publié le 14 septembre 2020
Extrait de l'arrêt n° 47/2020 du 26 mars 2020 Numéro du rôle : 7058 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 200bis, § 6, du Code wallon de l'habitation durable, posée par le Tribunal de première instance de Liège, divis La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 47/2020 du 26 mars 2020 Numéro du rôle : 7058 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 200bis, § 6, du Code wallon de l'habitation durable, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 12 novembre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 novembre 2018, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 200bis, § 6, du Code wallon du logement et de l'habitat durable viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne permet pas au tribunal de première instance d'assortir d'un sursis l'amende prévue par cette disposition alors que le contrevenant pourrait en obtenir le bénéfice s'il comparaissait devant le tribunal correctionnel en raison des mêmes faits, conformément à l'article 200bis, § 4, du même Code ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Figurant sous le titre IV (« Dispositions administratives et pénales »), l'article 200bis du Code wallon du logement et de l'habitat durable (intitulé modifié en « Code wallon de l'habitation durable » par un décret du 2 mai 2019) investit le fonctionnaire de l'administration désigné par le Gouvernement wallon du pouvoir d'imposer une amende administrative pour certaines infractions au même Code, telle la mise en location de logements collectifs sans permis de location.
Il dispose : « § 1er. Le fonctionnaire de l'administration, que le Gouvernement désigne à cette fin, peut imposer une amende administrative : 1° au titulaire de droits réels sur le logement et, lorsque celui-ci est donné en location, au bailleur et à l'occupant éventuel, qui permet l'habitation dans un logement dont l'interdiction d'accès ou d'occupation a été déclarée soit par le bourgmestre en vertu de l'article 7, alinéa 3, ou de l'article 13bis, soit par le Gouvernement en vertu de l'article 7, alinéa 6;2° à toute personne qui fait obstacle à l'exercice des missions des fonctionnaires et des agents communaux agréés visés à l'article 5;3° au bailleur qui : a) soit loue ou met en location un logement visé à l'article 10 sans avoir obtenu de permis de location;b) soit, après obtention d'un permis de location, contrevient à une disposition arrêtée par ou en vertu des articles 10 et suivants. Les infractions sont consignées dans un constat transmis par les fonctionnaires et agents de l'administration désignés ou par le collège communal de la commune où est situé le logement, et, en cas d'inaction du collège, par le Gouvernement, au fonctionnaire désigné par le Gouvernement et au ministère public. [...] § 2. L'amende administrative s'élève à un montant compris entre 500 et 12.500 euros par logement. Le Gouvernement détermine le montant de l'amende selon le type d'infraction constatée. Chaque année, le Gouvernement peut indexer les montants. [...] § 4. Les infractions visées au paragraphe 1er du présent article et à l'article 200ter font l'objet soit de poursuites pénales, soit d'une amende administrative.
Les infractions constatées aux dispositions visées au paragraphe 1er du présent article et à l'article 200ter sont poursuivies par voie d'amende administrative, à moins que le ministère public ne juge, compte tenu de la gravité de l'infraction, qu'il y a lieu à poursuites pénales. Les poursuites pénales excluent l'application d'une amende administrative, même si un acquittement les clôture.
Le ministère public dispose d'un délai de deux mois, à compter du jour de la réception du constat visé au paragraphe 1er, alinéa 2, pour notifier au fonctionnaire désigné par le Gouvernement sa décision quant à l'intentement ou non de poursuites pénales. [...] § 5. Dans le cas où le ministère public renonce à poursuivre ou omet de notifier sa décision dans le délai fixé, le fonctionnaire désigné par le Gouvernement décide, après avoir mis le contrevenant en mesure de présenter ses moyens de défense, s'il y a lieu d'infliger une amende administrative du chef de l'infraction.
La décision du fonctionnaire fixe le montant de l'amende administrative et est motivée. Elle est notifiée au contrevenant par lettre recommandée à la poste en même temps qu'une invitation à acquitter l'amende dans le délai fixé par le Gouvernement.
La décision administrative par laquelle l'amende administrative est infligée ne peut plus être prise cinq ans après le fait constitutif d'une infraction visée par le présent article. Toutefois, l'invitation au contrevenant de présenter ses moyens de défense visée à l'alinéa 1er interrompt le cours de la prescription.
La notification de la décision fixant le montant de l'amende administrative éteint l'action publique.
Le paiement de l'amende met fin à l'action de l'administration. § 6. Le contrevenant qui conteste la décision du fonctionnaire désigné par le Gouvernement introduit, à peine de forclusion, un recours par voie de requête devant le tribunal de première instance dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision. Ce recours suspend l'exécution de la décision.
La disposition de l'alinéa précédent est mentionnée dans la décision par laquelle l'amende administrative est infligée. [...] ».
B.1.2. L'article 10 du Code wallon de l'habitation durable auquel il est renvoyé figure sous le titre I, chapitre I, section 3 (« Des prescriptions particulières aux logements collectifs et aux petits logements individuels, loués ou mis en location »).
Il dispose : « Avant toute mise en location d'un logement visé à la présente section, le bailleur doit être titulaire d'un permis de location.
Le logement doit : 1° respecter les critères de salubrité et les critères relatifs à la structure du logement et à sa dimension fixés par le Gouvernement sur la base du présent Code; 1°bis respecter l'obligation d'équipement en matière de détecteurs d'incendie; 2° respecter les règlements communaux en matière de salubrité ainsi que les règlements en matière de sécurité incendie;Ceux-ci peuvent être, préalablement à leur adoption, soumis pour avis à l'administration; 3° garantir l'inviolabilité du domicile et le respect de la vie privée, notamment : a) par un système de fermeture à clé des locaux à usage individuel;b) par des boîtes aux lettres fermant à clé, à l'exception des logements dont la vocation principale est l'hébergement d'étudiants;4° avoir été construit, aménagé ou créé dans le respect des dispositions applicables en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme;5° disposer du certificat de performance énergétique du bâtiment lorsque ce certificat est exigé par la législation en la matière, ainsi que de la preuve du contrôle des installations de chauffage exigé par la législation en la matière ». B.1.3. Le petit logement individuel est défini comme « le logement individuel dont la superficie habitable ne dépasse pas 28 m2 » (article 1er, 5°, du Code). Le logement collectif est défini comme « le logement dont au moins une pièce d'habitation ou un local sanitaire est utilisé par plusieurs personnes majeures ne constituant pas un seul et même ménage » (article 1er, 6°, du Code).
B.2. Il ressort de la décision de renvoi que le juge a quo demande à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de l'article 200bis, § 6, du Code wallon de l'habitation durable avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne permet pas que le tribunal de première instance, saisi d'un recours contre une décision du fonctionnaire sanctionnateur de la Région wallonne d'imposer une amende administrative au bailleur qui loue ou met en location un logement collectif sans avoir obtenu de permis de location, sur la base de l'article 200bis, § 1er, alinéa 1er, du même Code, puisse assortir l'amende administrative d'un sursis, alors que le contrevenant pourrait obtenir le bénéfice d'une telle mesure s'il comparaissait devant le tribunal correctionnel en raison des mêmes faits, conformément à l'article 200bis, § 4, du même Code.
B.3.1. Lorsque, comme en l'espèce, l'auteur d'un même fait peut être puni de manière alternative, c'est-à -dire lorsque, pour les mêmes faits, il peut, soit être renvoyé devant le juge pénal, soit se voir infliger une amende administrative contre laquelle un recours lui est offert devant un tribunal, la Cour a jugé qu'un parallélisme doit en principe exister entre les mesures d'individualisation de la peine : lorsque, pour les mêmes faits, le juge pénal peut infliger une amende inférieure au minimum légal s'il existe des circonstances atténuantes (article 85 du Code pénal) ou lorsqu'il peut accorder un sursis (la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer), le tribunal, saisi du recours dirigé contre la décision d'infliger une sanction administrative, doit en principe disposer des mêmes possibilités d'individualisation de la peine.
B.3.2. La Cour a notamment jugé que des dispositions imposant une amende fiscale (arrêts nos 157/2008 du 6 novembre 2008 et 13/2013 du 21 février 2013), un accroissement d'impôt (n° 55/2014 du 27 mars 2014), une indemnité forfaitaire (n° 112/2014 du 17 juillet 2014) ou un doublement de la redevance radio et télévision (n° 138/2018 du 11 octobre 2018) violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elles ne permettent pas au tribunal d'assortir d'un sursis la sanction qu'elles prévoient.
Par contre, la Cour a jugé qu'il est raisonnablement justifié que la personne qui fait l'objet d'une sanction administrative alternative ne puisse bénéficier d'une mesure de suspension du prononcé de la condamnation, une telle mesure étant difficilement conciliable avec une procédure qui ne se déroule pas devant une juridiction pénale (nos 105/2004 du 16 juin 2004, 42/2009 du 11 mars 2009, 13/2013 du 21 février 2013, 112/2014 du 17 juillet 2014, 25/2016 du 18 février 2016).
B.4. Une mesure constitue une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, § § 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, § § 30-31).
Les sanctions administratives prévues à l'article 200bis, § 1er, du Code wallon de l'habitation durable ont pour objet de prévenir et de sanctionner les infractions au même Code définies au paragraphe 1er de cette disposition. En conséquence, ces sanctions ont un caractère répressif et sont de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.5.1. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.
Le législateur compétent a toutefois opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, notamment en autorisant le juge à accorder des mesures de sursis.
B.5.2. Il appartient au législateur compétent d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général. Cette sévérité peut notamment porter sur les mesures de sursis.
La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition en cause avait pour effet de priver une catégorie de justiciables du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.6.1. Le sursis à l'exécution des peines a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l'exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné. Il peut être ordonné à propos de peines d'amende. Il ressort en outre de l'article 157, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, remplacé par l'article 2 de la loi du 19 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/12/2008 pub. 31/12/2008 numac 2008024536 source service public federal securite sociale Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 type loi prom. 19/12/2008 pub. 19/03/2009 numac 2009000182 source service public federal interieur Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994. - Traduction allemande fermer « portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 » et modifié par l'article 5, 1°, de la loi du 29 mars 2012 « portant des dispositions diverses (II) », que le sursis n'est pas considéré par le législateur comme incompatible avec une amende imposée par une autorité autre qu'une juridiction pénale.
Sans doute le régime des amendes administratives prévues par l'article 200bis, § 1er, du Code wallon de l'habitation durable diffère-t-il en divers éléments de celui des sanctions pénales prévues par le même Code ou de celui des sanctions administratives prévues en d'autres matières, qu'il s'agisse de la formulation différente de l'exigence de l'élément moral, de la possibilité de cumuler des amendes administratives, du mode de fixation des peines ou de l'application de décimes additionnels. S'il est vrai que de telles différences peuvent être pertinentes pour justifier l'application de règles spécifiques dans certains domaines, elles ne le sont pas dans celui qui fait l'objet de la question préjudicielle : en effet, qu'il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre instance compétente, telle que le tribunal civil, le sursis peut inciter le condamné à s'amender, par la menace d'exécuter la condamnation au paiement d'une amende s'il venait à récidiver.
Si la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer n'est pas applicable, il appartient au législateur compétent de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis, de même éventuellement qu'un sursis probatoire, peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de son retrait.
B.6.2. Il résulte de ce qui précède que l'article 200bis, § 6, du Code wallon de l'habitation durable n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'accorder le bénéfice du sursis au contrevenant visé en B.2.
B.7. Ce constat d'inconstitutionnalité partielle n'a toutefois pas pour conséquence que cette disposition ne pourrait plus, dans l'attente d'une intervention du législateur décrétal, être appliquée par les instances compétentes lorsque celles-ci constatent que les infractions sont établies, que le montant de l'amende n'est pas disproportionné à la gravité de l'infraction et qu'il n'y aurait pas eu lieu d'accorder un sursis même si cette mesure avait été prévue par le décret.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'assortir d'un sursis les amendes administratives visées à l'article 200bis, § 1er, alinéa 1er, du Code wallon de l'habitation durable, l'article 200bis, § 6, du même Code viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 mars 2020.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût