorsque le juge d'instruction a été dessaisi pour compétence territoriale, dans le cadre de la procédure de jugement des magistrats de rang supérieur, conformément aux articles 479 à 482bis du Code d'instruction criminelle, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour constitutionnelle, et dans le cadre de la procédure de jugement des ministres et des membres d'un gouvernement de communauté ou de région, conformément aux articles 9, 16 et 29 des lois du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres, d'une part, et celle des membres d'un gouvernement de communauté ou de région, d'autre part ? 2. L'article 479 juncto les articles 480 et 482bis du Code d'instruction criminelle, lus en combinaison avec les articles 127 et 130 du Code d'instruction criminelle, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, s'il est interprété en ce sens qu'un inculpé à l'égard duquel le procureur du Roi a requis une instruction judiciaire qui, après dessaisissement par la chambre du conseil, a été jointe à une instruction qui est menée par un conseiller-magistrat d'instruction concernant une infraction commise par une personne de l'une des qualités exprimées à l'article 479 du Code d'instruction criminelle, si le procureur général décide de ne pas poursuivre le titulaire du privilège de juridiction, ne peut être renvoyé devant le juge du fond que moyennant une décision de la juridiction d'instruction, alors qu'un inculpé à l'égard duquel le procureur général a requis une instruction judiciaire par un conseiller-magistrat d'instruction peut être cité directement devant le juge du fond, même lorsque le procureur général décide de ne pas poursuivre le titulaire du privilège de juridiction ? 3.L'article 127 du Code d'instruction criminelle concernant le règlement de la procédure par la chambre du conseil, s'il est interprété en ce sens qu'il n'est pas applicable à une instruction judiciaire menée par un conseiller-magistrat d'instruction, conformément à l'article 480 du Code d'instruction criminelle, lorsque, après l'ordonnance de soit-communiqué, mais avant la saisine du juge de jugement, l'extinction de l'action publique à la suite d'un règlement amiable et/ou d'un non-lieu prononcé par le procureur général a pour effet de faire disparaître la connexité entre les faits reprochés à un titulaire du privilège de juridiction et à d'autres personnes, de sorte que le procureur du Roi est autorisé à citer directement ces autres personnes devant le juge du fond et, le cas échéant, à se fonder sur des actes d'instruction accomplis par le conseiller-magistrat d'instruction, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 127 et 479 du Code d'instruction criminelle, lus en combinaison avec les articles 130, 480, 482bis et 483 du même Code.
B.2. Les articles 479 à 482bis, 483, 484 et 503bis du Code d'instruction criminelle, qui font partie du livre II, titre IV (« De quelques procédures particulières »), chapitre III (« Des crimes commis par des juges, hors de leurs fonctions et dans l'exercice de leurs fonctions »), de ce Code, disposent : «
Art. 479.Lorsqu'un juge de paix, un juge au tribunal de police, un juge au tribunal de première instance, au tribunal du travail ou au tribunal de l'entreprise, un conseiller à la cour d'appel ou à la cour du travail, un conseiller à la Cour de cassation, un magistrat du parquet près un tribunal ou une cour, un référendaire près la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, un membre du Conseil d'Etat de l'auditorat ou du bureau de coordination près le Conseil d'Etat, un membre de la Cour constitutionnelle, un référendaire près cette Cour, les membres du Conseil du Contentieux des étrangers, un gouverneur de province est prévenu d'avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour d'appel le fait citer devant cette cour, qui prononce sans qu'il puisse y avoir appel.
Art. 480.S'il s'agit d'une infraction punissable d'une peine criminelle, le procureur général près la cour d'appel et le premier président de cette cour désigneront, le premier, le magistrat qui exercera les fonctions d'officier de police judiciaire; le second, le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction.
Art. 481.Si c'est un membre de cour d'appel ou un officier exerçant près d'elle le ministère public, qui soit inculpé d'avoir commis un [délit] ou un crime hors de ses fonctions, l'officier qui aura reçu les dénonciations ou les plaintes sera tenu d'en envoyer de suite des copies au Ministre de la justice, sans aucun retard de l'instruction qui sera continuée comme il est précédemment réglé, et il adressera pareillement au Ministre de la justice une copie des pièces.
Art. 482.Le Ministre de la Justice transmettra les pièces à la Cour de cassation, qui renverra l'affaire, s'il y a lieu, soit à un tribunal de police correctionnelle, soit à un juge d'instruction, pris l'un et l'autre hors du ressort de la cour à laquelle appartient le membre inculpé.
S'il s'agit de prononcer la mise en accusation, le renvoi sera fait à une autre cour d'appel.
Art. 482bis.Les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle un fonctionnaire de la qualité exprimée à l'article 479 est poursuivi, et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le fonctionnaire.
L'alinéa 1er ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le fonctionnaire est poursuivi ». «
Art. 483.Lorsqu'un juge de paix, un juge au tribunal de police, un juge au tribunal de première instance, au tribunal du travail ou au tribunal de l'entreprise, un conseiller à la cour d'appel ou à la cour du travail, un conseiller à la Cour de cassation, un magistrat du parquet près un tribunal ou une cour, un référendaire près la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, un membre [du] Conseil d'Etat, de l'auditorat ou du bureau [de] coordination près le Conseil d'Etat, un membre de la Cour constitutionnelle, un référendaire près cette Cour, les membres du Conseil du Contentieux des étrangers, un gouverneur de province est prévenu d'avoir commis, dans l'exercice de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, ce délit est poursuivi et jugé comme il est dit à l'article 479.
Art. 484.Lorsque des fonctionnaires de la qualité exprimée en l'article précédent seront prévenus d'avoir commis un crime, les fonctions ordinairement dévolues au juge d'instruction et au procureur du Roi seront immédiatement remplies par le premier président et le procureur général près la cour d'appel, chacun en ce qui le concerne, ou par tels autres officiers qu'ils auront respectivement et spécialement désignés à cet effet.
Jusqu'à la délégation, et dans le cas où il existerait un corps de délit, il pourra être constaté par tout officier de police judiciaire; et pour le surplus de la procédure, on suivra les dispositions générales du présent Code ». «
Art. 503bis.Les coauteurs et les complices de l'infraction visée à la présente section, pour laquelle un fonctionnaire de la qualité exprimée à l'article 483 ou un tribunal visé à l'article 485, est poursuivi, et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le fonctionnaire ou le tribunal.
L'alinéa 1er ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le fonctionnaire ou le tribunal est poursuivi ».
B.3. Les articles 9, 16 et 29 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021266 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi spéciale réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région fermer « réglant la responsabilité pénale des ministres », également mentionnés dans les questions préjudicielles, disposent : «
Art. 9.Lorsque le procureur général ne requiert pas d'autres actes d'instruction, il requiert le règlement de la procédure devant la chambre de mises en accusation de la cour d'appel compétente, pour autant que la Chambre des représentants ait donné l'autorisation à cette fin ». «
Art. 16.Lorsque la chambre des mises en accusation est d'avis que le fait n'est ni un crime, ni un délit, ni une contravention ou qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, elle déclare qu'il n'y a pas lieu à poursuivre.
Elle peut, si nécessaire, ordonner des actes d'instruction complémentaires.
Lorsque la chambre des mises en accusation est d'avis qu'il existe des charges suffisantes à l'encontre de l'inculpé, elle le renvoie devant la cour d'appel compétente ». «
Art. 29.Les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le ministre.
L'alinéa précédent ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi ».
Les articles 9, 16 et 29 de la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région prévoient des règles identiques, étant entendu qu'est prévue une intervention non pas de la Chambre des représentants mais bien du Parlement devant lequel le membre concerné est ou était responsable pour donner l'autorisation de poursuivre.
B.4. Les articles 127 et 130 du Code d'instruction criminelle, également mentionnés dans les questions préjudicielles, disposent : «
Art. 127.§ 1er. Lorsque le juge d'instruction juge son instruction terminée, il communique le dossier au procureur du Roi.
Si le procureur du Roi ne requiert pas l'accomplissement d'autres devoirs, il prend des réquisitions en vue du règlement de la procédure par la chambre du conseil. § 2. La chambre du conseil fait indiquer, quinze jours au moins d'avance, dans un registre spécial tenu au greffe, les lieu, jour et heure de la comparution. Ce délai est réduit à trois jours lorsqu'un des inculpés est en détention préventive. Le greffier avertit, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, l'inculpé, la partie civile, celui qui a fait une déclaration de personne lésée et leurs conseils, que le dossier est mis à leur disposition au greffe en original ou en copie, qu'ils peuvent en prendre connaissance et en lever copie. Ils peuvent eux-mêmes et par leurs propres moyens, prendre une copie du dossier gratuitement, sur place. § 3. L'inculpé et la partie civile peuvent demander au juge d'instruction, dans le délai fixé au § 2, l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires, conformément à l'article 61quinquies.
Dans ce cas, le règlement de la procédure est suspendu. Lorsque la demande a été définitivement traitée, l'affaire est à nouveau fixée devant la chambre du conseil suivant les formes et les délais prévus au § 2. § 4. La chambre du conseil statue sur le rapport du juge d'instruction, le procureur du Roi, la partie civile et l'inculpé entendus.
Les parties peuvent se faire assister d'un conseil ou être représentées par lui. La chambre du conseil peut néanmoins ordonner la comparution personnelle des parties, par vidéoconférence ou non lorsque l'inculpé se trouve en détention préventive. Cette ordonnance n'est pas susceptible de recours. L'ordonnance est signifiée à la partie qu'elle concerne à la requête du procureur du Roi et emporte citation à comparaître à la date fixée. Si ladite partie ne comparaît pas, la chambre du conseil statue et l'ordonnance est réputée contradictoire.
Lorsque la chambre du conseil tient la cause en délibéré pour prononcer son ordonnance, elle fixe le jour de cette prononciation ». «
Art. 130.Si la chambre du conseil constate que l'infraction relève de la compétence du tribunal correctionnel, l'inculpé est renvoyé devant ce tribunal ou, après l'instruction judiciaire dans le cas visé à l'article 57bis, § 1er, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, à la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse ».
B.5.1. Les articles 479 à 503bis du Code d'instruction criminelle prévoient une procédure dérogeant au droit commun de la procédure pénale pour les infractions commises par les magistrats et par certains autres titulaires de fonctions publiques. Cette procédure particulière qu'implique le « privilège de juridiction » a été instaurée en vue de garantir, à l'égard de ces personnes, une administration de la justice impartiale et sereine. Les règles spécifiques d'instruction, de poursuite et de jugement tendent à éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes concernées et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.
Le législateur a prévu des dispositions pour les infractions commises par les magistrats en dehors de leurs fonctions (articles 479 à 482bis) qui sont similaires aux dispositions prévues pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions (articles 483 à 503bis).
B.5.2. En vertu des articles 482bis et 503bis du Code d'instruction criminelle, les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle un magistrat visé à l'article 479 ou 483 de ce Code est poursuivi ainsi que les auteurs d'infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que ce magistrat. Ils sont donc soumis eux aussi à la procédure spéciale, telle qu'elle est réglée par les dispositions précitées dans le cadre du « privilège de juridiction ».
Quant aux questions préjudicielles B.6.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 127, 479, 480, 482bis et 483 du Code d'instruction criminelle avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils ne prévoient pas, pour un inculpé d'une infraction connexe visé à l'article 482bis du Code d'instruction criminelle, un règlement de la procédure ou une procédure de filtrage qui y est similaire au terme de l'instruction, dans le cas particulier où l'action publique menée à charge du titulaire du privilège de juridiction s'est à ce moment déjà éteinte à la suite d'une transaction ou d'une décision de classement sans suite du procureur général. Il en découle que le procureur du Roi est seul compétent pour décider si l'affaire menée à charge des autres personnes doit être ou non renvoyée devant la juridiction de jugement par citation directe, sans qu'il y ait une intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière.
B.6.2. Eu égard à leur connexité, la Cour examine ensemble les différentes questions préjudicielles.
B.7.1. Il appartient en principe au législateur de décider pour quelles fonctions publiques il y a lieu de prévoir des règles dérogatoires aux règles ordinaires de la procédure pénale afin d'atteindre les objectifs d'intérêt général tels que ceux qui sont cités en B.5.1.
Le fait que des règles procédurales différentes soient prévues dans le cadre du régime du « privilège de juridiction » pour les magistrats des cours d'appel, pour les autres magistrats visés par l'article 479 du Code d'instruction criminelle et pour les ministres, ne peut être tenu pour discriminatoire en soi.
B.7.2. Il n'est pas davantage discriminatoire en soi que les auteurs d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 479 du Code d'instruction criminelle soient poursuivis et jugés en même temps que cette dernière et selon les mêmes règles de procédure spécifiques.
A cet égard, la Cour a jugé par son arrêt n° 60/96 du 7 novembre 1996 : « B.8. [...] Toutefois, la nécessité d'une bonne administration de la justice justifie l'organisation d'un procès unique et complet, qui assure une cohérence dans l'appréciation des faits et des responsabilités. Il est conforme au principe fondamental de la contradiction des débats de permettre à plusieurs personnes poursuivies à propos des mêmes faits de comparaître devant la même juridiction. A défaut, la multiplicité des instructions, puis des débats, serait de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité judiciaire, notamment quant à la détermination du rôle respectif des différentes personnes poursuivies.
En outre, les droits de défense tant des personnes mentionnées à l'article 479 que des autres personnes poursuivies pour les mêmes faits pourraient être méconnus si des prévenus devaient se défendre devant une juridiction alors qu'une autre juridiction aurait déjà statué sur la réalité, l'imputabilité et la qualification pénale des faits qui leur sont reprochés. La nature des principes en cause ne permet donc pas de considérer la différence de traitement critiquée comme dépourvue de justification ».
B.7.3. Il y aurait toutefois une discrimination si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles procédurales emportait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.8.1. L'article 13 de la Constitution implique un droit d'accès au juge compétent. Ce droit est également garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et par un principe général de droit.
B.8.2. Comme l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme, le fait pour les Etats d'accorder généralement des « privilèges de juridiction » aux magistrats constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de la justice. En ce qui concerne plus particulièrement les règles spécifiques belges en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le « privilège de juridiction », la Cour européenne a souligné que ces règles visent à éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.
D'après la Cour européenne, de tels objectifs doivent être tenus pour légitimes (CEDH, 15 juillet 2003, Ernst e.a. c. Belgique, § 50).
La Cour européenne a par ailleurs jugé que le « privilège de juridiction » organisé par les autorités nationales ne viole pas l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme pour autant que les droits garantis, dont est privé le bénéficiaire, soient compensés raisonnablement par d'autres moyens (CEDH, 15 juillet 2003, Ernst e.a. c. Belgique, § 53; 30 janvier 2003, Cordova c. Italie, § 65).
B.9.1. Par dérogation à la procédure pénale de droit commun, les dispositions en cause ne prévoient pas, dans l'interprétation mentionnée en B.6.1, pour les magistrats, ainsi que pour les personnes contre lesquelles une instruction est menée du chef d'infractions connexes aux infractions dont le magistrat est suspecté, l'intervention d'une juridiction d'instruction afin de régler la procédure au terme de l'instruction.
B.9.2. La Cour s'est déjà prononcée par plusieurs arrêts sur le fait que, dans le cadre des articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle, l'intervention d'une juridiction d'instruction ne soit pas prévue. La Cour a ainsi jugé, par son arrêt n° 35/2018 du 22 mars 2018, que les articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle violent les articles 10 et 11 de la Constitution « en ce qu'ils ne prévoient pas, au terme de l'instruction, l'intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière ». La même conclusion s'impose lorsque le titulaire du privilège de juridiction n'est plus impliqué dans la procédure, comme c'est le cas dans l'affaire soumise à la juridiction a quo, et que l'affaire a donc été renvoyée au procureur du Roi.
B.10. Interprétées en ce sens que le procureur du Roi est seul compétent pour décider si l'affaire menée à charge des autres personnes doit être ou non renvoyée devant la juridiction de jugement par citation directe, sans qu'il y ait une intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière, les dispositions en cause ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
Dans cette interprétation, les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.
B.11. Une autre interprétation est néanmoins possible. En effet, l'article 127 du Code d'instruction criminelle peut être interprété en ce sens qu'il est également applicable à une instruction judiciaire menée par un conseiller-juge d'instruction, conformément à l'article 480 du Code d'instruction criminelle, lorsque, après l'ordonnance de soit-communiqué, mais avant la saisine du juge de jugement, l'extinction de l'action publique à la suite d'une transaction ou d'une décision de classement sans suite du procureur général a pour effet de faire disparaître la connexité entre les faits reprochés à un titulaire du privilège de juridiction et à d'autres personnes.
Dans cette interprétation, les dispositions en cause sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et les questions préjudicielles appellent une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 127, 130, 479, 480, 482bis et 483 du Code d'instruction criminelle, interprétés en ce sens qu'ils ne prévoient pas, pour les auteurs d'infractions connexes visés à l'article 482bis du Code d'instruction criminelle, un règlement de la procédure ou une procédure de filtrage qui y est similaire au terme de l'instruction, dans le cas particulier où l'action publique menée à charge du titulaire du privilège de juridiction s'est à ce moment déjà éteinte à la suite d'une transaction ou d'une décision de classement sans suite du procureur général, violent les articles 10 et 11 de la Constitution. - Les mêmes dispositions, interprétées en ce sens que l'article 127 du Code d'instruction criminelle est également applicable à une instruction judiciaire menée par un conseiller-juge d'instruction, conformément à l'article 480 du Code d'instruction criminelle, lorsque, après l'ordonnance de soit-communiqué, mais avant la saisine du juge de jugement, l'extinction de l'action publique à la suite d'une transaction ou d'une décision de classement sans suite du procureur général a pour effet de faire disparaître la connexité entre les faits reprochés à un titulaire du privilège de juridiction et à d'autres personnes, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2020.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen