publié le 05 mars 2020
Extrait de l'arrêt n° 125/2019 du 26 septembre 2019 Numéro du rôle : 7034 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel d'Anvers. La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihou(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 125/2019 du 26 septembre 2019 Numéro du rôle : 7034 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel d'Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 16 octobre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 octobre 2018, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 219 du CIR 92, tel qu'il a été modifié par la loi-programme du 19 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 19/12/2014 pub. 29/12/2014 numac 2014021137 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que les sociétés qui sont assujetties à l'impôt des sociétés et qui octroient des avantages de toute nature à leur dirigeant d'entreprise sans les mentionner sur une fiche individuelle et sur un relevé récapitulatif sont traitées différemment selon que le bénéficiaire des avantages a été identifié de manière univoque dans les deux ans et six mois à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition concerné, de sorte que la cotisation (de 100 %) sur les commissions secrètes, prévue par l'article 219 du CIR 92, n'est pas appliquée à ces sociétés et que l'administration a la possibilité d'encore imposer à temps le bénéficiaire des avantages dans le délai d'imposition et selon que le bénéficiaire des avantages de toute nature a été identifié de manière univoque en dehors du délai de deux ans et six mois à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition concerné, en conséquence de quoi la cotisation (de 100 %) sur les commissions secrètes, prévue par l'article 219 du CIR 92, est appliquée à ces sociétés, alors que l'administration a déjà effectivement imposé à temps le bénéficiaire dans le délai d'imposition ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).
B.2. L'article 219 du CIR 1992 dispose : « Une cotisation distincte est établie à raison des dépenses visées à l'article 57 et des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, qui ne sont pas justifiés par la production de fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif ainsi qu'à raison des bénéfices dissimulés qui ne se retrouvent pas parmi les éléments du patrimoine de la société, et des avantages financiers ou de toute nature visés à l'article 53, 24°.
Cette cotisation est égale à 100 % de ces dépenses, avantages de toute nature, avantages financiers et bénéfices dissimulés, sauf lorsqu'on peut démontrer que le bénéficiaire de ces dépenses, avantages de toute nature et avantages financiers est une personne morale ou que les bénéfices dissimulés sont réintégrés dans la comptabilité, comme prévu à l'alinéa 4, auxquels cas le taux est fixé à 50 % .
Ne sont pas considérées comme des bénéfices dissimulés, les réserves visées à l'article 24, alinéa 1er, 2° à 4°.
Les bénéfices dissimulés peuvent être réintégrés dans la comptabilité d'un exercice comptable postérieur à l'exercice comptable au cours duquel le bénéfice est réalisé, même si les délais d'imposition visés à l'article 354, alinéa 1er, sont expirés, pour autant que le contribuable n'ait pas encore été informé par écrit d'actes d'administration ou d'instruction spécifiques en cours.
De plus, les bénéfices dissimulés précités ne sont soumis à cette cotisation distincte que dans le cas où ils ne sont pas le résultat d'un rejet de frais professionnels.
Cette cotisation n'est pas applicable si le contribuable démontre que le montant des dépenses, visées à l'article 57, ou des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, est compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire conformément à l'article 305 ou dans une déclaration analogue introduite à l'étranger par le bénéficiaire.
Lorsque le montant des dépenses visées à l'article 57 ou des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, n'est pas compris dans une déclaration introduite conformément à l'article 305 ou dans une déclaration analogue introduite à l'étranger par le bénéficiaire, la cotisation distincte n'est pas applicable dans le chef du contribuable si le bénéficiaire a été identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de 2 ans et 6 mois à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition concerné ».
B.3. La juridiction a quo demande si l'article 219 du CIR 1992 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que des sociétés reçoivent des traitements fiscaux différents selon que le bénéficiaire d'un avantage de toute nature non mentionné sur une fiche, d'une part, a été identifié de manière univoque dans un délai de 2 ans et 6 mois et peut être imposé par l'administration fiscale et, d'autre part, a été identifié de manière univoque dans un délai supérieur à 2 ans et 6 mois et a été effectivement imposé par l'administration fiscale. Dans le premier cas, la société ne se voit pas appliquer une cotisation distincte à l'impôt des sociétés, alors que, dans le second cas, la société se voit appliquer cette cotisation, même si le bénéficiaire a été imposé à l'impôt des personnes physiques.
B.4. Il ressort de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la juridiction a quo souhaite essentiellement savoir si le délai de 2 ans et 6 mois est raisonnablement justifié.
La Cour limite dès lors son examen à l'article 219, alinéa 7, du CIR 1992.
B.5.1. Le système de taxation des commissions secrètes est le résultat de plusieurs modifications législatives successives. Les travaux préparatoires de ces différentes adaptations démontrent que le législateur entendait lutter contre certaines formes d'abus. Il a dès lors instauré une « corrélation entre, d'une part, la déductibilité des montants dans le chef de celui qui les paie et, d'autre part, l' ' imposabilité ' de ces montants au nom des bénéficiaires » (Doc. parl., Chambre, 1972-1973, n° 521/7, pp. 38-39).
C'est pourquoi, par la loi du 25 juin 1973 « modifiant le Code des impôts sur les revenus, en ce qui concerne, notamment, la taxation des plus-values, l'assiette et le calcul de l'impôt des sociétés et de l'impôt des non-résidents, ainsi que la répression de certaines formes de fraude et d'évasion fiscales », il a établi la cotisation distincte « compensant la perte de l'impôt qui ne peut être perçu dans le chef des bénéficiaires » (ibid., p. 39).
B.5.2. A l'origine, la disposition en cause s'appliquait uniquement aux dépenses visées à l'article 57 du CIR 1992, c'est-à -dire aux commissions, courtages, honoraires et avantages de toute nature, qui sont payés aux bénéficiaires pour qui ces sommes constituent des revenus professionnels, ou encore aux rémunérations et pensions payées aux membres ou anciens membres du personnel, ainsi qu'aux administrateurs et gérants. Lorsqu'une société ne justifie pas dans le délai imparti les sommes visées dans cette disposition par la production des fiches individuelles et du relevé récapitulatif visés par la loi, qui révèlent l'identité du bénéficiaire, elle est redevable d'une cotisation distincte à l'impôt des sociétés. Ces dépenses non justifiées comprennent les « commissions secrètes ».
La cotisation distincte sur les commissions secrètes prévue à l'impôt des sociétés tend donc à contraindre les contribuables à respecter leur obligation de fournir à l'administration fiscale, dans la forme et dans le délai prévus par la loi, les informations qui lui permettent de procéder à l'imposition des bénéficiaires.
B.5.3. Depuis la modification législative du 30 mars 1994, il s'avère qu'outre cet objectif légitime, le législateur avait également l'intention de dissuader la fraude en fixant le taux de la cotisation distincte à 300 % et en visant entre autres à sanctionner le contribuable qui ne respecte pas ses obligations, afin d'éviter la récidive des infractions (Doc. parl., Chambre, 1993-1994, n° 1290/6, pp. 45-46 et p. 86).
B.5.4. Par la loi-programme du 19 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 19/12/2014 pub. 29/12/2014 numac 2014021137 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, le législateur a voulu conférer à la cotisation distincte sur les commissions secrètes un caractère purement indemnitaire et non plus un caractère punitif (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-0672/001, p. 10). La cotisation distincte a dorénavant pour seul objectif de compenser la perte d'impôts sur les revenus.
Conformément à cet objectif, le législateur a ramené le taux de la cotisation distincte sur les commissions secrètes de 309 à 103 % (avec, dans certains cas, une réduction supplémentaire allant jusqu'à 51,5 % ). Il a également adapté les cas de non-application de cette cotisation prévus par la loi du 27 novembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/11/2002 pub. 10/12/2002 numac 2002003512 source ministere des finances Loi modifiant l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 fermer.
La cotisation n'est donc pas applicable si le contribuable concerné démontre que le montant des dépenses ou des avantages de toute nature est compris dans la déclaration à l'impôt sur les revenus introduite par le bénéficiaire dans le délai imparti (article 219, alinéa 6, du CIR 1992). En l'absence d'une telle déclaration, lorsque les dépenses ou les avantages de toute nature n'ont pas été déclarés par le bénéficiaire dans le délai fixé, la cotisation n'est pas applicable désormais « si le bénéficiaire a été identifié de manière univoque au plus tard dans le délai de 2 ans et 6 mois à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition concerné » (article 219, alinéa 7, du CIR 1992).
B.5.5. Il ressort d'une réponse du ministre des Finances que ce délai de 2 ans et 6 mois visait à donner à l'administration fiscale une période d'au moins 6 mois pour établir, en application de l'article 354, alinéa 1er, du CIR 1992, une cotisation complémentaire dans le chef du bénéficiaire de l'avantage non déclaré (Q.R., Chambre, 2015-2016, QRVA 54-072, p. 250).
B.6. Le bénéficiaire identifié de manière univoque d'un avantage de toute nature qui n'est mentionné ni sur une fiche ni dans la déclaration peut, dans un délai, selon le cas, de trois ans, de cinq ans ou de sept ans (article 354, alinéas 1er et 2, et article 358 du CIR 1992), être soumis à l'impôt applicable afin de pourvoir aux moyens visés pour le Trésor.
Si l'administration fiscale constate un avantage de toute nature non déclaré, en identifie le bénéficiaire de manière univoque et soumet celui-ci à l'impôt applicable dans les délais d'imposition légaux précités ou a encore eu la possibilité de le faire, il n'est pas raisonnablement justifié, eu égard aux objectifs mentionnés en B.5.4, que la personne qui octroie l'avantage soit soumise à une cotisation distincte. L'inverse conduirait à ce que tant celui qui octroie que celui qui bénéficie de l'avantage puissent être soumis aux impositions appropriées, ce qui va au-delà de la simple compensation, poursuivie par le législateur, d'une perte de recettes fiscales.
En limitant la non-application de la cotisation distincte en cause aux cas dans lesquels le bénéficiaire de l'avantage de toute nature a simplement été identifié de manière univoque dans les 2 ans et 6 mois, et en ne prévoyant pas la non-application pour les cas dans lesquels le bénéficiaire de l'avantage de toute nature non déclaré est identifié au-delà du délai de 2 ans et 6 mois, mais a néanmoins été soumis au régime d'imposition applicable dans un des délais d'imposition légaux, le législateur a dès lors établi un délai qui, à la lumière des objectifs poursuivis, n'est pas raisonnablement justifié.
En ce que la non-application de la cotisation distincte est limitée aux cas dans lesquels le bénéficiaire de l'avantage de toute nature a simplement été identifié de manière univoque dans les 2 ans et 6 mois et ne vaut pas pour les cas dans lesquels le bénéficiaire a été identifié de manière univoque au-delà de ce délai, mais a été effectivement imposé dans les délais d'imposition légaux, l'article 219, alinéa 7, du CIR 1992 n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
B.7. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Partant, la cotisation distincte sur les commissions secrètes ne peut trouver à s'appliquer lorsque le bénéficiaire de l'avantage de toute nature a été effectivement imposé dans les délais d'imposition légaux.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 219, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que la non-application de la cotisation distincte est limitée aux cas dans lesquels le bénéficiaire de l'avantage de toute nature a été identifié de manière univoque uniquement dans le délai de 2 ans et 6 mois et ne vaut pas pour les cas dans lesquels le bénéficiaire a été identifié de manière univoque en dehors de ce délai, mais a été effectivement imposé dans les délais d'imposition légaux.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 septembre 2019.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux A. Alen