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Arrêt
publié le 16 mars 2020

Extrait de l'arrêt n° 103/2019 du 27 juin 2019 Numéro du rôle : 6930 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 26bis du décret de la Région flamande du 21 octobre 1997 concernant la conservation de la nature et le milieu natur La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 103/2019 du 27 juin 2019 Numéro du rôle : 6930 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 26bis du décret de la Région flamande du 21 octobre 1997 concernant la conservation de la nature et le milieu naturel, posée par le Conseil pour les contestations des autorisations.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et P. Nihoul, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 8 mai 2018 en cause de H. V.C. contre l'inspecteur régional de l'urbanisme de l'agence « Ruimte Vlaanderen », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 mai 2018, le Conseil pour les contestations des autorisations a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 26bis du décret du 21 octobre 1997 concernant la conservation de la nature et le milieu naturel viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu'elle ne laisserait aucune liberté d'appréciation au juge ou n'autoriserait aucune valeur limite et s'oppose à la délivrance d'un permis pour des activités qui, compte tenu des mesures atténuantes, ne peuvent avoir que des effets négatifs très limités ou non significatifs sur la nature dans une zone du Réseau écologique flamand (VEN), alors que, conformément à l'article 36ter du même décret, dans les zones spéciales de conservation désignées dans le cadre des directives Habitats et Oiseaux, il existe seulement une interdiction de principe de délivrer un permis lorsqu'il est question de ' dépréciation significative ' des caractéristiques naturelles de la zone spéciale de conservation ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Le Réseau écologique flamand (ci-après : le « VEN »; en néerlandais : « Vlaams Ecologisch Netwerk ») est un ensemble cohérent et organisé d'espaces libres, au sein desquels est menée une politique spécifique en matière de conservation de la nature, fondée sur les caractéristiques et les éléments du milieu naturel, l'interdépendance des zones de l'espace libre et les richesses naturelles présentes et potentielles (article 17, § 1er, du décret de la Région flamande du 21 octobre 1997 concernant la conservation de la nature et le milieu naturel).

La protection du « VEN » est assurée de trois manières : les mesures de conservation prises par l'autorité compétente, telles que la promotion d'une sylviculture respectueuse de la nature (article 25, § 1er); l'interdiction de certaines activités, telles que la modification de la végétation (article 25, § 3); et l'« évaluation VEN » (article 26bis).

C'est cette dernière mesure qui fait l'objet de la question préjudicielle. Elle implique que l'autorité ne peut accorder une autorisation ou un « permis » pour une activité susceptible de causer un préjudice inévitable et irréparable à la nature dans le « VEN » (article 26bis, § 1er, alinéa 1er), sauf pour des raisons impératives d'intérêt public majeur (article 26bis, § 3).

B.2. Le juge a quo interprète l'article 26bis, § 1er, alinéa 1er, du décret du 21 octobre 1997 en ce sens que l'autorité ne peut octroyer une autorisation ou un permis pour des activités susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la nature dans une zone du « VEN », même s'il s'agit d'effets négatifs non significatifs.

Il compare cette disposition à l'article 36ter du même décret, qui porte sur les zones spéciales de conservation. Il s'agit de zones désignées par le Gouvernement flamand en application de la directive « Oiseaux » (directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages, remplacée dans l'intervalle par la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages), ou de la directive « Habitats » (directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages). Ces zones forment, sur le territoire de l'Union européenne, un réseau écologique connu sous le nom de « Natura 2000 ». En vertu de l'article 36ter, l'autorité ne peut octroyer un permis que si l'exécution de l'activité projetée ne peut causer « aucune détérioration significative des zones spéciales de conservation concernées ».

Les demandeurs d'un permis sont donc traités différemment, selon que leur demande porte sur des activités situées dans le « VEN » ou dans une zone spéciale de conservation. Dans les deux cas, il s'agit d'une évaluation écologique fondée sur la zone. Dans le premier cas, en application de l'« évaluation VEN », le moindre préjudice susceptible d'être causé à la nature entraînerait le rejet de la demande. Dans le second cas, en application de l'« évaluation habitat », seule une dépréciation significative des caractéristiques naturelles de la zone aurait la même conséquence.

La différence de traitement n'existe que si la zone spéciale de conservation n'est pas située dans le « VEN ». Sinon, c'est l'« évaluation VEN », plus stricte, qui doit être appliquée dans les deux cas. La Cour examine dès lors la question préjudicielle dans l'hypothèse où la zone spéciale de conservation ne fait pas partie du « VEN ».

B.3.1. L'article 26bis, § 1er, alinéa 1er, du décret du 21 octobre 1997 dispose : « L'autorité ne peut accorder d'autorisation ou de permission pour une activité susceptible de causer des préjudices [inévitables et] irréparables à la nature dans le VEN ».

Cette disposition a été insérée par le décret du 19 juillet 2002. Les travaux préparatoires de ce décret précisent davantage la distinction entre un préjudice évitable et un préjudice inévitable : « Un préjudice évitable est un préjudice que l'on peut éviter en effectuant l'activité d'une autre manière (par exemple, à l'aide d'autres matériaux, à un autre endroit...). Un préjudice inévitable est un préjudice que l'on causera de toute façon, quelle que soit la manière d'effectuer l'activité » (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 967/1, p. 17).

B.3.2. L'article 36ter, § 4, du même décret dispose : « L'autorité chargée de statuer sur une demande d'autorisation, un plan ou un programme ne peut accorder l'autorisation ou approuver le plan ou programme que si le plan ou programme d'exécution de l'activité ne cause aucune détérioration significative des zones spéciales de conservation concernées. L'autorité compétente veille toujours, en imposant des conditions, à ce qu'il ne puisse se produire aucune détérioration significative des caractéristiques naturelles d'une zone spéciale de conservation ».

Une dépréciation significative des caractéristiques naturelles d'une zone spéciale de conservation est « une dépréciation qui entraîne des conséquences mesurables et démontrables pour les caractéristiques naturelles d'une zone spéciale de conservation, dans la mesure où il existe des conséquences mesurables et démontrables pour l'état de conservation de ou des espèces ou habitats pour lesquels la zone spéciale de conservation est désignée ou pour l'état de conservation de ou des espèces citées à l'annexe III du présent décret, pour autant qu'il s'agisse de la zone spéciale de conservation concernée » (article 2, 30°, du même décret).

B.4.1. Selon le Gouvernement flamand, la question préjudicielle est fondée sur une erreur de droit selon laquelle, en vertu de l'article 26bis, § 1er, alinéa 1er, du décret du 21 octobre 1997, aucun permis ne peut être accordé pour des activités qui ne peuvent avoir que des effets négatifs non significatifs sur la nature dans le « VEN ».

B.4.2. Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition qu'un préjudice inévitable ne doit pas, par définition, entraîner le rejet d'une demande de permis pour l'activité concernée : « Le régime des autorisations prévoit actuellement que l'autorité qui délivre les permis doit prendre des mesures pour limiter, réparer ou éventuellement compenser les préjudices inévitables. Ce régime est applicable sur l'ensemble du territoire de la Région flamande. La possibilité d'inclure une obligation de compensation dans les conditions du permis n'est pas impérative, mais elle est prévue dans les cas où cela semble raisonnablement justifié. Le but d'une réparation est de mettre en place, sur le long terme, à l'endroit où le préjudice a été causé, un habitat quantitativement et qualitativement similaire à celui qui existait avant ce préjudice. La compensation tend à rétablir la qualité naturelle globale, mais pas nécessairement au même endroit et/ou par la réalisation d'un type d'habitat ou d'un habitat identique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 967/1, pp. 17-18).

B.4.3. En d'autres termes, la disposition en cause interdit uniquement l'octroi d'un permis dans le cas d'un préjudice à la fois inévitable et irréparable : « Les préjudices inévitables mais réparables sont autorisés. Par réparation, on entend une réparation du préjudice par la mise en place, à l'endroit où le préjudice a été causé, d'un habitat quantitativement et qualitativement similaire à celui qui existait avant ce préjudice » (ibid., p. 20).

B.4.4. Le juge a quo, qui cite les travaux préparatoires précités, est conscient qu'en vertu de l'article 26bis, § 1er, alinéa 1er, du décret du 21 octobre 1997, un permis peut être accordé pour des activités qui ne peuvent avoir sur la nature dans une zone du « VEN » que des effets négatifs non significatifs, pour autant qu'il s'agisse d'un préjudice réparable. Il ressort toutefois de la motivation de la décision de renvoi que le juge a quo vise en particulier le cas du préjudice inévitable qui est aussi irréparable.

B.5. En matière de politique environnementale, la Cour doit, compte tenu de l'obligation faite aux législateurs régionaux par l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution de garantir le droit à la protection d'un environnement sain, respecter l'appréciation de ces législateurs quant à l'intérêt général, sauf si cette appréciation est déraisonnable.

B.6. La protection du « VEN » poursuit un objectif global de conservation de la nature. Par « conservation de la nature », on entend « la préservation, la restauration et le développement de la nature et du milieu naturel par la protection, le développement et la gestion de la nature et la poursuite de la plus grande diversité biologique possible dans la nature (et d'un état de conservation favorable des habitats et des espèces) » (article 2, 10°, du décret du 21 octobre 1997). Par « nature », on entend « les organismes vivants, leurs habitats, les écosystèmes dont ils font partie et les processus écologiques autonomes s'y rapportant, qu'ils résultent ou non des activités humaines, à l'exclusion des cultures, des animaux agricoles et des animaux domestiques » (article 2, 7°, du même décret).

Les zones spéciales de conservation sont plus spécifiquement destinées à la conservation d'espèces d'oiseaux vivant à l'état sauvage, d'habitats naturels et de populations d'espèces sauvages de faune et de flore, en application, respectivement, des directives « Oiseaux » et « Habitats » mentionnées plus haut. Ces zones visent dès lors un but spécifique qui ne coïncide pas totalement avec la protection du « VEN ». Ainsi qu'il a déjà été observé, une zone spéciale de conservation peut faire partie du « VEN », mais elle peut aussi être située en dehors du « VEN ». Contrairement à ce qui est le cas au sein du « VEN », les zones spéciales de conservation poursuivent des objectifs de conservation particuliers à l'égard des espèces ou des habitats concernés. Les conséquences éventuelles d'une activité doivent être appréciées « à la lumière des particularités spécifiques et des caractéristiques environnementales de la zone protégée concernée par l'activité, les objectifs de conservation devant, entre autres, être pris en considération » (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 967/1, p. 35).

B.7. Compte tenu de ce que les protections des zones naturelles concernées poursuivent des finalités et des objectifs différents, le législateur décrétal a fait un choix objectif et pertinent en alignant les critères de l'évaluation écologique sur ceux-ci et en prévoyant, pour la demande de permis, une évaluation fondée sur le critère du préjudice inévitable et irréparable pouvant être causé à la nature dans le cas de l'« évaluation VEN », et une évaluation fondée sur le critère de la dépréciation significative des caractéristiques naturelles dans le cas de l'« évaluation habitat ». Dans l'exercice de son contrôle au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, la Cour n'est pas compétente pour juger de l'opportunité de ce choix.

B.8. En outre, la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés. En vertu de cette disposition, une activité susceptible de causer à la nature dans le « VEN » des préjudices inévitables et irréparables peut être autorisée ou exécutée, en l'absence d'alternative, « pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Dans ce cas, il convient de prendre « toutes les mesures compensatoires et limitatrices nécessaires » (article 26bis, § 3, du décret du 21 octobre 1997).

Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, la formulation de cette règle dérogatoire a été « alignée, sur ce point, sur la règle prévue à l'article 36ter en ce qui concerne les zones spéciales de conservation » (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 967/1, pp. 20-21).

B.9. Enfin, ainsi que l'observe le Gouvernement flamand, l'autorité qui délivre le permis doit apprécier, sur la base des circonstances concrètes, si une activité est susceptible de causer un préjudice inévitable et irréparable à la nature dans une zone du « VEN ». Dans l'exercice de son contrôle de la légalité, le Conseil pour les contestations des autorisations a ensuite le pouvoir de vérifier si l'autorité n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en décidant que le préjudice inévitable est réparable ou non.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 26bis du décret de la Région flamande du 21 octobre 1997 concernant la conservation de la nature et le milieu naturel ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 juin 2019.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut A. Alen

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